CHAPITRE 3 : UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RECUL DANS UN CONTINENT EN ESSOR
Face à cette « ruée » vers l'Afrique, que fait la France ? Quelle place la France occupe-t-elle encore sur ce continent décidément convoité ? Nous avons posé ces questions aux quatre coins de l'Afrique. Quelle place ? Quel rang, quelle influence, mais aussi quelle contribution aux changements en cours, quel soutien à nos partenaires africains dans cette formidable mutation du continent ? En résumé : quelle est la valeur ajoutée de la présence française dans cette Afrique en transformation ? Des questions obsédantes et finalement très françaises.
Notre spécificité ? À l'évidence cette dernière n'est plus la quantité. Nous ne sommes plus le principal partenaire économique de l'Afrique, ni même de l'Afrique francophone. La France est le cinquième exportateur vers l'Afrique subsaharienne derrière la Chine, l'Inde, les États-Unis et même l'Allemagne. Les Français ne sont plus la principale communauté étrangère, même dans les anciennes colonies françaises.
Nous avons interrogé nos interlocuteurs en Afrique et à Paris. La réponse la plus fréquente est banale, elle se répète jusqu'à l'absurde dans les déclarations d'amitié que les dirigeants français et africains échangent dans les salons feutrés des ambassades : une histoire commune et une langue partagée.
On peut discuter de savoir si c'est un avantage ou un inconvénient. Mais force est de constater que ces liens-là - ils ne sont pas les seuls - conditionnent notre relation avec les pays africains et nous différencient des nouveaux partenaires.
I. LA FRANCE ET L'AFRIQUE : UNE RELATION SANS ÉQUIVALENT
A. LA FRANCE EN AFRIQUE : UNE PRÉSENCE FORTE LIÉE À L'HISTOIRE ET À LA LANGUE
La parenthèse coloniale a été brève au regard de l'histoire longue, un siècle au Sénégal, soixante ans à peine au Tchad. Elle ne concerne qu'une petite partie de l'Afrique.
Mais les traces sont encore très présentes et l'empreinte française vivante.
1. Une présence continue depuis plus de 150 ans
Il y a le legs du passé bien sûr. On pense aux frontières, à l'organisation des villes, à l'orientation des économies rentières tournées vers l'exportation de matières premières, à l'organisation administrative et juridique qui a été copiée sur les systèmes français, mais surtout à l'usage d'une langue commune, le français.
La réalité du français en Afrique est aujourd'hui sans doute moins assurée qu'il n'y paraît devant l'essor de l'anglais et des langues vernaculaires comme le yoruba, le swahili, la bambara ou le wolof.
Mais cette proximité linguistique reste un atout majeur, une carte maîtresse. À travers la langue, c'est toute une culture, toute une vision du monde que nous partageons avec plus de 50 millions de locuteurs francophones en Afrique.
Si pour les grands groupes, les barrières linguistiques ne sont pas des problèmes dans la mesure où ils disposent de cadres qui parlent plusieurs langues dont l'anglais, c'est beaucoup moins le cas des PME. Dès lors la francophonie est un atout majeur pour les PME françaises qui trouvent en Afrique francophone des interlocuteurs avec lesquels il n'y a aucune barrière linguistique.
Comme l'a dit Mathieu Pigasse devant notre groupe de travail : « Il n'y a que les Européens pour ignorer que les Africains pensent le monde à travers des concepts européens, des langues européennes et au premier chef la langue française ».
Le français est aujourd'hui une langue africaine. Elle est non seulement une langue officielle dans une vingtaine de pays 30 ( * ) , une langue enseignée, dans les écoles primaires, secondaires, et universitaires, mais aussi une langue pensée et vécue comme la langue d'accès au savoir, comme celle qui crée le lien : lien au sein de la communauté nationale divisée en différentes ethnies et langues vernaculaires, lien entre différents pays de la communauté francophone.
Cette langue en partage, les pays africains se la sont appropriée au point d'être les plus fervents défenseurs de la francophonie dans les instances internationales.
Il faut entendre les ambassadeurs des pays francophones nous tancer à Addis Abeba parce que nous ne soutenons pas avec assez de fermeté le français à l'Union africaine pour comprendre que nous ne sommes pas seuls à porter haut les couleurs de la langue de Molière. Ils défendent ici leur identité autant que notre langue. Il leur arrive même de penser que nous pourrions parfois être plus francophiles !
Il faut voir les gouvernements africains défendre les institutions internationales de la Francophonie fondées par Léopold Sédar Senghor et aujourd'hui dirigées par l'ancien Président sénégalais Abdou Diouf.
Il ne s'agit pas de se gargariser de cette francophonie. On peut dire que « l'Afrique est l'avenir de la Francophonie ». Il est vrai que demain, en 2050, si la planète compte 600 millions de francophones, ce sera grâce au continent noir. Mais il faut aussi regarder les choses en face. Chacun sait que dans certains bastions, le français recule. C'est le cas au Sénégal comme à Madagascar.
Il reste cependant un formidable atout et le signe le plus évident de la spécificité de la présence française en Afrique.
Le français : cette autre langue africaine
Cette langue en partage n'est plus seulement la France, elle a pris racine en Afrique et cet enracinement est le signe le plus profond qu'elle ne quittera pas le continent demain si facilement.
50 ans après les indépendances, il eût été surprenant que le français d'Afrique ne s'acculture pas. Il faut entendre dans les rues d'Abidjan, le long des « maquis », l'argot local, le « Nouchi », pour comprendre que la langue de Rabelais se métisse, s'imagine et se métamorphose.
Il faut parcourir l'Afrique, explorer, vêtu d'une « culotte grande manche » 31 ( * ) , ses « sans confiance » aux pieds, traverser le Sénégal, le Bénin, la Côte d'Ivoire, en passant par le Niger, le Cameroun, le Congo, partout où les dialectes locaux se mélangent avec fantaisie à la langue française.
Vous passerez sur des « tablettes de chocolat » (routes mal entretenues), vous vous arrêterez à « l'essencerie » (station essence) ou chez le tablier (vendeur de cigarettes) pour y rencontrer des « mamans Benz » (commerçantes qui se déplacent en Mercedez-Benz) ou des « femmes bien développées » (femmes instruites).
« Le français, cette autre langue africaine » disent les Alliances françaises. C'est un « magnifique butin de guerre » disait Kateb Yacine.
Il faut lire les romans de Henri Lopes : « Sans tam-tam » ou « Le pleurer-rire », une oeuvre qui se veut une véritable entreprise de décolonisation des mentalités, mais aussi un éloge de la langue française et de ce que l'auteur appelle « un Bantou mâtiné de Français » pour savourer ces morceaux de France au coeur de la culture africaine.
La langue française dont l'écrivain et cinéaste ivoirien Jean-Marie Adiaffi disait « un mariage forcé devenu un mariage d'amour », est notre porte d'entrée dans le continent.
C'est également un visa pour l'ensemble des pays qui veulent s'implanter en Afrique francophone, si bien qu'en Chine, en Afrique du Sud et en Inde, on apprend d'abord le français pour aller en Afrique et ensuite, éventuellement, pour venir en France.
Il faut regarder les affiches des sommets Afrique-Chine en français pour prendre conscience que même les pays émergents s'implantent en Afrique en français.
La langue a laissé des traces dans les esprits, l'histoire, dans les paysages urbains et dans les institutions.
Ces traces font partie du décor.
Descendre d'avion en Afrique francophone, c'est fouler une terre éminemment exotique, mais aussi familière.
Traverser Dakar ou Abidjan, c'est parcourir un monde familier par la langue, par la forme des panneaux, l'aménagement urbain. Entrer dans une administration en Afrique de l'Ouest peut réserver des surprises, mais reste un monde connu, une organisation et des procédures inspirées du modèle français jusqu'à la caricature.
Cette familiarité-là, cette intimité-là nous sont enviées par nos concurrents.
Cette histoire partagée est à double tranchant : elle nous vaut d'être à la fois admirés et haïs. Si le temps a passé depuis les indépendances, la présence française en Afrique peut toujours être rapportée à cette origine, soit pour dénoncer un comportement qui serait irrespectueux, humiliant ou exagérément interventionniste, soit pour rappeler la dette morale et le devoir d'assistance de l'ex-puissance coloniale dont le rôle dans les maux qui affligent l'Afrique peut à tout moment être évoqué.
Il est tellement fréquent d'entendre encore aujourd'hui des ministres africains citer l'héritage colonial pour justifier la situation de tel ou tel secteur, qu'il serait injuste de n'en citer qu'un seul. « Le conflit en Casamance en 2013 ? Ses racines sont avant tout coloniales ». 50 ans après l'indépendance, « la sous-industrialisation de tel ou tel pays : un legs de la préférence coloniale ». Ces paroles entendues sur RFI illustrent combien le passif colonial reste une figure imposée du débat politique africain.
S'il est vrai que plus de 80 % de la population, voire plus, n'ont pas connu le système colonial, si bien sûr la jeunesse est aujourd'hui essentiellement tournée vers l'avenir, un avenir qu'elle entrevoit souvent avec optimisme, il faut cesser de penser que ce passé colonial n'intéresse que les Français.
La parole de la France et de ses représentants porte le poids de l'histoire.
Elle est vivante dans les esprits et présente dans le débat politique africain. Ce passé est un élément incontournable de la relation entre la France et l'Afrique pour le meilleur et pour le pire. La question est de savoir ce qu'on en fait : le mettre sur le devant de la scène ? Lui donner sa juste place, construire ensemble un discours partagé, une histoire écrite à deux mains ? Ou se lancer des anathèmes au nom d'un passé reconstruit ou fantasmé ?
Cette histoire explique que la parole de la France en Afrique a un retentissement qui va bien au-delà de son poids économique et même politique.
Les réactions au discours de Dakar du Président Sarkozy en sont l'illustration. Voilà un discours maladroit et mal inspiré qui a provoqué des dizaines d'ouvrages et d'articles et des prises de position sans nombre. Y-a-t-il encore un pays dont le Président pourrait susciter autant de succès en librairie ?
Une histoire complexe, passionnée et passionnante, qui explique que la parole de la France en Afrique ait un retentissement qui va bien au-delà de son poids économique.
Cette longue connivence linguistique, culturelle, politique et financière est un avantage comparatif que ne peut revendiquer aucun des pays émergents qui aujourd'hui convoitent nos positions en Afrique.
Comme nous l'a dit un interlocuteur anglais, « en Afrique francophone, quand une feuille de palmier se détache du tronc, les Français le savent avant qu'elle tombe par terre ».
Et ce n'est pas le moindre paradoxe que de voir aujourd'hui des entreprises françaises faire commerce de cette connaissance de l'Afrique pour ouvrir aux entreprises chinoises les marchés africains. De nombreux Français se font les guides des arcanes africaines, les interprètes des habitudes et des coutumes africaines, vendent cette connaissance de l'Afrique accumulée au fil du 20 e siècle.
Car cette histoire partagée est dans les esprits, elle est aussi dans la myriade d'institutions françaises et franco-africaines qui sont autant de ponts entre nos deux continents.
Nous aurions voulu avoir le temps de cartographier l'ensemble de ces institutions. Cette carte aurait illustré la densité du maillage des relations entre la France et ses ex-colonies. La carte ci-dessous ne concerne que les Alliances françaises et les instituts français ; elle décrit déjà la géographie de la présence française et sa densité à l'échelle d'un continent.
Les institutions françaises en Afrique sont en effet le fruit d'une histoire longue, d'une sédimentation d'expériences parfois individuelles, souvent collectives, qui prend racine dans la colonisation et a trouvé après les indépendances un nouveau sens.
Il y a les destins individuels , ces lignées de Français d'Afrique qui ont traversé le siècle en faisant vivre par-delà les secousses de l'histoire des entreprises familiales. Nous avons rencontré en Côte d'ivoire des familles françaises ou franco-africaines implantées à Abidjan depuis plusieurs générations et qui sont restées en dépit de tout, à travers la crise de la dernière décennie, quand des Français par milliers ont quitté le territoire. Ils sont restés là « chez eux ». Ils ne sont plus tout à fait la France et pas non plus l'Afrique. On en trouve encore dans toutes les anciennes colonies.
Il y a les institutions et les organismes qui ont traversé l'histoire des indépendances jusqu'à aujourd'hui.
On pense évidemment à la dizaine de centres de recherche en Afrique subsaharienne de l'IRD qui a pris la succession de l'Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (ORSTOM), créé en 1944.
Une présence imposante à travers un maillage multisectoriel d'une densité rare
Plus de huit mois d'auditions et de déplacements nous ont permis de comprendre que, si la coopération française civile, militaire, culturelle, monétaire ou scientifique mise en place au lendemain des indépendances a perdu de sa superbe, elle reste un maillage sectoriel remarquable, une présence sans équivalent, éclatée dans différents domaines, mais finalement assez dense tant elle couvre de secteurs variés.
Tentons une photographie, un kaléidoscope de ce legs de l'histoire, une liste qui sonnera un peu comme un inventaire à la Prévert, mais qui donnera une idée de la présence française dans toute sa diversité.
La France en Afrique : c'est d'abord une présence humaine de plus de 100 000 français, des communautés hétérogènes de plus en plus franco-africaines concentrées pour l'essentiel dans les anciennes colonies. Nous y reviendrons.
C'est dans le domaine économique , selon le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), «1.000 établissements et 80.000 collaborateurs sur place» pour un chiffre d'affaires de «40 milliards d'euros». Des chiffres qu'il faut majorer puisque les sociétés adhérentes au CIAN représenteraient environ 75% de la présence économique française sur place.
C'est également 17% de nos exportations (28 milliards d'euros en 2011 et 26 milliards pour les importations pour l'ensemble du continent), 7% des investissements français à l'étranger en 2011, soit plus de 4 milliards d'euros en Afrique.
Des investissements qui dans la durée ont permis de constituer une présence entrepreneuriale importante à l'échelle de l'Afrique.
Dans les pays d'Afrique de l'Ouest , les investissements français représentent souvent plus de plus 50% du stock d'investissements étrangers et, dans certains pays comme le Sénégal, les entreprises françaises sont encore les principaux employeurs étrangers du secteur formel.
La composition du Conseil d'administration du CIAN donne une image fidèle de ce que sont les grandes entreprises françaises qui possèdent des intérêts en Afrique. On y trouve logiquement des sociétés comme EDF, la CFAO, des banques (BNP, Société Générale), Bolloré, Total, Lafarge ou la Compagnie Fruitière.
Ces entreprises peuvent compter sur un réseau institutionnel dense, une dizaine de représentations d' Ubifrance , des dizaines de chambres de commerce et d'industrie franco-africaines, un réseau de services économiques dans les ambassades de France regroupés en cinq services économiques régionaux à Dakar, Abuja, Yaoundé, Nairobi et Pretoria.
Sur le plan de la coopération économique , si la France a perdu de son aura, elle demeure très présente et un des principaux bailleurs de fonds. On compte une trentaine de bureaux de l'Agence française pour le développement avec plus de 2 milliards d'engagements annuels, une trentaine d'organismes d'expertise publique qui interviennent sur le terrain, une coopération financière et monétaire intense avec la zone franc et les banques centrales de cette zone qui comprend pas moins de 14 pays, des centaines d'assistants techniques et de conseillers placés jusqu'à la présidence de certains États.
Sur le plan culturel , la France en Afrique, c'est un réseau de lycées et de collèges français aux noms prestigieux : le Lycée Jules-Verne de Johannesburg, le Lycée franco-éthiopien Guébré-Mariam d'Addis-Abeba, le cours Lamartine d'Abidjan, pour ne citer que ceux que nous avons visités.
L'ensemble se compose de 87 établissements accueillant un peu moins de 50 000 élèves qui forment génération après génération des étudiants francophones.
« Ces lycées accueillent les enfants des Français expatriés, mais on oublie souvent que la majorité des élèves sont des enfants du pays qui conserveront toute leur vie cette formation française », nous a dit le très dynamique directeur du lycée français d'Addis-Abeba dont 70% des élèves sont éthiopiens.
En comptant l'ensemble des établissements conventionnés par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), plus de 100 000 élèves seraient formés en Français en Afrique subsaharienne.
Mais, la France en Afrique : c'est aussi un réseau de 200 Alliances françaises et Instituts français en 2012.
Les alliances forment en Afrique, parfois dans des zones particulièrement reculées, chaque année, plus de 80 000 étudiants . Comme les instituts, elles diffusent non seulement la culture française, mais tissent au quotidien des ponts entre la culture française et les cultures africaines et constituent des tremplins à destination des artistes africains.
Comme l'a souligné Delphine Borione, ancienne directrice de la politique culturelle et du Français, à la direction de la mondialisation du ministère des affaires étrangères : « Si la France a longtemps été et reste une vitrine et un débouché pour de nombreux artistes africains, c'est grâce à son réseau dans l'ensemble de l'Afrique subsaharienne».
Grâce à des programmes comme « Afrique et Caraïbes en créations » qui financent des initiatives franco-africaines telles que « les Rencontres de Bamako » pour la photographie, le Concours « l'Afrique est à la mode », « Regard Bénin » pour les arts visuels ou la saison croisée France - Afrique du Sud, la diplomatie culturelle française soutient activement la création africaine, comme elle soutient le Cinéma africain, avec le Fonds Sud Cinéma qui a financé près de 110 films d'Afrique subsaharienne depuis sa création.
Il n'y a pas un secteur de la vie sociale, économique et culturelle où la France n'a pas un réseau d'institutions ou d'associations présentes sur le continent africain.
Dans le domaine de la coopération administrative, de nombreux organismes d'expertise technique française interviennent ponctuellement en coordination avec les SCAC dans l'ensemble de la sphère des politiques publiques africaines.
La tradition française de l'assistance technique résidentielle a permis à notre pays de développer en Afrique une expertise administrative dont la qualité est internationalement reconnue, notamment dans les domaines des politiques de renforcement institutionnel et de gouvernance ou concernés par les Objectifs du Millénaire pour le Développement.
Cette expertise est mise en oeuvre par un nombre croissant d'organismes publics et privés. Dans le secteur public, trois entités se partagent l'essentiel des missions : l'opérateur France Expertise Internationale (FEI) du ministère des affaires étrangères, ADETEF , l'opérateur de coopération technique internationale des ministères français de l'économie, du budget, et, plus récemment, de l'écologie et de la réforme de l'Etat, CIVIPOL , la société de conseil et de service du ministère de l'Intérieur français, qui ont des moyens et une légitimité qui leur permettent de mener un développement très autonome. 32 ( * )
Dans le domaine de la recherche et de la diplomatie scientifique , l'ancienne tradition française d'exploration a trouvé en Afrique un terrain de recherche privilégié.
À travers les différentes implantations de l'Institut de recherche pour le développement ( IRD ), du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement ( CIRAD ), du Centre national de la recherche scientifique ( CNRS ), des établissements de l'Institut Pasteur à l'instar du Centre international de recherche médicale de Franceville au Gabon, du Centre de recherche médicale et sanitaire au Niger, ou du Centre Muraz au Burkina-Faso , la France dispose de ressources précieuses pour la connaissance du milieu local et les besoins particuliers de nos partenaires.
Dans le domaine des sciences humaines, les sociétés et les civilisations d'Afrique subsaharienne sont encore aujourd'hui au coeur de nos programmes d'archéologie et d'ethnologie comme en attestent cinq Instituts français de recherches à l'étranger (IFRE) en Afrique (Soudan, Éthiopie, Nigeria, Kenya, Afrique du Sud).
Ces centres de recherches assurent la mise en place d'une coopération bilatérale entre les universités françaises et locales à l'image de la Sfdas - Section française de la Direction des antiquités du Soudan, qui a ainsi établi un partenariat avec l'Université de Shendi et la National Corporation for Museums and Antiquities.
La recherche universitaire française est également tournée vers l'Afrique subsaharienne. Il existe en effet plusieurs centres de recherche consacrés à cette région au sein d'universités françaises de renom: c'est notamment le cas du Centre d'études des mondes africains pour l'université Paris 1 (la Sorbonne), du Centre d'études africaines de l'EHESS et de l'IRD ou encore de l'unité mixte de recherche Les Afriques dans le monde fondé par le CNRS et Sciences Po-Bordeaux.
Ce réseau des Instituts français de recherches à l'étranger ainsi que la mise en oeuvre de programmes universitaires ont favorisé, malgré la diminution des budgets, une omniprésence de la recherche française sur le continent.
Ainsi dans le domaine archéologique, en 2013, le ministère des affaires étrangères soutient 31 programmes de fouilles pour la section Afrique-Arabie. Ces programmes de recherches archéologiques sont aujourd'hui associés à des études sur les sociétés contemporaines. Le CFEE poursuit ainsi des fouilles dans la Vallée d'Omo, lieu de la découverte de Lucy en 1974, et propose une section de recherches sur « la politique régionale et le développement urbain » en Éthiopie.
Ces programmes reflètent à la fois l'intérêt historique des Français pour le continent mais également leur capacité à exporter nos méthodes universitaires en Afrique, vecteur d'un mode de pensée français.
Sur le plan militaire, c'est une présence inégalée avec 10 000 hommes sur le terrain en 2013, 8 accords de défense, 16 accords de coopérations militaires, 9 bases ou points d'appui notamment en Côte -d'Ivoire, à Djibouti, au Tchad, au Sénégal et au Gabon et plus récemment au Mali ainsi qu'un dispositif de formation militaire sur le continent et en France qui permet de former 50 000 militaires africains par an.
Ce tour d'horizon ne serait complet si on ne prenait pas en compte environ 2 500 projets annuels de coopération décentralisée avec plus de 700 collectivités françaises et structures intercommunales.
En 2010, les collectivités françaises par exemple ont alloué près de 41 millions d'euros à ce continent, soit 60% de l'aide, principalement dans cinq pays : le Mali, le Burkina Faso, le Sénégal, le Bénin et le Niger 33 ( * ). Plus que des fonds, cette coopération tisse des liens entre des collectivités, des élus, des responsables administratifs et des populations qui apprennent ainsi à se connaître.
A ces projets, il faudrait ajouter les centaines de jumelages institutionnels entre différents organismes, hôpitaux, écoles, universités, centres de recherche de part et d'autre de la Méditerranée.
Les va-et-vient entre la France et l'Afrique sont enfin nourris de l'action des milliers d'ONG humanitaires ou de coopération dans l'ensemble de l'Hexagone qui conduisent des dizaines de milliers de projets sur tout le continent noir . L'essentiel des activités des associations comme Médecins sans frontières, Vétérinaires sans frontières, Pharmaciens sans frontières, etc., se situe en Afrique subsaharienne.
Au-delà de cette présence physique sur le terrain, la France est présente à travers les ondes.
Sur le plan des médias , RFI reste la radio la plus écoutée du monde francophone sur un contient où la radio reste le média le plus répandu. Qui ne connaît pas le jingle « RFI, il est huit heures à Paris, six heures en temps universel, sept heures à Yaoundé » ? Avec un budget de près de 400 millions d'euros, elle diffuse des émissions en français grâce à l'implantation de 114 émetteurs dans l'ensemble de l'Afrique subsaharienne.
Comme la souligné Alain Foka, journaliste de RFI qui anime sur tout le continent des émissions publiques dans le cadre d'une émission hebdomadaire « Le débat africain » : « Nous restons une radio de référence, les émissions enregistrées en public sont encore des événements qui drainent parfois plusieurs milliers d'auditeurs qui viennent assister en direct à l'enregistrement ».
Les chaînes de télévisions françaises dont TV5, France 24, malgré une concurrence croissante, sont parmi les plus regardées du continent.
Dans le secteur privé, l'offre française est très dynamique, à travers Canal Horizons, mais elle est en concurrence croissante avec des offres de programmes anglophones, lusophones et en langue régionale.
Il y a en revanche un potentiel considérable si se multiplient les partenariats avec l'audiovisuel public africain et le soutien aux productions africaines, auxquelles manquent encore des moyens de diffusion, de formation et de financement.
Le ministère des Affaires étrangères s'efforce de développer des coopérations dans ce sens avec Canal France international (CFI), filiale du groupe France Télévisions (75%) et d'Arte France (25%), qui s'est donné pour mission le transfert d'expertise, notamment à destination des pays d'Afrique. Opérateur de la coopération audiovisuelle publique française chargé de mettre en place, essentiellement sur financements publics, des actions d'appui aux télévisions des pays en développement principalement africaines, CFI est notamment appelé à fournir quotidiennement, à un réseau de 77 télévisions partenaires africaines , des programmes produits en France.
Après plus d'un siècle d'intenses relations avec le continent noir, il n'y a pas un secteur de la vie sociale, économique et culturelle où la France n'a pas un réseau d'institutions ou d'associations présentes sur le continent africain, tant il apparaît comme la destination naturelle de toute coopération vers le Sud.
Quels que soient les secteurs, cette présence française est très inégalement répartie : elle reste hypertrophiée dans certains pays, mais très faible dans d'autres pays stratégiques comme la RDC, le Nigeria et les nouveaux États pétroliers d'Afrique de l'Est.
Notre présence reste concentrée sur l'Afrique francophone : 86% des Français d'Afrique subsaharienne y habitent, les populations françaises, les moyens humains et financiers y sont plus importants, voire sans proportion avec ceux déployés en Afrique anglophone et lusophone.
Si on prend l'exemple de Madagascar, la France est son premier partenaire économique, son premier fournisseur et son premier client. Les échanges franco-malgaches représentent environ 30% des échanges commerciaux de Madagascar. Cinq cents entreprises à capitaux français sont présentes dans tous les secteurs de l'économie. Madagascar est aussi le pays où la communauté française est la plus importante au sud du Sahara, avec 25 000 citoyens, dont 60% sont franco-malgaches.
De l'autre côté du continent, au Cameroun , la présence française est importante tant par le nombre de filiales d'entreprises françaises (250) que par le nombre de PME/PMI fondées par des franco-camerounais ou par sa coopération. La France soutient des institutions et des programmes régionaux (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale et Commission en charge des forêts d'Afrique centrale) basés à Yaoundé.
Une présence hypertrophiée dans certains pays d'Afrique francophone, mais très faible dans d'autres
La France sait aussi parfois sortir de ce qu'on appelait jadis son « pré carré ».
Regardons la précédente carte des Alliances françaises : on les trouve en Afrique du Sud, au Botswana, au Swaziland et au Lesotho, en Angola, à Luanda, Cabinda et Lubango ou au Ghana, pour ne citer que ces exemples.
Les Alliances françaises dans ces pays travaillent le plus souvent avec les moyens du bord, dans des régions parfois très isolées. Une armée d'enseignants, de professeurs, et des légions d'élèves et d'étudiants français et étrangers, portent ainsi le flambeau de la vitalité francophone, de la culture française, d'une certaine vision du monde dans des régions reculées d'Afrique.
Regardons l'AFD qui en quelques années a déployé son activité au-delà de la sphère francophone puisque, sur les trois dernières années, 47% de ses engagements concernent des pays anglophones, au premier chef desquels l'Afrique du Sud.
C'est également le cas des entreprises françaises dans le domaine de l'énergie, où la majorité des investissements français se sont dirigés vers des pays anglophones comme l'Angola ou le Nigeria.
L'ensemble des institutions, des femmes et des hommes mobilisés dans une relation avec l'Afrique subsaharienne forme un maillage complet de la société et des secteurs d'activités qui n'a pas d'équivalent chez les autres partenaires de l'Afrique. Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas pour d'autres pays, ici une diaspora importante, notamment chinoise et indienne dans l'ensemble de l'est africain, britannique en Afrique du Sud et au Kenya, là une langue commune comme le portugais, ailleurs des relations institutionnelles séculaires comme avec les Britanniques ou les Belges, mais aucun de ces pays ne bénéficie d'une implantation aussi dense, associant une présence continue depuis des décennies et une langue commune.
* 30 États africains reconnaissant le français comme langue officielle unique : Bénin, Burkina Faso, Congo, Congo RD, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Togo. États africains reconnaissant le français comme langue co-officielle : Burundi (+ kirundi), Cameroun (+ anglais), Centrafrique (+ sango), Comores (+ shikomor et arabe), Djibouti (+ arabe), Guinée équatoriale(+ espagnol) Haïti (+ créole), Madagascar (+ malgache et anglais), Rwanda (+ anglais et kinyarwanda), Seychelles (+ créole et anglais), Tchad (+ arabe)
* 31 Les expressions suivantes sont empruntées au dossier « Expressions et images d'Afrique-francophone » de TV5 monde. http://www.tv5.org
* 32 À côté de ces trois opérateurs, on trouve également une vingtaine d'autres intervenants de plus petite taille dont le GIP ADECIA qui intervient dans les secteurs de l'agriculture, l'alimentation, la pêche et la forêt, le GIP France Vétérinaire International, l'ADECRI, qui est l'opérateur de coopération technique réunissant l'ensemble des organismes nationaux de sécurité sociale français ou le GIP international travail, emploi, formation professionnelle, qui développe l'assistance technique internationale dans les domaines du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle, des migrations et du co-développement.
* 33 La solidarité internationale à l'échelle des territoires : état des lieux et perspectives
Rapport d'information de M. Jean-Claude PEYRONNET, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales n° 123 (2012-2013) - 13 novembre 2012
http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-123-notice.html