2. Une communauté d'expatriés français en diminution
La chute du nombre d'expatriés français confirme ce recul économique : près de 130 000 Français vivent en Afrique francophone, contre près de 160 000 en 1984. La part relative des Français en Afrique par rapport à l'ensemble des expatriés a été divisée par deux, passant de 18% à moins de 9%.
3. Une politique d'influence contrariée par une politique migratoire dissuasive
En Afrique du Sud, nous avons rencontré Paul-Simon Handy qui dirige la division chargée de la prévention et de l'analyse des risques de conflit à l'Institut d'études de sécurité de Pretoria, un Think Tank panafricain connu pour ses analyses sur les questions de sécurité dans l'ensemble du continent. Il nous a raconté son parcours. Né au Cameroun, étudiant à Yaoundé en sciences politiques, il avait voulu poursuivre ses études en France. Après deux refus de visa, il s'est décidé pour Berlin puis Leipzig où il a obtenu son doctorat. Il est aujourd'hui une référence dans son domaine.
Combien y a-t-il de cas comparables ? Difficile à dire. Pratiquement tous les interlocuteurs africains que nous avons rencontrés nous ont raconté des histoires similaires de cadres africains aujourd'hui reconnus par leurs pairs qui, faute de visa français, ont poursuivi leurs études ailleurs.
Combien d'occasions avons-nous ratées de transmettre notre vision du monde, de susciter un goût, un appétit pour la France, pour ses idées ou pour ses produits ?
Le phénomène a de quoi inquiéter. Certes en 2010 la France était encore le premier pays d'accueil des étudiants africains en mobilité, concentrant à elle seule près de 30% de cette population tout niveau confondu.
Mais la tendance est au repli. La proportion des étudiants africains qui font leurs études en France parmi l'ensemble des étudiants qui effectuent leurs études à l'étranger a diminué de 7% en l'espace de 4 ans, chutant de 36 à 29%.
Dans les enquêtes réalisées par CampusFrance, les étudiants interrogés expliquent avant tout le choix de la France par les qualités académiques qu'offre le pays : la qualité de la formation, la valeur des diplômes, la réputation de l'établissement choisi.
Mais la langue française est un critère essentiel dans leur choix puisque plus de la moitié des étudiants africains qui poursuivent des études en France sont de langue maternelle française et plus de 80% sont originaires de l'Afrique francophone.
La France a ainsi avec l'Afrique francophone une opportunité de former des générations d'élites francophiles qu'elle est en train de gâcher en les invitant à aller ailleurs.
.
Sources : Campus France Unesco
Dans le même temps, l'Afrique du Sud enregistre une hausse de 28,8%, le Royaume-Uni de 19,3% et, plus surprenant encore, la Malaisie de 400% du nombre d'étudiants africains. On observe ces dernières années des taux de croissance très élevés du nombre des étudiants allant en Italie (+ 54 % entre 2005 et 2008), au Canada (+ 42 %) et au Maroc (+ 50 %).
Les causes de cette désaffection sont nombreuses : le coût des études en France, l'attrait de la langue anglaise, la faible compétitivité des universités françaises, mais la première est une politique des visas dissuasive.
Alors même que notre pays se targue d'être le partenaire privilégié du sous-continent africain, la politique des visas mise en place à partir de 2002 a d'abord découragé plus d'un étudiant africain de suivre son cursus universitaire en France.
Tous les interlocuteurs africains vous le diront : il faut s'armer de courage et de patience pour faire une demande de visa auprès d'une ambassade française sur le continent.
Malgré la bonne volonté du personnel des consulats, souvent en sous-effectifs, les demandes de visa sont vécues comme un parcours du combattant.
Nos entretiens ont été pleins de ces récits de personnes de talent qui se sont senties humiliées lors de ces démarches, tant par l'accueil qui leur a été réservé que par le mode de sélection.
La lenteur des démarches administratives, notamment à l'approche de la rentrée scolaire, complique l'installation des étudiants. « Quand on demande un visa pour la rentrée scolaire, il arrive qu'on vous accorde un premier rendez-vous après le premier jour de la rentrée, autrement dit vous êtes assuré de la rater. » nous a dit une étudiante ivoirienne .
Le visa accordé avec retard oblige les étudiants africains à rattraper les cours qu'ils n'ont pu suivre tandis que les bourses ne sont presque jamais délivrées en temps voulu. Il devient donc difficile de trouver un logement, de pouvoir subvenir à ses besoins et de réussir son année universitaire. Le nombre de bourses lui-même a tendance à diminuer sous le coup des restrictions budgétaires.
Source : Campus France
Dans certains cas, l'avis négatif de Campus France, qui se prononce sur la pertinence du projet d'études à la vue du cursus envisagé et des études déjà effectuées, est communiqué après coup. « Pendant ce temps, les candidats ont dû présenter au consulat un billet d'avion et réunir les sommes exigées pour obtenir le visa. Non seulement, leur projet tombe à l'eau, mais ils ont perdu de l'argent » nous a-t-on raconté.
Ces cas ne sont pas isolés, loin s'en faut. L'articulation actuelle d'une double procédure, celle de Campus France et celle du Consulat, a sa logique, mais elle ne prend pas assez en compte les contraintes des demandeurs.
La réalité d'une telle complexité administrative contraste avec l'image véhiculée par une longue tradition de formation des élites africaines au sein des prestigieuses universités françaises.
Elles nourrissent un ressentiment réel parmi la jeunesse africaine.
Cette situation résulte à la fois de notre politique prohibitive d'immigration mise en place à partir de 2002, de son interprétation dans un sens restrictif par les administrations sous l'impulsion du pouvoir politique d'alors, et du sous-effectif des consulats qui doivent par ailleurs faire face à une multiplication de la fraude documentaire. Plus la législation est restrictive, plus l'imagination des fraudeurs se développe, plus la méfiance des services consulaires s'accroît, plus les exigences et les délais pour obtenir un visa augmentent.
Ce cercle vicieux a nui à l'image de la France dans des proportions que nous avons trop longtemps ignorées.
Une fois en France, beaucoup d'étudiants africains disent avoir l'impression d'être considérés différemment des autres étudiants étrangers notamment issus du programme ERASMUS : ils ressentent de la méfiance à leur égard et se sentent souvent perçus, non pas comme des dirigeants et des entrepreneurs en devenir, mais plutôt comme des migrants potentiels.
Ce climat alors peu accueillant les a conduits à aller se former ailleurs.
Autrefois, si les chefs d'État d'Afrique francophones n'avaient pas fait leurs études en France, ce qui était rare, on pouvait être sûr que c'était le cas de leurs principaux conseillers.
Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il reste un grand nombre de cadres qui ont été formés dans les universités françaises, dans les Instituts des sciences politiques, voire à l'ENA. Mais la France a perdu le monopole de la formation des élites africaines.
Les élites africaines ne se contentent plus du Quartier Latin, elles parcourent le monde, choisissent entre Paris, Londres, San Francisco, Le Cap ou ailleurs, l'ENA, la London School of Economics, Harvard, MIT (Massachusetts Institute of Technology), Berkeley, Oxford Cambridge ou ailleurs, selon les opportunités. L'Afrique s'ouvre à de nouveaux partenaires, s'engage dans la mondialisation et il naturel et même souhaitable qu'elle diversifie le parcours scolaire de ses futures élites.
Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à préférer les États-Unis à la France, à l'instar de Thierry Tanoh, actuel vice-président de la Société Financière Internationale, l'une des filières de la Banque mondiale. Cet Ivoirien a effectué ses études à l'École supérieure de commerce d'Abidjan puis a complété sa formation en suivant un cursus en deux ans au sein de l'université d'Harvard, grâce au programme Fulbright. Il est aujourd'hui l'une des personnalités africaines influentes.
La réduction des visas de moyen séjour et la chute des bourses universitaires ont conduit à une contradiction majeure : comment peut-on espérer restaurer notre image et mener une politique d'influence sur le continent tout en fermant nos frontières derrière les grilles de la forteresse européenne.
L'enjeu est beaucoup plus large et doit être pensé en des termes politico-diplomatiques et non plus seulement sécuritaires ou migratoires. C'est dans cette voie que s'oriente le nouveau gouvernement. Car ce qui arrivait aux étudiants, arrivait aux chercheurs, aux artistes et aux entrepreneurs.
Les anecdotes sont nombreuses : des colloques franco-africains qui ne peuvent se monter ; des collaborateurs africains d'entreprises françaises qui ne peuvent pas honorer des rendez-vous à Paris ; des artistes qui décommandent des spectacles faute de visa dans les temps.
Le cas des étudiants du supérieur est d'autant plus frappant qu'il engage des générations entières qui feront ou pas l'avenir des relations franco-africaines.
Comme l'a souligné M. Xavier Darcos, Président de l'Institut français : « Nous avons réduit nos programmes de bourses, notre politique de délivrance de visa reste frileuse du fait du risque migratoire, quand les Américains ou les Chinois multiplient les appels à destination des étudiants, ciblant, pour les premiers, les meilleurs à qui ils offrent des possibilités de carrière. Nous sommes en contradiction flagrante avec notre action de soutien à l'émergence artistique qui nécessite de faciliter la mobilité des talents. »
Et la concurrence universitaire de la France ne se résume pas aux facultés américaines ou chinoises : on constate un essor de la mobilité étudiante intra régionale en Afrique.
Il ne suffira pas demain de rétablir une politique de visa circulatoire plus ouverte pour attirer les futures élites africaines, car la concurrence pour « capter » les étudiants africains est de plus en plus rude. La formation universitaire est devenue un marché concurrentiel et les étudiants africains, un marché d'avenir compte tenu de leur croissance démographique et de l'élévation continue de leur niveau.
Ainsi l'Afrique du Sud déploie une stratégie ambitieuse de captation des étudiants africains. Elle se classe déjà au deuxième rang des pays d'accueil en 2010, juste après la France, attirant à elle seule 15% des étudiants africains en mobilité.
Le niveau de vie y est moins élevé qu'en Europe mais le pays présente une stabilité politique, une dynamique économique et un niveau de développement qui offrent des perspectives d'emplois à ces étudiants. Si ce pays accueille principalement des étudiants venus d'Afrique australe, il attire également de plus en plus d'étudiants originaires d'Afrique de l'Ouest.
La majorité des étudiants africains francophones en mobilité sur le continent se dirige toutefois aujourd'hui vers le Maroc, qui se classe au 10ème rang mondial des pays d'accueil des étudiants africains en mobilité pour l'année 2010, selon une étude Campus France. La proximité géographique et culturelle du royaume chérifien conjuguée à la qualité de l'enseignement qui y est dispensé, souvent dans des écoles privées, sont autant d'atouts aux yeux des étudiants venus du Sénégal ou de la Côte d'ivoire pour ne citer qu'eux.
La demande des étudiants africains en enseignements universitaires de qualité à des coûts raisonnables a conduit certains États extracontinentaux à mettre en place des stratégies d'influence dans ce domaine.
C'est le cas du Royaume-Uni qui a développé un programme de promotion de la science et de l'innovation en Afrique, l'Africa Knowledge Transfer Partnerships. Il s'agit d'un partenariat de transfert de connaissances vers le continent, orchestré par le réseau des British Councils présents en Afrique.
La Chine a quant à elle établi une stratégie de diplomatie d'influence offensive, à travers le développement des désormais célèbres instituts Confucius dont certains établissements sont accueillis au sein des universités africaines.
En 2000, le gouvernement chinois a décidé de doubler les bourses accordées aux étudiants africains dans les domaines de l'agriculture, de la médecine, des langues, de l'éducation, de l'économie ou encore de la gestion.
Pari tenu : le plan d'action de Pékin (2013-2015) dévoilé lors du forum de coopération sino-africaine en juillet 2012 prévoit 18 000 bourses pour les étudiants du continent contre quelque 5 500 attribuées entre 2010 et 2012.
La Chine n'offre pas seulement des formations et des bourses, avec la croissance de son économie, elle offre également des débouchés d'emploi.
Face à cette concurrence renforcée, la France souffre de faiblesses structurelles comme l'indiquent les enquêtes réalisées par Campus France.
Les étudiants interrogés rencontrent des difficultés pour se loger et s'insérer et sont déçus par le manque de débouchés professionnels à l'issue de leur formation en France. Ainsi seuls 64% des étudiants originaires d'Afrique interrogés estiment que leur séjour en France a favorisé leur insertion professionnelle.
La situation actuelle est d'autant plus préoccupante qu'on ne perçoit sur le terrain que le début d'un processus dont les effets se feront sentir dans dix à quinze ans quand les nouvelles générations, qui se seront éloignées de la France, occuperont des postes de responsabilité.
Sans verser dans le catastrophisme, il y a une génération de leaders africains qui auront dans leur jeunesse été confrontés à une politique migratoire française dissuasive et parfois humiliante.
Comme nous l'a dit un ambassadeur africain, « Il est temps de resserrer les liens et de restaurer la confiance, si vous voulez qu'on vous confie encore la formation de nos enfants. Chez les francophones les plus modérés, une impression d'être délaissés, voire de ne pas être payés en retour par une France en repli domine, avec pour corollaire le risque réel que les jeunes générations se détournent de la France pour rejoindre de nouveaux partenaires».
Restaurer la confiance passe par une mise en cohérence de notre politique migratoire, en relation avec la redéfinition de notre politique d'influence sur le continent. Pour restaurer notre influence, il est capital de retisser des liens humains dans les deux sens et de faciliter la circulation des hommes et pas seulement des marchandises.
On peine à comprendre comment sur place au sein d'une même ambassade et à Paris au sein d'un même Gouvernement, on peut d'un côté monter des programmes pour attirer les talents africains et de l'autre tout faire pour ne pas leur accorder des visas.
Il nous faut parvenir à attirer les futures élites nationales par une politique de bourses universitaires beaucoup plus dynamique. Au-delà de la période de formation initiale, il convient de structurer des dispositifs d'échanges qui permettent à des universitaires et des professionnels établis dans leurs pays d'exercer leur métier une partie de l'année en France sous la forme de « doubles-chaires ».