C. QUELLES PERSPECTIVES POUR L'INVESTISSEMENT PUBLIC ?

L'investissement public constitue l'un des principaux enjeux auxquels les États européens seront confrontés au cours des années à venir . À ce titre, il convient de rappeler que la Commission européenne a récemment estimé à 1 000 milliards d'euros les besoins d'investissement dans les réseaux d'infrastructures de transport, de télécommunication et d'énergie d'importance européenne pour la période allant jusqu'à 2020.

Eu égard aux montants en jeu, il est impératif que l'ensemble des pays de l'Union européenne et, en particulier, de la zone euro se mobilisent pleinement en faveur de l'investissement public . Par suite, l'on peut regretter que certains États disposant à ce jour de « marges de manoeuvre » budgétaires ne se montrent pas plus soucieux de cette question. La formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques ne s'est élevée, en Allemagne, qu'à 1,6 % du PIB en moyenne depuis le début des années 2000. Cette situation devrait se révéler, à terme, problématique ; en effet, lors d'une audition conjointe de la commission des finances du Sénat, le chef du service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes de la direction générale du Trésor, Renaud Lassus, a rappelé que « de plus en plus, les Allemands, patrons comme universitaires, reconnaissent que le sous-investissement public risque de freiner leur croissance. Il est souvent donné l'exemple des ponts vers le port d'Hambourg, point de départ des exportations, devenus inutilisables faute d'investissements... » 57 ( * ) . Pour trivial qu'il puisse paraître, cet exemple apparaît comme symptomatique de l'insuffisance actuelle de l'investissement public en Allemagne - qui a été soulignée par la Commission européenne dans le cadre de la procédure de déséquilibres macroéconomiques (PDM) en mars 2014 et dénoncée, en juin dernier, par la Fédération de l'industrie allemande (BDI) -, mais également en Europe car, dans un environnement mondialisé, les infrastructures publiques de chacun des États membres de l'Union s'inscrivent, de fait, dans l'« actif » de tous les autres .

Dès lors, il est absolument impératif que l'investissement public fasse désormais l'objet d'une attention toute particulière dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) instituée avec le « six-pack » (cf. encadré ci-après). De même, comme l'a demandé le Conseil européen de juin dernier, il conviendra d' utiliser « au mieux » la flexibilité qu'offre le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), selon des modalités encore à définir, afin de garantir que les ajustements budgétaires, qui n'en sont pas moins nécessaires, ne se fassent pas au détriment de l'investissement public et, donc, de la croissance potentielle et de l'attractivité de l'Europe. En outre, chaque État membre devrait se montrer attentif à ce que les choix réalisés en vue du redressement des comptes publics évitent de peser essentiellement sur la formation brute de capital fixe (FBCF) comme cela a été le cas, dans de nombreux pays, jusqu'à présent , ainsi que nous l'avons montré précédemment. Ceci appelle un pilotage plus fin de la consolidation des finances publiques et des efforts demandés aux différents sous-secteurs des administrations publiques ; à cet égard, il convient de rappeler que les administrations locales ont supporté, en 2013, près de 60 % en moyenne de la FBCF publique dans la zone euro et dans l'Union européenne.

Pour autant, en raison des contraintes qui pèsent sur les budgets des États européens, il semble indispensable que des initiatives supplémentaires soient prises au niveau de l'Union européenne ou, du moins, de la zone euro . Aussi la logique sous-tendant la mobilisation de la Banque européenne d'investissement (BEI) afin de financer des projets d'investissements au sein de l'Union européenne, et ce dans le cadre du Pacte européen pour la croissance et l'emploi, doit-elle être prolongée et renforcée. C'est d'ailleurs ce qu'a récemment proposé le Président de la République, François Hollande, à travers l'« agenda pour la croissance et le changement en Europe » qui a été adressé, à la fin du mois de juin, à Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen. Par ailleurs, le ministre italien de l'économie, Pier Carlo Padoan, a récemment rappelé que la relance des investissements dans les infrastructures figurait parmi les principaux objectifs de la présidence italienne de l'Union européenne, débutée le 1 er juillet dernier.

De nombreuses initiatives tendant à la création d' une capacité budgétaire propre de l'Union européenne, voire de la zone euro , ont commencé à émerger au cours de la période récente ; votre rapporteur général avait eu l'occasion de les commenter dans un rapport sur une proposition de résolution européenne sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire 58 ( * ) . Toutefois, force est de constater que, tel qu'il est conçu à ce jour, la finalité de ce « budget européen » serait principalement contra-cyclique en ce qu'il devrait contribuer à absorber les chocs économiques affectant certains pays. Or, il semblerait opportun que les réflexions en faveur de la constitution d'une telle capacité budgétaire - qui seront alimentées par les travaux de la Commission européenne et de la présidence du Conseil européen - intègrent d'ores et déjà la nécessité d'une contribution à l'investissement public .

L'ampleur des enjeux ne doit pas être sous-estimée. En effet, le montant annuel de la formation brute de capital fixe (FBCF) dans la zone euro dans sa composition actuelle a reculé de 50 milliards d'euros entre 2009 et 2013 , soit de près de 19 %. En outre, il convient de relever que si la part de la FBCF publique dans le PIB était restée au niveau observé en 2008, l'investissement cumulé au cours de la période 2009-2013 aurait été supérieur de près de 100 milliards d'euros à celui constaté . Les « retards » pris en matière d'investissements publics, ajoutés aux besoins identifiés en ce domaine, montrent qu'un effort considérable devra être consenti au cours des prochaines années.

Aussi d'autres voies mériteraient-elles d'être explorées, à l'instar de celle avancée par Michel Aglietta qui a rappelé, lors de l'audition conjointe de votre commission des finances précitée, sa proposition tendant à « engager un programme d'investissements publics au niveau européen - financé par l'épargne du secteur privé - pour mettre en oeuvre une politique comparable à ce qu'a été le New Deal des années 1930 aux États-Unis, en créant notamment un fonds de développement doté d'un capital initial public qui émettrait des titres ».

Loin de se limiter à l'Europe, l'insuffisance de l'investissement public concerne l'ensemble des économies . À cet égard, lors des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence au début du mois de juillet, Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), a insisté sur la nécessité d'une « relance des investissements publics surtout dans les économies avancées » , notant qu'à la fin de l'année 2013, le niveau des investissements était inférieur de 20 % à leur niveau d'avant-crise. En outre, cette dernière a relevé l'existence de conditions favorables à l'investissement en infrastructure, notamment en raison d'opportunités de financement favorables sur les marchés financiers.

La procédure de déséquilibres macroéconomiques (PDM)

Instituée en novembre 2011 dans le cadre du « s ix-pack » 59 ( * ) , la procédure de déséquilibres macroéconomiques (PDM) permet à la Commission et au Conseil de l'Union européenne d'adopter à titre préventif, soit avant que les déséquilibres ne s'aggravent, des recommandations. Dans les cas les plus graves, le volet correctif permet l'ouverture d'une procédure de déséquilibre excessif à l'encontre de l'État concerné, qui doit alors soumettre un plan d'action corrective comportant une feuille de route précise et les délais de mise en oeuvre des mesures prévues.

S'agissant des États membres de la zone euro, l'application du volet correctif est particulièrement rigoureuse dans la mesure où un État qui ne met pas en oeuvre les mesures recommandées peut se voir imposer un dépôt portant intérêt. En outre, si celui-ci persiste à ne pas se conformer à ces recommandations, le dépôt portant intérêt peut être converti en amende 60 ( * ) . Des sanctions peuvent également être appliquées à un État qui, après deux rappels, n'a pas remis un plan d'action corrective satisfaisant. Les sanctions sont adoptées par le Conseil de l'Union européenne à la majorité qualifiée inversée (MQI) 61 ( * ) , ce qui leur confère un caractère quasi automatique .

Afin de pleinement s'inscrire dans le cadre du semestre européen, la mise en oeuvre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) suit le calendrier suivant :

- en novembre-décembre , la Commission publie le rapport sur le mécanisme d'alerte , qui fait le point sur l'évolution de la situation macroéconomique dans les différents pays de l'Union européenne. Sur la base de ce rapport, elle peut décider de réaliser un bilan approfondi de la situation dans les pays où le risque de déséquilibres macroéconomiques est considéré comme élevé ;

- en mars-avril , la Commission publie les bilans approfondis relatifs aux déséquilibres macroéconomiques.

Les préconisations figurant dans les bilans approfondis inspirent, généralement, les recommandations par pays que la Commission transmet ensuite au Conseil de l'Union européenne.


* 57 Cf. audition conjointe de MM. Michel Aglietta, professeur émérite à l'Université Paris X Nanterre, Anton Brender, directeur des études économiques de Candriam et professeur associé honoraire à l'Université Paris-Dauphine, Renaud Lassus, chef du service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes de la direction générale du Trésor, et Xavier Timbaud, directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), du 28 mai 2014 par la commission des finances du Sénat.

* 58 Rapport n° 327 (2013-2014) sur la proposition de résolution européenne sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire (UEM) fait par François Marc au nom de la commission des finances du Sénat.

* 59 La procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) a été instituée par deux règlements du « six-pack », les règlements (UE) du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 n° 1174/2011 établissant des mesures d'exécution en vue de remédier aux déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro et n° 1176/2011 sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques .

* 60 Le montant de cette amende peut représenter jusqu'à 0,1 % du PIB de l'État membre.

* 61 En application de la procédure de la majorité qualifiée inversée (MQI), une recommandation de la Commission européenne est réputée adoptée sauf si le Conseil de l'Union européenne, statuant à la majorité qualifiée, décide de la rejeter dans un délai donné. Cette procédure de décision vise à rendre plus difficile la constitution d'une majorité de blocage au sein du Conseil de l'Union européenne.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page