3. Un réseau diplomatique en réduction

« Nous devons faire attention à ne pas provoquer la fin de la politique d'influence et de rayonnement de notre pays en Afrique. Chaque poste, chaque programme supprimé n'est pas important en soi, mais mis bout à bout, l'impact est grave. On finira par ne plus être grand-chose sur ce continent dans quelques années », nous a dit un diplomate en poste en Afrique, qui préférait ne pas être cité.

Chacun connaît la contribution du Quai d'Orsay à la réduction des dépenses publiques : une baisse de 20% du budget et du personnel en 25 ans, comme le rappelaient en juillet 2010 les anciens ministres des affaires étrangères MM. Hubert Védrine et Alain Juppé dans une tribune du journal Le Monde.

Tous les ministères doivent évidemment contribuer à la réduction des dépenses publiques, mais aucune administration n'a été réduite dans ces proportions.

Ce que l'on sait moins, c'est que notre présence en Afrique a supporté la grande partie de cet effort, au prix d'une réduction brutale des postes et des initiatives.

La Cour des comptes relève ainsi que sur la période 2007-2011 39 ( * ) « Les postes d'Afrique subsaharienne ont absorbé les deux-tiers des réductions. », observant que « les postes de Madagascar et du Sénégal ont ainsi diminué leurs effectifs de plus de 20%. » .

Pour l'ensemble des réseaux du ministère, l'ajustement des effectifs et des formats s'est inscrit dans une évolution visant au rééquilibrage de la présence française en Asie au détriment de l'Afrique.

Un redéploiement a été effectué, avec sur cette même période -14% de postes en Afrique et océan Indien dont -8% en Afrique du Sud et - 10% en Europe contre -1% dans la zone Asie mais +11% en Chine et +14% en Inde.

Dans un environnement budgétaire contraint, le choix de l'Asie s'est effectué au détriment de la couverture du continent africain tant sur le plan culturel que commercial.

L'Afrique a contribué pour deux tiers des réductions des effectifs du quai d'Orsay

Ce choix avait sa pertinence.

La question est aujourd'hui de savoir si nous ne sommes pas allés trop loin et si l'allocation des ressources est pertinente par rapport aux intérêts français.

La France a en tout cas donné à l'Afrique le sentiment d'avoir choisi l'Europe comme nouveau multiplicateur de rayonnement et l'Asie comme perspective d'avenir.

Après la réforme du dispositif militaire français en Afrique et la disparition du ministère de la Coopération dans les années 1990, cette attrition des moyens diplomatiques participe à une lente déconstruction de la relation entre la France et l'Afrique.

Et ce à l'heure où, dans un mouvement exactement contraire, la Grande-Bretagne s'implique sur le continent avec la création du DFID ou l'intervention militaire en Sierra Leone. Et le mouvement se poursuit.

En 2013, il est prévu la suppression de 56 postes sur les 845 agents que compte la zone Afrique - océan Indien.

Si le chiffre paraît peu important au regard du nombre de personnel présent sur le continent, le choix des secteurs supprimés est frappant : l'assistance technique est le domaine le plus touché, notamment au Sénégal et au Gabon où les postes d'enseignants sous statut ETI (25 postes sur la période 2012-2013) sont en cours de suppression.

En Éthiopie, nous avons constaté que la France ne disposait que d'un seul diplomate pour suivre les travaux de l'Union Africaine, là ou d'autres pays y consacrent une ambassade entière ! Quelle contradiction entre un discours qui ne cesse de promouvoir l'intégration du continent et le peu de considération que traduit ce manque de moyens qui ne permet pas de peser pleinement sur une institution dont on ne cesse par ailleurs de promouvoir le rôle.

En Éthiopie, la France ne consacre qu'un seul diplomate pour suivre l'ensemble des travaux de l'Union Africaine, là où les Etas-Unis ont une ambassade.

A la dernière Conférence des ambassadeurs, on annonçait la suppression de 600 postes dans l'ensemble du réseau de 2013 à 2015. L'Afrique sera là encore au premier rang.

D'un point de vue sectoriel, la baisse des effectifs au ministère des affaires étrangères a été de 9%, de 2007 à 2011, mais les programmes budgétaires ayant été les plus touchés concernent au premier chef l'Afrique : c'est la « diplomatie culturelle et d'influence » (-15%) et la « solidarité en faveur du développement » (-17%).

Il en va de même pour les budgets d'intervention. Depuis 2009, les enveloppes de coopération hors fonds de solidarité prioritaire (FSP) ont connu une baisse de 20%, pour une baisse moyenne de 15% à l'échelle de l'ensemble du réseau de notre coopération culturelle.

A cela s'ajoute une baisse notable du FSP : les crédits de paiement de ce fonds ont diminué de 42% entre 2009 et 2012. Pour les seuls Pays pauvres prioritaires, cette baisse atteint même 50% en contradiction avec la typologie des Pays Pauvres Prioritaires, qui devraient, selon les termes du CICID, bénéficier d'un soutien budgétaire élevé.

L'écart entre les besoins des postes et le montant de crédits de paiement disponibles rend très difficile le respect de nos engagements, notamment dans les postes où l'outil FSP constitue, depuis de nombreuses années, le pilier de notre action dans les domaines de la gouvernance et de la francophonie.

Cette diminution des crédits impose notamment aux établissements culturels dépendant de l'Institut français d'assurer toujours plus avant un autofinancement. Heureusement, les établissements du réseau, d'implantation souvent ancienne, sont très actifs et bénéficient en Afrique d'un important capital de reconnaissance en étant très présents dans le paysage local, où ils sont souvent les seuls établissements culturels de taille critique à avoir une activité continue. On ne peut cependant ignorer que leurs taux d'autofinancement seront en Afrique toujours nécessairement inférieur à celui des instituts situés dans des zones plus développées.

A titre d'exemple, des pays comme le Nigeria ou la Guinée Conakry affichaient, en 2012, un taux d'autofinancement de respectivement 75% et 70%, alors que d'autres étaient très largement tributaires de la subvention de l'État comme le Tchad (taux d'autofinancement de 8%), la Mauritanie (12%) ou Djibouti (25%).

Pour certains Instituts français, souvent en territoire francophone, le développement des recettes liées aux cours ou aux examens de langue et la recherche de partenariats ne sont pas pleinement intégrés dans la culture de travail et souvent mal perçus par les usagers, en particulier parce qu'ils sont synonymes de hausse des tarifs des cours.

Ce désengagement, sans doute inévitable dans un contexte de réduction budgétaire brutale, n'est pas perdu pour tout le monde, notamment pour les nouveaux acteurs qui s'installent dans le vide ainsi créé. La Chine, au premier rang, investit massivement dans un réseau d'instituts Confucius qui rencontrent un grand succès.

L'Allemagne est devenue une destination d'études privilégiée là où elle était largement absente il y a dix ou quinze ans, avec un impact économique à long terme évident.

Dans le domaine économique, la fusion de la Direction des Relations Économiques Extérieures et de de la Direction du Trésor a conduit l'État à réduire son soutien aux entreprises françaises en Afrique ; elles ne peuvent compter que sur quelques services économiques régionaux et quelques antennes de UBIFRANCE là où chaque ambassade avait un PEE clairement identifié.

La suppression des services économiques en Mozambique, une illustration de la mauvaise prise en compte de l'évolution de l'Afrique

Dans des zones en pleine expansion, on ferme des bureaux en application de programmations anciennes qui n'ont pas vu venir le décollage économique de l'Afrique subsaharienne, au point que dans certains pays comme le Mozambique, en l'absence de toute représentation économique, c'est finalement l'AFD qui représente le soutien économique aux entreprises dans un pays un plein essor qui vient de passer une commande de 30 bateaux d'une valeur de 200 millions d'euros aux Constructions mécaniques de Normandie (CMN) et dont on prédit un taux de croissance pour 2012-2017 de 7% !

Le repli régional de la DGPTE et la diminution du réseau des missions économiques en effectifs ou en nombre de postes paraissent être, pour tous, en déphasage avec le dynamisme africain.

Dans le domaine consulaire, les consulats manquent cruellement de moyens humains pour gérer convenablement les demandes de visas. « Les moyens sont faibles même pour mener une politique de refus », nous a déclaré un interlocuteur. L'accueil souvent déplorable au sein des consulats français nuit gravement à l'image de notre pays, notamment vis-à-vis des élites intellectuelles et économiques.

La politique d'influence est également sinistrée. Quand les ambassades américaines, même de taille modeste, animent année après année le réseau de leurs anciens boursiers et invités, leurs homologues françaises en sont généralement dans l'incapacité, faute de personnel.

Au final, la France dispose toujours d'un maillage exceptionnel en Afrique, mais de moins en moins de moyens pour le faire vivre, pour mener une politique d'influence ou pour soutenir nos entreprises.

Un maillage exceptionnel, mais de moins en moins de moyens pour le faire vivre

Cette pénurie de moyens qui concerne l'ensemble de la diplomatie française rend encore plus difficiles les arbitrages géographiques y compris au sein du continent entre l'Afrique de l'Ouest où la France a des obligations et des responsabilités et l'Afrique de l'Est en croissance vers laquelle les pouvoirs souhaitent s'ouvrir.

Difficile en effet, dans le contexte actuel, de renforcer nos moyens en Afrique du Sud, au Nigéria, en Ethiopie, au Kenya, en Ouganda ou au Mozambique. C'est pourtant dans ces pays « pré-émergents » que la France devrait renforcer sa présence économique. Par leur taille, leur dynamisme, ces pays doivent constituer des priorités notamment pour notre diplomatie économique. La France ne peut pas plus longtemps être absente de l'Afrique qui bouge.

Comme l'a souligné Jean-Christophe Belliard, directeur d'Afrique et de l'Océan Indien au ministère des affaires étrangères : « Ce n'est pas fromage ou dessert, il faut concilier la fidélité à l'Afrique de l'Ouest et l'ouverture à l'est . »

Un défi : concilier la fidélité à l'Afrique de l'Ouest et l'ouverture à l'Est

La perte d'influence française qui résulte de la réduction de nos moyens diplomatiques risque de ne pas être seulement conjoncturelle. Elle est bien sûr liée à la redistribution des cartes dans le monde, mais elle est aussi la conséquence de choix politiques qui sacrifient un outil évidemment perfectible mais bien réel, pour des raisons comptables à court terme, aux dépens d'une vision stratégique à long terme.


* 39 Référé du 2 mai 2013 sur l'évolution du réseau diplomatique depuis 2007 http://www.ccomptes.fr/%20fr/Publications/Publications/L-evolution-du-reseau-diplomatique-depuis-2007

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