N° 198

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2012

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la lutte contre le virus Schmallenberg ,

Par Mme Bernadette BOURZAI,

Sénatrice.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

Mesdames, Messieurs,

La maladie de Schmallenberg est l'une des maladies infectieuses apparues récemment en Europe. Selon une estimation courante, il y a une nouvelle maladie détectée chaque année dans le monde et cette fréquence, déjà à peine croyable, s'accélère régulièrement. Dans son rapport d'information de la délégation sénatoriale à la prospective et consacré à ce sujet 1 ( * ) , notre collège Fabienne Keller relevait que « les maladies infectieuses émergentes, dans 75 %, sont d'origine animale et ont quadruplé au cours des cinquante dernières années » .

Les trois grandes maladies nouvelles des dernières années du XX e siècle furent le SIDA, l'ESB (encéphalopathie spongiforme bovine), et la grippe aviaire H5N1, qui inquiète toujours beaucoup la communauté scientifique. Le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), la fièvre catarrhale ovine (FCO) et la maladie de Schmallenberg paraissent être les trois premières nouvelles maladies du XXI e siècle.

Le virus de Schmallenberg, identifié en novembre 2011 en Allemagne, est une maladie d'élevage qui affecte les ruminants (bovins, ovins et caprins). Cette maladie est peu connue du grand public parce qu'elle n'est qu'une maladie animale et non une maladie zoonotique - transmissible à l'homme. Après une phase d'inquiétude légitime, la maladie ne fait plus l'objet d'une attention aiguë de la part des autorités sanitaires européennes parce que, en dépit de sa progression géographique rapide, elle ne concerne, globalement, qu'un nombre limité d'élevages en Europe.

Néanmoins, l'apparition de cette maladie suscite un certain désarroi des éleveurs et une interrogation, voire une certaine inquiétude, sur le fonctionnement des alertes sanitaires en Europe.

Il y aura dans l'Union d'autres maladies émergentes et chaque expérience doit contribuer à améliorer notre connaissance, notre réactivité. Tout dysfonctionnement dans ce domaine pourrait avoir des conséquences extrêmement graves. Il nous appartient d'exercer notre devoir de vigilance et de prévention.

Fort heureusement, la maladie de Schmallenberg est une infection limitée, et, sans doute, maîtrisée. Néanmoins, elle peut être considérée comme un cas d'école dont l'Union européenne devrait tirer des leçons.

C'est le sens de l'avis politique qui est ainsi présenté.

A. PRÉVALENCE DE LA MALADIE

1. Description sommaire

La maladie de Schmallenberg est une maladie virale (par opposition aux maladies bactériennes). Elle se manifeste par des fièvres et des diarrhées chez les bovins et, surtout, par des avortements spontanés, des malformations lors des mises à bas, ainsi que des animaux mort-nés, principalement chez les moutons. Cette forme d'infection, dite congénitale, est, de loin, la plus grave.

Le virus a été identifié par le laboratoire allemand Friedrich Loeffer Institut (FLI) il y a un an, en novembre 2011, dans le Land de Rhénanie/Nord-Westphalie. Des signes de maladie avaient été signalés en septembre mais ils étaient trop peu spécifiques. C'est la répétition d'avortements et de malformations qui provoqua des recherches et l'identification d'un nouveau virus, dit virus de Schmallenberg (ou VSB ou SVB ) du nom de la localité de l'élevage d'où provenaient les échantillons qui ont conduit à l'identification du virus.

Le nouveau virus fut assez vite documenté. Il s'agit d'un virus proche du virus d'Akabane - lui aussi nommé par son lieu d'identification au Japon. Il en a les mêmes effets, notamment des avortements et des mortinatalités. C'est une maladie dite vectorielle qui suppose un vecteur de transmission (par opposition aux maladies virales ou bactérielles). Il y a deux voies de contamination. La première est par voie externe , par un insecte volant hématophage, un moucheron assez banal en Europe, de la famille des culicoïdes .  Des moustiques ont également été suspectés. La seconde est in utero, pendant la gestation. Le virus se transmet des mères à leur descendance à travers le placenta, même si une mère contaminée peut avoir une portée avec un produit malade et un produit parfaitement sain. La contamination d'un animal génère des anticorps et, selon les informations actuellement disponibles, un animal atteint ne reproduira pas la maladie.

Toujours selon les connaissances actuelles, le risque zoonotique, c'est à dire d'une possible transmission à l'homme, paraît exclu. Ce risque a été envisagé. En février 2012, les autorités sanitaires britanniques recommandaient même aux femmes enceintes de ne pas approcher les animaux contaminés. Selon une note du centre d'études et de prospective du ministère de l'agriculture, « la possibilité de transmission à l'homme, qui a été un temps incertaine, (a été) formellement exclue à l'issue d'une étude sérologique menée par l'Institut national de la santé publique et de l'environnement des Pays Bas ». Cette hypothèse a également été rejetée en mai 2012 par l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE): « les études sérologiques montrent qu'il ne s'agit pas d'un agent zoonotique ». En juin 2012, le centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) indiquait que « le risque d'infection des humains exposés au virus est absent ou extrêmement faible ».

2. La situation en Europe

La contamination fut rapide. Après l'Allemagne, des contaminations d'élevage furent décelées aux Pays-Bas et en Belgique fin 2011, frontaliers du Land précité. Le virus fut identifié en janvier 2012 au Royaume-Uni et en France, qui fut donc le 5 e pays touché. Le virus s'est propagé de 2 000 kms en quatre mois.

Aujourd'hui, douze pays de l'Union sont touchés mais dans des proportions très différentes. La France compte plus de la moitié des cas identifiés, devant l'Allemagne. Même si elle n'a été identifiée que dans des cas isolés, l'infection poursuit sa progression. En septembre 2012, trois nouveaux pays ont identifié le virus (Autriche, Pologne, Suède). Au 1 er septembre 2012, 6 232 élevages infectés étaient mentionnés en Europe. 58 % de bovins, 40 % d'ovins et 2 % de caprins.

Le tableau ci-dessous retrace l'évolution du nombre de foyers répertoriés par les administrations nationales. Ce tableau, qui illustre la progression des foyers infectieux, n'est donné qu'à titre indicatif. Le «saut » statistique, parfaitement perceptible en France avec 500 nouveaux cas apparents en août, est plus lié au rattrapage de l'archivage informatique ou à des perspectives d'indemnisation qu'à un quelconque bond de la contamination !

Virus Schmallenberg
Nombre de foyers identifiés en 2012

Janv.

Fév.

Mars

Avril

Mai

Juin

Juillet

Août

Sept.

Oct

Nombre de pays touchés

3

5

7

8

8

8

9

9

9

12

Nombre de foyers (élevages touchés)

80

605

1612

3188

3856

4624

5434

5701

6232

-

- dont France

-

50

411

1176

1412

1829

2476

2639

3197

-

- dont Allemagne

52

342

797

1151

1386

1627

1734

1786

1800

-

Source : Centre de ressources d'épidémiosurveillance

Globalement, au niveau européen, la maladie touche donc un très petit nombre d'élevages. L'UE compte 12 millions d'exploitations agricoles dont 7 %, soit 840 000 sont dédiées à l'élevage. L'EFSA a évalué l'impact de cette maladie animale à 4 % pour les ovins et 2 % pour les bovins (communiqué de presse de l'EFSA du 14 juin 2012). Rapporté au nombre d'animaux, l'impact est encore plus faible. La Commission européenne évalue même l'impact à 0,002 % des ruminants concernés (déclaration conjointe des chefs vétérinaires de l'UE et de la Commission européenne du 8 juin 2012).

La France est le premier pays touché par la maladie avec plus de la moitié des cas identifiés. L'importance des contaminations est liée à celle de l'élevage dans le pays. Dans deux cas sur trois, il s'agit d'élevages bovins. La première identification du virus remonte au 25 janvier 2012. Les élevages concernés étaient situés en Moselle et en Meurthe-et-Moselle. En France, la zone dans laquelle des cas ont été recensés jusqu'à fin août forme aujourd'hui une large bande qui part de Normandie, va vers le Nord et l'Est, et redescend à partir de l'Alsace vers le Centre jusqu'en Charente et en Corrèze (6 cas répertoriés). Le département avec le plus de cas recensés est le Pas-de-Calais (265 foyers identifiés). Fin août, le Finistère et la plupart des départements du Sud de la France étaient encore exempts de cas identifiés.

3. Les conséquences économiques
a) Les conséquences directes

La maladie entraîne des fièvres et des diarrhées chez les animaux adultes ainsi que des malformations chez les foetus. Il y a donc au départ une perte de production directe, notamment de production laitière. Il ne semble pas qu'il y ait d'étude d'impact et une valorisation au niveau européen. Avec la diminution de la virulence de la maladie, l'intérêt des Etats s'est émoussé. L'Organisation mondiale de la santé animale relevait d'ailleurs, en septembre 2012, que « même si l'Allemagne avait été fortement touchée par l'infection, les pertes au niveau des exploitations étaient si faibles qu'aucun éleveur n'avait demandé de compensation » . En général, les administrations nationales ne recensent, au mieux, que les foyers - les élevages - infectieux, et non le nombre d'animaux atteints.

Il semble que, seule, la France, pays le plus touché par le virus, ait mené une étude complète pour évaluer les conséquences de la maladie sur les élevages, d'abord sur un plan quantitatif, avant un essai de valorisation, en cours. Les travaux ont été conduits par la plateforme de surveillance épidémiologique en santé animale (voir infra) avec la collaboration du réseau de GDS France , les groupements de défense sanitaire. L'impact est globalement faible. L'impact est plus important dans les élevages ovins que dans les élevages bovins. En moyenne 15 % des agneaux nés et 7 % des veaux nés présentent des troubles (malformations graves ou mortalité néonatale). Il s'agit de moyennes, car dans les foyers touchés, l'importance de la maladie peut être significative. En Belgique, la proportion de brebis touchées dans un foyer contaminé a pu atteindre jusqu'à 75 % !

Les principaux résultats de l'étude française sont présentés ci-après.

Impact du VSB en France

Bovins

Moutons

Agneaux

Nombre de foyers (élevages) identifiés

2 019

1 143

35

% de femelles ayant mis bas présentant des problèmes pouvant être rapportés au VSB

6 %

16,3 %

% de femelles à problèmes mortes après la mise bas

5 %

12,4 %

% des naissances normales

93 %

85 %

% des naissances dans le lot atteint présentant des problèmes

- dont animaux morts

- dont malformations

7 %

5 %

2 %

15 %

13 %

2 %

Source : enquête GDS France - juin 2012

b) Les conséquences indirectes

Si les conséquences directes semblent globalement faibles, le VSB a aussi des conséquences indirectes très pénalisantes, en particulier pour les pays exportateurs de bétail. L'arrivée d'un nouveau virus entraîne une suspicion sur l'état sanitaire du cheptel de l'Etat concerné. Il y a des effets en chaîne, souvent irrationnels mais dévastateurs pour l'ensemble d'une filière. En leur temps, les cas d'ESB en Europe en 1996, ou le lait maternel contaminé à la mélamine en Chine en 2008, avaient entraîné une chute drastique de la consommation des produits de l'ensemble de la filière - viande ou lait. Les conditions draconiennes posées par la Commission font qu'il n'y a aucune restriction aux échanges intracommunautaires. En revanche, 27 Etats importateurs, hors de l'UE, ont imposé des restrictions sur les échanges d'animaux d'élevage et/ou de matériels génétiques (semences, embryons) provenant des pays européens touchés par le VSB. Ces restrictions peuvent prendre différentes formes. Il peut s'agir soit d'embargo total sur les animaux ou les produits, soit de demandes de tests virologiques et/ou sérologiques, soit, enfin, d'attestations certifiant que le bétail est indemne de toute contamination ou provient d'élevages non atteints cliniquement. Dans quelques cas, les restrictions peuvent même porter sur les productions - le lait et la viande - voire sur d'autres espèces indemnes de toute contamination  comme le porc.

Toute information, toute initiative locale peut être utilisée par les concurrents des éleveurs européens pour renforcer une suspicion sur l'UE. Ces limites aux exportations sont évidemment très pénalisantes pour les pays exportateurs, en particulier la France, premier pays de l'Union exportateur de bovins vivants (pour engraissement ou pour l'abattage).

Restrictions d'importations en 2012 liées au VSB

Pays

Date

Animaux vivants

Matériel génétique

Nota

Algérie

Février

X

Argentine

Février

X

Australie

Mai

X

Biélorussie

Mars

X

Bosnie

X

X

Brésil

Mars/mai

X

Canada

Mai

X

X

Chili

Mai

X

Chine

Mai

X

Egypte

Janvier/mai

X

X

Restrictions étendues au lait et à la viande

Equateur

Avril

X

X

Japon

Février

X

Jordanie

Février

X

Kazakhstan

Février

X

X

Corée

Avril

X

Koweït

Mars

X

Liban

Février

X

Mexique

Janvier

X

Interdiction levée
le 21 août 2012

Maroc

Février

X

X

Oman

Mai

X

Pérou

Avril

X

Russie

Janvier

X

X

Interdiction provisoirement étendue aux porcs

Turquie

Février

X

Ukraine

Février

X

X

Emirats arabes unis

Mars

X

Uruguay

Mars

X

USA

Février

X


* 1 Rapport d'information sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes - Sénat (2011-2012) n° 638.

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