CONCLUSION GÉNÉRALE
De ses entretiens avec les principaux responsables d'Europol et d'Eurojust, la délégation de votre commission a tiré trois conclusions.
1. On assiste, à l'évidence, à une montée en puissance des deux organismes. Europol est vraiment devenu un « méga-moteur de recherches » en matière de grande criminalité organisée et transfrontière. Eurojust est une « tour de contrôle » qui constitue une indispensable structure de coordination et de coopération entre les autorités judiciaires des États membres, dont l'activité progresse d'année en année. Il faut souligner que si la charge de travail s'accroît, tant à Europol qu'à Eurojust, c'est à périmètre budgétaire constant, ce qui n'est pas sans susciter des inquiétudes quant à la pérennité des interventions. À cet égard, on peut se demander si tout ou partie des « plus-values » générées par l'amélioration des dispositifs anti-fraudes aux intérêts financiers de l'Union (avec notamment la création du Parquet européen) ne pourrait pas être utilement affecté au financement d'Europol et Eurojust.
2. La France exerce manifestement une influence qui tient compte de son rang sur l'organisation et le fonctionnement des deux entités. Nous l'avons constaté au niveau de l'encadrement d'Europol. À Eurojust, le bureau français est le plus actif des bureaux nationaux.
3. Europol et Eurojust demeurent fragiles parce que tributaires de la « bonne volonté » des États membres et de leurs autorités judiciaires ou policières. Ce sont eux qui « alimentent la machine ». En France, depuis 2013, une seule cour d'appel (sur 36 !) s'acquitte de son obligation d'information à l'égard d'Eurojust. L'essentiel, c'est la confiance mutuelle dans les domaines régaliens dans lesquels Europol et Eurojust apportent leur assistance aux États. À cet égard, la proposition de la Commission tendant à s'assurer une représentation au sein d'un nouveau « Comité exécutif » des deux organismes peut poser problème.
Les voies et moyens d'une réelle autonomie à l'égard des États membres restent à explorer, comme d'ailleurs, plus généralement, la progression de l'intégration européenne dans des champs d'intervention aussi « sensibles » pour les États nationaux et dans lesquels tout progrès ne peut s'accomplir que dans la confiance mutuelle.
EXAMEN PAR LA COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le mercredi 16 avril 2014 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. André Gattolin, le débat suivant s'est engagé :
Mme Colette Mélot, rapporteur . - Les responsables d'Europol et d'Eurojust m'ont laissé le souvenir d'un grand professionnalisme et d'une intense activité. Les enquêtes policières couvrent désormais un champ qui dépasse les frontières nationales notamment en matière de traite des êtres humains ou de terrorisme. Des entités telles qu'Europol ou Eurojust ne peuvent que prendre de l'importance.
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur . - Le compte rendu qui vient de nous être présenté est très représentatif de ce que nous avons vu et entendu à Europol et Eurojust. Je ferai cependant quelques observations.
S'agissant d'Europol, j'aurais souhaité que nous puissions disposer d'un bilan statistique d'activité un peu plus précis. Il manquait peut-être dans les réponses de nos interlocuteurs la description précise d'une affaire où Europol aurait joué un rôle déterminant. Je regrette qu'Europol soit aussi peu connu par les citoyens européens. Il manque, à l'évidence, dans cette agence, une cellule de communication qui pourrait, par exemple, promouvoir des émissions de télévision destinées au grand public.
S'agissant d'Eurojust, il nous a été indiqué que l'Office de lutte antifraude (Olaf) faisait plutôt de la rétention d'information à son égard : sur 718 affaires traitées par l'Olaf en 2013, seules 6 auraient fait l'objet d'une communication d'informations à Eurojust.
J'ai enfin noté qu'il existait entre Europol et Eurojust un véritable désir de rapprochement sur lequel nous pourrions réfléchir.
M. Dominique Bailly, rapporteur . - Notre déplacement fut une expérience très intéressante. Nos interlocuteurs étaient à l'évidence des gens passionnés par leur métier. Aussi bien à Europol qu'à Eurojust, les représentants de la France sont incontestablement des « maillons forts ». Toutefois, je me demande si les outils que constituent Europol et Eurojust ne sont pas sous-utilisés par les services policiers ou judiciaires notamment en France. J'ai eu un peu l'impression que ces organismes étaient souvent « l'arme au pied ». À cause des restrictions budgétaires, on comprend que les deux entités peinent à accompagner une délinquance qui s'accroît sans cesse dans sa dimension internationale en utilisant à plein les innovations technologiques.
M. Simon Sutour, président . - Je pense que le compte rendu de ce déplacement pourrait utilement faire l'objet d'une communication devant la commission des lois, laquelle pourrait elle-même se rendre, elle aussi, à Europol et à Eurojust.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je constate que les dossiers traités par les organismes tels qu'Europol et Eurojust intéressent aussi la commission des affaires étrangères. J'ai le sentiment qu'en matière policière, trop souvent, il n'existe pas de réelle coopération. Chacun travaille chez soi. Sans la collaboration de tous les États, un organisme tel qu'Europol ne pourra pas être véritablement efficace.
M. Jean Bizet . - N'oublions pas que la sécurité constitue, après le chômage, la deuxième priorité des citoyens français et pourtant, s'ils connaissent l'espace « Schengen », nos compatriotes, ou en tout cas la plupart d'entre eux, ignorent l'existence d'Europol ou d'Eurojust. Malgré les progrès enregistrés par les deux agences depuis nos premières visites, il existe manifestement un déficit de communication auquel il conviendrait de remédier.
Mlle Sophie Joissains . - Sur le Parquet européen, le compte rendu de M. André Gattolin a bien « synthétisé » l'état actuel du dossier. Je souhaiterais que nous réfléchissions à la situation de l'Olaf par rapport à la réforme du parquet européen. Cet office n'avait-il pas l'ambition d'être la « racine » de ce parquet européen ?
M. Simon Sutour, président . - Il y a quelques jours, je représentais le président du Sénat, à Vilnius, à la Conférence des présidents des parlements de l'Union européenne. Il y a eu un débat sur le contrôle de la subsidiarité. La question du « carton jaune » a notamment été évoquée. On a relevé par exemple qu'à l'issue du premier « carton jaune » - il s'agissait du droit de grève des travailleurs européens détachés -, la Commission a retiré son texte tout en précisant que ce retrait n'était pas dû à l'intervention des parlements nationaux. Sur le Parquet européen, la Commission, en dépit du « carton jaune », a maintenu son texte.
Nous devons aller plus loin. Il faut aussi absolument que nous continuions à réfléchir sur ce « carton vert » qui consacrerait un réel droit d'initiative des parlements nationaux.
Mme Fabienne Keller . - Quel type de coopération existe entre les institutions de l'espace Schengen, Europol et Eurojust ? je m'interroge sur l'efficacité de l'action d'organismes tels qu'Europol et Eurojust pour lutter contre le proxénétisme transfrontière. Il est bien connu, par exemple, que les réseaux de proxénètes se déplacent et franchissent les frontières quand les dossiers qui les concernent sont « mûrs ».
Mme Bernadette Bourzai . - Je souhaiterais que l'on m'indique la différence entre Europol et Interpol en termes de statut ou de champ d'intervention.
M. André Gattolin. - C'est vrai, Europol peine à fournir des statistiques précises. Il faut comprendre que dans le domaine policier, la coopération n'est pas toujours facile entre les États. L'espace « Schengen » est un exemple de coopération développée, avec d'importants pouvoirs de police, entre certains États qui ont accepté un abandon supplémentaire de souveraineté. Il dispose d'une agence européenne : Frontex. Avec Europol, on est dans des domaines qui relèvent toujours de la souveraineté nationale.
Par rapport à Europol, Eurojust est sans doute plus « communicant ». Notons toutefois qu'en matière de cybercriminalité, Europol informe régulièrement les États des failles décelées dans leurs systèmes d'informations. En matière de lutte contre les stupéfiants, Europol procède à d'intéressantes études sur les drogues de synthèse consommées dans l'espace européen, ce qui facilite le travail des services répressifs.
Mais c'est vrai, les États hésitent souvent à abandonner des éléments de leur souveraineté ce qui ne les empêche pas de souhaiter l'installation du siège d'au moins une institution européenne sur leur territoire.
Entre Europol et Eurojust, il existe un bon niveau de coordination et de coopération. Les difficultés qui peuvent survenir sont à chercher dans la nature des relations existant entre les systèmes judiciaires et les services de police dans les États nationaux.
M. Simon Sutour, président . - En réponse à la question de Mme Bernadette Bourzai, je voudrais préciser qu'Interpol est une organisation internationale de police créée en 1923. Il rassemble 190 États membres. Son secrétariat général siège à Lyon. Interpol dispose de sept bureaux régionaux dans le monde, auquel il convient d'ajouter un bureau de représentation à l'Organisation des Nations unies. Chaque État membre dispose d'un bureau national à Interpol. Interpol a pour mission :
- la coopération policière internationale,
- la formation,
- les réseaux de communication et l'échange de données.
M. André Gattolin . - Dans le domaine du proxénétisme, il faut souligner qu'Eurojust est submergé par les dossiers.
En conclusion, je dirai que la coopération européenne ne se « décrète pas » mais peut être « facilitée » : telle est la mission d'Europol et d'Eurojust.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Ce qui est sûr, c'est qu'il convient absolument d'assurer le suivi des affaires de traite d'êtres humains. Seule une forte coopération internationale pourra endiguer ce phénomène très préoccupant.
À l'issue du débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport de MM. André Gattolin, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond et Mme Colette Mélot.