2. La sous-évaluation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la réforme
a) La prévision initiale
D'après l'étude d'impact réalisée par la DACS, la mise en oeuvre de la réforme impliquait, dans les cinq années suivant son entrée en vigueur, la création de 29,41 emplois équivalents temps plein travaillé (ETPT) de magistrats juges des tutelles .
Les greffes devaient, pour leur part, voir leurs effectifs augmenter de 51 postes de catégories B et C et de cinq postes de greffiers en chef .
b) Des moyens humains stables ou décroissants
La direction des services judiciaires (DSJ) a indiqué à la Cour des comptes que, en 2008, 22 emplois de magistrats d'instance ont été créés, dont 2 vice-présidents chargés de l'instance et 20 juges d'instance. En outre, 7 magistrats placés (« fléchés » vers la réforme des tutelles) ont également été localisés la même année.
Si 22 emplois ont effectivement été créés en 2008, la DSJ n'a toutefois pas précisé la quote-part de ces postes réellement dévolue à la mise en oeuvre de la réforme des tutelles, ni le nombre de magistrats effectivement localisés (certains postes créés pouvant être vacants). Or, certaines juridictions interrogées ont fait état de vacances de postes de greffiers de l'ordre de 10 % à 20 %.
Par ailleurs, la DSJ n'a pas non plus donné d'indication sur l'impact quantitatif de l'évolution de la carte judiciaire sur lesdits postes. Or, la nouvelle implantation des juridictions implique parfois des déplacements sur des distances plus importantes qui peuvent amener le juge à décider de renoncer à l'audition de la personne (par des ordonnances de dispense), faute de temps. Ainsi, les juges rencontrés par les magistrats de la Cour des comptes au cours de leur enquête ont indiqué avoir de plus en plus recours à une telle dispense d'audition.
Au total, la Cour des comptes indique que la situation en nombre de magistrats et de fonctionnaires chargés des tutelles « n'a pas ou peu évolué depuis la mise en oeuvre de la réforme, en dépit d'une charge de travail objectivement accrue » . Elle ajoute que « l'appui ponctuel des magistrats " placés " ne permet pas de tempérer ce constat ».
c) Un outil statistique incomplet
L'enquête de la Cour des comptes souligne le caractère incomplet de l'outil statistique et informatique mis en oeuvre par la Chancellerie au regard du suivi tant des effectifs que des mesures.
Tout d'abord, on ne peut que déplorer que les moyens en fonctionnaires affectés à l'activité « tutelles » ne puissent pas être identifiés dans la version actuelle de l'applicatif « OUTILGREF » utilisée par la Chancellerie. Une actualisation de cet applicatif est apparemment en attente.
En outre, la réforme de 2007 ne s'est pas accompagnée d'une évolution concomitante du logiciel de gestion des dossiers de tutelles « TUTI ». Ce logiciel est surtout utilisé pour créer des formulaires et des courriers type, mais il ne permet pas un suivi précis des dossiers de tutelles . Aussi, dans nombre de juridictions, le comptage des dossiers ouverts doit être opéré manuellement. Dans certains cas, les juges s'en remettent mêmes aux associations tutélaires pour obtenir la liste des mesures prononcées et le détail de la prise en charge.
Un tel déficit de suivi des mesures peut se révéler particulièrement préjudiciable , notamment du fait de l'obligation de révision quinquennale des dossiers.
d) L'insuffisance de médecins experts
Le rôle du médecin expert est essentiel dans la mise sous tutelle ou sous curatelle, ces mesures étant fondées sur la reconnaissance de l'altération mentale de la personne concernée.
Or, selon la Cour des comptes, « si la situation reste contrastée selon les départements et les juridictions, on constate globalement, et au regard de l'évolution du nombre de mesures, l'insuffisance du nombre de médecins inscrits sur les listes, s'agissant en particulier des médecins psychiatres ».
D'après les observations recueillies par la Cour auprès des départements ayant fait l'objet de l'enquête, cette insuffisance peut être mise en lien avec une tarification trop faible du certificat médical compte tenu des contraintes qu'implique l'établissement de ces certificats (déplacements, conditions d'accueil...).
En outre, « lorsque les certificats médicaux sont financés sur les frais de justice, ils sont alors fréquemment réglés avec retard , ce qui n'incite guère les médecins à proposer leur expertise ».
Une telle situation pose une question extrêmement préoccupante pour l'avenir du système actuellement en vigueur. Il faut d'ailleurs regretter que cet enjeu majeur « ne semble pas avoir fait l'objet d'évaluations particulières au stade des études d'impact ».