B. L'ETAT DOIT AUJOURD'HUI PRENDRE SES RESPONSABILITÉS ET PROCÉDER À UNE RÉFORME DE CE SECTEUR DANS L'INTÉRÊT GÉNÉRAL
Notre commission avait demandé à travers l'adoption d'un amendement à la loi sur l'action extérieure de l'Etat à ce que le Gouvernement établisse un rapport sur les moyens de renforcer la cohérence du dispositif public de l'expertise internationale.
Le rapport de Mme Maugüé sur le renforcement de la cohérence du dispositif public de l'expertise technique internationale que votre commission a annexé au présent avis dresse un constat sans surprise : Les conflits de périmètre sont structurels. Les modèles économiques divergents conduisent plus que jamais à une concurrence nuisible à l'intérêt collectif. La situation génère un problème de visibilité et de lisibilité du dispositif français d'expertise à l'international.
Il comporte un certain nombre de préconisations :
1) un cadrage stratégique : définition de priorités géographiques et sectorielles et validation politique afin que les opérateurs se mobilisent sur des objectifs communs ; déclinaisons par opérateur à travers des contrats d'objectifs.
2) des espaces de dialogue et de coordination : renforcement des mécanismes de concertation entre la DGM et les opérateurs ; confirmation du rôle du Conseil d'orientation prévu par la loi de juillet 2010 (lieu d'analyse et de débat).
3) une recomposition du secteur : à initier à l'issue d'un état des lieux à opérer dans chaque secteur, en s'appuyant notamment sur les audits conduits par le CGEFI en ce qui concerne la viabilité économique des opérateurs (bien qu'incluses dans la lettre de cadrage de la mission, ces analyses n'ont pu être conduites) ; en fonction des cas, différents types de décisions devront être prises : suppression ou regroupement d'opérateurs.
4) un développement d'outils pour rationaliser l'activité et la gestion des opérateurs.
La principale d'entre elles consistait à établir un audit financier de l'ensemble des opérateurs pour apprécier leur viabilité économique et préconiser sur la base de cette évaluation des rapprochements.
Aujourd'hui, l'Etat n'a pas, en effet :
- de vision d'ensemble des moyens publics engagés dans la politique de promotion de l'expertise technique tellement le secteur est divisé entre opérateurs.
- de connaissance précise sur la viabilité des modèles économiques des différents opérateurs.
1. Une première étape serait d'assurer le maximum de transparence sur les moyens publics mobilisés et de recenser les résultats obtenus par chaque opérateur
L'évolution du chiffre d'affaires de l'ensemble des opérateurs français donnerait une idée de l'évolution de la part de marché de la France.
Une deuxième étape consisterait à comparer l'efficience de chacune des structures en rassemblant notamment les données disponibles sur :
- les contrats liant l'Etat à chacun des opérateurs, les objectifs et les moyens associés ;
- l'évolution du chiffre d'affaires de chacun des opérateurs ;
- la part relative des frais de structure de chacun ;
- la part relative des subventions et financements publics ou assimilés ;
- un ratio de production financière par ETP.
Ces informations sont à la portée des pouvoirs publics sans audit, en collectant les données disponibles. Elles donneraient une première vision de la situation de chaque opérateur.
Votre rapporteur estime nécessaire de procéder ensuite à l'audit évoqué par le rapport Maugüé sans tarder pour avoir une vision plus fine des aspects financiers.
Votre commission souhaite que dans une troisième étape l'Etat fasse évoluer le dispositif dans le cadre d'une stratégie interministérielle.
On ne peut que s'étonner que, deux ans après la réforme de 2010, la situation n'ait pas évoluée. Les ministères, soucieux de conserver, chacun dans leur coin, leur opérateur, ont refusé de procéder à ces audits et semblent assez loin de l'idée d'une coordination, voire d'un regroupement des opérateurs.
On ne saurait se contenter du maintien de logiques purement verticales et sectorielles au détriment d'un jeu collectif « à somme positive » pour la France, avec pour résultat une utilisation non optimale des fonds publics et une présence limitée de la France sur les marchés internationaux.
Les conclusions du rapport Maugüé, comme celles de ses prédécesseurs ne doivent pas rester lettre morte.
La responsabilité de l'Etat ne se limite pas à la nomination de correspondant expertise dans les ambassades et de la constitution d'un conseil d'orientation de FEI rassemblant tous les acteurs du secteur.
L'une des seules évolutions significatives depuis le rapport Maugüé va en apparence à l'encontre des conclusions du rapport en créant un nouvel opérateur avec le fonds d'expertise technique de l'AFD qui devrait voir le jour en 2013.
Si on peut comprendre le souhait de l'AFD de participer au rayonnement de l'expertise française et de renforcer les capacités de nos pays partenaires, il convient de veiller à ce que ce fonds ne conduise pas à créer une nouvelle concurrence dans un paysage déjà marqué par une fragmentation excessive des intervenants.
La constitution d'un tel fonds avec l'AFD assurant un rôle de maîtrise d'ouvrage ne doit pas conduire à créer un nouvel opérateur pour en assurer la maîtrise d'oeuvre, au risque de complexifier encore un paysage déjà éclaté et de rendre le dispositif français illisible.
Il appartient à l'AFD, quand cela est possible, de passer par les opérateurs existants dans le cadre d'un dispositif transparent et concerté en interministériel. Le directeur général de l'AFD, auditionné par la commission, n'a cependant pas exclu qu'il participe à ce qu'il a appelé « une saine émulation » et ce qui peut apparaître aux termes de ce rapport comme une division des forces.
La plupart des acteurs rencontrés par votre rapporteur soulignent la nécessité d'agir, les lacunes du pilotage stratégique, l'absence de priorités clairement définies pour orienter les ressources d'expertise à l'international, et le faible portage politique de ces sujets.
Si une réforme ambitieuse du dispositif n'est pas engagée à court terme, permettant aux acteurs du champ d'atteindre la masse critique nécessaire pour remporter les appels d'offres multilatéraux et répondre aux demandes exigeantes des grands pays émergents, les restrictions budgétaires à venir provoqueront immanquablement un affaiblissement des différentes structures publiques, qui les éloigneront davantage du seuil de pertinence dans un environnement international de plus en plus concurrentiel.
Cet abandon serait d'autant plus paradoxal que, dans un contexte de fortes contraintes sur la ressource publique, le premier frein n'est pas celui des ressources financières. Comme le souligne le rapport Tenzer, la demande d'expertise est forte et largement « solvable ».
2. Le prochain CICID doit ensuite mettre en place une stratégie d'ensemble portant réforme du dispositif de promotion de l'expertise française
La principale difficulté se situe au niveau de l'interface entre l'offre et la demande ; il manque aujourd'hui la structure ou les modalités de coordination qui permettraient à l'offre française d'expertise publique, foisonnante mais dispersée, de trouver sa place dans le « marché » international de l'expertise.
Comme le ministre du développement, devant votre commission, l'a concédé, il y a là un chantier à ouvrir : « Je crois qu'il nous faut aujourd'hui essayer de trouver des moyens de coordonner l'action des différents opérateurs ainsi que celle de l'AFD qui va bientôt bénéficier d'un fonds dédié à l'expertise. » 11 ( * )
Il faut se saisir de l'opportunité de la création du fonds d'expertise de l'AFD, du rapport Maugüé et, à vrai dire, des nombreux rapports qui se sont succédé sur ce sujet depuis 10 ans pour inviter les pouvoirs publics à faire en sorte que, dans ce secteur porteur, l'équipe France parte unie à la conquête des marchés internationaux.
Pour cela, il faudra faire preuve d'imagination et de volonté politique.
Il s'agit de dépasser les clivages entre les ministères et une tentation de « cartellisation » de l'expertise ou de « protectionnisme administratif » pour faire émerger un intérêt collectif.
Votre rapporteur, en l'état de ses travaux, a quelques réticences à proposer des solutions sachant qu'elles doivent s'appuyer sur un dialogue entre le ministère des affaires étrangères qui gèrent l'essentiel des crédits consacrés à la coopération et les autres ministères concernés.
Quelques réflexions cependant sur la méthode et les objectifs à poursuivre.
Sans doute, comme le souligne le rapport Maugüé n'a-t-on pas les moyens de créer ex nihilo un organisme de la taille de ceux des Britanniques ou des Allemands.
Le principal objectif est de mutualiser entre un maximum d'opérateurs un certain nombre de tâches communes :
- le travail de veille sur appels d'offres internationaux, y compris en amont pour influer sur la programmation des crédits européens et multilatéraux, et d'aide à la structuration de consortiums d'acteurs pour y répondre ;
- l'entretien du lien avec le réseau des ambassades, des bureaux de l'AFD et des organisations multilatérales ou européennes ;
- certaines fonctions administratives pourraient également faire l'objet de rapprochements ou mutualisations ;
- l'intermédiation financière entre les financements en provenance des bailleurs et les structures mettant à disposition l'expertise ;
- le travail de communication sur l'équipe France tout en préservant en tant que de besoin l'identité de ceux des opérateurs existants qui ont acquis une visibilité et une crédibilité avérées au gré de leurs interventions passées et de leurs perspectives de développement.
Cette mutualisation peut s'effectuer selon différents scénarios qu'il convient d'étudier dans les prochains mois avec les acteurs concernés.
Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées.
Ce rôle transversal pourrait être assumé par FEI dont cela était initialement la vocation. Il pourrait également être confié à l'AFD, avec la création d'un EPIC, opérateur transversal, filiale de l'Agence, voire dans le cadre d'un FEI membre du groupe AFD, et dont il constituerait le bras armé sur le métier de l'assistance technique et de la réponse à appels d'offres.
Dans ce scénario, cette filiale pourrait être l'opérateur d'assistance technique des ministères dans le cadre de rôles reprécisés avec les opérateurs spécialisés dont la pérennité serait confirmée compte tenu de leur viabilité économique.
Une telle disposition prolongerait la réforme de l'aide bilatérale française menée dans les années 1990 et 2000, en confiant à cet EPIC le travail d'animation du vivier d'experts français et sa mobilisation en accompagnement de projets d'aide au développement. En plus de ses projets en prêts ou en dons, l'AFD serait donc à travers sa filiale gestionnaire d'une plateforme d'assistance technique dans ses domaines de compétence en lien avec les ministères concernés.
L'avantage de cette solution est d'adosser la promotion de l'expertise technique à un opérateur disposant à la fois de la masse critique exigée par l'environnement international et d'un réseau d'agences placées au plus près des appels d'offres.
Une solution moins ambitieuse consisterait à commencer la rationalisation de ce secteur et la mutualisation de ces tâches par des regroupements par pôle d'activité, notamment dans le secteur social où la dispersion est maximale.
La création d'un opérateur dans le secteur social donnerait à la coopération technique française une cohérence accrue, avec la coexistence de 3 grands opérateurs thématiques : ADETEF en matière de coopération économique et financière, CIVIPOL en matière de sécurité intérieure, de protection civile et de gouvernance territoriale, et un opérateur « social » compétent en matière de travail, de protection sociale et d'emploi. Cette répartition en trois acteurs laisserait cependant entière la question de FEI. Cet établissement pourrait dans ce cadre se voir conforter dans le secteur des OMD/développement durable, de la gouvernance/Droits de l'Homme, du post crise et des questions de stabilité-sécurité relevant directement du ministère des affaires étrangères.
En rester à cette solution aurait aussi pour inconvénient de ne pas répondre à une grande partie de la demande des bailleurs, qui repose précisément sur des demandes transversales associant plusieurs types de métiers, compétences et experts comme dans les projets relatifs à la gouvernance, ou des programmes liant sécurité/développement et pour lesquels un opérateur à large spectre est précisément plus approprié que des opérateurs trop spécialisés.
Quel que soit le scenario retenu : le principal enjeu est de mettre fin aux conflits de compétence, de favoriser les alliances positives et d'atteindre une taille critique par la mutualisation de fonctions communes à l'ensemble des prestataires de coopération, telles que les fonctions de support, la veille et la prospection, ou l'appui juridique à la réponse aux appels d'offres, au montage administratif des projets, au développement de partenariats.
Une stratégie commune et une harmonisation des conditions d'exercice des opérateurs seraient, en effet, déjà une amélioration notable.
Le prochain CICID devrait pouvoir avaliser une stratégie commune de promotion de l'expertise à l'internationale qui pourrait être déclinée dans le contrat de chaque opérateur.
Une chose est sûre, le statu quo n'est pas souhaitable, la situation actuelle ne sert pas l'intérêt collectif de la France.
* 11 Audition de M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement, sur le projet de loi de finances pour 2013 (mission « Aide publique au développement »), mardi 6 novembre, http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20121105/etr.html#toc2.