B. LES RAISONS DE L'ÉCHEC DU PROJET DE LA COMMISSION
Le projet de TTF présenté par la Commission semble avoir échoué par excès d'optimisme et manque de pragmatisme. C'est peu dire que ce projet faisait peur à l'ensemble du secteur financier européen et aux ministres des finances de certains pays. On comprend que la Commission, de réputation pourtant libérale, ait pu croire un moment que l'inquiétude soulevée par la crise lui offrait l'occasion unique d'imposer, sans coup férir et comme allant de soi dans un moment difficile, une proposition qui appartient au programme des « altermondialistes ».
Par sa visée quasi universelle, l'étendue de son assiette et l'importance de ses taux, la TTF proposée soulevait des difficultés qui ont empêché d'atteindre un consensus.
1. Taxer davantage le secteur financier : une augmentation en trompe-l'oeil ?
Partant de l'idée que le secteur financier n'était pas assez taxé, la Commission, ignorant l'alourdissement fiscal introduit par l'Angleterre (Bank Levy) et par la France (taxe bancaire de risque systématique) et ignorant également le coût des garanties supplémentaires exigées des banques par Bâle III, a proposé une taxe qui avait toutes les chances d'être répercutée sur le client final, c'est-à-dire les épargnants, les investisseurs et les entreprises.
Quand à l'accusation de « sous-taxation », le secteur bancaire a aussitôt réfuté l'assertion, rappelant qu'il s'acquitte de l'impôt sur les sociétés (sa participation s'élevant entre 18 et 26 % du produit de l'IS), d'une TVA non répercutable, de la taxe sur les salaires et de l'ensemble des taxes nouvelles créées depuis la crise ; en outre, il a confirmé que le coût de la TTF serait répercuté sur le client final, comme c'est le cas pour la TTF créée en France en 2012. Etait-ce vraiment le but poursuivi ?
2. Le renchérissement du coût du crédit
Les détracteurs de la taxe ont souligné que la TTF renchérirait automatiquement le coût de financement et le coût de la couverture des risques.
Ils ont également dénoncé le fait que la diminution des transactions conduirait à une baisse de la liquidité, elle-même cause du renchérissement du marché des capitaux.
3. Le risque de délocalisation
Les détracteurs de la TTF soulignent que celle-ci, limitée au territoire européen entraînerait une délocalisation des activités et des acteurs au profit des États-Unis et de l'Asie, et cette taxe limitée aux États membres européens pénaliserait la compétitivité des entreprises européennes. Selon les acteurs financiers, il existe un risque que se diffuse l'idée que traiter avec l'Union européenne coûte désormais plus cher.
4. Réaffirmation du principe de territorialité
Déclarer imposable toute transaction financière à laquelle au moins une partie à la transaction est établie sur le territoire de l'UE et à laquelle participe un établissement financier établi sur le territoire de l'UE apparaissait très extensif et empièterait sur la souveraineté fiscale des autres États hors de l'UE. Pourquoi ces États accepteraient-ils qu'une taxe soit levée par eux au profit d'autres États ?
Comme l'indique le tableau qui suit, cela revient à taxer toutes les transactions de l'UE entre les États membres à l'intérieur de l'UE et toutes les transactions de l'UE avec le reste du monde, astreignant à la taxe des pays qui ne l'ont pas adoptée.
TABLEAU RÉCAPITULATIF DES CAS D'APPLICATION DE LA
TAXE :
PRÉSENTATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
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Etablissement financier UE (État membre B) |
Autre résident UE (État membre B) |
Etablissement financier non résident |
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Etablissement financier résident UE (État membre A) |
Tb Ta |
- Ta |
Ta Ta |
- Ta |
Autre résident UE (État membre A) |
Tb - |
- - |
Ta - |
- - |
Etablissement financier non résident |
Tb Tb |
- Tb |
- - |
- - |
Autre non résident |
Tb - |
- - |
- - |
- - |
Ta, Tb : taxe à acquitter à l'État membre A ou à l'État membre B Taxe payée par partie résidente UE Taxe payée par la partie non résidente Rappel : les règles de taxation s'appliquent également quand un établissement financier n'est pas une partie directe à la transaction mais agit pour le compte de l'une des parties |
Source : Assemblée nationale
Il aurait été plus prudent de proposer une application de la taxe limitée au territoire de l'Union.
5. La taxation à l'achat et à la vente
La taxe est également apparue excessive dans la mesure où elle était perçue à la fois sur l'acheteur et sur le vendeur alors qu'en Suisse le poids de la taxe est partagé entre les deux et qu'en Angleterre et en France, seul l'acheteur paie.
6. Les taux de la taxe
Apparemment minimes, les taux s'appliquaient au sous-jacent des transactions et pouvaient paraître élevés au regard des marges étroites réalisées sur certaines transactions financières.
En outre, comme il a été dit plus haut, l'effet de cascade conduisant à multiplier le taux de la taxe par 6, voire davantage (vendeur, broker n° 1, chambre de compensation du broker, chambre de compensation de l'acheteur, broker n° 2, acheteur) a été souvent dénoncé. La Commission a fait savoir que cette interprétation venait de l'imprécision de son texte et que cet inconvénient serait corrigé dans la mesure où il n'aurait jamais été dans son esprit de taxer en cascade toutes les opérations d'une transaction.
7. Le financement de l'économie nationale
Le secteur bancaire français a rappelé que le financement de l'économie nationale doit être assuré par une intermédiation financière nationale de proximité, attentive à la situation et aux demandes des entreprises. En cas de délocalisation massive, on verrait la création d'une Europe bancaire à deux vitesses : une partie des plus petites entreprises n'auraient plus accès localement à l'ensemble des services.