INTRODUCTION
« Nous devons être capables de faire mieux, en dépensant moins »
François Hollande Président de la République, conférence de presse
le 14 novembre 2012
« Nous avons besoin d'une diplomatie économique forte, active, réactive, efficace, à l'écoute de tous les acteurs économiques de «l'équipe de France» »
Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères
Conférence des ambassadeurs,
le 29 septembre 2012
Mesdames, Messieurs,
Le Parlement a adopté, en juillet 2010, la loi sur l'action extérieure de l'Etat qui a créé plusieurs établissements publics dont France Expertise Internationale (FEI), opérateur du ministère des affaires étrangères en matière de promotion de l'expertise française à l'international.
La loi prévoit que FEI et le ministère des affaires étrangères sont liés par un contrat d'objectifs et de performances, ce contrat devant faire l'objet d'un avis des commissions compétentes du Parlement.
C'est la raison d'être de ce rapport.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat croit cette procédure utile. En effet, comme l'a souligné le Conseil d'Etat dans son étude annuelle de 2012 sur « Les agences : une nouvelle gestion publique ? », les pouvoirs publics ont, ces dernières années, externalisé certaines missions au profit d'opérateurs leur offrant notamment plus de souplesse et de réactivité.
Si le Parlement veut exercer son rôle de contrôle et d'évaluation, il lui faut suivre et évaluer ces opérateurs. Cette procédure d'avis lui en donne l'occasion. Elle permet d'évaluer non seulement l'action de ces opérateurs, mais aussi la qualité du pilotage exercé par l'Etat.
FEI, établissement public industriel et commercial, sélectionne, recrute des experts internationaux du secteur public et du secteur privé pour répondre à des marchés d'expertise aux quatre coins du monde dans des secteurs très variés, qui vont de la gouvernance à des domaines techniques comme les barrages hydrauliques ou la santé, en passant par la construction de systèmes juridiques modernes, la mise en place de réformes agraires, et tous domaines qui ont trait aux problématiques de développement et de mondialisation.
Cet avis est l'occasion de poursuivre la réflexion, au-delà des considérations générales sur les enjeux de la promotion de l'expertise technique, d'évaluer l'activité concrète de cet établissement à un moment clef de son évolution.
Cette évaluation devrait permettre d'apprécier la cohérence entre les objectifs et les moyens assignés par l'Etat à cet établissement.
Il s'agit également, dans l'esprit de votre commission, d'évaluer la politique de l'Etat dans un secteur, à bien des égards, stratégique.
A un moment où le déficit de notre commerce extérieur montre que nous avons besoin d'une diplomatie économique forte, active, réactive, efficace, à l'écoute de tous les acteurs économiques de «l'équipe France», il convenait d'apprécier la cohérence de la politique de promotion de l'expertise française à l'international.
I. LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE D'EXPERTISE CONSTITUE UN ENJEU IMPORTANT POUR LE RENFORCEMENT DES CAPACITÉS DE NOS PARTENAIRES ET L'INFLUENCE DE LA FRANCE
Le développement des économies des pays du sud et la mise en place de politiques publiques appellent le recours croissant à de l'expertise technique dont une partie provient des pays occidentaux dans le cadre des politiques de coopération au développement.
Les transferts de compétences liées à cette expertise technique sont essentiels au renforcement des capacités de nos pays partenaires à mettre en oeuvre des politiques publiques complexes aussi bien dans le domaine des infrastructures, que de l'éducation ou de la santé. Cette coopération en matière d'expertise est également d'influence pour les pays occidentaux qui, à travers ces transferts de compétences diffusent des modèles d'organisation conforme à leurs valeurs et à leurs intérêts.
La coopération internationale en matière d'expertise est ainsi à la croisée des chemins entre la solidarité et l'influence.
Sur le plan juridique, cette expertise publique internationale correspond à des prestations de services immatériels assurées par des opérateurs publics au profit d'acteurs étrangers qui sont en général publics. Leur mode de financement est varié : financement sur fonds publics bilatéraux, au titre de l'aide publique au développement ; financement auprès de bailleurs tiers tel que l'Union européenne, la Banque mondiale, les banques régionales de développement, les programmes des Nations unies ou des financements par le pays bénéficiaire lui-même.
La loi n°2010-873 du 27 juillet 2010 sur l'action extérieure de l'Etat a semblé marquer un pas important en ce domaine, le législateur ayant montré pour la première fois l'importance que revêt la projection à l'étranger de l'expertise publique internationale française.
Neuf des vingt-trois articles de la loi sont consacrés à ce thème : deux articles à un nouvel établissement public compétent dans le domaine de l'expertise, FEI, qui fait l'objet du présent rapport et sept à la rénovation du cadre de l'ex-coopération technique pour les différentes fonctions publiques.
A. L'EXPERTISE PUBLIQUE INTERNATIONALE REPRÉSENTE POUR LA FRANCE UN ENJEU ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE CROISSANT
Comme le souligne Nicolas Tenzer entendu par votre rapporteur et auteur d'un rapport en mai 2008, « L'expertise internationale au coeur de la diplomatie et de la coopération du XXIème siècle - Instruments pour une stratégie française de puissance et d'influence », le renforcement de la présence de la France sur le marché de l'expertise internationale constitue un enjeu à plusieurs titres :
- un enjeu économique et d'emploi, qui tient au volume des marchés en jeu, évalués à 400 milliards d'euros sur les cinq prochaines années.
La demande internationale d'expertise constitue un marché fortement concurrentiel qui porte sur des secteurs aussi divers que la santé et la sécurité sociale, la gouvernance, la culture, l'environnement, les infrastructures, l'enseignement supérieur ou l'éducation.
Ce marché s'exprime le plus souvent sous la forme d'appels d'offres lancés par les États, les bailleurs de fonds multilatéraux, les collectivités territoriales, les agences de coopération et les fondations philanthropiques.
Au-delà de l'enjeu financier, le développement de cadres normatifs et de régulation similaires aux nôtres au sein des organisations internationales et administrations partenaires favorise les échanges économiques des entreprises françaises.
Les enjeux pour notre commerce extérieur sont d'autant plus importants que ces expertises ont des effets induits tout à fait importants. Mettre en place les normes ferroviaires en Chine en s'appuyant sur des normes françaises ou allemandes maximise les chances des entreprises françaises ou allemandes, participer à la refonte du droit civil malgache, selon que cette refonte s'inspire du système juridique français ou sur la « Common Law » britannique, favorise les cabinets d'avocats anglo-saxons ou francophones.
Les estimations des effets induits de ces marchés sont évidemment à prendre avec précaution. Les experts rencontrés, notamment M. Nicolas Tenzer, évoquent plusieurs milliers de milliards de dollars.
A l'heure où notre déficit commercial s'élève à 70 milliards d'euros, le marché de l'expertise doit être regardé avec intérêt.
- un enjeu d'influence qui se joue ensuite dans l'élaboration des normes techniques, dont les Français sont largement absents, des normes juridiques et des « bonnes pratiques ». Les cadres politiques, normatifs, économiques et administratifs futurs de nos partenaires dépendent, dans une large mesure, de l'expertise apportée pour les concevoir. Les prestations d'expertise et de conseil auprès des gouvernements étrangers et des organisations internationales constituent ainsi un vecteur essentiel pour la diffusion des normes et standards français, tant sociaux que juridiques, sanitaires ou environnementaux. L'expertise internationale française permet aussi le rayonnement de notre modèle d'organisation de la société et de nos valeurs.
- un enjeu de présence sur les questions globales et la politique de développement, par l'élaboration de règles et de recommandations. L'expertise technique internationale est au coeur des problématiques du développement, qu'il s'agisse des Objectifs du millénaire pour le développement, de l'appui à la gouvernance et à l'élaboration d'un modèle social, ou du développement humain et durable. Cette politique participe notamment de la promotion d'une vision sociale de la mondialisation et de valeurs portées par notre diplomatie multilatérale (« socle de protection sociale », égalité dans l'accès à la santé, un droit du travail protecteur...).
L'expertise française dans ces domaines constitue potentiellement un puissant relais d'influence pour la France à l'heure où la santé, l'emploi et les inégalités sociales deviennent des facteurs de déséquilibre géopolitique importants (chômage des jeunes, égalité hommes/femmes, lutte contre le sida et les maladies infectieuses, développement des socles de protection sociale). Il s'agit là d'une composante essentielle de la politique de solidarité de la France.
Cette solidarité s'exprime également dans le contexte de pays en crise ou en sortie de crise quand il s'agit d'apporter à nos partenaires l'expertise opérationnelle pour le rétablissement des fonctions premières de l'État et des institutions de la société civile.