D. VERS UNE MEILLEURE DÉMOCRATIE EUROPÉENNE : FAIRE FACE AUX ENJEUX D'UNE EUROPE FÉDÉRALE
L'abstention constatée lors des dernières élections européennes, le 25 mai 2014, illustre la nécessité de reconquérir la confiance des citoyens européens. Il s'agit pour l'Union européenne de combler le déficit démocratique dont elle souffre actuellement. Elle a pour cela le choix entre plusieurs options, en particulier celle d'une Europe fédérale munie d'une démocratie fédérale. En effet, le fédéralisme repose sur un équilibre entre pouvoirs différenciés en permettant l'unité dans la diversité. La commission des questions politiques et de la démocratie, par la voix de M. Andreas Gross (Suisse - SOC), plaide ainsi en faveur d'un gouvernement décentralisé européen et invite toutes les institutions concernées à une réflexion sur le sujet, notamment à la façon de transformer l'Union européenne en Union fédérale à base juridique constante.
M. Pierre-Yves Le Borgn' (Français établis hors de France - SOC) a contesté ce diagnostic. Selon lui, la grave crise que traverse l'Union européenne n'a pas pour origine une crise institutionnelle, mais la récession économique qui frappe l'Europe depuis 2008. L'échec des politiques européennes en faveur de l'emploi a conduit les citoyens européens à une forme de défiance envers l'Union européenne. La logique libérale mise en oeuvre par l'Union européenne dans le domaine des services publics ou pour les instruments de protection sociale n'a pas été comprise par les citoyens. Ceux-ci se heurtent plus globalement au manque de lisibilité des actes législatifs européens. L'action publique doit en effet être efficace, compréhensible et simple pour être acceptée. Elle doit reposer sur le suffrage universel et le principe de responsabilité pour être légitime. Aucune décision ne peut ni ne doit être prise sans contrôle ni transparence. M. Pierre-Yves Le Borgn s'est prononcé en faveur d'un fédéralisme qui adjoindrait un gouvernement économique, contrôlé par le Parlement européen, en contrepoids à la Banque centrale européenne, comme cela se pratique aux États-Unis, pays dont la réalité fédérale et le succès sont indéniables. La logique fédérale permettrait aussi, selon lui, de promouvoir un socle de droits sociaux et environnementaux, par exemple un salaire minimum européen, décliné ensuite nationalement.
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a rappelé les évolutions de l'Union européenne : adossée au lendemain de la guerre à l'hégémonie américaine, elle a ensuite été incorporée au capitalisme financier. À la suite de multiples crises, elle est aujourd'hui menacée d'éclatement. La question essentielle n'est pas d'ordre institutionnel : souverainisme ou fédéralisme, c'est là un faux débat. Le problème réside dans la crise de légitimité démocratique que connaît l'Europe actuelle. Aujourd'hui, les États nations n'ont plus ni les moyens ni la volonté de renouveler le contrat social. Mme Josette Durrieu s'est interrogée sur la vocation de l'Union européenne de le faire à leur place. Elle a souhaité que tous relèvent le défi en cherchant et réinventant une nouvelle Europe. C'est en effet désormais une question de survie, face à la Chine, à l'Inde ou à l'Indonésie, et plus largement l'Asie dans son ensemble. Il s'agit d'assurer la protection des populations d'Europe, sa sécurité aux frontières, la souveraineté et l'intégrité des États.
S'il a pleinement légitimé l'Assemblée parlementaire comme cadre propice à des échanges sereins sur le fonctionnement des institutions de l'Union européenne, M. François Rochebloine (Loire - UDI) a cependant douté qu'une simple analyse entre les différents systèmes fédéraux suffise à apporter une réponse réaliste à la question posée. Si les grands leaders démocrates-chrétiens de l'après-guerre, Robert Schuman, Alcide de Gasperi, Konrad Adenauer ont pu lancer le projet européen, c'est qu'avant de discuter des institutions, ils avaient un projet politique global pour l'Europe : reconstituer, dans la paix retrouvée, une communauté de destin économique, culturel et politique. Selon M. François Rochebloine, on a du mal à retrouver un tel élan aujourd'hui car l'Union européenne s'est laissée prendre au piège du débat institutionnel. Or celui-ci doit être second par rapport au but politique poursuivi à travers l'intégration européenne. Il faut à la fois proclamer sans désemparer que le fédéralisme est la seule solution politique possible à terme pour l'Europe et montrer, par des actes concrets, qu'il en est ainsi parce que seule une étroite concertation entre États membres permettra de redonner à l'ensemble européen l'unité dont il a besoin pour tenir sa place dans le monde. M. François Rochebloine a conclu qu'alors, peut-être, l'idée de plusieurs niveaux possibles d'intégration européenne deviendra-t-elle recevable, parce qu'il sera clair qu'elle ne fige pas l'évolution ultérieure de l'Union européenne, parce que le souci de l'avenir inspirera véritablement la démarche de tous les démocrates raisonnables.
Mme Bernadette Bourzai (Corrèze - SOC) s'est interrogée sur le caractère véritablement opérationnel du rapport dans un contexte où l'Union européenne traverse une crise profonde et multiforme. En effet, il promeut le fédéralisme, à un moment où l'on assiste à une résurgence des États nations, voire des nationalismes en Europe. Non seulement la crise des dettes souveraines et de l'euro a été traitée sur un mode intergouvernemental, qui a fait la part belle au Conseil européen au détriment des institutions communautaires intégrées, mais les citoyens européens eux-mêmes ne se sont guère prononcés en faveur de la supranationalité aux élections européennes du 25 mai dernier. Il apparaît ainsi que ni les gouvernements ni les peuples ne veulent aujourd'hui d'une Europe fédérale. Par ailleurs, débattre de l'avenir institutionnel de l'Union européenne dans une Assemblée parlementaire dont 19 États ne sont pas membres de l'Union paraît difficile. Pour autant, l'Union européenne a effectivement besoin d'un nouvel élan. Ce grand projet a inscrit des réalisations majeures à son bilan : un espace de paix, une communauté de droit, un marché unique, une dimension citoyenne concrète, mais insuffisante, une méthode de fonctionnement originale au service d'un projet intégré, etc. L'Europe s'est souvent construite dans les crises. Les réponses qu'elle y a apportées témoignent de son dynamisme et de ses capacités de relance comme on a pu le voir récemment encore lors de la crise financière et monétaire qui a failli emporter la monnaie unique. Les États membres se sont parfois détournés du projet européen : ils n'ont pas fourni les efforts nécessaires pour garantir le succès de la stratégie de Lisbonne ou des critères de convergence. C'est pourquoi, comme a pu le rappeler Michel Rocard lors de son intervention en commission, il faut absolument réorienter la construction européenne, d'où l'intérêt du présent débat.
M. Damien Abad (Ain - UMP) a identifié deux enjeux à ne pas confondre : le fédéralisme et la démocratie. Il a noté que le débat entre fédéralisme et intergouvernemental en Europe semble aujourd'hui dépassé. En effet, dans toute décision européenne, qu'elle soit prise par le Parlement, par le Conseil ou proposée par la Commission européenne, il y a des éléments de fédéralisme et des éléments d'intergouvernemental. Aucune décision n'est prise sans majorité au Conseil ni sans éléments de fédéralisme. M. Abad a ensuite noté que le fédéralisme est beaucoup plus compliqué à 28 qu'à 16, 9 ou 12. C'est pourquoi des mécanismes comme les coopérations renforcées ont été instaurés, afin d'aller plus loin sur certains sujets. Il faut ainsi plus d'intégration européenne, notamment en matière budgétaire et fiscale, et donc un véritable fédéralisme budgétaire, avec un vrai budget de l'Union et un vrai gouvernement, notamment de la zone euro. En ce qui concerne la démocratie, M. Abad a mis en avant le fait que, pour la première fois, le nouveau président de la Commission européenne sera choisi par les parlementaires européens, ce qui constitue une avancée démocratique majeure. En conclusion, il a alerté l'Europe du danger de s'enfermer dans des débats institutionnels. En effet, c'est en incarnant une vision, par exemple par l'intermédiaire de quelques hommes clés, que l'Europe se fera.