B. PARTICIPER À LA POLITIQUE CLIMATIQUE
1. Le bouquet énergétique reste une prérogative des États
Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne laissant à chaque État membre le soin de déterminer son bouquet énergétique, la stratégie pour l'union de l'énergie ne comporte pas de modification à ce propos, sous réserve de respecter les sous-objectifs découlant de la lutte contre le réchauffement climatique.
À cet égard, le projet d'union de l'énergie reprend un objectif fixé en octobre 2014 : réduire d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030 par rapport à l'année 1990. Il est précisé en outre que la réduction de ces émissions en 2030 devra atteindre - 43 % par rapport à 2005 dans les secteurs soumis au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre au sein de l'Union, la réduction tombant à - 30 % pour les secteurs échappant à ce dispositif.
L'objectif global est de « banaliser les énergies renouvelables » dans un système énergétique permettant à l'Union européenne « de conserver sa position de leader mondial pour les technologies et l'innovation en matière d'énergies renouvelables compétitives, ainsi que pour les systèmes et services énergétiques souples et intelligents ».
La Commission européenne estime que les coûts liés à la transition vers une énergie à faible émission de carbone sont comparables à ceux exigés par le simple renouvellement du système énergétique actuel.
2. La transition énergétique et ses contraintes
a) Au moins 10 % d'interconnexions électriques
(1) L'approche traditionnelle de la sécurité des réseaux électriques
Lorsque la Commission européenne se fixe pour objectif « une nouvelle organisation du marché » énergétique, il s'agit en réalité du seul marché de l'électricité.
Par nature, l'énergie électrique se caractérise par la nécessité de maintenir à tout instant un lien très étroit entre consommation et demande, sauf à risquer un black-out .
La principale difficulté traditionnellement rencontrée par tout réseau électrique est l'insuffisance de l'électricité disponible par rapport aux besoins. Pour en diminuer l'occurrence, la Commission européenne s'est particulièrement penchée en 2012 sur le rapport entre la capacité productive installée dans les États membres de la région « Centre-Sud-est » incluant l'Allemagne, l'Autriche, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie.
Simultanément, la Commission européenne avait vérifié si les connexions entre États membres de cette région seraient en mesure de satisfaire les pics nationaux de demande, ce qui n'était pas systématiquement le cas.
Mais avant même qu'il n'ait été possible de remédier à cette situation au niveau de toute l'Union, l'essor des énergies renouvelables intermittentes (solaire ou éolienne) est venu introduire une nouvelle source de déstabilisation dans les réseaux électriques.
(2) Le bouleversement introduit par les énergies renouvelables intermittentes
Les énergies renouvelables se sont principalement développées sur les territoires de l'Allemagne, qui représente à elle seule un sixième environ de la consommation électrique au niveau de l'Europe à 28.
À concurrence des deux tiers, la hausse de l'énergie électrique d'origine renouvelable produite en Allemagne provient soit du secteur photovoltaïque soit de l'éolien. Elle est donc intermittente, prévisible seulement à court terme et suivant un rythme non maîtrisé.
Ainsi, l'insuffisance éventuelle de la capacité installée par rapport à la demande s'est compliquée avec les variations subies de la production.
Sur le seul plan des réseaux électriques, cette nouvelle cause de déstabilisation conduit à supprimer les critères précédents (adéquation entre capacité et pic de la demande, complété par le ratio capacité des connexions/pic de la demande), pour leur substituer un critère unique fondé sur le seul ratio capacité des connexions/production annuelle. Ainsi, chaque État membre devra disposer de connexions lui permettant de transférer vers les États voisins au moins 10 % de l'électricité produite par ses centrales. Cet objectif est fixé à l'horizon 2020 ; il devrait atteindre 15 % dix ans plus tard.
Un financement spécifique avait déjà été mis en place avant même la communication du 25 février 2015, avec les projets d'infrastructures d'intérêt commun, le coût total de ces chantiers avoisinant 40 milliards d'euros, dont une partie proviendrait des 5,35 milliards destinés aux infrastructures énergétiques au sein du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe entre 2014 et 2020 3 ( * ) . Pour le reste, ces investissements devront être financés via les tarifs de réseau, en attendant la montée en puissance du Fonds européen pour les investissements stratégiques, dont la création a été décidée le 13 janvier 2015.
La Commission européenne estime qu'une parfaite interconnexion des réseaux électriques permettrait aux consommateurs de l'Union d'économiser 12 à 40 milliards d'euros par an, une fois les investissements amortis.
Sur le plan des procédures d'autorisation, la Commission européenne souhaite simplifier le processus afin de de réduire le délai total à seulement 3,5 ans malgré l'instauration de règles nouvelles renforçant la consultation des citoyens. Une seule autorité nationale doit intervenir, à compter du printemps 2015, quatre ans et demi avant l'échéance fixée pour l'objectif de 10 %.
Pour des raisons évidentes d'isolement, Chypre forme un cas particulier ayant conduit la Commission européenne à l'exclure de l'objectif à l'horizon 2020.
L'Espagne en est également dispensée, bien qu'une politique active d'interconnexions soit à l'oeuvre avec la France : une nouvelle ligne sous-marine doublant les capacités d'échange entre ces deux pays a été inaugurée le 20 février 2015. L'obstacle des Pyrénées impose en pratique d'enterrer les lignes ou d'utiliser des liaisons sous-marines comme celle envisagée à l'échéance 2022 entre Bilbao et Bordeaux, ce qui ralentit leur construction pour des raisons purement économiques, alors que les difficultés sont à la fois techniques et économiques pour Chypre.
b) La recherche et l'innovation
Les principaux axes de recherche et d'innovation concernent l'intégration de l'électricité d'origine renouvelable intermittente dans le marché général de l'électricité.
Sans surprise, figurent dans cette rubrique les « réseaux intelligents » permettant de moduler la demande - dans certaines limites - en fonction de la production disponible, ainsi que le stockage de l'énergie.
La contribution financière de l'Union européenne proviendra d'Horizon 2020, le programme-cadre pour la recherche et l'innovation doté de 80 milliards d'euros, qui devra jouer un rôle de catalyseur et de levier.
Bien que le thème ne soit pas technique, la création de marchés de capacité relève de la même orientation.
3. Quelques politiques sectorielles
La raison d'être de ces politiques est la recherche de l'efficacité énergétique, principal moyen de réduire les émissions de gaz carbonique. Tout progrès dans ces directions est éminemment sectoriel.
Les deux principaux axes identifiés dans la stratégie pour l'union de l'énergie sont l'immobilier et les transports routiers.
a) L'immobilier
La Commission européenne part de deux constats : chauffer les bâtiments en hiver et les refroidir en été représente un poste majeur pour la demande d'énergie en Europe ; les bâtiments dont la performance énergétique est particulièrement insuffisante sont ordinairement habités par des personnes à faible revenu, qu'il s'agisse de locataires ou de propriétaires.
Ayant donc identifié un gisement d'efficacité énergétique, la Commission souhaite amplifier les investissements qui tentent à rendre le parc immobilier plus économe en énergie, tout en notant que le thème de la pauvreté conduit à s'en remettre largement aux autorités nationales, qui peuvent à leur choix verser des subventions ou pratiquer des « tarifs de solidarité ». La Commission européenne observe cependant que ce dernier dispositif doit être « convenablement ciblé », de façon à en « maîtriser les coûts supplémentaires résultant pour les clients non éligibles ».
b) Les transports routiers
Le secteur des transports est la deuxième source d'émission de gaz à effet de serre au sein de l'Union européenne, après celui de l'énergie. À eux seuls, les transports routiers représentent 20 % du total des émissions et 80 % de celles imputables à l'ensemble des transports.
Les mesures déjà prises en ce domaine doivent être complétées après la tenue en juin 2015 d'une « conférence des parties prenantes sur la manière de faire progresser la décarbonisation des transports routiers ».
La Commission chiffre à 18 milliards d'euros minimums les économies de carburant réalisées grâce à la transition énergétique au cours des 20 prochaines années.
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Il est prématuré de formuler une opinion définitive sur une stratégie dont tous les aspects restent subordonnés à l'adoption ultérieure de dispositions normatives, souvent précédées par le dépôt de nouveaux rapports.
Néanmoins, il apparaît clairement que les orientations du 25 février 2015 ne paressent pas focalisées sur le défi majeur rencontré par l'industrie européenne aujourd'hui et qui risque de se pérenniser en l'absence de mesures spécifiques : les délocalisations énergétiques vers l'Amérique du Nord, après celles en direction de l'Asie en raison des coûts de la main-d'oeuvre.
Ce risque économique sera d'autant plus sensible que l'approvisionnement en gaz fera la part belle au GNL, dont le prix de revient est inévitablement supérieur au méthane transitant par des gazoducs.
L'accent mis sur la politique climatique est un pari sur l'effet d'entraînement que l'Union européenne pourrait avoir à l'échelle mondiale. Si le pari est perdu, le Vieux continent aura l'impression trompeuse de combattre le réchauffement climatique, mais les gaz à effet de serre progresseront dans l'atmosphère depuis d'autres continents.
L'Europe aura peut-être la conscience tranquille, mais sans industrie.
* 3 Les financements relevant du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) couvrent 3 % environ des investissements nécessaires dans le secteur de l'électricité d'ici 2020.