C. RECENTRER LA GOUVERNANCE DE LA TAXE VERS LE FINANCEMENT DE L'APPRENTISSAGE
1. Les objectifs recherchés
La décentralisation a précisément pour objet, par la libre administration, d'orienter les crédits là où ils sont les plus pertinents pour mieux développer la politique de l'apprentissage . A cet effet, toutes les régions de France ont signé avec l'Etat des contrats d'objectifs et de moyens pour le développement de l'apprentissage en s'engageant à augmenter les moyens qui y sont consacrés.
Aussi, il y a lieu de se féliciter que le Gouvernement ait ramené l'objectif de développement de l'apprentissage à un niveau réaliste, c'est-à-dire 500 000 apprentis à l'horizon 2017, au lieu de 600 000 en 2015.
Il faut noter que c'est dans cet esprit que les régions ont formulé deux propositions dans le cadre du nouvel acte de la décentralisation 10 ( * ) :
- premièrement, celle d'assumer la compétence pleine et entière de l'apprentissage et la répartition, en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, de la totalité du quota de la taxe d'apprentissage et de la CSA dans le cadre d'un système de péréquation défini au niveau national ;
- et deuxièmement, celle de soumettre les propositions d'affectation du hors quota à l'accord de la région et à l'avis du Comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle (CCREFP), lequel comprend des représentants des salariés et des employeurs.
A ces propositions, auxquelles votre rapporteur spécial s'associe, il faut ajouter que la réforme doit s'inscrire dans un projet global de renforcement de l'apprentissage , projet qui excède le périmètre du présent rapport mais qui devra sous-tendre le texte que le Gouvernement présentera à la fin de l'année, comme l'a annoncé le Président de la République.
2. Les préconisations relative à la gouvernance
Il est proposé que la réforme permette de recentrer la gouvernance de la taxe vers le financement de l'apprentissage et suive les principes suivants :
- l'augmentation de la part de la taxe d'apprentissage réellement affectée à l'apprentissage ;
- l'attribution aux régions de la gouvernance de la répartition des fonds libres non affectés par les entreprises ;
- le rééquilibrage du quota et du hors quota notamment pour prendre en compte la fusion de la taxe avec la CDA.
a) Augmenter la part de la taxe d'apprentissage affectée à l'apprentissage
Pour traduire en acte ce principe, votre rapporteur spécial préconise d'inscrire dans un cadre régional la répartition des fonds avec la région comme pilote, en coordination avec l'Etat et les partenaires sociaux. Ce pilotage régional de la répartition de la TA permettrait véritablement de prendre en compte les priorités de formation définies au travers du contrat de plan régional de développement de la formation professionnelle (CPRDFP) et de flécher vers l'apprentissage une part plus importante des fonds libres .
b) Accroître la part confiée aux régions dans la gouvernance de la répartition des fonds
Cette réforme conserverait le principe de libre affectation des entreprises mais en en limitant la part, tout en respectant au moyen de la gouvernance paritaire précédemment évoquée l'avis des employeurs et des salariés. Concrètement, il s'agirait de confier aux régions la répartition des fonds libres non-affectés . Cette proposition n'est pas nouvelle. Déjà en 2005, le rapport de l'IGAS et de l'IGF préconisait le reversement des fonds libres au FNDMA, c'est-à-dire aux régions.
c) Etudier la suppression de la distinction quota/hors quota ou en rééquilibrer la répartition
Dans l'optique de la fusion de la taxe d'apprentissage avec la CDA, un rééquilibrage du quota et du hors quota s'impose, notamment pour prendre en compte les modifications de la proportion des fonds affectés, d'une part, à l'apprentissage soit directement par les entreprises ou soit par les régions, d'autre part, aux établissements d'enseignement technologique.
Pour aller plus loin dans la voie de la simplification , on pourrait considérer que, à la distinction quota/hors quota - qui eux-mêmes se subdivisent en part affectée et fonds libres -, se substitue une nouvelle distinction plus simple et en rapport direct avec le décideur de l'affectation : la part librement affectée par l'entreprise et la part pilotée par la région ( cf. infra « Scénario de simplification et de nouvelle gouvernance de la taxe d'apprentissage »). A charge pour cette dernière d'arbitrer entre les formations vers lesquels sont prioritairement orientés les fonds.
3. Alimenter la réflexion dans la perspective de l'élaboration d'un prochain projet de loi pour une réforme de la formation professionnelle
a) Un scénario de simplification de la taxe d'apprentissage...
Suivant la proposition de simplification précédemment exposée, le schéma ci-dessous présente un scénario de simplification des trois taxes existantes au sein d'une « nouvelle taxe d'apprentissage » et d'une nouvelle gouvernance Etat-régions-partenaires sociaux .
Ce scénario a pour objet de contribuer et d'alimenter le dialogue qui va s'instaurer entre le Gouvernement et les partenaires sociaux en vue de l'élaboration du prochain projet de loi de réforme de la formation professionnelle.
Scénario de simplification et de nouvelle gouvernance de la taxe d'apprentissage
Source : commission des finances
Afin de ne pas préempter la concertation qui aura lieu en proposant d'emblée des recommandations chiffrées, les pistes et préconisations présentées dans le cadre de cette nouvelle architecture des flux de répartition ne comportent pas, dans le présent rapport, de proportions définies en pourcentage . Il s'agit ici d' une orientation de principe car il reviendra à tous les acteurs de la formation professionnelle de présenter des estimations et de négocier les termes précis avant tout examen d'une réforme de la taxe d'apprentissage et de la formation professionnelle.
b) ... et quelques projections chiffrées à verser au débat
Néanmoins, afin de verser au débat des données chiffrées, votre rapporteur spécial a procédé à une simulation de réforme qui prendrait pour hypothèse la fusion de la taxe d'apprentissage et de la CDA. Celle-ci engendrerait une nouvelle répartition du quota et du hors quota sur la base d'une estimation de recettes pour 2012 fournie, à sa demande, par le ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Ainsi, dans la situation actuelle, le montant de la CDA, qui s'éleverait à 750 millions d'euros auquel s'ajouterait 2 020 millions d'euros de taxe d'apprentissage, représenterait un total de 2,77 milliards d'euros répartis entre 53 % pour le quota et 47 % pour le hors quota dans les conditions exposées dans le tableau ci-dessous.
Taxe d'apprentissage et CDA dans la situation actuelle (estimation 2012)
CDA (0,18 % de la masse salariale) soit 750 millions d'euros |
Taxe d'apprentissage (0,50 % de la masse salariale)
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Quota
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Hors quota
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Quota libératoire
Soit 629 millions d'euros pour : - les concours obligatoires - les affectations libres des entreprises à des CFA - et les fonds libres affectés par les OCTA à des CFA |
FNDMA
soit : - 200 millions d'euros au titre de la péréquation - 360 millions d'euros pour les COM Etat-régions - 5 millions d'euros pour les CFA nationaux - et 5 millions d'euros pour les actions nationales de communication et de promotion de l'apprentissage |
949 millions d'euros Affectations libres des entreprises et des OCTA à des établissements d'enseignement technique et professionnel secondaires et supérieurs |
Source : commission des finances, d'après les estimations fournies par le ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
Le regroupement de la taxe d'apprentissage et de la CDA aurait mécaniquement pour effet de modifier la répartition quota/hors quota et, à cette occasion, il serait possible de déplacer les curseurs en faveur d'une gouvernance plus affirmée des régions en faveur de l'apprentissage et notamment des formations de niveau 4 et 5.
Le tableau ci-dessous présente un scénario de nouvelle répartition de la taxe intégrant la CDA entre 71 % du produit vers le quota et 29 % en faveur du hors quota.
Scénario de nouvelle répartition de la
taxe d'apprentissage
intégrant la CDA
Nouvelle taxe d'apprentissage (TA+CDA) soit 2 770 millions d'euros (estimation 2012) |
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Quota 71 % de la taxe soit 1 972 millions d'euros |
Hors quota
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CAS FNDMA 47 % de la Taxe + [CSA-bonus] Soit 1 538 millions d'euros |
Quota libératoire 24 % de la taxe
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Régions (péréquation)
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Actions nationales plafonnées à 1 % de la taxe
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Source : commission des finances, d'après les estimations fournies par le ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
La destination de la composante CDA de la nouvelle TA n'est pas modifiée puisque celle-ci était déjà destinée aux régions. En revanche, l'équilibre entre les fonds gérés par les régions et les fonds affectés par les entreprises serait modifié en faveur des premières.
Le tableau ci-dessous dresse un comparatif de l'affectation des ressources entre la situation actuelle et le scénario de réforme sur la base d'estimations chiffrées pour 2012.
Comparatif de l'affectation des ressources
situation actuelle/projection de réforme
Situation actuelle |
Projection de réforme |
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Régions |
1 310 millions d'euros correspondant à la somme de la CDA (750 millions d'euros) avec les COM Etat-Régions (360 millions d'euros) et la péréquation (200 millions d'euros) |
1 510 millions d'euros
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Quota libératoire |
629 millions d'euros |
659 millions d'euros
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Hors quota |
949 millions d'euros |
797 millions d'euros
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Source : commission des finances, d'après les estimations fournies par le ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
Votre rapporteur spécial rappelle que ces projections doivent être considérées comme des éléments à verser au débat avec les partenaires sociaux, puisque les clés de répartition pourront varier suivant les termes de la concertation. Néanmoins, deux tendances se dégageraient de cette réforme :
- celle de l'accroissement de la part des fonds répartis suivant la gouvernance régionale stricto sensu, à laquelle s'ajouterait également la part des fonds non affectés, dits fonds libres, et du hors quota dans le cadre d'une concertation Etat-Région-partenaires sociaux ;
- celle de la réduction tendancielle des fonds hors quota affectés aux établissements effectuant les premières formations technologiques 11 ( * ) .
*
* *
Au total et compte tenu du fait que les modalités de répartition de la taxe d'apprentissage dépassent très largement le seul cadre de l'apprentissage, le fléchage de ces fonds doit aussi être examiné au regard des autres modes de financement et de l'ensemble des contributeurs. Comme on l'a vu précédemment, le total des fonds consacrés au financement de l'apprentissage en 2010 représentait 8 milliards d'euros dont :
- 3,3 milliards d'euros soit 41 % en provenance des entreprises (entreprises assujetties et employeurs) ;
- 2,2 milliards d'euros de l'Etat (27 %) ;
- 2 milliards d'euros (24 %) des Régions :
- et environ 500 millions d'euros provenant d'autres contributeurs tels que les organismes gestionnaires des centres de formation, les familles des apprentis, les ventes de produits et prestations de services, et des autres collectivités territoriales.
C'est pourquoi la réforme de la taxe d'apprentissage, qui ne représente qu'une partie de cet ensemble, ne doit pas avoir pour seul but de rationaliser le dispositif actuel. Elle doit aussi permettre une meilleure lisibilité et efficience de l'utilisation des prélèvements opérés sur les entreprises.
* 10 Dossier de presse « Les régions au coeur du nouvel acte de décentralisation » (association des régions de France - 4 juillet 2012).
* 11 On observe que dans la projection de réforme, la part actuellement soumise à la gouvernance des régions augmenterait de 15 %. En outre, le pilotage des fonds libres non affectés par les entreprises reviendrait aux régions en concertation avec les partenaires sociaux. Par ailleurs, le volume global des fonds issus du quota libératoire, par principe affecté à l'apprentissage, augmenterait de 5 % tandis que celui des fonds hors quota, actuellement majoritairement orientés vers les premières formations professionnelles, diminuerait de 16 %.