C. DEMANDE D'OUVERTURE D'UNE PROCÉDURE DE SUIVI POUR LA HONGRIE
Faisant suite à une proposition de résolution déposée en janvier 2011, la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe, dite commission de suivi, a présenté un rapport sur la situation des institutions démocratiques en Hongrie.
La victoire du Fidesz aux élections législatives de mars 2010 a permis à l'ancien premier ministre Viktor Orban de revenir au pouvoir, bénéficiant pour appliquer son programme d'une majorité des deux tiers. Dans un pays miné par la crise économique, cette « révolution par les urnes » s'est principalement traduite par l'adoption d'une nouvelle Constitution, entrée en vigueur en janvier 2012, et l'adoption d'une série de lois organiques controversées remettant en question l'indépendance de la justice ou celle des médias. Les réserves exprimées par la commission de suivi ont été précédées de celle de la commission de la démocratie par le droit, dite Commission de Venise et de l'Union européenne.
Si la Hongrie a accepté de coopérer avec les instances du Conseil de l'Europe mais aussi l'Union européenne en vue de réviser sa législation, notamment en ce qui concerne la magistrature, le rapport de la commission de suivi continue à émettre des doutes sur un certain nombre de normes. Elle vise principalement le quatrième amendement à la nouvelle Constitution adopté en mars dernier qui restreint considérablement les pouvoirs de la Cour constitutionnelle hongroise, en supprimant la possibilité pour elle de se référer à sa propre jurisprudence si celle-ci est antérieure au 1 er janvier 2012. Le texte sur l'enregistrement des médias auprès d'une autorité administrative et celui concernant le statut des églises, qui prévoit que seul le Parlement est habilité à reconnaître le statut d'église à un groupe confessionnel sont également sujets à caution aux yeux de la commission de suivi.
Mme Bernadette Bourzai (Corrèze - SOC) a d'ailleurs étayé ces réserves dans son intervention :
« La Hongrie a longtemps fait figure de modèle en Europe centrale et orientale après la chute du mur de Berlin. La modernisation de ses structures politiques et économiques a servi de référence pour ses voisins. Son intégration au sein du Conseil de l'Europe puis de l'Union européenne s'imposait. Un des artisans de cette transition réussie vers la démocratie, l'économie de marché et l'Europe fut d'ailleurs l'actuel Premier ministre.
La crise économique, mais aussi politique, qu'a traversée le pays à la fin des années 2000 semble avoir compromis cette évolution. Nous pouvons ainsi constater un écart préoccupant entre la pratique politique mise en oeuvre depuis 2011 et les valeurs défendues par notre Organisation.
Entendons-nous bien, je ne dis pas qu'il y a une mise en cause de la démocratie au sens où l'alternance serait désormais impossible en Hongrie. J'observe simplement que si l'alternance intervient, la nouvelle majorité sera ligotée par une Constitution intégrant nombre de dispositions qui devraient plutôt relever de la loi ordinaire. Cette constitutionnalisation excessive est au coeur des réserves exprimées par les organes européens. Si la Constitution prescrit une politique, quel choix démocratique reste-t-il aux électeurs ? Le quatrième amendement à la Constitution adopté en mars dernier est d'ailleurs venu confirmer cette tendance.
Je note ainsi que nombre des dispositions contestées par la Commission de Venise mais aussi par la Commission européenne ont été finalement intégrées dans la Loi fondamentale hongroise. Et cela alors même que le gouvernement hongrois se déclarait prêt à coopérer avec les institutions européennes en vue d'amender ces dispositifs !
Les lois sur les médias adoptées en 2010 avaient ainsi été sensiblement révisées sous la double pression de la Cour constitutionnelle et des instances européennes. Des négociations, jugées d'ailleurs positives par le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, sont encore en cours. Mais le quatrième amendement adopté en mars dernier constitutionnalise une disposition ambiguë limitant l'usage de la liberté d'expression dès lors qu'elle serait supposée violer la dignité de la nation hongroise, concept dont la portée reste à préciser.
La Commission européenne a atténué ses critiques à la mi-juin en s'estimant satisfaite sur deux points précis : la réforme du système judiciaire et le dispositif prévoyant une taxe spéciale prélevée pour financer d'éventuelles amendes imposées par la Cour de justice de l'Union européenne. Je note qu'un certain nombre de questions restent en suspens : je pense notamment à l'impossibilité pour les partis politiques de faire campagne dans les médias électroniques privés mais aussi à la limitation des pouvoirs de la Cour constitutionnelle.
C'est dans ce contexte que la demande d'ouverture d'une procédure de suivi de la Hongrie par le Conseil de l'Europe prend tout son sens. Il ne s'agit pas pour notre Organisation de jouer les censeurs ou de contester la légitimité du gouvernement en place, mais plutôt de mettre fin au double langage des autorités hongroises en pointant les écarts entre leurs déclarations d'intention et la réalité de leur action. »
M. François Rochebloine (Loire - UDI-UC) a, de son côté, également émis des doutes sur la compatibilité de la pratique politique hongroise actuelle avec les engagements pris par les autorités locales lors de leur adhésion au Conseil de l'Europe :
« D'une certaine manière, le débat que nous tenons aujourd'hui est une étape sombre dans le processus de la construction européenne. Je n'aurais jamais imaginé, comme d'autres, que la procédure de suivi puisse être ouverte à l'encontre de la Hongrie, dont on louait il n'y a pas si longtemps encore, à l'époque du rideau de fer, l'art de cheminer discrètement, et de compromis en compromis, vers toujours plus de démocratie. Il nous faut pourtant nous rendre à l'évidence : le rapport qui nous est aujourd'hui présenté contient toutes sortes d'informations inquiétantes quant à l'évolution démocratique de la société politique hongroise. L'adoption selon un rythme précipité d'une nouvelle constitution, la multiplication, à vrai dire suspecte en soi, des lois organiques réputées nécessaires pour l'application de ce texte fondamental, les nombreux incidents de la procédure préparatoire, autant de motifs de critiques, sont autant de motifs de crainte.
La commission de suivi rappelle que le système électoral mis en place a démultiplié l'effet de l'avantage majoritaire acquis, dans une bien moindre proportion, par la coalition au pouvoir. Elle a raison de dire qu'une telle situation n'autorisait pas cette coalition à bouleverser le droit existant dans un sens qui apparaît clairement contraire, dans la plupart sinon la totalité des cas, aux principes fondamentaux des droits de l'Homme. Je déplore que la fierté nationale légitime du peuple hongrois ait ainsi été dévoyée par le gouvernement en une crispation nationaliste qui l'isole nécessairement et dangereusement, et au Conseil de l'Europe, et dans l'Union européenne.
Sans doute l'étude de la commission de suivi devait-elle se concentrer, comme elle l'a fait, sur l'examen des normes constitutionnelles et organiques nouvelles et sur leur conformité aux exigences qui en découlent, pour tout État membre, de son appartenance au Conseil de l'Europe ; la matière ne manquait visiblement pas pour une enquête de taille. Mais j'avoue avoir mieux compris en lisant ce rapport pourquoi le gouvernement hongrois avait pu, sans trop d'états d'âme, libérer en août dernier le criminel azéri Safarov, coupable avéré d'un crime gratuit et abject contre un officier arménien, faisant ainsi bon marché, et de la douleur d'une famille et d'un peuple, et de la jurisprudence de ses propres tribunaux. De plus, j'ai retrouvé dans les réactions du gouvernement retracées dans le rapport, la fuite en avant devant les critiques que j'avais pu déplorer lorsque l'affaire Safarov avait été portée à la connaissance de l'opinion publique. Je n'aurai garde cependant, et j'y insiste, de confondre dans ma critique le gouvernement et le peuple hongrois.
Je note, au demeurant, que l'attitude gouvernementale dans l'affaire Safarov avait suscité les fortes réserves des autorités morales et religieuses, au premier rang desquelles le cardinal Erdö, archevêque de Budapest et les représentants des Églises protestantes. Aussi, je souhaite vivement que, dans le dialogue qui doit suivre ce débat, le gouvernement et la majorité qui le soutient au Parlement hongrois puissent être amenés à comprendre que le profit à court terme qu'ils pensent retirer de leur attitude actuelle est excessivement coûteux au regard des intérêts à long terme du peuple hongrois. »
Si l'Assemblée parlementaire a adopté la plupart des conclusions du rapport de la commission de suivi, elle n'a pas souscrit pour autant à la demande d'ouverture de la procédure de suivi. Elle a adopté à cet effet un amendement déposé par le président de la délégation française, M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) corrigeant le projet de résolution en ce sens :
« L'Assemblée décide toutefois de ne pas ouvrir de procédure de suivi à l'égard de la Hongrie mais de suivre de près l'évolution de la situation en Hongrie et de dresser le bilan des progrès accomplis dans la mise en oeuvre de cette résolution. »
Cette position qui fait écho à celle exprimée par le Bureau de l'Assemblée parlementaire qui estime que la réouverture d'une procédure de suivi pourrait être considérée comme une vexation par les autorités locales, déjà enclines à coopérer avec les institutions du Conseil de l'Europe, comme en témoigne le dialogue noué avec la commission de Venise ou le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe.
Les rapports étatiques de la commission de suivi concernent un seul pays à la fois, pour lesquels deux rapporteurs sont désignés pour une durée maximale de cinq ans, en respectant un strict équilibre politique et géographique. Un rapport comprend un projet de résolution présentant des propositions claires pour l'amélioration de la situation dans le pays concerné et éventuellement un projet de recommandation à l'intention du Comité des Ministres. La commission doit présenter à l'Assemblée au moins une fois tous les trois ans un rapport sur chaque pays suivi.