ANNEXES
I - COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU JEUDI 5 FÉVRIER 2015
La délégation a auditionné, dans le cadre d'une table ronde consacrée à l'accueil des jeunes enfants dans une perspective d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : Mme Mathilde Guergoat-Larivière, maître de conférences en sciences économiques au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et chercheuse associée au Centre d'études de l'emploi, Mme Anne-Claire Mialot, secrétaire générale du Laboratoire de l'Égalité, M. Jérôme Ballarin, président de l'Observatoire de l'équilibre des temps et de la parentalité en entreprises, M. Bernard Fragonard, président du Haut Conseil de la famille (HCF), M. Daniel Lenoir, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), Mme Sylvie Houssin, vice-présidente du conseil général de l'Oise, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF), Mme Élisabeth Laithier, adjointe au maire de Nancy, co-présidente du groupe de travail « petite enfance » de l'Association des maires de France (AMF), Mmes Sylvie Bruel N'Diaye, coordinatrice petite enfance, et Anne-Marie Duny, directrice de l'Action sociale de la ville du Pré-Saint-Gervais, Mme Vanessa Sabathier, responsable des services petite enfance de la communauté de communes Val de Gers, , Mme Caroline Kovarsky, déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC), Mme Sandra Onyszko, chargée de communication de l'Union fédérative des assistants maternels (UFNAFAAM), Mme Vanessa Lahiani, responsable du relais petite enfance « Sur le toit » de la ville de Montreuil-sous-Bois, Mme Nathalie Cambus, animatrice du relais d'assistantes maternelles (RAM) de la communauté de communes du Volvestre, et M. Jean-Rémy Acar, directeur général de la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM).
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Bienvenue à cette première table ronde consacrée aux modes de garde des jeunes enfants.
Le choix de ce sujet a été débattu au sein de notre délégation, car nous souhaitions aborder préalablement la question des familles monoparentales. Mais dans la mesure où un rapport sur les familles monoparentales avait déjà été publié en 2006, nous avons décidé de traiter la question spécifique de la garde d'enfants.
Cette première table ronde sur le sujet est plus particulièrement ciblée sur le travail des femmes, l'égalité professionnelle et les solutions à apporter pour la favoriser. Je ne vous cache pas qu'en tant qu'élue francilienne, je suis régulièrement interpellée par des femmes chefs de familles monoparentales, qui ne trouvent pas de système de garde adapté à leurs contraintes de travail ou à leur situation familiale. Ce sujet nous concerne tous et je suis persuadée que nos échanges seront passionnants.
Nous avons la chance qu'un homme, Cyril Pellevat, ait été désigné rapporteur sur ce sujet. Je l'en remercie et lui cède la parole pour introduire nos discussions.
M. Cyril Pellevat, rapporteur . - Je m'associe aux remerciements de notre présidente, Chantal Jouanno, et je me réjouis des échanges que nous allons avoir aujourd'hui sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur, en tant que jeune père et en tant que maire.
La politique actuelle de développement de l'accueil des jeunes enfants s'inscrit dans un objectif d'égalité que Chantal Jouanno a rappelé.
L'enjeu est aussi économique : selon certaines estimations, on gagnerait 0,5 point de croissance par an pendant dix ans si le taux d'emploi des femmes rejoignait celui des hommes. Or l'un des moyens d'y parvenir est justement de proposer aux familles des solutions d'accueil adaptées à leurs contraintes.
Les mesures mises en oeuvre par l'actuel gouvernement pour développer les solutions d'accueil des jeunes enfants nous intéressent donc à plus d'un titre.
Rappelons-le, l'objectif est de créer en cinq ans 275 000 places supplémentaires pour des enfants de 0 à 3 ans, dont 100 000 places de crèches, 100 000 places chez les assistants maternels et 75 000 places en école maternelle.
Les mesures mises en oeuvre concernent tant les crèches que la profession d'assistant maternel.
Il est d'autant plus important de faire le point sur l'avancement de ce programme que le Haut Conseil à la Famille avait exprimé un doute, au vu du nombre de places de crèches créées en 2013, sur la possibilité de réaliser les objectifs définis.
Le retard pris en 2013 pourra-t-il être rattrapé ? Quels sont les obstacles à surmonter ?
Nous sommes au Sénat où les difficultés des collectivités territoriales sont bien connues. Comment s'articulent les objectifs, d'ailleurs totalement légitimes, du Gouvernement, avec les contraintes financières qui pèsent aujourd'hui sur les communes ? Autre sujet d'importance pour les communes, relatif aux normes qui encadrent la construction de places de crèches, et qu'il est question d'alléger. Où en est-on sur ce point ?
En tant que père, je voudrais aussi souligner que la réussite du « plan crèche » n'est pas qu'une question de statistiques ou de nombre de places : derrière ces chiffres, il y a, ne l'oublions pas, des enfants et des parents qui souhaitent un accueil de qualité.
J'entendrai donc chacune et chacun d'entre vous avec beaucoup d'intérêt.
Pour la bonne organisation de nos débats, je vous remercie de respecter le temps de parole de dix minutes qui vous est imparti. Je suis bien conscient du caractère extrêmement frustrant de cette règle, mais nous pourrons poursuivre ces échanges à l'issue des interventions. Et si vous souhaitiez porter par la suite d'autres éléments à l'attention de notre délégation, vous pourriez par exemple nous adresser des documents écrits.
Mme Mathilde Guergoat-Larivière, maître de conférences en sciences économiques au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et chercheuse associée au Centre d'études de l'emploi . - Je vous présenterai un essai que j'ai publié dans « La vie des idées », en 2013. Cet essai s'appuie lui-même sur un article coécrit avec Christine Ehrel de l'Université Paris I, sur l'emploi des femmes en Europe. Dans cet article, nous présentions une comparaison des politiques de garde et de congés mises en place dans les différents pays européens.
La hausse de l'emploi féminin est un objectif défendu au niveau européen, même si l'Union européenne n'exerce pas en la matière de pouvoir coercitif direct sur les pays membres. La « stratégie de Lisbonne » et la « stratégie européenne pour l'emploi » fixaient l'objectif de porter le taux d'emploi des femmes à 60 % en 2010, un objectif à peu près atteint par la France. La « stratégie Europe 2020 », qui remplace la « stratégie de Lisbonne », affiche quant à elle un taux d'emploi cible de 75 % pour l'ensemble de la population. L'objectif sexué est moins bien défini, mais apparaît dans les lignes directrices de la stratégie.
Au-delà de l'objectif d'égalité, l'Union européenne promeut la hausse de l'emploi des femmes pour au moins deux motifs économiques. Tout d'abord, elle permettrait de pallier les difficultés de financement des systèmes de protection sociale. Dans un contexte de dégradation du ratio des actifs rapportés aux retraités, l'Union européenne incite les États membres à concentrer l'action vers les populations les moins présentes sur le marché du travail, les femmes et les seniors par exemple. Par ailleurs, la hausse de l'emploi féminin est vue comme un moyen de réduire la pauvreté des adultes et des enfants. C'est en effet dans les familles où l'un des deux adultes n'est pas actif et dans les familles monoparentales que l'on observe les taux de pauvreté les plus élevés.
Nous avons pu définir une typologie des « modèles » d'emploi des femmes dans les pays européens. La notion de « modèle » n'est pas entendue au sens normatif. Par cette typologie, nous avons cherché à comprendre la manière dont les institutions et les politiques publiques sont organisées, se complètent et se combinent pour résulter sur des taux d'emploi féminin différents selon les pays. Cette typologie a été construite sur la base des taux d'emploi à temps plein et à temps partiel, et de l'état de développement des différents types de garde en distinguant la garde collective, la garde par arrangement privé (par exemple, le recours à un assistant maternel en France) et la garde informelle. Cette dernière catégorie désigne les gardes réalisées, non pas par les parents, mais par d'autres membres du ménage ou par l'entourage de la famille (grands-parents, voisins, amis).
On distingue tout d'abord le modèle des pays nordiques, où la figure du couple biactif travaillant à temps plein domine. L'État intervient massivement en faveur des structures de garde formelle, notamment collective, et favorise très peu, excepté en Finlande, les congés longs après une naissance.
À l'autre bout du spectre, on trouve les pays méditerranéens, caractérisés par le modèle plus traditionnel du « male breadwinner » (« monsieur gagne-pain ») dans sa version originale, c'est-à-dire où les femmes ne travaillent pas et où les hommes travaillent à temps plein. Des disparités sont néanmoins observées au sein de ces pays : le Portugal tient notamment une place à part. Dans ces pays, plus d'une femme sur deux ne travaille pas. L'emploi à temps partiel est relativement peu développé et les congés maternité et parentaux sont limités. Finalement, les principales options qui s'offrent aux femmes à la naissance d'un enfant sont soit le retrait du marché du travail sans compensation financière significative, soit le recours à la garde informelle.
Les modèles qui prévalent dans les pays continentaux et les pays anglo-saxons correspondent au modèle traditionnel de « monsieur gagne-pain » amendé par le travail à temps partiel des femmes, plus développé dans ces pays. Les modes de garde utilisés sont plus divers, en lien avec des formes diversifiées d'emploi des femmes, certaines femmes travaillant à temps plein, d'autres à temps partiel. On observe ainsi un recours à la garde formelle, mais également informelle. Il est à noter que le coût de la garde est nettement plus élevé dans les pays anglo-saxons que dans les pays continentaux.
Enfin, les pays d'Europe centrale et orientale sont caractérisés par des taux intermédiaires d'emploi des femmes et un temps partiel très peu développé. Ces pays comptent en général sur de longs congés accordés aux femmes après une naissance : les femmes se retirent du marché du travail pour une période pouvant aller jusqu'à trois ans. Les structures de garde des enfants sont quant à elles assez peu développées.
Ces modèles ne sont évidemment pas figés. Des réformes adoptées récemment, notamment dans les pays de l'Est et en Allemagne, les ont fait évoluer de manière assez nette.
Pour mieux comprendre l'écart des situations entre les pays, il est intéressant d'étudier d'une part les caractéristiques individuelles des femmes et, d'autre part, les caractéristiques des politiques publiques qui semblent avoir un effet positif sur l'emploi, et notamment l'emploi à temps plein des femmes.
S'agissant des caractéristiques individuelles, le niveau d'éducation des femmes influe massivement sur l'emploi. Les femmes ayant un plus haut niveau d'éducation ont davantage de chance d'être en emploi et encore plus en emploi à temps plein. En ce qui concerne les liens entre maternité et emploi, on observe que les enfants, selon leur âge, n'ont pas le même effet sur l'emploi de leur mère. En moyenne, en Europe, la présence d'un enfant de moins de 3 ans engendre un retrait du marché du travail, alors que la présence d'enfants plus grands, entre 3 et 6 ans, est davantage associée à l'emploi à temps partiel.
Cet effet négatif pour l'emploi de la présence d'un très jeune enfant varie en ampleur selon les pays. Il est particulièrement marqué dans les pays de l'Est, mais également en Allemagne, en Finlande et en Autriche. De l'autre côté, on identifie des pays dans lesquels l'effet de la présence d'un enfant sur l'emploi de leur mère est relativement limité. Ces pays sont en réalité de deux types : on trouve, d'une part les pays dans lesquels l'emploi des femmes est déjà faible (pays du Sud notamment) et, d'autre part, les pays qui connaissent un taux d'emploi des femmes relativement élevé et qui parviennent à maintenir un taux d'emploi des mères assez proche de celui des femmes en général. C'est le cas de la Norvège, du Portugal et des Pays-Bas.
S'agissant maintenant des politiques publiques, nous avons observé une corrélation positive entre le développement de la garde formelle et l'emploi des mères de jeunes enfants, mais plus généralement l'emploi des femmes dans leur ensemble. Cette corrélation suggère l'existence d'un « effet de carrière » : le fait d'avoir favorisé l'emploi des femmes au moment où elles étaient mères de jeunes enfants produit un effet plus large sur l'emploi des femmes en général.
En revanche, le développement de la garde informelle dans les pays européens est plutôt lié à une inscription plus faible des femmes sur le marché du travail. Ce lien suggère un « effet de substitution » : la garde informelle étant en général assurée par d'autres femmes, elle n'est finalement pas favorable à l'emploi des femmes dans leur ensemble, même si elle peut parfois pallier partiellement l'absence de garde formelle.
Enfin, notre étude n'a pas permis de détecter de corrélation positive entre la durée des congés et l'emploi des femmes.
Pour conclure en ce qui concerne les politiques publiques, l'augmentation du niveau d'éducation des femmes semble être une première piste à explorer, en raison de la corrélation positive entre niveau d'éducation et taux d'emploi, notamment à temps plein. Le développement de la garde formelle tend à accroître l'emploi des femmes, tandis que le développement de la garde informelle semble le réduire.
Enfin, l'augmentation des taux d'emploi féminins ne peut s'envisager sans une réflexion sur la qualité de l'emploi des femmes. Le développement du temps partiel, notamment subi, des femmes en Europe pose question. L'Union européenne défend un objectif de qualité de l'emploi, mais lorsqu'il s'agit des femmes, cet objectif est parfois masqué par un objectif de conciliation. Or, le temps partiel offre en moyenne une moindre qualité de l'emploi, et se traduit aussi par des droits sociaux réduits à court et long termes.
Mme Anne-Claire Mialot, secrétaire générale du Laboratoire de l'Égalité . - Le Laboratoire de l'Égalité a été créé en 2010 dans l'objectif de renforcer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Dès le premier acte fort du Laboratoire de l'Égalité en 2011, l'élaboration du Pacte pour l'égalité, la question des modes d'accueil s'est inscrite au coeur de ses revendications.
Le Pacte pour l'égalité comprenait vingt mesures concrètes pour développer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, articulées autour de quatre axes : la parité et l'égalité d'accès des femmes aux responsabilités, l'égalité salariale et la lutte contre la précarité, la conciliation des temps de vie et l'implication des hommes dans la vie familiale et le partage d'une culture de l'égalité.
Nous croyons que le développement de l'égalité professionnelle ne se résume pas à des actions sur l'organisation du travail, mais interroge tant l'ensemble de l'organisation de la société que l'articulation entre la vie privée et la vie professionnelle, mais également la culture de l'égalité. Encore aujourd'hui, les femmes consacrent deux fois plus de temps que les hommes aux tâches domestiques. Si la résolution de cette question peut passer par l'action publique, notamment en allouant des moyens pour la garde des enfants, elle nécessite également une évolution des mentalités.
Agir sur les modes d'accueil des jeunes enfants est pour nous une nécessité absolue si l'on entend faire progresser l'égalité professionnelle. Il convient de s'assurer que toutes les femmes qui souhaitent travailler le puissent. C'est d'autant plus fondamental pour les femmes âgées de 30 à 45 ans. Dans cette période, qui représente un moment clé dans la carrière d'un individu, mais qui est aussi celle où les femmes ont des enfants, il est essentiel qu'elles ne soient pas happées par les tâches familiales et domestiques.
Or les faits sont là. Le taux d'activité des femmes chute fortement avec le nombre d'enfants alors que celui des hommes varie peu. Si le taux d'activité des femmes a régulièrement progressé depuis 1975, pour s'établir à 84 % aujourd'hui, les hommes conservent un taux d'activité nettement supérieur, de l'ordre de 96 %. Seules 40 % des femmes sont encore en activité lorsqu'elles ont trois enfants. Le taux d'emploi des pères varie peu selon le nombre d'enfants, s'établissant à 92 % lorsqu'ils ont deux enfants et à 87 % lorsqu'ils en ont trois.
Certaines études montrent même que le temps consacré par les pères aux tâches familiales et domestiques diminue avec le nombre d'enfants. Très souvent, la mère est beaucoup plus présente à la maison et le père s'implique moins.
Le taux d'emploi à temps plein varie lui aussi selon le nombre d'enfants. Ainsi, 23 % des mères en emploi avec un enfant le sont à temps partiel, contre 52 % des mères de trois enfants. L'effet de la présence d'enfants est ici significatif. Or nous le savons, l'emploi à temps partiel n'est pas toujours facilitateur dans le cadre des carrières des femmes.
Certains pourraient penser que cette chute du taux d'emploi des femmes est le résultat de choix individuels d'organisation de la cellule familiale. Néanmoins, ces choix peuvent être influencés positivement ou négativement par les politiques familiales mises en place, comme nous l'avons vu dans l'exposé précédent dans un panorama européen.
En France, une étude récente de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) révèle que le taux d'activité des femmes mères de deux enfants, dont le plus jeune a moins de trois ans, a fortement progressé entre 1975 et 1994, de 25 points, puis a chuté brutalement en 1994, de 15 points. Cette chute coïncide avec l'extension de l'allocation parentale d'éducation, votée en juillet 1994, qui a entraîné un retrait massif des femmes du marché du travail. Une action de politique familiale peut ainsi produire un impact très significatif sur le taux d'activité des femmes.
Une étude de l'Observatoire national de la petite enfance publiée en 2014 s'est intéressée aux motifs du recours au complément de libre choix d'activité (CLCA), complément de revenu versé à une personne qui choisit de rester à domicile pour s'occuper de ses enfants. Je rappelle qu'une femme sur deux a réduit son activité après la naissance d'un enfant, contre un homme sur neuf. Au-delà de la volonté de prendre soin de leurs enfants, les raisons du recours au CLCA mentionnées par les femmes sont les suivantes : le coût des modes de garde pour 33 % des femmes interrogées, l'absence de modes de garde à proximité pour 17 % des femmes, l'incompatibilité entre les horaires de travail et ceux du service d'accueil pour 17 % d'entre elles.
La question du mode d'accueil des enfants joue donc un rôle important dans le choix des femmes de recourir au CLCA.
Une récente étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) indique que 37 % des mères se déclarent limitées dans leur recherche d'emploi par la question des modes d'accueil, contre seulement 8 % des pères. Sur la population bénéficiaire de minima sociaux, 67 % des femmes justifient leur retrait du marché du travail par la difficulté posée par la garde des enfants. C'est particulièrement le cas pour les familles monoparentales, dont 90 % des chefs de famille sont des femmes. Celles-ci rencontrent de grandes difficultés pour confier leur enfant lorsqu'elles recherchent un retour à l'activité, en raison de l'insuffisance des structures d'accueil dans un certain nombre de territoires.
Ces quelques exemples soulignent l'influence des politiques familiales sur les choix d'activité des femmes, la charge de l'éducation des enfants reposant encore principalement sur les mères.
Il est donc urgent de développer les modes d'accueil tant pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes que pour ne pas priver la société de compétences que les jeunes filles acquièrent aujourd'hui tout autant que les garçons pendant leurs études secondaires et universitaires. Des études économiques montrent que le développement de l'emploi féminin sera nécessaire pour répondre au choc générationnel que nous connaîtrons dans les dix années à venir lors du départ à la retraite des générations du baby-boom .
Hyppolite d'Albis, un économiste de l'École d'Économie de Paris - Paris school of economics qui travaille avec le Laboratoire de l'Égalité, souligne que les politiques familiales permettant aux femmes de concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale sont celles qui ont le plus d'impact sur leur activité économique. La combinaison d'un congé parental court et bien rémunéré et d'une offre appropriée de garde pour les jeunes enfants a fait preuve de son efficacité. Les études soulignent qu'elle encourage la natalité, mais permet surtout de réduire les inégalités en favorisant le retour à l'emploi des jeunes mères. A l'inverse, les allocations et réductions d'impôts, notamment via les quotients conjugaux et familiaux, réduisent la participation des femmes au marché du travail. Les études comparatives sur ces questions aboutissent presque toutes à la même conclusion.
Or aujourd'hui, malgré une augmentation significative du nombre de places d'accueil des jeunes enfants en France, six enfants de moins de trois ans sur dix sont gardés la majeure partie du temps par leurs parents et donc bien souvent par leur mère. Il existe aujourd'hui un potentiel de 54 places d'accueil pour 100 enfants de moins de trois ans en France, mais l'offre est très inégale, allant de 17 à 97 places pour 100 enfants selon les territoires.
Face à cette situation, le Laboratoire de l'Égalité demande le respect des objectifs de la Convention d'objectifs et de gestion (COG) et la mise en oeuvre du plan ambitieux que M. Pellevat a rappelé.
Par ailleurs, nous recommandons plusieurs actions concrètes.
Tout d'abord, nous préconisons de basculer un point d'allocation individuelle à la famille vers la création de places d'accueil. Aujourd'hui, la France consacre 4 % de son PIB à la politique familiale, voire 5 % si l'on y ajoute les droits familiaux à la retraite. L'argent est là, mais il est possible qu'il soit mal orienté. Une réorientation d'une partie des fonds affectés aujourd'hui au financement d'allocations individuelles qui favorisent le retrait des femmes du marché du travail vers les modes d'accueil serait pertinente.
Nous recommandons en outre de :
- cibler les crédits sur les territoires les moins dotés en places d'accueil afin d'aider les collectivités locales ;
- créer un fonds d'investissement public-privé destiné exclusivement au financement des dispositifs d'accueil des jeunes enfants ;
- engager une campagne de sensibilisation et de communication sur le métier des assistants et assistantes maternels (nous insistons sur le fait que les hommes peuvent aussi exercer cette profession) ;
-professionnaliser le métier d'accueil des jeunes enfants à domicile ;
- encourager la préscolarisation des enfants, dès 2 ou 3 ans.
En conclusion, le développement des modes d'accueil est indispensable pour permettre aux femmes et aux hommes de travailler. Au-delà des femmes, c'est bien de l'implication des pères dans la vie familiale dont il est question pour favoriser l'égalité professionnelle. La charge symbolique de l'éducation des enfants devrait reposer sur les deux parents, seule garantie d'une bonne articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale, nécessaire à l'égalité au travail.
M. Jérôme Ballarin, président de l'Observatoire de l'équilibre des temps et de la parentalité en entreprise . - L'Observatoire de l'Équilibre des temps et de la parentalité en entreprise a été créé en 2008. Il regroupe près de 30 000 employeurs. Environ cinq millions de salariés travaillent aujourd'hui dans des entreprises signataires de la Charte de la parentalité en entreprise .
Je replacerai le sujet de l'accueil des jeunes enfants dans la problématique plus large de la stratégie des entreprises pour aider leurs salariés à concilier vie professionnelle et vie personnelle.
Permettez-moi avant toute chose de rappeler quelques chiffres. Aujourd'hui dans nos enquêtes (nous animons notamment un baromètre annuel), nous observons que trois salariés sur quatre estiment que leur employeur ne fait pas grand-chose pour les aider à équilibrer leurs temps de vie. Par ailleurs, quatre femmes sur dix se disent « stressées » à l'idée d'annoncer leur grossesse à leur responsable hiérarchique. Enfin, un quart des salariés estiment être davantage évalués sur leur temps de présence dans l'enceinte de l'entreprise que sur l'efficacité de leur travail.
Je vous proposerai un panorama des bonnes pratiques que les employeurs peuvent mettre en oeuvre pour aider les salariés en général et les salariés parents en particulier à équilibrer leurs temps de vie. Nous avons identifié cinq catégories d'actions.
La première catégorie regroupe les services qui facilitent le quotidien des salariés : y figurent les crèches d'entreprise, les conciergeries d'entreprise ainsi que la mise à disposition de professionnels de l'enfance dans les murs de l'entreprise (permanence de pédiatres par exemple). En ce qui concerne les crèches, l'Observatoire a édité, en partenariat avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC), l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) et le ministère en charge de la famille, un guide à destination des employeurs. Ce guide vise à leur expliquer comment mettre en place des solutions d'aide pour l'accueil de jeunes enfants. Il présente les différents types de structures, notamment les crèches d'entreprise et les crèches en réseau, qui offrent un accueil à proximité du domicile des parents. Le guide aborde également la question des modes de financement, en expliquant par exemple aux employeurs que le financement d'un berceau dans une crèche est tout à fait abordable et peut s'inscrire dans une optique de fidélisation de jeunes talents.
La deuxième catégorie d'actions concerne le soutien financier. Je citerai notamment la compensation du salaire pour les hommes qui prennent leur congé paternité. Les retours d'expérience d'entreprises telles qu'AXA et BNP Paribas montrent que la compensation a conduit à accroître significativement le nombre de jeunes pères prenant leur congé paternité. Ce soutien financier est important, dans la mesure où les plafonds de prise en charge par la sécurité sociale sont vite atteints. Au titre de cette catégorie d'actions, figurent également la distribution de chèques emploi service universels (CESU) pour financer les services de garde, ainsi que la mise à disposition de prestations des mutuelles avantageuses pour les familles.
La troisième catégorie d'actions concerne l'organisation du travail. D'après les enquêtes que nous menons, ce sujet est l'objet de demandes grandissantes par les salariés. La première mesure que je citerai tient à des règles de vie au quotidien assez simples, telles qu'éviter les réunions tôt le matin ou tard le soir. Nous travaillons par ailleurs, depuis plusieurs années, sur le développement du télétravail. Nous avons réalisé un guide sur la question recensant toutes les bonnes pratiques en la matière et expliquant la marche à suivre aux entreprises qui souhaitent se lancer dans la démarche. En termes d'égalité professionnelle et d'implication des hommes dans la vie familiale, le télétravail apparaît être une forme d'organisation particulièrement intéressante. À la différence du temps partiel, le recours au télétravail est encore non « genré ». Dans des entreprises telles que SFR ou Renault, la moitié des télétravailleurs sont en effet des hommes. Cette proportion atteint deux tiers dans certaines entreprises. Le télétravail ramène les hommes dans leur foyer : des hommes qui partaient très tôt le matin et rentraient très tard le soir peuvent désormais terminer vers 18 heures et participer ainsi à la vie de la famille. L'Observatoire travaille également sur la situation particulière des familles monoparentales, et au-delà, sur une diversité de situations de parentalité. Le guide sur la « parentalité à 360 degrés » traite ainsi de la question des parents de jeunes enfants, des parents d'adolescents, de l'homoparentalité, de la monoparentalité, ainsi que des aidants familiaux. En termes d'organisation du travail, beaucoup de progrès restent à accomplir pour accompagner les salariés dont un proche, un parent par exemple, est en situation de dépendance.
La quatrième catégorie d'actions porte sur le management. J'ai abordé cette question en évoquant les femmes qui se disent stressées en annonçant leur grossesse à leur manager. Des actions doivent être mises en place pour sensibiliser les managers au respect de la vie personnelle de leurs collaborateurs.
Enfin, la cinquième catégorie d'actions concerne le « management de soi ». Il s'agit de réintroduire un principe de coresponsabilité car, in fine , le salarié reste responsable de son équilibre de vie. Nous observons des cas de pression professionnelle forte, conduisant certains salariés à oublier les règles de base d'hygiène de vie personnelle. Les employeurs peuvent ici aussi mener des actions pour outiller les salariés, en sollicitant par exemple l'intervention de médecins ou de professionnels du sommeil. Par ailleurs, nous encourageons le développement de « bilans d'équilibre de vie », analogues aux bilans de compétences, qui permettent aux salariés, avec l'aide d'un professionnel, de prendre du recul sur ces questions. Ce sujet nouveau nous semble important, y compris en ce qui concerne la place des femmes dans l'entreprise. Au retour de congé maternité, une femme peut avoir besoin de faire le point et d'échanger sur son environnement professionnel et ses priorités dans la vie.
Au sein de l'Observatoire, une conviction forte nous guide. S'il y a 30 ans, la réussite au féminin était la réussite familiale et la réussite au masculin était la réussite professionnelle, en 2015, tous les individus aspirent désormais à la réussite sur une pluralité de sphères d'épanouissement, qu'elles soient professionnelle, familiale, artistique, spirituelle ou sportive, car chacun définit sa propre partition du bonheur et de l'équilibre.
Cette conviction est essentielle, à plusieurs titres.
Tout d'abord, il convient de démontrer à l'employeur le lien qui existe entre équilibre de vie et performance au travail. Dans un contexte de stress et de fatigue croissants, où les salariés sont en perte d'énergie et donc d'efficacité, l'employeur qui crée un environnement favorable à l'épanouissement bénéficiera d'un retour sur investissement. Un salarié équilibré sera en effet plus créatif, plus engagé et plus contributif pour l'entreprise.
Par ailleurs, la question de l'équilibre de vie aide bien évidemment les femmes, qui du fait de la persistance de pesanteurs culturelles, restent bien souvent en charge des tâches domestiques et familiales. Elle est importante pour les hommes également. Les enquêtes auprès des jeunes et des moins jeunes générations soulignent une aspiration forte des hommes à cet équilibre.
La notion d'équilibre de vie nous semble être un vecteur de motivation des hommes à améliorer la place des femmes dans l'entreprise. Une meilleure intégration des femmes dans la vie professionnelle contribue à construire l'entreprise de demain, plus sereine et plus équilibrée en termes culturel, organisationnel et managérial. Cette notion d'équilibre permet par ailleurs de s'affranchir de deux leviers, trop communément activés, pour améliorer la place des femmes dans la vie professionnelle : la culpabilisation des hommes et le « politiquement correct ». Cette notion constitue un levier de motivation beaucoup plus intrinsèque.
En 2012, l'Observatoire a remis un rapport au Gouvernement sur l'implication des hommes en faveur de la parentalité et de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce rapport reprend des exemples de bonnes pratiques et propose dix idées pour favoriser l'égalité, dont deux ont été retenues dans le cadre de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
La loi prévoit tout d'abord la création d'une protection juridique anti-licenciement pour les jeunes pères. Alors que l'emploi des femmes est « sanctuarisé » pendant près d'un an suite à l'annonce d'une grossesse, aucune disposition n'était auparavant prévue pour les pères. Aujourd'hui, par cette loi, un employeur ne peut plus licencier un père pendant les quatre semaines suivant la naissance de son enfant. Cette mesure, peu coûteuse, est avant tout d'ordre symbolique : elle valorise la paternité active.
Par ailleurs depuis l'adoption de la loi du 4 août 2014, les futurs pères bénéficient d'une autorisation d'absence pour se rendre, avec leur compagne, aux examens médicaux prénataux. En matière de parentalité comme ailleurs, les bonnes habitudes se prennent très tôt. Il est essentiel de permettre aux pères de s'impliquer dès la grossesse, en assistant par exemple aux cours de préparation à la naissance dans les maternités, où ils apprennent comment nourrir et baigner un nouveau-né ou comment réagir lorsqu'il est fiévreux. Cela permet par ailleurs aux femmes d'être plus à l'aise pour laisser leur nouveau-né à la charge du père.
L'Observatoire s'est beaucoup impliqué dans la réforme du congé parental. Je signale également que nous expérimentons, à travers un partenariat avec le ministère chargé des Droits des femmes, un dispositif de conversion des droits acquis par les salariés dans le cadre d'un compte épargne temps en CESU, pour financer les services à la personne. Ce dispositif sera prochainement lancé officiellement et élargi.
Je terminerai en citant deux actions inscrites dans le rapport de l'Observatoire, qui pourraient donner lieu à des réflexions au même titre que les articles que j'ai évoqués.
Nous pourrions imaginer en premier lieu un élargissement du crédit impôt famille à des actions autres que celles qui concernent l'accueil des jeunes enfants. Par exemple, il pourrait appuyer les actions mises en place par les entreprises en faveur du télétravail ou financer des places dans des « télécentres interentreprises » ou dans des espaces de « coworking », permettant aux salariés de travailler à proximité de leur domicile. Le développement de telles structures sur l'ensemble du territoire représenterait en outre un gisement de création d'emplois.
En second lieu, il serait intéressant d'orienter les fonds de formation des organismes paritaires collecteurs agréés vers des actions de formation des managers au respect de la vie personnelle de leurs collaborateurs.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous avez évoqué, Mme Guergoat-Larivière, la garde informelle. Pouvez-vous préciser ce qu'elle recouvre ?
Mme Mathilde Guergoat-Larivière . - Les modes de garde informelle désignent les gardes effectuées par des membres du ménage ou des proches (famille, voisins), autres que les parents.
Mme Michelle Meunier . - La garde informelle est donc une garde non déclarée ?
Mme Mathilde Guergoat-Larivière . - Effectivement.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Avez-vous une idée de la proportion de ces modes de garde, qui font appel, me semble-t-il, à un travail que l'on peut qualifier de « dissimulé » ?
Mme Mathilde Guergoat-Larivière . - La garde informelle peut prendre différentes formes. Il peut s'agir par exemple d'une aide, d'une solidarité, potentiellement compensée par d'autres actions. Je pourrai vous communiquer des données sur la garde informelle. Elles doivent néanmoins être considérées avec précaution, dans la mesure où les parents peuvent combiner différents modes de garde, formelle et informelle.
Mme Michelle Meunier . - Nous partageons les constats posés, tant sur la forme du travail des femmes que sur l'implication nécessaire de tous pour mieux équilibrer la charge nourricière et éducative historiquement endossée par les femmes. Certaines mesures que vous proposez me semblent aller dans le bon sens.
La réalité dans le monde de l'entreprise se situe parfois bien loin des bonnes pratiques que vous évoquez. Je pense à certaines entreprises qui cherchent à susciter l'intérêt des jeunes femmes pour la conservation de leurs ovocytes. Sans porter de jugement sur ces techniques biomédicales, je trouve inquiétant que des entreprises, pour conserver les compétences des professionnelles, préfèrent faire reculer la maternité pendant quelques années, plutôt que développer d'autres solutions, notamment d'accueil des jeunes enfants dans des conditions choisies par les parents.
M. Jérôme Ballarin . - Je partage votre point de vue. Pour nous, l'organisation par les entreprises de la congélation d'ovocytes est une monstruosité. Nous faisons tout pour que les initiatives de ce type, proposées par des entreprises telles qu' Apple et Facebook dans la Silicon Valley , ne voient pas le jour en France. Elles sont à l'opposé du projet humaniste que nous souhaitons porter pour l'entreprise.
En outre, de telles pratiques ne sont pas sans conséquences pour les femmes. Reportée de plusieurs années, la grossesse peut ne pas se dérouler dans des conditions aussi bonnes que lorsque la femme est plus jeune. Ces pratiques traduisent également la pression psychologique exercée par certaines entreprises, des « Big Brother » qui vont jusqu'à dessiner le projet de vie de leurs salariés à leur place.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - La question qui nous préoccupe aujourd'hui recouvre deux sujets : d'une part le sujet des politiques publiques relatives à l'arrivée d'un enfant, plus particulièrement le congé parental et, d'autre part, celui du mode de garde. Lequel de ces deux aspects a le plus d'impact sur l'égalité professionnelle ?
Vous avez cité les effets contre-productifs pour l'égalité professionnelle de certaines allocations individuelles, qui pouvaient, dites-vous, inciter au retrait du marché du travail. Je perçois deux manières de mettre en oeuvre les mesures que vous recommandez. La première consisterait à allouer une somme d'argent aux parents, à travers un crédit d'impôt par exemple, et de les laisser choisir le mode de garde qui leur convient. La seconde consisterait en une prise en charge des modes de garde, essentiellement collectifs, par les pouvoirs publics. Quelle solution serait selon vous la plus efficace ?
Mme Anne-Claire Mialot . - Je répondrai à vos deux questions de manière « qualitative », mais je pourrai également vous orienter vers des économistes qui ont travaillé sur le sujet et qui pourront certainement vous apporter des réponses chiffrées d'un point de vue économétrique.
Le Laboratoire de l'Égalité a toujours soutenu des solutions combinant d'une part des congés parentaux courts et partagés entre les femmes et les hommes et, d'autre part, des solutions d'accueil des jeunes enfants. L'éloignement des femmes du marché du travail rend compliquée leur réinsertion dans la vie professionnelle. Bien évidemment, nous considérons que le congé maternité et le congé paternité sont essentiels. Le congé paternité favorise notamment l'implication du père, comme l'indiquait Jérôme Ballarin. En ce qui concerne le congé parental, si la loi votée cet été va dans le bon sens, nous militions pour l'adoption de mesures plus fortes. Nous préconisons ainsi un raccourcissement de sa durée à un an, une meilleure rémunération et un meilleur partage entre le père et la mère.
J'en viens à la question des allocations individuelles. Au sein de la politique familiale, des sommes importantes sont affectées au quotient familial, à la compensation des droits familiaux à la retraite, ainsi qu'aux allocations pour le congé parental. Si ces allocations peuvent effectivement avoir un effet sur la natalité (bien que l'on choisisse d'avoir des enfants avant tout parce que l'on en a envie), Hyppolite d'Albis et d'autres économistes soulignent leurs effets négatifs sur l'intégration des femmes sur le marché du travail. Cet effet a d'ailleurs été souligné au niveau européen par Mathilde Guergoat-Larivière. Je vous renvoie aux travaux de nombreux économistes, notamment de Thomas Piketty sur le quotient familial, soulignant que le coût marginal du travail des femmes, incluant le coût des modes d'accueil des enfants, est trop élevé par rapport à ses bénéfices marginaux.
À l'inverse, investir dans les modes d'accueil qui permettent une conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle des femmes et des hommes renforce clairement le taux d'activité des femmes. À coût constant, si les sommes allouées étaient redirigées vers le développement des modes d'accueil, nous serions en capacité de favoriser le travail des femmes ce qui, d'après certains économistes, générerait 0,5 point de croissance
Mme Chantal Jouanno , présidente . - Avez-vous analysé l'impact de telles mesures par mode de garde ?
Mme Anne-Claire Mialot . - Nous n'avons pas produit d'analyse spécifique, mais ne détectons pas, a priori , de différences entre les modes de garde s'agissant de l'impact sur l'activité des femmes.
Pour autant, il convient de tenir compte de différents aspects, qui tiennent notamment aux horaires d'ouverture, à la qualité de l'accueil et à la sécurité des enfants. Sylviane Giampino, l'une de nos pédopsychiatres, insiste beaucoup sur l'importance de la qualité des modes d'accueil afin que les parents soient en confiance et puissent retourner travailler sereinement. Cela implique de privilégier des structures collectives ou des structures individuelles dans lesquelles les personnes qui gardent les enfants soient formées et professionnalisées. L'enjeu porte ainsi davantage sur la qualité de l'accueil que sur le mode d'accueil en lui-même.
M. Bernard Fragonard, président du Haut Conseil de la famille (HCF) . - Les politiques publiques d'accueil des jeunes enfants dans notre pays ont souvent suivi deux philosophies différentes. La première tend à considérer qu'il est naturel, souhaitable ou admis que les parents, et plus fréquemment la mère, puissent s'arrêter de travailler plus ou moins durablement lorsqu'ils ont un enfant en bas âge. La seconde considère qu'il est du rôle des politiques publiques de favoriser un profil d'activité des mères aussi proche que possible de celui de leurs homologues masculins.
Ces deux lignes se sont exprimées dans notre histoire politique et se sont croisées. La première ligne est aujourd'hui en régression, car les outils placés à son service sont eux-mêmes en régression. Nous constatons en effet une restriction du champ des dispositifs de type « CLCA-PréPare » (Prestation partagée d'éducation de l'enfant). Par ailleurs, la valeur de la prestation attribuée au parent qui cesse de travailler ou est inactif diminue de façon constante. En effet, les prestations familiales telles que l'allocation de salaire unique à l'époque, l'allocation parentale d'éducation (APE), le CLCA et, à terme, la PréPare sont indexées sur les prix. Leur signification économique par rapport à un salaire se dégrade donc mécaniquement.
Nous sommes donc bien en présence d'une politique volontaire et assez systématique qui tend à cantonner cette première ligne politique, en contenant le système de bonification des arrêts de travail. La plupart des propositions aujourd'hui sur la table, même si elles ne sont pas votées ou admises à ce jour, vont bien dans ce sens lorsqu'elles prônent par exemple un raccourcissement du congé parental. Je tiens à souligner que cette conception, la plus évoquée notamment dans les milieux féminins, n'est pas totalement actée dans la société. Certains mouvements familiaux et politiques considèrent au contraire que le fait de contenir les congés et les indemnisations serait une erreur.
Historiquement, une politique dynamique et continue menée par les différents gouvernements, a essayé de faciliter la vie professionnelle des parents, notamment des mères de famille, en développant les modes d'accueil. Il s'agit de la deuxième ligne politique décrite plus tôt.
Aucune construction institutionnelle n'organise de façon obligatoire et systématique l'accueil des jeunes enfants. Il revient à la société, et plus particulièrement aux acteurs locaux (communes, associations, entreprises), de s'emparer des outils qui sont mis à leur disposition. Néanmoins, l'organisation des modes d'accueil n'est l'objet d'aucune obligation de résultat. Comme l'indiquait Jérôme Ballarin, il existe des outils à disposition des entreprises pour concilier la vie professionnelle et la vie privée. Pour autant, ces outils restent à mon sens très faiblement employés. Jérôme Ballarin préconisait par exemple l'élargissement du crédit impôt famille. Avant de l'améliorer, il conviendrait déjà que les acteurs s'en emparent sur le champ actuellement couvert, et notamment sur les modes de garde. Si ces outils ont fait preuve de leur utilité (le crédit impôt famille est ainsi à l'origine d'une forte poussée des crèches d'entreprise), ils restent globalement sous-dimensionnés au regard des besoins globaux de garde. Certaines entreprises sont érigées en exemple, mais la réalité du terrain montre qu'il revient encore aux collectivités publiques d'organiser l'accueil et la garde des jeunes enfants.
Nous disposons aujourd'hui de quatre systèmes de garde : les établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE), les assistants maternels, l'école et la garde au domicile des parents.
En ce qui concerne les EAJE, qui recueillent la préférence des Français, la politique publique cherche à développer l'offre et à en assurer l'accessibilité et la qualité. Pourtant, dès lors qu'aucune collectivité n'est formellement tenue de développer des EAJE, aucune compétence n'est attribuée et normée. Je souligne à ce titre que jamais nous n'aurions pu développer l'École de la République si l'État n'avait pas imposé aux communes la création d'écoles. Aujourd'hui, en l'absence d'obligation, l'État propose aux entreprises et aux collectivités, des moyens financiers pour qu'ils développent les EAJE. Cette politique, actée par le contrat « crèches » de 1982, est progressivement amendée et améliorée. Pour développer l'offre de crèches, en l'absence d'obligation, l'État bonifie l'offre financière allouée aux acteurs qui créent des établissements. Ces prestations sont majoritairement portées par la branche « Famille ».
En tout état de cause, les moyens alloués ne sont pas du tout à la hauteur de ce que certains souhaiteraient et la réussite de cette politique est modérée. Les objectifs de la dernière COG ont été atteints, mais nous ne sommes pas convaincus qu'il en sera de même pour la COG actuelle. La véritable question est de savoir s'il conviendrait de changer de paradigme, en augmentant l'offre financière. Cette option me semble la plus souhaitable. Nous avons d'ailleurs élaboré des propositions en ce sens qui nous semblent raisonnables, mais tout dépendra de la capacité à mobiliser des fonds.
La politique d'offre contractuelle en vigueur, dans laquelle s'inscrivent les territoires qui le décident, génère des disparités géographiques importantes. Le développement des EAJE dépend des équilibres qui régissent les territoires et des choix des élus. Nous ne disposons d'aucun instrument qui nous permettrait d'atténuer ces disparités. Les incitations financières ne peuvent produire que des résultats à la marge.
Une autre piste consisterait à obliger, ou du moins encourager, les collectivités locales à une planification des EAJE. Sur ce point, nous avons toujours échoué. Le projet de schémas territoriaux, que j'ai porté au Sénat avec Mme Veil, a par exemple été rejeté sur le principe de la souveraineté des collectivités locales. Si depuis toujours les gouvernements successifs reprennent l'idée de réaliser des schémas territoriaux, ceux-ci ne sont jamais opposables. Nous verrons si la nouvelle génération des schémas territoriaux rencontre davantage de succès.
Ainsi, l'offre en matière d'EAJE ne se développe pas à un rythme suffisant, car les outils juridiques et financiers ne sont pas à la hauteur des enjeux.
L'objectif d'accessibilité recouvre deux aspects essentiels : l'accessibilité financière et l'accessibilité sociale. En matière d'accessibilité financière, je considère que la politique est efficace. Le taux d'effort des familles me semble tout à fait raisonnable et il n'y a pas lieu aujourd'hui d'investir davantage pour diminuer le reste à charge des familles. Le coût des crèches est supporté à 88 % environ par des fonds publics. Le reste à charge des ménages après crédit d'impôt étant lié à leur revenu, même les familles modestes peuvent accéder aux EAJE dans des conditions raisonnables. En matière d'accessibilité sociale, nous sommes engagés dans une politique de promotion d'accès des publics fragiles aux EAJE : familles monoparentales, enfants handicapés, familles vivant dans un contexte social dégradé. Cette politique fonctionne. L'accessibilité sociale ne constitue pas le point noir de nos politiques, bien au contraire.
Pour conclure sur les EAJE, j'indiquerai que les politiques vont dans le bon sens. Pour autant, les limites objectives et juridiques sont telles qu'il est difficile d'envisager une accélération significative du rythme de création des établissements.
J'évoquerai à présent les assistants maternels. La politique menée en la matière est simple, en ce qu'elle se résume à « solvabiliser » le marché. Le marché des assistants maternels est un marché libéral et l'essentiel de la politique publique vise à le rendre accessible sur le plan financier. Il convient de souligner que ce mode de garde revient plus cher que la crèche aux familles qui y ont recours. Au regard du reste à charge des familles recourant aux assistants maternels, la solvabilité assurée par les prestations familiales est très insuffisante. À cet égard, nous avons proposé de redéfinir entièrement le barème de participation des familles.
Ce mode de garde soulève par ailleurs des enjeux d'ordre qualitatif, qui restent difficilement portés à ce jour. Ils recouvrent en particulier la qualité de l'agrément, la formation professionnelle et la vie collective des assistants maternels à travers les Maisons d'assistants maternels (MAM) et les Relais d'assistants maternels (RAM). En termes d'effectifs et de dépenses consenties, le recours à l'assistant maternel reste le mode d'accueil le plus développé. Globalement, avec une politique plus résolue, il serait certainement possible d'obtenir de meilleurs résultats sans bouleverser radicalement les équilibres financiers de la politique familiale.
Le troisième mode de garde est l'école. Les politiques publiques ont poussé la scolarisation des enfants de 2 ans et demi à 3 ans. La scolarisation des jeunes enfants a atteint un pic en 2002, puis s'est écroulée entre 2002 et 2012 pour des raisons complexes. En posant un objectif de 75 000 places supplémentaires, le Gouvernement actuel cherche aujourd'hui à reconquérir une partie du terrain perdu. La conception du Gouvernement est néanmoins particulière : il ne s'agit pas de développer le taux global de recours à ce mode de garde, mais de le développer au profit de zones jugées fragiles. Cette politique sociale volontariste explique que l'essentiel des moyens dans la période à venir devrait être placé sur les zones urbaines et rurales en difficulté.
Enfin, le dernier mode de garde formel est la garde au domicile des parents, qui ne représente qu'un faible segment, mais se développe, y compris dans des territoires qui à l'origine considéraient qu'il n'était pas pertinent d'allouer des fonds publics pour l'encourager. À Paris par exemple, l'allocation « Paris Petit à Domicile » (PAPADO), qui complète les crédits publics (crédit d'impôt et CAF), a été mise en place pour compenser la pénurie d'assistants maternels et l'insuffisance des EAJE.
En conclusion j'indiquerai que la performance des politiques publiques en France relatives à l'accueil de jeunes enfants est relativement satisfaisante en comparaison avec nos pays voisins. Pour autant, il reste du chemin à parcourir et je ne suis pas convaincu que les outils juridiques et financiers actuels nous permettent de maintenir et a fortiori d'augmenter le rythme actuel de création de places d'accueil.
M. Daniel Lenoir, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) . - Je ne reviendrai pas sur le détail des outils juridiques décrits par Bertrand Fragonard, mais j'évoquerai leur mise en oeuvre, s'agissant particulièrement de la création de capacités d'accueil dans les EAJE.
Je rappellerai tout d'abord que la branche « Famille » de la Sécurité sociale verse de l'ordre de 13 milliards d'euros de prestations. Elle consacre par ailleurs 60 % du fonds d'action social à la petite enfance, soit trois milliards d'euros en 2015.
De nombreux chiffres cités plus tôt figurent dans le rapport de l'Observatoire national de la petite enfance, coordonné par la CNAF. En ce qui concerne les modes de garde formels, la capacité d'accueil moyenne sur le territoire s'élève à 54 places pour 100 enfants de moins de trois ans. Ce chiffre masque des disparités interdépartementales importantes, la capacité d'accueil variant de 10 places (en Guyane) à 87 places d'accueil pour 100 enfants. En Ile-de-France, elle varie de 37 % en Seine-Saint-Denis à 68 % à Paris.
La COG 2013-2017 fixe un objectif de 275 000 places supplémentaires en cinq ans, dont 75 000 dépendent de l'Éducation nationale et 200 000 se répartissent entre les capacités d'accueil des assistants maternels et celles des crèches. L'objectif de 100 000 places supplémentaires en crèches est plus ambitieux que celui de la précédente COG, car il s'agit d'un objectif net. La COG prévoit 80 000 créations et 20 000 rénovations par optimisation de l'existant. En comptant les suppressions de places en crèches, dont le nombre s'élève à 13 000 places en moyenne chaque année (principalement pour des raisons de non-respect des normes, mais il peut ne s'agir que d'un prétexte), l'objectif global de rénovation est ainsi porté à 33 000.
Pour ce qui concerne les places en crèches, la CNAF s'appuie sur la prestation de service unique (PSU), qui rémunère le service rendu par les crèches, comme elle le fait pour les centres sociaux et les accueils de loisirs sans hébergement (ALSH). La PSU est régulièrement revalorisée : il est prévu qu'elle augmente de 5 % par an sur la durée de la COG. La CNAF prévoit en outre un système de bonification pour cibler les zones prioritaires en s'appuyant sur les schémas territoriaux, et un système de bonification ciblant les publics prioritaires, parmi lesquels les enfants en situation de handicap et les familles en situation de précarité. Un objectif de présence a minima de 10 % d'enfants issus de familles en situation de précarité dans les modes d'accueil collectif a ainsi été fixé.
Sur la première année de la COG, nous avons constaté un déficit important de réalisations par rapport à nos objectifs. Suite à ce constat, le HCF a conduit une analyse et rendu un avis en octobre 2014. Le déficit observé porte principalement sur la création de places de crèche, qui atteint en 2013 à peine plus de 50 % de l'objectif fixé pour cette année, à mon sens trop ambitieux pour une première année de convention.
Ce constat nourrit bien évidemment une inquiétude importante. Des éléments conjoncturels, tels que la signature tardive de la COG ou encore l'impact des élections municipales sur la conduite des projets, expliquent en partie la situation. Néanmoins, il convient de s'assurer qu'elle ne reflète pas également un mouvement structurel de désaffection des collectivités locales pour la création de places de crèche.
La note rendue par le HCF en octobre a conduit à l'élaboration d'un plan d'actions sur les crèches. Celui-ci prévoit notamment la généralisation des schémas territoriaux. Nous avons proposé de réaliser une préfiguration de ces schémas territoriaux, à partir d'un accord local. Dix-huit départements les ont expérimentés, sur une base volontaire. Nous en tirons un bilan positif en termes d'objectivation des besoins, de mobilisation des partenaires et de relance de l'intérêt politique pour le sujet. Je rappelle à ce titre que la question de la petite enfance n'a été que peu soulevée dans les débats lors des élections municipales. Les ministres Marisol Touraine et Laurence Rossignol ont récemment signé une circulaire pour généraliser ces schémas territoriaux, toujours sur la base du volontariat.
L'étude du HCF soulignait un décrochage du montant de nos aides à l'investissement. Ce montant a été significativement augmenté au 1 er janvier 2015.
Par ailleurs, nous constatons une grande disparité des coûts de gestion entre les différentes crèches, ceux-ci variant du simple au double. Nous lançons actuellement une étude pour analyser ces coûts de manière plus détaillée.
Il serait utile de développer un plan d'action similaire sur le sujet des assistants maternels. Nous travaillerons avec le HCF pour établir un diagnostic précis de la situation. Je partage l'analyse de Bertrand Fragonard s'agissant de l'économie générale du dispositif. Pour autant, dans une économie de marché, il reste possible de prévoir des incitations pour encourager le développement des dispositifs. À ce titre, la COG prévoit l'établissement de relais d'assistants maternels (RAM) pour que les professionnels disposent d'un appui. La question des MAM me semble extrêmement importante, car à ce jour, le support juridique pour ces maisons fait défaut.
Sans attendre l'effet des mesures prévues pour les EAJE, les premiers chiffres dont nous disposons pour l'année 2014, dont j'ai pris connaissance hier, suggèrent un redémarrage des créations de places de crèche. En effet, 12 800 places ont été ouvertes en 2014, contre 11 700 en 2013. En outre, la création de 10 000 places a été décidée (contre 5 700 places en 2013), alors que la COG fixe un objectif de 8 000 places. En 2014, nous avons probablement rattrapé une partie de notre retard.
Au-delà des mesures que j'ai évoquées, la CNAF mène des actions sur différents sujets essentiels. En matière d'information par exemple, nous avons entrepris la refonte de notre site « mon-enfant.fr » pour améliorer l'accès des familles à l'information sur les capacités d'accueil.
Nous travaillons également sur la valorisation des métiers de la petite enfance, qui ne sont pas toujours bien considérés. À ce sujet, nous avons organisé un concours, dans le cadre de la « semaine de la petite enfance », qui récompense les dispositifs de type ludique proposés aux enfants. Cette année, nous avons primé un RAM.
En ce qui concerne le partage du projet parental, j'ai signé voilà un an une convention avec Pôle Emploi pour préparer le retour à l'emploi après un congé parental. Je rappelle à ce titre que plus de 38 % des femmes ne sont pas en emploi après un congé parental. Dans le cadre des « rendez-vous des droits », un an avant la reprise du travail, Pôle Emploi organisera un rendez-vous avec les personnes concernées pour leur permettre d'accéder aux services de Pôle Emploi, mais aussi à l'information sur les dispositifs d'accueil qui existent dans leur département.
Enfin, nous expérimentons depuis le 1 er janvier 2015, un dispositif de tiers payant sur le complément de libre choix du mode de garde, afin que les familles les plus modestes n'aient pas à avancer de frais. Par ailleurs, nous généralisons actuellement l'enquête Filoue (fichier localisé des enfants usagers d'EAJE), qui permettra de connaître plus précisément la situation sociale des familles qui fréquentent les crèches. D'après les premiers résultats dont nous disposons, qui concernent quelques départements, le nombre de familles en situation précaire semble beaucoup plus important que ce que nous pensions. Alors qu'un rapport de la Cour des comptes indiquait que 8 % des familles en France étaient en situation précaire (19 % des familles dans les départements pour lesquels nous disposons de résultats), cette situation concernerait 29 % des enfants usagers d'EAJE.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous évoquez un objectif de 10 % de présence d'enfants issus de familles en situation précaire dans les crèches. Un objectif a-t-il été fixé pour l'accueil des enfants en situation de handicap ?
M. Daniel Lenoir . - L'accueil des enfants en situation de handicap constitue une priorité, mais il est extrêmement difficile de poser un objectif chiffré, compte tenu de la diversité des handicaps. Nous avons mis en place un fonds spécifique, le Fonds d'accompagnement publics et territoires, pour soutenir le développement de capacités d'accueil d'enfants porteurs de handicaps dans les structures ordinaires
Mme Chantal Jouanno, présidente . - L'idée d'un objectif d'accueil d'enfants issus de familles monoparentales a-t-elle déjà été débattue ?
M. Daniel Lenoir . - À ma connaissance, cette idée n'a pas été débattue en tant que telle. J'insiste néanmoins sur le fait qu'une grande partie des familles en situation précaire sont des familles monoparentales.
Mme Françoise Laborde . - Vous avez rappelé que la création d'EAJE n'entrait pas dans le cadre des compétences obligatoires des collectivités. Ma collègue Michèle Meunier et moi-même rêvons de voir un jour établi un service public à la petite enfance. Malheureusement, en raison du coût que cela impliquerait, je crains que cette idée ne reste qu'un rêve.
Je n'ai pas compris le sens de vos propos, M. Lenoir, lorsque vous indiquiez que les normes pouvaient être un prétexte à la suppression de places dans les crèches. Par qui ce prétexte serait-il invoqué ?
Lorsque le projet de loi relatif aux MAM a été examiné au Sénat, il a fait l'objet de discussions au sein de notre délégation. À l'époque, je n'étais pas favorable à ce projet, mais je pense aujourd'hui que les MAM peuvent présenter un intérêt dans certains territoires, en particulier les territoires ruraux et périurbains.
Ma dernière remarque porte sur les normes relatives aux crèches d'entreprise. J'ai connaissance d'une petite entreprise à Toulouse qui ne parvient pas à installer sa crèche en raison d'une norme imposant un nombre minimum de lits. Les normes permettent certes d'assurer la sécurité des enfants et d'accroître la confiance des parents. Vous avez d'ailleurs rappelé à juste titre l'importance de cette confiance pour que les parents puissent travailler sereinement. Pour autant, certaines normes semblent trop lourdes pour être supportées par les petites entreprises, et sont ainsi susceptibles de freiner la création d'EAJE.
M. Daniel Lenoir . - Je rappelle que si nous ne pouvons pas financer les établissements qui ne respectent pas les normes, celles-ci dépendent des services départementaux de la protection maternelle et infantile (PMI) et non des CAF. Suite au rapport du HCF, les ministres ont prévu de mettre en place un groupe de travail, réunissant la Direction générale du contrôle financier (DGCF), les PMI et les CAF afin d'examiner la situation. En tout état de cause, nous observons des situations hétérogènes entre les territoires, en matière d'interprétation et d'application des normes.
En 2013, le nombre de fermetures de places de crèche a été supérieur à ce à quoi nous nous attendions. Pour autant, dans le bilan global, le nombre de places modernisées excède le nombre de places fermées et 10 000 places nouvelles, donc conformes aux normes, ont été créées. D'après mon expérience, l'argument des normes est parfois invoqué par certains opérateurs, notamment des communes qui, dans l'arbitrage entre modernisation et suppression de places de crèche, optent pour la deuxième solution. Nous travaillons avec l'Association des maires de France (AMF) pour améliorer l'accès des communes à l'information sur les dispositifs de financement.
J'en viens à présent aux MAM. D'après le premier bilan des dix-huit préfigurations de schémas territoriaux, ce dispositif semble plébiscité. Pour autant, une difficulté se pose quant à leur statut juridique. Je rappelle que les MAM n'ont pas de personnalité morale avec, en conséquence, une instabilité juridique dans le temps.
Comme vous l'avez souligné, il existe un véritable enjeu d'adaptation de l'offre aux territoires et aux besoins et demandes des familles. La diversité des offres est d'ailleurs un présupposé implicite de la COG et de l'ensemble des actions que nous menons. L'expérimentation des « bébé-bus », une garderie itinérante, est particulièrement intéressante à ce titre. De même, les schémas territoriaux ne visent pas uniquement les crèches, mais l'ensemble des dispositifs d'accueil de la petite enfance et des services aux familles, y compris les dispositifs d'aide à la parentalité, dont on mesure bien l'importance. La généralisation des schémas territoriaux est essentielle pour maintenir une diversité des offres et donc une liberté de choix des modes de garde.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Il me semble que Mme Éliane Giraud, notre nouvelle collègue sénatrice de l'Isère, souhaite poser une question.
Mme Éliane Giraud . - La diversité des offres me semble essentielle, notamment en milieu rural. Le développement des intercommunalités devrait d'ailleurs faciliter la mise en place de services de garde. L'expérimentation des « bébé-bus » me semble aller dans le bon sens.
J'ai constaté qu'en matière d'offre de garde, les initiatives proviennent souvent du privé. En milieu rural, elles sont souvent le fait de parents, qui s'organisent et montent des associations, pour ensuite trouver un relais auprès des élus. Comment dynamiser la prise d'initiative du secteur public ? Quel pourrait être le rôle des intercommunalités dans cette perspective ?
M. Daniel Lenoir . - Vous insistez à juste titre sur la diversité des opérateurs en matière d'offre de services de garde. Les principaux opérateurs restent les communes, mais on observe certaines évolutions. Ainsi, de plus en plus de communes ont recours à des délégations de service public et des initiatives associatives ou privées se développent. Il convient à mon sens de favoriser cette diversité d'acteurs, au regard notamment des difficultés budgétaires auxquelles font face certaines communes, qui peuvent rendre difficile l'investissement dans la petite enfance. À ce propos, l'étude économique que nous avons engagée portera sur les coûts de gestion, mais également sur les capacités d'investissement.
Nous menons par ailleurs un travail avec les hôpitaux publics et privés pour qu'ils ouvrent les crèches hospitalières à l'ensemble du public et, ce faisant, puissent bénéficier de la PSU.
À titre personnel, je pense que le niveau intercommunal est pertinent pour organiser les modes de garde. Néanmoins, la COG ayant été signée avant que la réforme territoriale ne soit définie, nous avons à ce stade laissé le choix à chaque département de la maille pertinente d'intervention.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Cette troisième séquence, consacrée aux difficultés des acteurs et aux solutions de terrain, s'organisera en deux temps. Tout d'abord, nous entendrons la parole des collectivités territoriales, puis aborderons la question sous l'angle des professionnels.
Mme Sylvie Houssin, vice-présidente du conseil général de l'Oise, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF) . - L'accueil de la petite enfance ne figure pas, à part entière, parmi les compétences des départements. Ces derniers sont en revanche compétents en matière de protection de l'enfance, l'une des problématiques dominantes dans les réflexions départementales.
J'observe que les réflexions sur le sujet des modes de garde, à l'image des discussions de ce matin, portent bien souvent sur les échelons national, intercommunal et communal. De manière générale, il n'est que très peu question de l'échelon intermédiaire que représente le département et de son positionnement.
En ce qui concerne les EAJE, les compétences des conseils généraux se limitent à la délivrance d'agréments. Elles sont plus larges s'agissant des assistants maternels, comprenant l'agrément, mais aussi l'accompagnement et le suivi des professionnels. À ce sujet, si le terme « contrôle » est souvent employé dans les conseils généraux, je préfère parler d'évaluation. À mon sens, c'est bien parce que le suivi est plus complexe à organiser en direction des assistants maternels que les conseils généraux ont pris en charge cette compétence. Je suis en contact régulier avec les assistants maternels de mon département, que je rencontre une fois par an. Je peux témoigner des progrès importants accomplis en termes de professionnalisation du secteur. Nous sommes parvenus à rajeunir la profession et à en augmenter les effectifs d'environ 30 % en un quinquennat.
De nombreux départements ont mis en place des politiques de solidarité territorialisées, dont l'échelle se situe entre celle de l'intercommunalité et celle du département. Nous observons par ailleurs très souvent que les problématiques rencontrées par les communes, les intercommunalités et les départements sont similaires. La réflexion sur l'égalité territoriale doit s'organiser entre l'urbain, le périurbain et le rural, et impliquer l'ensemble des acteurs présents sur les territoires.
Au-delà de l'égalité territoriale, les départements sont également face à une problématique d'égalité sociale, notamment en ce qui concerne l'accès aux modes de garde pour les femmes en situation de grande précarité. Dans notre département, nous avons quantifié le revenu moyen des familles qui confient leurs enfants aux assistants maternels et nous avons constaté que ce mode de garde est surtout utilisé par les classes moyennes et non par les publics défavorisés. Les femmes en grande difficulté n'ont que très peu recours aux assistants maternels et se tournent de moins en moins vers les EAJE. Aujourd'hui, il est très difficile de faire garder ses enfants lorsque l'on a peu de revenus. Dans les prochaines années, les réponses à apporter aux femmes en grande difficulté dans notre pays devront constituer, je le pense, notre préoccupation majeure.
Pour les départements, la réforme des collectivités territoriales est un enjeu important quant aux compétences qui leur seront dévolues. Les départements exercent une fonction d'accompagnement et de financement très différente. S'agissant des établissements collectifs par exemple, certains départements participent uniquement à l'investissement tandis que d'autres participent également aux dépenses de fonctionnement.
Je ne partage pas le point de vue de Bertrand Fragonard sur la politique menée en ce qui concerne les assistants maternels. À mon sens, les départements se sont saisis avec rapidité et efficacité des questions d'organisation des RAM et de formation des professionnels. Ils ont joué et jouent encore un rôle important à cet égard.
Nous avons évoqué les MAM et les résistances dont elles ont pu être l'objet. Ces résistances s'expriment également au sein des services sociaux départementaux et peuvent parfois même empêcher l'émergence de projets. Or, dès lors que les projets sont accompagnés et suivis et que la qualité en est régulièrement contrôlée, les MAM me semblent représenter des solutions efficaces, en particulier en milieu rural.
Il est clair que d'autres solutions doivent être développées pour assurer une diversité de l'offre et répondre aux besoins des familles. Il nous faut réfléchir à de nouveaux modes d'accueil de la petite enfance, en nous gardant bien d'opposer les différents modes de garde qui se complètent parfaitement sur un territoire. À cet égard, le département peut tenir un rôle de fédérateur.
À mon sens, il est par ailleurs essentiel de réfléchir à des solutions de garde davantage ponctuelles, pour les femmes dont la situation est critique, notamment les femmes en grande difficulté. Aujourd'hui, nos structures manquent parfois de souplesse pour répondre à ce besoin. Il serait intéressant de créer des lieux de réflexion collective sur cette question.
Dans le cadre de ses compétences actuelles, le département délivre des agréments, accompagne et évalue les projets, mais ne participe pas à leur définition en amont. Ainsi, un conseil général peut, à l'instar du Conseil général de l'Oise, produire un schéma départemental enfance famille sans même évoquer la question des modes de garde. Il conviendrait d'articuler les schémas territoriaux avec ces schémas départementaux afin de mener une réflexion fédérée sur les territoires départementaux et de se placer en capacité de négocier avec la CAF. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les rapports qu'entretiennent les départements et les CAF sont extrêmement normés et, malheureusement, aucune réflexion commune n'est menée sur les territoires. Il s'agit à mon sens d'une réelle difficulté
Mme Élisabeth Laithier, adjointe au maire de Nancy, co-présidente du groupe de travail « petite enfance » de l'Association des maires de France (AMF) . - J'articulerai mon propos en six points très brefs. Je répondrai ensuite volontiers à vos questions et pourrai vous transmettre, au nom de l'Association des maires de France (AMF), une contribution écrite pour présenter ces points de manière plus détaillée.
Mon premier point sera un rappel sur les compétences. L'organisation de l'accueil de la petite enfance mobilise trois acteurs, intimement liés : la CAF, en tant que co-financeur ; les départements, qui exercent une mission d'évaluation, délivrent les agréments aux établissements d'accueil et les services de PMI pour les assistants maternels et les communes, qui impulsent les projets et en sont les premières gestionnaires : à ce jour, elles assument et gèrent plus de 50 % des projets d'EAJE même si, pour des raisons financières notamment, nous constatons l'émergence d'opérateurs privés et associatifs.
Pour que ce « triangle » d'acteurs fonctionne bien, il convient que les trois acteurs dialoguent et se comprennent. Or nous observons des inégalités très fortes en la matière selon les territoires, ainsi que des différences importantes dans l'interprétation des textes nationaux. Le sujet de l'application de la nouvelle PSU illustre bien ce point : alors que certaines CAF ont donné six mois pour mettre en place la PSU sous peine d'un blocage des financements, d'autres se montrent plus souples. Au regard de ces situations divergentes, l'AMF appelle à une harmonisation dans la lecture des textes nationaux par les CAF et les services de la PMI.
Mon deuxième point concerne l'écueil que représente l'opposition entre une logique de gestionnaire et une logique d'innovation et de dynamisme. Les communes s'imposent et se voient imposer par leurs partenaires, la CAF notamment, des règles de gestion budgétaire très strictes, ne laissant que peu de marges de manoeuvre. Ces règles, et notamment les règles de facturation de la PSU, s'inscrivent en totale contradiction avec ce que la CNAF recommande par ailleurs aux communes, notamment de proposer aux familles une large plage horaire d'ouverture, d'innover dans des solutions d'accueil et de s'adapter au maximum aux besoins des familles. Au final, ces deux logiques ne sont pas compatibles. Les élus sont conscients des besoins de leurs administrés. Ils connaissent parfaitement la problématique des familles monoparentales ou encore celle du travail en horaires atypiques, mais se voient dans l'impossibilité d'innover. C'est en partie pour cette raison que les initiatives innovantes sont plus facilement mises en oeuvre par des opérateurs privés.
Mon troisième point concerne les MAM. L'AMF était à l'origine totalement opposée à ce dispositif. Aujourd'hui, nous considérons qu'il ne peut fonctionner que si, au préalable, un long travail d'harmonisation a été mené entre la CAF, la commune, les assistants maternels regroupés en associations et le département. Il a ainsi fallu deux ans à la commune de Valencienne pour établir sa première MAM. La première difficulté tient à mon sens à l'absence de statut juridique. Lors d'un groupe de travail organisé la semaine dernière, une élue nous expliquait par exemple qu'une MAM sur son territoire avait dû fermer, tout simplement parce que les assistantes maternelles qui la composaient ne s'entendaient plus. La seconde difficulté tient aux questions de formation. Les assistants maternels dans les MAM ne sont pas formés pour réaliser de l'accueil collectif. De même, il n'y a aucune raison que les MAM échappent aux demandes strictes qui s'imposent aux micro-crèches en matière de normes et de statut juridique. Au final, les MAM représentent une piste intéressante, mais elles ne peuvent fonctionner que si l'ensemble des acteurs concernés se réunit en amont pour penser un projet.
Mon quatrième point concerne un exemple d'initiative innovante en matière d'accueil des jeunes enfants. À Nancy, nous avons initié le dispositif « Arc-en-ciel », qui propose un service de garde d'enfants aux personnes travaillant en horaires décalés. La garde est réalisée, au domicile des familles, par des étudiants, essentiellement de l'Institut régional du travail social (IRTS), le matin dès 5 heures et le soir jusqu'à minuit. Ce dispositif mobilise un gestionnaire, pris en charge par la Ville, qui a pour missions de recruter les étudiants par entretien, d'organiser la rencontre entre les étudiants et les familles puis d'affecter un étudiant à chaque famille. Le dispositif présente l'avantage de garder l'enfant chez lui et de garder ensemble les fratries. À ce jour, pour des raisons financières, le dispositif « Arc-en-ciel » est réservé aux familles monoparentales et en retour à l'emploi. Il a permis à 95 % des mères du dispositif (celui-ci ne concerne que deux pères sur cinquante familles) d'accéder à une formation diplômante, de conserver un emploi ou de retourner à l'emploi. Sous réserve de moyens alloués, il pourrait tout à fait être élargi à d'autres types de familles. La question des modalités de co-financement d'un tel dispositif se pose néanmoins.
Mon cinquième point porte sur le déficit du nombre de places. Le HCF fait état d'un déficit de l'ordre de 300 000 à 350 000 places, mais invite à considérer ces chiffres avec prudence. L'analyse des besoins doit être réalisée au plus près des territoires. À cet égard, le maire tient un rôle extrêmement important. Depuis septembre 2014, les élus nous indiquent qu'ils constatent une diminution des demandeurs. De nombreuses familles rencontrent des difficultés financières et ajustent leur demande de garde au plus près de leurs besoins minima, avec bien sûr des conséquences en termes de stress au travail.
La question du nombre de places d'accueil ne se pose pas uniquement en termes de besoins numériques globaux, mais de besoins par tranche d'âge. Nous anticipons en effet une augmentation des besoins de garde d'enfants plus âgés.
Plusieurs facteurs, relevant des spécificités territoriales déterminent le choix de créer une EAJE. Parmi ceux-ci, je citerai le taux d'emploi, notamment féminin, le nombre de naissances, le nombre de familles monoparentales, la demande des familles, mais également les priorités politiques de chaque élu et le potentiel financier de la commune. Il est essentiel de travailler à une augmentation de l'offre d'accueil, mais à notre sens, celle-ci ne peut être homogène sur l'ensemble du territoire français.
Enfin, mon dernier point porte sur l'accueil des familles dont les besoins sont spécifiques, notamment les familles en situation de précarité et les familles dont l'enfant est porteur d'un handicap. Sur la question du handicap, je tiens à insister sur une difficulté rencontrée par les structures d'accueil de la petite enfance lorsque le handicap n'est pas encore détecté au moment de l'entrée de l'enfant dans la structure. Le personnel de ces structures est d'ailleurs souvent en charge du travail d'annonce aux familles d'un éventuel problème, alors qu'il n'est pas formé pour cela.
Les maires sont très attentifs à l'accueil de ces familles aux profils différents. Cette attention spécifique se manifeste en particulier lors des commissions d'attribution de places en crèches. Les communes mettent actuellement en place un système de points, attribués en fonction d'un certain nombre de critères (monoparentalité par exemple). Les familles dont le nombre de points est le plus important sont prioritaires.
Pour conclure, il me semble que les communes font face à trois principales difficultés en matière d'accueil de jeunes enfants : des difficultés financières, en lien notamment avec la baisse des dotations aux collectivités locales ; l'insuffisance du nombre de professionnels formés au regard des objectifs en matière de nombre de places d'accueil ; la chute du nombre d'assistants maternels, dont beaucoup partent à la retraite sans être remplacés : un travail est à mener pour rendre la profession plus attractive.
Mme Anne-Marie Duny, directrice de l'Action sociale de la ville du Pré-Saint-Gervais . - Nous vous présenterons le dispositif des MAM mis en place au Pré-Saint-Gervais depuis maintenant quatre ans, la première MAM ayant ouvert en 2011.
Ce projet a été initié en 2009 par la commune, suite à deux constats : un taux de réponse insuffisant aux demandes d'accueil des familles, d'une part, et, d'autre, part, une forte diminution du nombre d'assistantes maternelles sur le territoire, en raison de longues maladies ou de départs à la retraite : en quelques années, la ville a perdu 20 % de ses assistantes maternelles.
Nous avons décidé de nous engager dans le dispositif des MAM afin de créer des places d'accueil, mais également de favoriser l'insertion sur le marché du travail de personnes à la recherche d'un emploi d'assistant maternel. Nous avons donc cherché à recruter des personnes qui n'étaient pas encore assistants maternels, mais souhaitaient le devenir.
Le projet est porté par la Ville, qui identifie et finance les locaux, recrute les assistants maternels, les suit et les soutient, en lien avec la PMI et la CAF.
Mme Sylvie Bruel N'Diaye, coordinatrice petite enfance de la ville du Pré-Saint-Gervais . - Nous inaugurons cet après-midi même la troisième MAM de la commune. Pour chaque projet de MAM, nous lançons, à travers le journal de la ville et les panneaux lumineux municipaux, un appel aux personnes intéressées par cette profession mais qui ne peuvent l'exercer, soit parce que leur logement est trop petit, soit parce qu'il est insalubre. Les personnes intéressées sont conviées à une réunion collective à la mairie, au cours de laquelle nous leur expliquons ce qu'est une MAM et le cadre dans lequel le projet s'inscrit. Cette étape est importante à plusieurs titres. Tout d'abord, contrairement à une démarche ordinaire, nous n'accueillons pas des personnes qui portent un projet, mais les sollicitons pour partager le nôtre. Par ailleurs, il est important de lever toute ambiguïté en expliquant que, bien que la mairie soit partie prenant de la démarche, elle ne sera pas l'employeur des assistants maternels.
En général, nous accueillons une vingtaine de femmes. Dès la première réunion, nous leur présentons les inconvénients de travailler hors de leur domicile, notamment les contraintes que cela pose pour la garde de leurs propres enfants. Suite à cette réunion, la moitié des candidates se retire généralement du projet.
Dès le départ, les candidates savent qu'elles s'engagent dans un long processus ; en effet, une année s'écoule entre la première réunion et leur prise de poste en MAM. Durant cette année, elles participent à plusieurs réunions, où leur sont présentés la notion d'association de loi 1901, le processus à mettre en place pour se regrouper en association ainsi que le processus d'agrément. Par la suite, en collaboration avec une psychologue vacataire, nous encadrons leur travail de définition du projet pédagogique qu'elles présenteront à la PMI dans le cadre de leur demande d'agrément.
Une dizaine de femmes participe généralement à ce processus. Nous leur demandons de se constituer en groupes de trois ou quatre et retenons au final le groupe qui aura travaillé avec le plus d'intelligence et aura le mieux réussi à travailler ensemble. Le principal défi en MAM est en effet de travailler en équipe, sans hiérarchie au-dessus du groupe. Par ce long travail en amont, les assistantes maternelles doivent avoir pu réfléchir aux conditions de travail qui seront les leurs et avoir résolu une partie des problèmes qu'elles seront susceptibles de rencontrer.
La Ville s'est beaucoup investie pour assurer la pérennité des projets de MAM. La mairie identifie les locaux, prend en charge les loyers et l'ensemble des fluides, ainsi que les travaux. En termes de normes, les exigences que nous plaçons sont identiques à celles des structures classiques d'accueil de la petite enfance, afin d'assurer une totale sécurité des enfants dans les locaux. Au final, les MAM permettent à des femmes en situation de précarité d'exercer cette profession, sans avoir à débourser de frais de loyers ou de mise en conformité de leur logement.
La mairie continue d'accompagner les assistantes maternelles après la délivrance de leur agrément. Une convention est signée avec chacune d'entre elles, par laquelle elles s'engagent à rencontrer régulièrement la psychologue vacataire et moi-même, coordinatrice petite enfance. Ces rencontres se déroulent tous les quinze jours, de 18 h 30 à 20 h 30. Elles permettent de traiter des difficultés que les assistantes peuvent rencontrer et de tempérer tous les conflits qui peuvent survenir au sein des MAM.
La première MAM a maintenant quatre ans d'existence. Le projet a rencontré l'adhésion totale des assistantes maternelles, qui aujourd'hui encore ne souhaitent pas exercer à leur domicile, conscientes de l'intérêt de travailler ensemble. Le projet a par ailleurs rencontré un franc succès auprès des familles : environ 60 familles se sont portées candidates pour la première MAM. Celles-ci apprécient l'accueil « familial » que représentent les MAM, nos assistantes n'étant agréées que pour trois enfants, ainsi que pour un accueil d'urgence. Cette disposition permet en outre une prise en charge des enfants par les autres assistantes si l'une doit s'absenter pour une raison ou une autre. Aujourd'hui, nous constatons que les parents dont un enfant a fréquenté la première MAM postulent à nouveau en MAM pour leurs autres enfants, sans même formuler de demande auprès des crèches. La taille réduite des structures et le taux d'encadrement des enfants qu'elles présentent (quatre professionnelles pour douze enfants) rendent ces projets extrêmement intéressants pour les familles.
Au total, la commune a pu créer 36 places d'accueil individuel et 12 emplois : aucune des assistantes maternelles n'exerçait auparavant, à l'exception de l'une d'entre elle qui disposait d'un agrément pour un seul enfant, en raison de la taille de son appartement.
En termes de coût, le projet représente un réel investissement pour la commune, qui prend en charge les loyers, les fluides, ainsi que le poste de coordinatrice (dont 50 % sont pris en charge au titre du « contrat enfant jeunesse ») et les vacations de la psychologue. La commune, qui n'avait pas les moyens financiers de créer une structure petite enfance supplémentaire, a pu grâce aux MAM créer des places d'accueil à moindre coût.
Si le bilan que nous tirons des MAM est tout à fait positif, je tiens à souligner les difficultés posées par la délégation. Lorsqu'une assistante maternelle s'absente, la délégation autorise l'une de ses collègues à prendre en charge les enfants. Néanmoins, l'assistante maternelle qui a contracté avec les familles reste responsable juridiquement des enfants qui lui sont confiés. Si un événement grave survenait lors d'une délégation, j'ignore quelles en seraient les conséquences juridiques. Par ailleurs, une délégation ne peut faire l'objet d'aucun échange financier. Lorsqu'une assistante maternelle s'absente, elle devra « rendre le temps » à sa collègue et donc s'occuper à son tour des enfants dont celle-ci a la charge. Cette disposition peut être difficile à comprendre et à accepter pour les parents, qui n'en voient pas la nécessité.
La PMI souhaite la limiter au maximum la délégation sur notre commune. En conséquence, lorsqu'une assistante maternelle s'absente, les familles doivent contractualiser avec sa collègue et s'acquitter de l'ensemble des charges administratives que cela implique, telles que signature d'un contrat occasionnel, licenciement, même pour une journée et déclaration auprès de Pôle Emploi. Malgré l'accompagnement du RAM, tous les parents-employeurs ne sont pas en capacité de gérer ces démarches administratives complexes.
Mme Vanessa Sabathier, responsable des services petite enfance de la communauté de communes Val de Gers . - La communauté de communes du Val de Gers regroupe 36 communes, compte moins de 10 000 habitants et s'étend sur 60 kilomètres de long.
Nous avons mis en place une structure multi-accueil, qui regroupe un service de crèche et une halte-garderie. La structure peut donc accueillir des enfants en journée complète, mais également pour deux heures, de manière occasionnelle ou en urgence. Nous avons également mis en place un jardin d'enfants qui accueille des enfants de deux à quatre ans, un RAM et une ludothèque itinérante. Nous installerons prochainement un lieu d'accueil enfants-parents.
De manière générale, nous ne constatons pas de problématique particulière s'agissant des assistants maternels dans notre département, tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif. Le travail remarquable réalisé par le RAM a permis aux assistants maternels de se professionnaliser et de proposer, aujourd'hui, un accueil de qualité, répondant tout à fait aux besoins des familles.
En revanche, une véritable problématique se pose en ce qui concerne les structures d'accueil collectif, dont j'évoquerai aujourd'hui les freins au développement, en particulier en milieu rural. Ces freins sont d'ordres économique, géographique, réglementaire et organisationnel.
S'agissant de l'aspect économique, deux problèmes se posent. Tout d'abord, certaines collectivités sont trop petites pour assumer le poids financier d'une structure collective. Par ailleurs, il est très difficile d'estimer a priori le coût d'une telle structure, en raison de la complexité des montages financiers et de l'estimation du taux d'occupation. En conséquence, il est compliqué, pour un gestionnaire de petite taille, d'initier un projet. Aussi, il serait intéressant de proposer un outil d'estimation des coûts.
Au niveau réglementaire, je souhaite soulever le problème des normes d'encadrement. En crèche, le taux d'encadrement est d'un adulte pour cinq enfants ne marchant pas et d'un adulte pour huit enfants qui marchent. Or il est impossible de gérer seul un groupe de huit enfants de 18 mois. Les normes d'encadrement sont incohérentes au regard de la réalité du terrain. Il est difficile pour un professionnel de faire comprendre à un élu que le simple respect des taux d'encadrement réglementaires mène à des situations ingérables, au détriment de la qualité du service et de la sécurité des enfants.
Permettez-moi de vous faire part de mon positionnement vis-à-vis des MAM. Il s'agit bien de structures collectives, souvent assimilées à des micro-crèches ou mini-crèches, à l'exception près qu'elles emploient moins de personnels diplômés et proposent un encadrement moins important. Par rapport aux crèches, les MAM ne présentent à mon sens aucun intérêt autre que leur plus faible coût. En crèche, la gestion de l'équipe et sa bonne entente sont essentielles. Si l'équipe ne fonctionne pas bien, les enfants ne vont pas bien, les parents sont mal accueillis et la crèche ne remplit plus son rôle d'accueillant.
Il conviendrait d'assouplir les règles dans les structures d'accueil collectif. Aujourd'hui, elles doivent compter au moins deux professionnels, dont un diplômé d'État. Or nous sommes actuellement en situation de pénurie de personnels diplômés, en particulier en milieu rural, où lorsqu'un professionnel est en arrêt maladie, il est impossible de faire fonctionner la structure. Nous ne comprenons pas qu'un assistant maternel puisse accueillir, seul, quatre enfants alors que dans le même temps, en structure collective, même pour un enfant, il faut compter au moins deux personnes. Nous appelons à une mise en cohérence des règles qui s'appliquent aux différents modes de garde.
L'excès de réglementations et de normes empêche en partie la réussite des crèches en milieu rural. Par exemple, trois ans après la construction de la structure multi-accueil, un bâtiment neuf dont les plans ont été soumis à la PMI, il nous a été demandé de démolir la « biberonnerie » car il aurait fallu installer deux portes sur ce local de 3 mètres carrés, pour assurer la séparation entre un circuit propre et un circuit sale. Heureusement, le président du conseil général a finalement refusé que la « biberonnerie » soit démolie.
Un autre frein me semble être le manque de formation des élus aux politiques de l'enfance et de la petite enfance. S'ils disposaient d'une formation de base sur ces questions complexes, il serait plus facile de parler le même langage et de s'accorder sur des définitions similaires.
Au niveau géographique, il convient de tenir compte de la spécificité des territoires ruraux, qui à la différence des grandes villes, manquent d'enfants. Sur notre territoire, notre souci est de remplir nos structures. La CAF demande que soit réalisé un diagnostic en amont de la création des structures, primordial pour ajuster l'offre aux besoins. Néanmoins, il serait pertinent de réinterroger et d'adapter le taux d'occupation demandé aux structures, aujourd'hui fixé à 70 %. Pour développer l'offre en milieu rural, la PSU doit s'adapter aux réalités des territoires ruraux.
Au niveau organisationnel, les principaux freins tiennent à la mauvaise lisibilité des montages financiers. Ces montages sont complexes et les textes changent régulièrement, d'où une difficulté pour les élus de s'y retrouver.
Je relève également un manque de soutien en ingénierie. Il conviendrait de proposer une grille d'accompagnement aux collectivités qui souhaitent réaliser en interne le diagnostic préalable à la création d'une structure. La réalisation d'un diagnostic par un prestataire représente un coût de 10 000 à 15 000 euros au minimum. Il serait intéressant que les collectivités puissent faire appel à des sociétés agréées pour réaliser ce travail.
Enfin, l'organisation du service d'action sociale de la CAF joue un rôle important dans le développement des structures collectives. Sur notre département, ce service comptait auparavant cinq conseillères référentes sur un territoire donné, qui apportaient une aide cruciale pour monter les projets. Aujourd'hui, elles ne sont plus que deux sur l'ensemble du département et ne peuvent plus apporter le même soutien et le même accompagnement. Toutes les personnes (professionnels, responsables de services et élus) que j'ai interrogées partagent ce constat et soulignent l'apport précieux qu'était celui du service d'action sociale de la CAF
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous abordons à présent les difficultés et les solutions de terrain sous l'angle des professionnels.
M. Jean-Rémy Acar, directeur général de la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) . - Au préalable, je souhaite préciser que la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) s'exprimera avant tout au nom des parents, même si en tant que partenaire social principal dans les branches des salariés du particulier-employeur et des assistants maternels, elle évoquera bien sûr les professionnels.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous le notons bien.
M. Philippe Dupuy, délégué petite enfance et emploi de l'Association des collectifs enfants-parents-professionnels (ACEPP) . - L'Association des collectifs enfants-parents-professionnels (ACEPP) est une fédération de crèches, qui représente environ 800 associations sur l'ensemble du territoire national. Je rappelle que le monde associatif est le deuxième acteur sur le marché de l'accueil collectif de jeunes enfants : en intégrant les mutuelles, on compte de l'ordre de 4 000 établissements associatifs sur le territoire.
En matière d'accueil de la petite enfance, nous sommes confrontés à un système à double entrée avec, d'un côté, un financement national dans le cadre de la « prestation d'accueil du jeune enfant » (Paje) et, de l'autre, un financement mixte dans le cadre de la PSU. Accompagnant moi-même des initiatives associatives sur les territoires, je constate que la dualité du système a créé une concurrence entre l'accueil individuel et l'accueil collectif, qui se solde au détriment de ce dernier. La création d'une MAM présente un très faible coût et de faibles contraintes en termes de normes. En revanche, pour les modes d'accueil collectif, le mode de financement est peu clair. Au-delà des questions de normes, la création d'un EAJE impose de former des élus, voire des professionnels et techniciens au sein des communes. La dualité du système, qui s'exprime en termes de financement, de formation et de normes, explique les difficultés rencontrées depuis quelques années par les modes d'accueil collectif.
Un ensemble de systèmes parallèles ont effectivement été mis en place pour éviter le développement de l'accueil collectif, en faveur d'un accueil que la réglementation qualifie d'« individuel », mais qui ne l'est cependant plus. La création des MAM ayant brouillé les cartes, si bien qu'aujourd'hui, il est difficile pour nous d'imaginer, sur un territoire, une politique cohérente d'accueil de la petite enfance.
Je m'interroge sur l'utilité des schémas territoriaux, dès lors qu'en parallèle peuvent émerger des initiatives privées d'accueil pseudo-collectif de type MAM, et qui conduisent les élus à remettre en cause les projets de crèches qui avaient été imaginés selon les schémas. Or, dans un contexte de crise économique, les crèches règlent des problèmes sociaux aigus liés à l'accompagnement des familles.
En ce qui concerne les normes, je constate qu'elles sont le plus souvent édictées à l'échelle locale. L'exemple de la « biberonnerie » évoqué par Vanessa Sabathier illustre bien ce point : aucun texte n'oblige une « biberonnerie » à disposer d'un circuit propre et d'un circuit sale. Il ne s'agit que de pratiques qui diffèrent selon les territoires. Le seul texte national qui pose des difficultés est le texte relatif au financement. Les règles de la PSU ont totalement réorganisé l'accueil collectif en France en l'espace de quelques années. D'un fonctionnement au forfait, nous sommes passés à la facturation à l'heure, voire à la demi-heure si l'on respecte les dernières dispositions réglementaires. Par ce texte, le projet collectif est totalement abandonné ; l'approche est désormais celle d'une prestation de service, d'un accueil « individuel ».
Je soulignerai enfin la confusion engendrée par les différents systèmes de financement. Les MAM, qui pour les parents peuvent s'apparenter à des structures de moins de dix places, sont financées par la Paje. Le parent est l'employeur de l'assistant maternel. D'un autre côté, il existe également des micro-crèches financées par la Paje. Ici, l'employeur est une personne morale et le parent achète une prestation de service, qui peut lui être remboursée dans le cadre de l'aide individuelle. Enfin, il existe des micro-crèches financées par la PSU. Dans ce cas, le prix payé par la famille dépendra de ses revenus et sera fixé en fonction du nombre d'heures d'accueil de son enfant. Du point de vue d'une famille, une même structure d'accueil prend trois formes différentes. Nous constatons qu'il est difficile d'expliquer ces modes de fonctionnement aux élus.
Mme Caroline Kovarsky, déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) . - Pour favoriser le travail des femmes, il faut pouvoir leur proposer un mode de garde de qualité, avec des horaires adaptés au rythme de vie moderne, notamment pour tenir compte des temps de transport importants.
Partant de ce constat, les pouvoirs publics ont, suite à la Conférence de la famille en 2003, autorisé les CAF à soutenir financièrement les entreprises qui gèrent des crèches afin de développer l'offre d'accueil. Depuis 2004, nos crèches bénéficient ainsi d'un soutien à l'investissement et au fonctionnement, au même titre que les gestionnaires associatifs et municipaux. Elles bénéficient en effet de la PSU qui s'inscrit en complément des participations familiales, elles-mêmes fixées en fonction du revenu des familles et du nombre d'enfants à charge.
Les entreprises de crèches que nous représentons sont « nées » avec la PSU et peuvent donc être mieux armées que d'autres pour gérer cette prestation complexe. Nos crèches ont d'emblée fourni les couches et les repas, ce qui a pu être difficile à mettre en place pour d'autres gestionnaires suite à la dernière circulaire PSU. Pour autant, il reste difficile de maximiser le taux d'occupation de nos établissements. En effet, peu de familles souhaitent confier leurs enfants de 18 heures à 20 heures.
Toutes nos crèches sont conventionnées avec les CAF et bénéficient de l'agrément de la PMI. Ainsi, elles répondent aux mêmes exigences que l'ensemble des crèches en France en termes de sécurité et de taux d'encadrement. Je souhaite par ailleurs rappeler, notre engagement en faveur de la laïcité dans nos établissements. Nous en mesurons tous l'importance lorsqu'il s'agit d'accueillir des enfants de 0 à 3 ans.
Nos membres sont très divers : certains gèrent plus de 250 crèches, d'autres une crèche unique. Les pionniers du secteur (« Babilou », « Les Petits chaperons rouges », « Crèche Attitude », ou encore « La Maison Bleue ») sont nés dès 2004. La Fédération a été créée en 2008, pour porter un regard sur l'ensemble de ces opérateurs et défendre leur modèle et leur activité. Nos membres gèrent aujourd'hui de l'ordre de 30 000 places réparties sur 900 structures, et emploient près de 10 000 salariés. Notre présence dans plus de 70 départements nous permet de disposer d'une vision globale, appréciée par nos tutelles, le ministère des affaires sociales et de la santé et la CAF. Les places sont réservées à 40 % par des collectivités locales, à travers le système de délégation de service public ou par des marchés de réservation de places au sein de structures interentreprises. Le reste des places est réservé par des employeurs (de la très petite entreprise au groupe du CAC 40), mais également par des administrations.
Les crèches d'entreprise sont généralement financées par l'employeur. Le modèle le plus répandu est celui de la crèche interentreprises qui regroupe plusieurs PME. Conformément aux exigences de la CAF, 30 % des places sont proposées à la mairie de la commune sur laquelle elle est implantée.
Grâce à la multiplication de nos membres et en partenariat avec des associations, nous avons développé un réseau qui permet d'offrir aux familles (essentiellement en Ile-de-France) une place à proximité de leur domicile, afin de réduire le temps de transport pour les jeunes enfants. Je souligne d'ailleurs que les équipes qui travaillent dans nos crèches constatent un véritable partage des rôles entre les parents : lorsque le père dépose l'enfant, la mère vient le chercher et inversement.
J'en viens à présent aux enjeux pour notre fédération et l'ensemble des gestionnaires qui la composent. Tout d'abord, en réaction à l'intervention de Mathilde Guergoat-Larivière, il me semble effectivement très intéressant d'observer les pratiques qui prévalent en Europe. Nous pourrions par exemple nous inspirer de ce qui est mis en place en Europe du Nord en matière de normes.
Le premier enjeu tient à la pénurie du personnel. La COG fixe un objectif de 100 000 places supplémentaires d'accueil collectif. Cela implique de recruter 30 000 personnes. Or nous manquons de personnes formées, qu'il s'agisse de personnels titulaires de CAP, d'auxiliaires de puériculture, d'éducateurs de jeunes enfants ou d'infirmiers.
À notre sens, il est nécessaire d'ouvrir davantage d'écoles d'auxiliaires de puériculture, qui relèvent de la compétence des régions. Nous avons financé une école dans les Yvelines sur fonds privés, mais il a fallu plusieurs années pour obtenir l'accord du conseil régional d'Ile-de-France.
Il est également important d'attirer les hommes vers les métiers de la petite enfance, sachant que 95 % des professionnels du secteur sont des femmes. Alors que de plus en plus d'enfants sont issus de familles monoparentales et sont uniquement élevés par leur mère, cela permettrait de leur proposer des repères masculins au sein des structures.
Nous souhaitons par ailleurs que soit donnée la possibilité aux titulaires de CAP expérimentés, dont beaucoup sont au chômage, de passer en « catégorie 1 », moyennant une formation définie par décret et financée par l'employeur. Nous avons présenté cette proposition au Président de la République en 2012. Malheureusement, il semble que le décret Morano 53 ( * ) en vigueur ne sera pas revu dans ce sens.
Nous souhaitons également que soient favorisées les passerelles entre les métiers de la petite enfance. À notre sens, un instituteur qui a travaillé de nombreuses années en école maternelle ou un assistant maternel devrait pouvoir travailler en crèche.
Le deuxième enjeu essentiel concerne les normes qui encadrent l'implantation et l'aménagement des crèches. Il est très difficile de trouver un emplacement pour établir une crèche : la réglementation impose un minimum de 10 mètres carrés par enfant et les propriétaires sont souvent réticents à louer leur local pour établir une crèche, préférant voir s'y établir un supermarché et conserver l'affectation d'origine de leur local (bureau ou local commercial). Depuis plusieurs années, nous demandons au ministère du Logement que durant la totalité de la durée d'activité de la crèche, l'affectation d'origine du local soit gelée. Cette mesure ne présenterait aucun coût et permettrait de développer l'offre de crèches. Nous rappelons d'ailleurs qu'aucun permis de construire n'est requis pour établir une crèche dès lors que l'on ne touche pas aux façades ; la déclaration préalable est suffisante.
Le troisième enjeu concerne l'harmonisation des normes PMI, qui diffèrent énormément entre les départements, mais également parfois au sein d'un même département. Nous souhaiterions qu'au moins, un référentiel des bonnes pratiques soit mis à disposition. Nous nous félicitons d'ailleurs de constater que la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) lance une enquête sur ces pratiques. Il est essentiel que les normes soient stabilisées en amont de la création de la crèche. Or trop souvent, ce n'est qu'en fin de chantier que le médecin PMI souligne la nécessité de réaménager l'espace ou par exemple, d'ajouter une fenêtre.
De même, nous souhaitons que soit redéfinie et harmonisée la notion de mètre carré utile par enfant, dont l'interprétation peut différer selon les acteurs. Cette difficulté a d'ailleurs été soulignée dans un rapport du HCF.
Enfin, pour rebondir sur les propos de l'AMF, dans un contexte de raréfaction des moyens financiers publics, le modèle de l'entreprise-financeur peut être une solution.
Mme Sandra Onyszko, chargée de communication de l'Union fédérative des assistants maternels (UFNAFAAM) . - L'Union fédérative des assistants maternels (UFNAFAAM) est une fédération d'associations d'assistants maternels et familiaux, qui regroupe plus de 20 000 adhérents répartis sur 70 départements.
Créée en 1980, l'UFNAFAAM a pu observer les profondes évolutions du secteur au fil des années. En ce qui concerne la profession d'assistant maternel au niveau national, on constate une diminution du nombre d'heures, plus marquée cette année que les autres, ainsi qu'une hausse de la variation des horaires entre les semaines. Ces évolutions conduisent à une baisse des salaires et à une plus grande précarité. Par ailleurs, lorsque le chômage augmente, l'assistant maternel est directement concerné : le montant de la Paje ne permet plus à un parent-employeur sans emploi de conserver son assistant maternel.
Sur certains territoires, le développement des modes d'accueil collectif est allé au-delà des schémas territoriaux. Ainsi, là où la demande de garde était limitée, l'implantation de crèches s'est traduite par une hausse du chômage des assistants maternels. Or un assistant maternel au chômage change tout simplement de métier. Nous savons en outre que 30 % des assistants maternels partiront à la retraite d'ici 2020. Cette conjoncture est inquiétante. En effet, lorsque le nombre d'assistants maternels aura diminué massivement, il sera difficile de revenir en arrière.
Je partage les propos des intervenants précédents sur l'absence d'harmonisation des normes PMI. Le référentiel national élaboré sur la question en 2012 n'a pas permis d'harmoniser les pratiques, bien au contraire. Dans un même secteur, voire un même quartier, les PMI donnent des autorisations ou des interdictions différentes. Face à cette incohérence et à cette absence de sens, les assistants maternels finissent par considérer la PMI comme leur ennemie.
Depuis une dizaine d'années, le profil des assistants maternels évolue. Arrivent dans la profession des femmes plus jeunes et plus diplômées, qui ont de nouvelles demandes. Ces jeunes femmes désirent avant tout sécuriser une carrière professionnelle, alors que la durée d'activité d'une assistante maternelle est d'environ sept ans. Si les assistants maternels peuvent aujourd'hui obtenir le CAP petite enfance, ce diplôme reste peu valorisé sur le marché du travail. Depuis 2010, l'UFNAFAAM demande la mise en place de passerelles qui leur permettraient d'accéder à une véritable carrière professionnelle. A l'heure actuelle, les assistants maternels ne parviennent pas à valoriser l'expérience acquise.
Leur première demande est d'acquérir la formation d'auxiliaire de puériculture. Comme le CAP petite enfance, il s'agit d'un diplôme de niveau 5. Il serait utile de prévoir des modules communs entre les deux diplômes pour faciliter les passerelles.
J'évoquerai à présent les MAM, sur lesquelles le débat est toujours très actif. Je regrette d'ailleurs que certains services de la PMI, au lieu de réfléchir à la manière d'en faire des structures d'accueil de qualité, en aient tout simplement rejeté l'idée. Certaines MAM fonctionnent parfaitement, tandis que d'autres ont effectivement été réalisées dans l'urgence, sans accompagnement, en comptant uniquement sur la bonne volonté des professionnels, qui eux-mêmes ne comprennent pas toujours le concept même de la MAM. Il est essentiel de mener une vraie réflexion sur l'accompagnement de ces projets en amont. Nous constatons que dans les départements qui ont engagé cette réflexion collective, et où les assistants maternels ont pu mûrement réfléchir aux avantages et aux inconvénients de l'installation en MAM, l'expérience est réussie.
Pour autant, les MAM ne doivent pas constituer l'unique perspective d'évolution dans la profession d'assistant maternel. Nous observons en effet certaines demandes de retour à domicile après une expérience en MAM.
Nous insistons par ailleurs sur l'importance d'une meilleure communication sur la profession, toujours insuffisamment valorisée. Au-delà de cette absence de considération, la profession souffre du chômage et de la précarité. De plus en plus d'assistants maternels se trouvent dans des situations financières difficiles. Je citerai l'exemple de certaines femmes qui se voient refuser un agrément pour le mercredi ou pour les vacances scolaires sous prétexte qu'elles ont elles-mêmes des enfants. Nous comprenons bien que les agréments soient délivrés au cas par cas, mais il est clair qu'une absence d'agrément le mercredi et les vacances scolaires rend difficile l'exercice du métier. Il en est de même pour les agréments à partir de 18 mois, qui eux aussi, découlent bien souvent sur des situations de chômage.
Mme Vanessa Lahiani, responsable du relais petite enfance « Sur le toit » de la ville de Montreuil-sous-Bois . - La ville de Montreuil-sous-Bois compte trois relais petite enfance. Le premier relais, créé en 2006, a été installé dans un quartier très isolé de Montreuil. Le deuxième relais a ouvert dans le bas-Montreuil, dans un local attenant à une crèche. Enfin, le relais « Sur le toit » ouvert voilà un an et demi, est situé en centre-ville. Il fait partie intégrante d'un établissement accueillant une crèche. Le projet de la crèche stipule d'ailleurs expressément que l'équipe doit accueillir des assistants maternels.
La première mission des relais est une mission d'observatoire de l'offre d'accueil. Montreuil est une ville de 103 000 habitants et dénombre environ 1 800 naissances par an. Si l'offre d'accueil est encore loin de répondre aux besoins des familles, on note une évolution de cette demande. Lorsque le premier relais a ouvert ses portes, la demande des familles se tournait systématiquement vers l'accueil collectif. Progressivement, les parents se sont informés sur toutes les possibilités d'accueil. Aujourd'hui, nous constatons que l'écart entre l'offre collective et l'offre individuelle ne dépasse pas 100 demandes. Cette évolution a été rendue possible par les réunions d'information que nous organisons sur les modes d'accueil. Les aspects abordés lors de ces réunions ne se limitent pas aux procédures, aux coûts et aux aides dont les familles peuvent bénéficier. Nous abordons avant tout les questions qui touchent au tout-petit, à ce que devenir parent signifie et aux difficultés de choisir le mode d'accueil adapté. Au-delà de ces réunions, les parents peuvent venir nous voir pour discuter de leur choix de mode de garde, qui peut évoluer après la naissance de leur enfant.
Nous tâchons d'être neutres dans la présentation que nous faisons des modes d'accueil. Pour ne pas les opposer, nous utilisons le même vocabulaire, en parlant d'établissement d'accueil collectif et de structures d'accueil collectif chez l'assistant maternel, dès qu'au moins deux enfants sont accueillis. En effet, pour le jeune enfant, la socialisation s'opère même au sein d'un petit groupe.
Nous constatons, depuis l'adoption de la réforme des rythmes scolaires, une forte poussée du recours aux auxiliaires parentaux, également appelée « gardes d'enfant à domicile » ou « gardes d'enfant » selon les territoires, ce qui souligne d'ailleurs l'importance d'harmoniser le vocabulaire. En centre-ville de Montreuil, la garde à domicile concerne une trentaine de familles, ce qui est considérable. L'accompagnement des auxiliaires parentaux figure parmi les missions du relais, mais le développement extrêmement rapide de ce mode de garde invite à s'interroger sur la manière de répondre à la demande.
Les relais petite enfance ont une mission d'information aux familles. Nous avons édité une plaquette d'information pour les parents, qui reprend un ensemble d'informations également consultables sur le site Internet de la ville. Celui-ci donne en outre le calendrier complet des réunions organisées par les relais (douze réunions annuelles d'information, ainsi que douze réunions parent-employeur). Nous proposons aujourd'hui des rendez-vous téléphoniques pour les parents qui ne peuvent se rendre aux réunions.
Les relais exercent également une mission d'accompagnement des assistants maternels. Le relais « Sur le toit » accompagne toutes les personnes intéressées par le métier et celles qui souhaitent par exemple bénéficier d'une validation des acquis par l'expérience (VAE). Régulièrement, une assistante maternelle est accueillie dans chaque section de la crèche. Elle est suivie par un professionnel de la crèche et participe aux journées pédagogiques et aux réunions. Nous essayons de développer des initiatives similaires dans d'autres crèches, y compris des crèches départementales.
J'en viens à présent aux propositions.
Nous estimons important d'employer des personnels masculins. La ville de Montreuil compte deux auxiliaires hommes. Nous tâchons de recruter du personnel masculin, cuisiniers et agents techniques, pour proposer au moins une figure masculine au sein de chaque structure.
Nous recevons par ailleurs de nombreuses demandes de la part de stagiaires de classe de troisième, qui souhaitent découvrir les métiers de la petite enfance. Il serait intéressant de développer des partenariats avec les collèges pour réaliser un suivi et assurer une continuité dans la relation suite à ce premier stage. Une démarche en ce sens sera prochainement expérimentée.
Nous estimons par ailleurs important de proposer un accompagnement aux assistantes maternelles et aux auxiliaires parentales, qui sont souvent des femmes isolées. Elles remplissent une mission de service public, mais restent souvent cantonnées dans les domiciles. Un travail est à faire pour leur donner une place au sein de la commune et leur permettre d'évoluer professionnellement.
Enfin, j'observe de grandes disparités entre les territoires dans les appellations données aux personnes gérant des relais et je souligne le besoin d'une harmonisation sur cette question. Certains parlent « d'animateurs », d'autres de « responsables ». Dans l'organigramme de la ville de Montreuil, nous avons choisi l'appellation « directrice », car le nouveau référentiel nous demande de réaliser des statistiques, de les analyser et de poser des diagnostics.
Mme Nathalie Cambus, animatrice du relais d'assistantes maternelles (RAM) de la communauté de communes du Volvestre . - La communauté de communes du Volvestre regroupe 28 communes à 50 kilomètres au sud de Toulouse.
Le territoire compte de nombreuses familles, dont l'un des membres travaille à Toulouse, venues s'installer pour des raisons professionnelles. Cette situation engendre de l'isolement et d'importants trajets domicile-travail. Nous constatons de nombreuses situations de précarité financière, mais également une plus forte adaptabilité à l'activité professionnelle : intérim, horaires décalés, ou encore temps partiels subi, en particulier pour les femmes. De plus en plus de femmes font face à des situations difficiles, qu'il s'agisse d'une séparation précoce du couple, d'une recomposition familiale source de changements et de difficultés, ou encore de situations dans lesquelles le conjoint est absent durant la semaine parce qu'il exerce une activité professionnelle hors du département. Ces situations diverses ont des conséquences sur le choix du mode d'accueil des enfants.
Lorsque les parents se rendent dans un RAM, ils recherchent un mode d'accueil qui leur permette de concilier vie professionnelle et vie familiale. L'offre d'accueil doit être définie en fonction du territoire et des familles qui le composent. Le mode de garde le plus adapté varie également en fonction des enfants ; pour certains il s'agira de l'accueil collectif, pour d'autres de l'accueil individuel. Il est vrai que l'assistant maternel reste une personne privilégiée pour l'enfant, qui nouera avec lui une véritable relation d'intimité et chez qui l'enfant fera une expérience différente qu'en établissement d'accueil collectif.
Il existe une réelle complémentarité entre les modes de garde. Pour la préserver et la développer, il est important d'investir dans l'accueil individuel et de le soutenir.
Aujourd'hui, lorsqu'une mère de jeune enfant sans qualification se retrouve sans emploi, Pôle Emploi lui conseille de devenir assistante maternelle. Je ne pense pas que l'on puisse devenir assistante maternelle de cette manière. Il faut se demander pourquoi l'on veut exercer cette profession, et comment. Aussi, au sujet des agréments de la PMI, au-delà du critère essentiel de sécurité du domicile, il serait intéressant de travailler sur le projet professionnel des candidats.
Au vu du nouveau profil des assistants maternels, la formation initiale de 120 heures me semble insuffisante. En témoignent les nombreuses demandes de formation complémentaires dans le cadre du droit individuel à la formation (DIF).
Enfin, le RAM est un dispositif précieux qu'il convient de soutenir. Tous les territoires n'en sont pas couverts de manière égale. En Haute-Garonne, nous avons la chance de compter 75 RAM, couvrant la quasi-totalité du département. Le réseau RAM 31, coordonné par la CAF, permet aux responsables de RAM que nous sommes de nous rencontrer et de bénéficier de formations spécifiques. Il n'en est pas de même dans tous les départements. Aussi, je suggère de travailler à une harmonisation nationale sur ce point.
M. Jean-Rémy Acar, directeur général de la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) . - Mon défi est important, car je dois à présent m'exprimer au nom des parents-employeurs, de très loin le premier acteur en ce qui concerne les modes de garde des enfants. Cette prédominance des parents-employeurs me semble être une bonne nouvelle, soulignant que nous tous prenons en charge l'organisation de notre famille, et celle de nos temps de vie privée et professionnelle.
Certains propos des précédents intervenants illustrent bien le rôle que peuvent jouer la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) et les partenaires sociaux dans le débat qui est le nôtre. Vous avez parlé de la demande de formation des assistants maternels. Cette demande croît dans des proportions considérablement. Ces trois dernières années, la totalité des fonds disponibles pour cela a été largement dépassée. Aujourd'hui, les partenaires sociaux négocient pour, d'une part doubler les taux de collecte, c'est-à-dire l'investissement que consentent les employeurs pour la formation au bénéfice de la professionnalisation des assistants maternels, d'autre part intégrer dans la convention collective, les conséquences de la suppression du DIF. Comme vous l'avez signalé, le DIF était en effet l'un des leviers majeurs de départ en formation. Il s'agit aujourd'hui de définir la manière de tenir compte des évolutions législatives pour adapter le cadre qui organise la relation d'emploi entre un particulier et son salarié, de façon à développer la professionnalisation. Celle-ci représente l'un des premiers enjeux du secteur. Plus largement, l'une des conditions de développement des modes de garde des enfants, quels qu'ils soient, est de professionnaliser le secteur pour assurer une qualité de service toujours plus grande.
Qu'il s'agisse de l'égalité entre les familles, au sein des familles, ou du point de vue de l'accès à l'emploi, l'égalité est la conséquence de la capacité des foyers à s'organiser et à organiser la garde de leurs enfants. Néanmoins, pour s'organiser, encore faut-il avoir un choix, une marge de manoeuvre et des solutions alternatives qui répondent à un éventail de besoins toujours beaucoup plus large que le besoin standard initialement identifié.
Cette capacité de choix doit être encouragée, accompagnée et élargie au plan national et à l'aune de chaque territoire. À cet égard, j'ai beaucoup apprécié l'intervention de Daniel Lenoir qui insistait sur l'importance de promouvoir la diversité des solutions de garde des enfants.
Au-delà de la question de l'égalité, émerge une question sur la conciliation des temps de vie. De ce point de vue, le problème ne peut se poser uniquement en termes de garde des enfants. Le partage des tâches ménagères et l'accompagnement des aînés représentent à mon sens des leviers tout aussi importants qui concernent d'ailleurs généralement les mêmes publics. Dans trois cas sur quatre, l'accompagnement d'un parent âgé est le fait de la femme dans le ménage. Nous retrouvons donc le même type de clivages que pour la garde des enfants. Pour faire face à ces différentes problématiques de conciliation, la capacité des ménages à créer de l'emploi à domicile (emplois d'assistants de vie, d'entretien du cadre de vie et de garde d'enfants) est fondamentale.
Les modes de garde individuelle sont prépondérants aujourd'hui ; ils concernent deux enfants sur cinq, sachant qu'un enfant sur deux uniquement bénéficie d'un mode de garde officiel. J'insiste ici sur la complémentarité des modes de garde, pour répondre aux problématiques de couverture géographique, d'accueil des publics fragiles ou encore d'horaires élargis. La garde individuelle complète l'offre pour constituer un éventail de solutions, finalement assez riche, qu'il convient de consolider.
Pour cela, la FEPEM et l'ensemble des partenaires sociaux travaillent avec les collectivités locales, et les RAM en priorité. L'investissement des collectivités locales dans les RAM mérite d'ailleurs d'être souligné et encouragé. Aujourd'hui, plus de 3 700 RAM accompagnent sur le terrain l'emploi entre particuliers, c'est-à-dire les solutions de gardes d'enfants individuelles. Ces emplois concernent de l'ordre 500 000 salariés, dont un quart sont des gardes d'enfants à domicile et trois quarts des assistants maternels. Les enjeux de formation et de renouvellement de ces professionnels sont considérables. Pour y répondre, il faudra travailler en coopération avec l'ensemble des acteurs qui se sont exprimés ce matin, et notamment les entreprises (entreprises de crèches, mais également employeurs qui promeuvent des solutions d'accueil individuelles), les collectivités, la CNAF et la puissance publique.
Pour terminer, j'évoquerai les pistes sur lesquelles nous pensons qu'il est opportun d'avancer. Elles sont soumises à la CNAF, avec laquelle la FEPEM travaille au renouvellement de sa convention.
Ces pistes touchent d'abord aux RAM, qui méritent d'être accompagnés et soutenus. Toute l'information qui peut être mise à disposition pour faciliter la relation d'emploi entre un parent employeur et le salarié qui s'occupera de ses enfants est bienvenue.
De la même façon, les partenaires sociaux sont extrêmement demandeurs d'informations supplémentaires sur les expériences conduites. Aujourd'hui, alors que nous sommes dans une phase de relecture de la convention collective des assistants maternels, il est très utile de tirer tout le bénéfice des expériences menées avec des MAM. La problématique de la délégation, qu'évoquaient les intervenantes du Pré-Saint-Gervais, peut se traiter au niveau d'une convention collective.
La capacité des partenaires sociaux du secteur à appuyer les RAM dans leurs missions auprès des parents paraît être un véritable enjeu de progrès pour l'ensemble des acteurs concernés.
Une autre piste porte sur l'information des parents. La FEPEM et les partenaires sociaux travaillent avec de nombreuses municipalités pour fournir une information aussi neutre que possible aux parents, en soulignant la complémentarité des solutions de garde, qui peuvent se combiner et se cumuler parfois, pour anticiper les nouveaux besoins. Plus cette information sera portée auprès des parents et des futurs parents, plus ils seront en capacité de s'organiser et d'opérer les choix qui leur sont les plus avantageux.
Je signale d'ailleurs la mise en ligne, depuis un an, du portail public « net-particulier.fr ». On y retrouve toute l'information utile sur la protection sociale, le contrat de travail ou encore l'accompagnement des territoires pour organiser un mode de garde d'enfant.
En ce qui concerne la professionnalisation, des progrès sont en cours. L'investissement a plus que doublé en trois ans. Nous menons une réflexion sur les MAM et sommes à ce titre désireux de participer au groupe de travail mis en place à la DGCS.
Enfin, nous avons développé un Observatoire des emplois de la famille qui travaille beaucoup sur la question de la petite enfance, pour disposer d'une vision plus précise et détaillée de la réalité des modes de garde, en particulier individuelle, sur tous les territoires.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie et vous félicite tous d'avoir tenu les temps de parole, au vu du grand nombre d'intervenants.
Mme Michelle Meunier . - Je tiens à remercier chacune et chacun d'entre vous pour vos interventions.
Celles-ci soulignent l'importance, compte tenu de la diversité des réponses, de ne pas opposer les modes d'accueil et les acteurs concernés. Il n'y a d'autre réponse valable que celle que le parent souhaite pour son enfant. Selon la personnalité de l'enfant, sa santé, ou encore sa place dans la fratrie, un accueil individuel sera parfois plus adapté qu'un accueil collectif, et inversement.
Les collectivités doivent continuer à travailler ensemble, qu'il s'agisse du département au travers de sa PMI, des communes ou des intercommunalités. Dans sa dernière délibération, Nantes Métropole a inscrit, au titre de ses compétences, la petite enfance dans les crèches interentreprises. Cette disposition se fera au bénéfice des familles des 24 communes que compte la Communauté urbaine de Nantes.
S'agissant des MAM, je crains que l'on ne s'en sorte pas si l'on considère qu'il s'agit d'un accueil collectif. Les MAM ne sont à mon sens qu'une manière différente d'exercer le métier d'assistant maternel.
Enfin, comme vous l'avez bien dit, nous savons maintenant, fort heureusement, qu'il ne suffit plus d'aimer les enfants pour bien exercer ce métier ; il faut être formé.
Mme Françoise Laborde . - J'ai également une remarque sur les MAM, dont je considère qu'il ne faut pas qu'elles concurrencent les micro-crèches. La question du statut juridique des MAM est très problématique. Nous le mesurons en particulier en ce qui concerne la délégation.
En tout état de cause, chaque territoire est différent et l'enjeu est de développer les possibilités d'accueil. Nous parlons, de manière utopique, du choix des parents. Pourtant, dans certains endroits, ils n'ont pas le choix et s'estiment déjà bien chanceux s'ils ont ne serait-ce qu'une solution possible.
J'ai bien noté les propos tenus concernant la formation des élus. En général, les élus qui prennent la tête des services de la petite enfance montrent un intérêt pour ces questions. Ils peuvent bien sûr se former.
En ce qui concerne les PMI, je note également que les normes diffèrent largement selon les structures. L'anecdote révélée par Vanessa Sabathier sur le cas de la « biberonnerie », qu'il a été demandé de détruire trois ans après sa construction, est saisissante. En réalité, certains services de PMI sont souples, d'autres le sont moins. Je partage entièrement les propos tenus à ce sujet.
Enfin, en tant que sénatrice de Haute-Garonne, je suis particulièrement heureuse d'avoir rencontré une représentante du Volvestre.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je laisse la parole à notre rapporteur pour le mot de conclusion.
M. Cyril Pellevat, rapporteur . - Merci, madame la Présidente.
Maire d'une commune de 1 300 habitants, je mesure bien que l'attractivité de nos villages passe souvent par les systèmes de garde. Aujourd'hui, l'insuffisance des capacités de garde empêche les jeunes couples de venir s'installer sur nos territoires. La volonté des élus de mettre en place des projets est bien souvent en lien avec cette réalité.
De même, au sein de la communauté de communes à laquelle mon village appartient, j'observe que les élus qui eux-mêmes sont concernés par une problématique de garde, parce qu'ils ont des enfants ou des petits enfants, ont davantage tendance à mettre en place une politique pour la petite enfance.
Nous construisons actuellement une micro-crèche dans ma commune. Je tiens à souligner la longueur de la procédure, qui tient notamment aux aspects législatifs d'aménagement du territoire : depuis la réalisation d'un plan local d'urbanisme adapté aux besoins à l'engagement des travaux, en passant par l'acquisition d'un terrain, sept ans se sont écoulés.
Vous avez souligné l'enjeu de sensibilisation des élus. À mon sens, il convient de leur fournir des données chiffrées sur les besoins à l'échelle des territoires pour leur permettre de défendre les projets devant les conseils municipaux, les conseils intercommunaux ou les agglomérations. De cette manière, nous saurions où placer l'effort pour remplir l'objectif de 275 000 places supplémentaires de garde, et pourrions mener des actions qui répondent aux besoins. En Haute-Savoie, nous manquons d'assistants maternels. Je connais d'ailleurs beaucoup d'exemples de femmes qui, suite à la naissance d'un enfant, ne retrouvent pas d'emploi et se convertissent au métier d'assistante maternelle, qui leur permet en outre de garder leurs propres enfants.
L'Association des maires de France, toujours présente à nos côtés, a, me semble-t-il un devoir de communication et de formation des élus. Nous sommes sensibles au sujet des modes de garde et avons besoins de vous tous pour avancer sur ces questions.
Merci à toutes et à tous.
II - AUDITION DE MME LAURENCE ROSSIGNOL, SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉE DE LA FAMILLE, DES PERSONNES ÂGÉES ET DE L'AUTONOMIE
La délégation a procédé, le jeudi 19 février 2015, dans le cadre de son étude sur l'accueil des jeunes enfants dans une perspective d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, à l'audition de Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie, madame la Ministre, de vous être rendue disponible ce matin pour venir avec nous faire le point de la mise en oeuvre de la convention d'objectifs et de gestion 2013-2017 passée entre l'État et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) le 16 juillet 2013 pour augmenter le nombre de places d'accueil de jeunes enfants de 20 % en cinq ans. Nous sommes en effet presque à mi-parcours de ce plan qui concerne à la fois les crèches et les assistants maternels : le moment est venu de procéder à son évaluation.
Notre réunion de travail intervient dans le cadre d'un rapport de la délégation sur le thème de l'accueil des jeunes enfants, que la délégation aborde sous l'angle de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes et dont Cyril Pellevat, qui a rejoint le Sénat lors du dernier renouvellement, est le rapporteur. Il me prie de l'excuser auprès de vous car il a été appelé dans son département pour une obligation à laquelle il ne pouvait se soustraire.
On sait que, pour de trop nombreuses femmes, l'interruption de l'activité professionnelle après l'arrivée d'un enfant ne résulte pas toujours d'un choix, mais est dictée par l'insuffisance des solutions d'accueil, par leur inadaptation ou par leur coût. Cette interruption, à l'origine d'inégalités professionnelles entre hommes et femmes, peut avoir des répercussions à long terme, jusqu'au niveau de la retraite.
L'accès aux solutions de garde des jeunes enfants est encore caractérisé par d'importantes inégalités, qu'il s'agisse des disparités territoriales ou des difficultés auxquelles sont confrontées, pour accéder à une solution de garde ou d'accueil, les familles à revenus modestes, et plus particulièrement les familles monoparentales. Or celles-ci concernent au premier chef les femmes auxquelles se pose aussi le problème très complexe des horaires de travail atypiques. Les questions posées par l'accueil de ces enfants font donc partie des priorités de la délégation aux droits des femmes.
Le 5 février 2015, nous avons réuni de nombreux acteurs de la question pour une table ronde qui nous a permis d'établir un diagnostic d'ensemble sur l'accueil des jeunes enfants et d'évaluer les difficultés auxquelles se heurte la montée en puissance de la convention 2013-2017. C'est pourquoi il est particulièrement intéressant d'avoir votre point de vue aujourd'hui sur cette question cruciale pour l'activité professionnelle des femmes.
L'état des lieux établi qui résulte de cette table ronde est sans surprise.
Il souligne l'importance des inégalités territoriales. Pour cent enfants à garder, le nombre de places de crèches diffère substantiellement selon les territoires. Une question se pose : comment peut-on connaître très précisément les besoins de chaque territoire pour adapter la création de places d'accueil ?
Parmi les obstacles à la création de crèches, les intervenants ont évoqué des normes parfois inadaptées, souvent incompréhensibles et généralement peu harmonisées. Des intervenants ont exprimé le besoin d'un « guide des bonnes pratiques ».
S'agissant de l'encadrement, les normes qui s'imposent aux structures d'accueil des jeunes enfants sont créatrices d'inégalités, par exemple entre les structures collectives et les assistants maternels.
Autre obstacle à la création de structures d'accueil : la complexité du financement de la création de structures par les collectivités. Certains intervenants ont exprimé le besoin d'outils d'estimation des dépenses à engager, difficiles à anticiper avec précision.
Enfin, divers intervenants ont évoqué la question des schémas territoriaux, expérimentés par dix-huit départements à ce stade, sur une base volontaire. Une circulaire de janvier 2015 vise à les généraliser. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le renforcement de l'accueil des enfants de deux à trois ans par l'école fait aussi partie des priorités du Gouvernement. Quelles mesures allez-vous mettre en place pour renforcer la part de l'école dans l'accueil des jeunes enfants ?
Madame la Ministre, je vous donne la parole, puis nous vous poserons des questions.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Je voudrais tout d'abord saluer la volonté de la délégation aux droits des femmes de se saisir de ce sujet, ainsi que son rapporteur M. Cyril Pellevat qui, dès son arrivée au Sénat, a souhaité s'investir au sein de la délégation avec la responsabilité d'un rapport dont le sujet le concerne comme tous les pères de famille.
Moi-même, depuis mon arrivée au sein de ce ministère, je suis attentive à l'implication des hommes au sein de mes équipes. Celles-ci restent majoritairement féminines mais j'essaie de faire « bouger les lignes » et de faire changer l'image de la répartition des rôles traditionnels telle qu'elle existe aujourd'hui au sein de la famille.
Un premier constat s'impose : l'augmentation progressive de la part des femmes dans la population active n'a pas eu d'incidence sur le taux de fécondité constaté dans notre pays. Avec plus de 820 000 naissances en 2014, la France se place, aux côtés de l'Irlande, à la tête des pays européens et affiche également un taux d'emploi féminin parmi les plus élevés, ce qui me vaut souvent d'être interrogée par mes homologues européens sur ce « mystère français ». Je leur réponds que l'origine de ces bons résultats est à rechercher dans la politique d'accueil de la petite enfance conduite en France, qui permet aux femmes d'être accompagnées dans la conciliation de leur vie privée et de leur vie professionnelle.
Pour autant, si le taux d'activité des femmes sans enfants tend à se rapprocher de celui des hommes, (66,4 % contre 74 %), l'écart se creuse avec l'arrivée du premier enfant. Le taux d'activité des femmes baisse très fortement à partir du troisième enfant, en particulier quand les enfants sont en bas âge (moins de trois ans). Il baisse alors fortement (41,3 %). Parallèlement, la proportion de femmes à temps partiel s'accroît avec le nombre d'enfants.
Ces indicateurs sont préoccupants, non pas parce que nous aurions à décider pour les femmes la meilleure façon de gérer leur vie mais parce que le retrait des femmes du marché du travail, en fonction de leur nombre d'enfants, génère des écarts de salaire, puis de retraite. De plus, leur exclusion du marché du travail, initialement temporaire, s'avère, le plus souvent, durable.
C'est pourquoi les pouvoirs publics, en France, travaillent à améliorer la conciliation entre vie privée et vie professionnelle.
Nos objectifs sont d'abord d'augmenter la quantité et d'améliorer la qualité de l'accueil du jeune enfant.
Le propre de notre modèle français, comme je le disais, c'est une forte natalité conjuguée à un nombre important de femmes qui travaillent. Ce modèle repose sur l'importance accordée aux modes de garde et à leur diversité.
En 2012, 54 % des enfants de moins de trois ans bénéficient d'un mode d'accueil qui n'est pas assuré par la famille, ce qui place la France largement au-dessus de la moyenne européenne (33 %). Au premier rang de ces modes d'accueil se situe l'accueil par les assistants maternels agréés employés par les parents, qui offrent aux familles près de 760 000 places. Les crèches proposent quant à elles 400 000 places d'accueils collectifs. 97 200 enfants sont inscrits en petite/très petite section de classe maternelle à la rentrée 2014. Enfin, les formules de garde à domicile concernent 50 000 enfants.
Ces chiffres pourraient paraître satisfaisants. Pourtant, eu égard à la persistance des inégalités territoriales dans notre pays, le Gouvernement a décidé de poursuivre et même d'accélérer son soutien à la création de nouvelles solutions d'accueil du jeune enfant. En effet, les solutions d'accueil du jeune enfant varient, selon les départements, de 9 à 80 pour 100 enfants de moins de trois ans.
Ainsi, et conformément à la Convention d'objectif et de gestion (COG) 2013-2017, signée par l'État et la CNAF en juillet 2013, nous souhaitons créer 275 000 nouvelles solutions d'accueil, réparties de la manière suivante :
- 100 000 nouvelles places d'accueil collectif ;
- 100 000 nouvelles places d'accueil individuel auprès d'assistants maternels ou d'employés assurant la garde d'enfants au domicile des parents ;
- et 75 000 nouvelles places en école maternelle pour les deux-trois ans.
Parallèlement, j'ai demandé aux préfets, par la circulaire DGCS/SD2C/2015/8 du 22 janvier 2015, de réunir tous les acteurs locaux de la petite enfance, caisses d'allocations familiales (CAF), conseils généraux, communes, afin qu'ils se prêtent à l'élaboration d'un diagnostic commun des besoins des familles sur le territoire. Chaque département devrait donc élaborer un schéma départemental des services aux familles. C'est cette diversité - caractéristique de l'offre française - qui permet une réponse adaptée, au plus près du besoin des familles. J'attends de ces schémas départementaux - dont dix-huit sont déjà en expérimentation à titre de préfiguration - qu'ils nous indiquent très précisément comment les besoins sont couverts, afin de répondre à l'amélioration de la couverture de ces besoins en matière de soutien à la parentalité et de modes d'accueil, tenant compte de leur diversité, à laquelle je suis attachée.
D'ailleurs, la réflexion sur la diversité des modes de garde sur une offre plus souple et mieux adaptée aux nouveaux besoins qui émergent d'un marché du travail moins stable, avec des horaires atypiques et avec de nouvelles manières de travailler, comme le développement du télétravail, devrait être conduite non pas simplement sous un angle quantitatif mais aussi qualitatif : le parcours de l'enfant doit être au coeur de cette réflexion.
Les solutions qu'il faut proposer aux parents doivent reposer sur une plus grande continuité entre les différents modes de garde tels qu'ils existent aujourd'hui, permettant ainsi de couvrir les besoins ponctuels, comme les horaires atypiques, tout en garantissant une plus grande fluidité dans le parcours de l'enfant et un plus grand sentiment de sécurité pour les parents. Nous manquons, par exemple, bien souvent de liens entre une structure collective et une garde à domicile. Nous pouvons supposer que nous gagnerions à tisser des liens entre les professionnels qui s'occupent du même enfant, mais à des moments différents de la journée. Je suis sûre qu'il existe déjà, sur les territoires, des initiatives de cette nature. Il y a certainement de nouveaux modèles à inventer.
Dans le même esprit de souplesse, la question de la préscolarisation des enfants de moins de trois ans ne doit pas être traitée de manière dogmatique : cette solution participe également d'une plus grande souplesse offerte aux parents, sous réserve, bien évidemment, de la qualité de l'accueil offert aux enfants, laquelle passe par une attention particulière accordée à la formation des personnels. Mais j'aurai l'occasion de revenir plus en détails sur cet aspect au cours de mon propos.
Dans un objectif d'intérêt de l'enfant, mais aussi dans une perspective d'égalité professionnelle, le souci qui doit être le nôtre repose sur la nécessité de couvrir tous les besoins en matière de mode de garde, aussi bien en nombre de places qu'au vu des spécificités des vies professionnelles des parents, plus particulièrement des femmes, et plus encore des mères isolées.
Si elles ont consacré une attention particulière à la perspective de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les politiques publiques n'ont pas toujours mis les besoins de l'enfant au centre de leurs préoccupations. Progressivement, pourtant, la problématique du développement de l'enfant s'est placée au coeur des pratiques et les professionnels (assistants maternels, puéricultrices...) s'y sont largement investis.
Le Gouvernement est, par ailleurs, particulièrement attentif aux situations les plus précaires, en particulier à l'égard des familles monoparentales, car de nombreuses mères sont éloignées du marché du travail pour des raisons évidentes d'accès et de coût des modes de garde. Cette problématique ne se pose pas uniquement en termes financiers, mais également en termes de qualité de vie : quand une femme met dans la balance ce que la garde va lui coûter, pas seulement en termes financiers, mais aussi par exemple en temps, notamment de transport, et ce qu'elle va gagner, l'arbitrage n'est pas toujours favorable au travail, ce qui pose des problèmes pour l'accès à l'autonomie et la lutte contre la pauvreté.
C'est pourquoi, dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, nous travaillons à la mise en oeuvre d'une convention entre la CNAF, Pôle emploi et l'Association des maires de France (AMF), afin d'être en mesure de dégager des places d'accueil, par exemple de manière ponctuelle pour les parents qui doivent se rendre à un entretien d'embauche ou qui bénéficient d'une formation. Les femmes éloignées du marché du travail doivent, en particulier, bénéficier de ces dispositifs. J'attends beaucoup de cette convention.
La COG prévoit plusieurs mesures pour le développement des solutions d'accueil du jeune enfant et porte particulièrement l'ambition de 275 000 créations de nouvelles places d'accueil.
Pour atteindre cet objectif, le Gouvernement a décidé de maintenir, malgré un contexte budgétaire très contraint, le taux d'augmentation annuel du Fonds national d'action sociale de la CNAF au même niveau que celui qui a prévalu pour la COG 2009-2012, soit 7,5 %. C'est le signe d'un engagement très fort. Le FNAS finance notamment le fonctionnement et l'investissement de l'accueil collectif, et soutiendra ainsi l'objectif des 100 000 places de crèche.
Deux ans après la mise en oeuvre du plan (sur cinq ans), les résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes : seulement 51 % des objectifs annuels de la COG ont été atteints, avec la création de 10 700 solutions d'accueil collectif. À ce rythme, si la courbe ne repart pas, les objectifs ne seront pas tenus. C'est un sujet qui se situe au centre de mes préoccupations. Pourquoi, malgré les aides de la CAF et malgré les besoins, un tel ralentissement dans les communes ?
Les explications peuvent être multiples.
D'une part, la crise, qui éloigne du marché du travail ou qui rend difficile financièrement l'accès aux différents modes de garde, induit probablement une baisse de la demande d'accueil. Quand j'évoque la crise, je pense au développement des solidarités intrafamiliales qui peuvent être une réponse, que ce soit l'homme ou la femme en perte d'emploi qui consacre du temps à la garde de l'enfant, voire les grands-parents, même si j'ai lu récemment certaines études relayant le point de vue de grands-parents qui ne seraient pas mécontents que leurs enfants s'occupent davantage de leurs propres enfants.
D'autre part, le contexte électoral qui fige les investissements et amène les nouvelles équipes en place à gérer, la première année, un budget qu'elles n'ont pas élaboré.
Il y a donc des raisons conjoncturelles au résultat de la COG. D'autres causes peuvent encore être identifiées.
Dans la COG 2009-2012, les places en accueils collectifs avaient été optimisées : le nombre d'enfants par crèche a été augmenté, mais la diminution des coûts de fonctionnement a atteint ses limites. On ne peut pas aller plus loin sur ce point ni assouplir encore les normes d'encadrement qui, comme vous le savez, ne font pas consensus.
Par ailleurs, les coûts d'investissements ont considérablement augmenté (une étude est en cours sur ce point).
Enfin, se pose la question des normes, à l'égard desquelles le ressenti doit être distingué du réel. Le ressenti, c'est que les normes sont trop lourdes. Nous essayons toutefois d'évaluer la réalité et elle s'avère parfois tout autre. Ainsi, nous avons par exemple assoupli les normes sur la qualité de l'air avec la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Ségolène Royal. Un groupe de travail a également été mis sur pied dans le cadre d'une réflexion sur les normes d'urbanisme, mais ses travaux n'ont pas abouti à la nécessité de véritable réforme en la matière car ils n'ont pas identifié de règles d'urbanisme qui soient trop contraignantes ou superfétatoires.
Les élus se plaignent en outre des normes imposées par la CNAF. C'est un sujet récurrent, comme vous le savez. L'année dernière, la CNAF a revu ses règles de versement de la prestation sociale unique (PSU). Une refonte est actuellement en cours et donnera lieu à la présentation d'une nouvelle grille, à la fin d'année.
S'agissant enfin des normes d'encadrement, il n'existe, à l'heure actuelle, aucun consensus pour revenir sur le « décret Morano » 54 ( * ) . À cet égard, la principale difficulté qui se pose est qu'il n'est pas possible à la fois de stimuler et mobiliser les collectivités territoriales afin qu'elles créent des solutions d'accueil supplémentaires, tout en renforçant leurs normes d'encadrement, d'autant que beaucoup de structures continuent d'appliquer les normes antérieures. Bien que je sois consciente des difficultés sur le terrain, ma position est donc le statu quo sur ce point.
En avril, lorsque j'ai évalué la courbe de progression de la COG 2013-2017, j'ai alors fait procéder à une accélération du « plan crèches » qui repose, d'une part, sur une aide exceptionnelle à l'investissement de 2 000 € pour chaque nouvelle place de crèche, à compter de 2015. Il s'agit d'une recommandation du Haut conseil de la Famille (HCF) que nous avons proposée au conseil d'administration de la CNAF et qui est effective depuis le 1 er janvier 2015. Il est aujourd'hui trop tôt pour en connaître les effets. L'accélération du plan crèches repose aussi sur un travail de simplification, par l'allègement des normes qui encadrent la construction de places de crèche. Le ministère chargé du logement et l'Association des maires de France (AMF) s'associent à nos efforts.
Nous avons en outre engagé un plan global de développement des places auprès des assistants maternels qui s'articule autour de deux points : le renforcement de l'accompagnement des assistants maternels à l'aide des relais d'assistants maternels (RAM) (la COG fixe l'objectif d'un RAM pour 70 assistants maternels en 2017), afin d'assurer un meilleur maillage du territoire, et l'augmentation de la prime à l'installation des assistants maternels (à 600 € dans les territoires prioritaires et 300 € dans le droit commun).
À cela s'ajoute l'expérimentation du complément de mode de garde (CMG) en tiers-payant, lancée depuis le 1 er janvier 2015 à destination des familles les plus modestes. Ce dispositif, qui permet aux familles de ne pas avancer la totalité du coût de la garde de leur enfant, est techniquement complexe parce que les assistants maternels sont les employés des parents. L'idée demande une grande mobilisation de la part des CAF même si au premier abord elle semble évidente. L'expérimentation, mise en place sur onze départements, durera dix-huit mois.
Parallèlement à ces objectifs et dans une perspective de garantie de la qualité d'accueil des jeunes enfants, le Gouvernement porte une attention particulière à la formation des professionnels, mais aussi des parents-employeurs.
J'ai signé cette semaine, avec François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et les partenaires sociaux, l'accord cadre du premier engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) pour la petite enfance. Cet accord va permettre de « professionnaliser » les salariés et les employeurs, y compris les parents-employeurs.
Ce pan du dispositif peut paraître curieux, le « parent-employeur » n'étant pas, comme le chef d'entreprise, un professionnel de sa profession, pourtant il nous a semblé intéressant d'associer cette catégorie d'employeurs, dans l'intérêt collectif des dispositifs.
Il nous a paru également utile de développer la formation continue, dans la mesure où les professionnels interviennent à une période déterminante dans le développement de l'enfant : ils seront ainsi mieux à même de répondre à l'accueil en horaires décalés, de repérer les enfants en situation de maltraitance et de détecter les situations de handicap.
D'un côté, les professionnels se verront reconnaître un accès facilité à la validation des acquis de l'expérience et, de l'autre côté, les employeurs verront leurs compétences en matière de ressources humaines et de gestion budgétaire renforcées. La spécificité des parents-employeurs sera également prise en compte. Cette mesure est très importante : son budget représentera cinq millions d'euros sur trois ans.
L'EDEC constitue ainsi la première brique du plan « métiers de la petite enfance » que j'entends mettre en oeuvre. Axé sur la sécurisation des parcours professionnels, ce plan prévoit des passerelles entre les métiers et les diplômes de la petite enfance. Nous travaillons aussi à la refonte du CAP petite enfance, à un moment où, hasard du calendrier, le contenu de ce diplôme est en cours de réexamen.
Je rappelle que les métiers de la petite enfance sont parmi les plus féminisés.
Je voudrais, à cet égard, saluer l'angle d'attaque de votre rapport : « L'accueil des jeunes enfants dans une perspective d'égalité professionnelle femmes-hommes ». En effet, la question de l'accueil du jeune enfant est indissociable de celle de l'insertion des femmes sur le marché du travail. D'ailleurs, l'ensemble des mesures que nous mettons en place en matière de petite enfance, si elles ont bien sûr pour objectif premier le meilleur intérêt de l'enfant et la meilleure préparation que nous pouvons proposer au parcours scolaire, doivent aussi être regardées comme un soutien, un facilitateur, un levier, dans la perspective d'une égalité professionnelle réelle entre les femmes et les hommes.
Enfin, la question du financement de l'accueil des jeunes enfants est cruciale. Les crèches privées ne sont pas aux crèches publiques ce qu'est l'école privée à l'école publique. Elles ne pratiquent pas de tarification supérieure. Elles font partie intégrante, à mon avis, de ce que l'on peut appeler le « service public de la petite enfance ».
À cet égard, j'ai initié une démarche avec mes deux homologues britannique et allemand pour que les crèches soient éligibles au système de « cautionnement » prévu dans le cadre du plan Junker.
Il faut souligner, en définitive, que la France est un pays en avance en matière de politique d'accueil de la petite enfance, une politique que nos homologues britanniques et germaniques saluent.
Je vous remercie.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Avant de donner la parole à mes collègues, je souhaiterais vous poser quelques questions.
Au cours de la table ronde du 5 février, des intervenants ont souligné la disparité des interprétations par les PMI des dispositions normatives relatives aux locaux, à l'hygiène et à la sécurité et donc la nécessité d'aboutir à une harmonisation de leur lecture.
Par ailleurs, de quels éléments disposez-vous sur le coût de gestion des crèches, qui varie semble-t-il du simple au double selon les établissements ?
Que pensez-vous des demandes formulées par certaines associations pour favoriser les familles monoparentales quant à l'attribution de places de crèches, telles qu'un quota de places réservées ou une priorité d'attribution ?
Pourriez-vous revenir sur la continuité de l'accueil de l'enfant pendant toute la journée et sur les éléments concrets, conciliant vie personnelle et vie professionnelle, actuellement expérimentés dans ce registre ?
Enfin, un rapport de Terra Nova démontre que les inégalités entre les personnes commencent très tôt et que les acquis fondamentaux d'un enfant doivent l'être avant six ans ; il préconise donc que les établissements accueillant les enfants, crèches ou structures collectives assurent dès le plus jeune âge l'enseignement d'éléments de pédagogie et d'éducation, notamment pour les familles défavorisées. Quel est votre avis sur cette proposition ?
Mme Michelle Meunier . - Je vous remercie, madame la Ministre, de ce tour d'horizon complet sur ce sujet complexe mêlant des problématiques concernant l'éducation de l'enfant et son épanouissement futur et qui, par ses implications sociales et économiques, dépasse la seule question des modes d'accueil.
Je reviens tout d'abord sur une formule récente puisqu'elle compte une dizaine d'années d'existence : il s'agit des maisons d'assistantes maternelles (MAM). Les débats de la table ronde du 5 février ont fait apparaître la nécessité de définir un statut spécifique pour encadrer ce mode de garde qui ne relève strictement ni de l'accueil individuel ni de l'accueil collectif. En effet, une assistante maternelle peut déléguer la garde de l'enfant à l'une de ses collègues travaillant au sein de la même MAM, alors même que l'assistante maternelle délégante n'est pas liée contractuellement avec les parents de l'enfant. Il y a donc là source d'insécurité juridique tant pour les salariés que pour les employeurs ou les collectivités qui mettent à disposition des MAM des locaux ou les subventionnent. Que proposez-vous pour y remédier, d'autant que ce mode de garde est en expansion dans certains départements, notamment en Loire-Atlantique ?
J'adhère totalement à votre projet de développement des emplois et des compétences et nous pourrons faire connaître les éléments que vous nous transmettrez dans nos circonscriptions respectives.
Les métiers de la petite enfance ont évolué depuis une quinzaine d'années et les formations des professionnels de la petite enfance comportent bien des enseignements fondamentaux sur la psychologie de l'enfant et la sociologie de l'enfant dans son environnement familial. Pourtant, le volet dédié à la prévention, notamment de la maltraitance, y est à mon avis insuffisamment développé. La prochaine refonte des programmes du CAP petite enfance devrait être l'occasion d'y remédier.
Mme Maryvonne Blondin . - Madame la Ministre, je vous remercie de cette présentation et salue votre enthousiasme. Je partage d'autant plus votre constat d'une France à l'avant-garde de la question de la garde des jeunes enfants que l'un de mes petits-enfants vivant en Amérique du Nord n'a obtenu une place dans une maison d'accueil pour jeunes enfants qu'au bout de dix-huit mois, obligeant de ce fait sa mère à arrêter temporairement son activité professionnelle.
Je souhaiterais vous interroger sur la prise en charge des enfants habituellement accueillis dans des structures collectives lorsqu'ils sont malades ; en effet, à défaut de solution alternative, notamment familiale, la mère, bien souvent, est contrainte de rester à son domicile pour garder l'enfant. Certes, certaines associations, telle que SOS Maman, peuvent intervenir dans ces circonstances mais seulement pendant une journée.
Votre intervention n'a pas traité d'un acteur incontournable du secteur de l'accueil de la petite enfance, la PMI, qui délivre les agréments aux assistantes maternelles. L'interprétation par les PMI des normes applicables aux locaux affectés à l'accueil des enfants varie fortement sur le territoire, nous l'avons vu, et certaines PMI imposent leurs prescriptions aux exploitants de structure d'accueil collectif alors que de simples mesures de bon sens pourraient suffire dans de nombreux cas.
Je tiens aussi à rappeler que des assistants familiaux accueillent les enfants qui leur sont confiés par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) en vertu d'une décision de justice.
Mme Annick Billon . - La solution du développement de l'accueil précoce des enfants dans les écoles maternelles est-elle favorablement reçue par les enseignants ? Il m'a semblé que pour certains, la vocation de l'école n'est pas d'assurer une simple fonction de garderie...
Les micro-crèches ont souvent été développées par des femmes confrontées à un problème de garde pour leurs propres enfants. Se sont-elles lancées dans cette activité en l'absence d'autre possibilité de travail ou bien ont-elles exercé auparavant le métier d'assistante maternelle et ont ensuite entrepris de développer une activité pour répondre à un manque criant de place dans les structures collectives ?
Je me suis récemment entretenue avec une entrepreneure qui travaille dans ce domaine. Elle m'a confié ses difficultés à monter ses projets eu égard aux procédures et aux normes dont le respect conditionne l'autorisation d'exercer. Vous évoquiez la qualité de l'air des locaux destinés à l'accueil des enfants : on en arrive parfois à des préconisations aberrantes pour assurer la qualité de l'air à l'intérieur des bâtiments alors même que la simple ouverture des fenêtres - je parle par exemple de la Vendée dont je suis élue - permettrait d'en régénérer l'air. Des investissements coûteux et non vraiment justifiés sont ainsi parfois engagés.
Chantal Jouanno a indiqué que certaines inégalités débutaient fort tôt ; or, je constate que les modes de garde collectifs ou individuels sont majoritairement assurés par des femmes. Que retiendront donc les enfants de leur prime enfance ? Le stéréotype que la garde est dévolue à la femme !
Mme Christiane Kammermann . - Votre très intéressant exposé témoigne de l'ampleur du travail que vous avez mené en fort peu de temps, depuis votre récente nomination au Gouvernement.
Avez-vous été amenée à traiter de l'accueil des enfants français de familles réfugiées issues de pays en guerre ainsi que de celui des enfants handicapés ?
Les vingt-trois parlementaires représentant les français établis hors de France dont je fais partie pour le Sénat ont accueilli nombre de familles syriennes avec le Comité d'Entraide aux Français Rapatriés (CEFR).
J'adhère pour ma part au projet de convention destiné à augmenter sensiblement le nombre de places d'accueil disponibles ainsi qu'à la proposition d'instituer le système du tiers payant pour le règlement des prestations d'accueil des jeunes enfants ; je crains néanmoins que sa mise en place ne soulève de très sérieux problèmes de contrôle.
Les problématiques relatives au financement de nouvelles places d'accueil ainsi qu'aux normes d'encadrement ont tout particulièrement retenu mon attention.
Si je ne doute pas que la France soit à citer en exemple quant à la qualité de l'accueil des jeunes enfants, je précise que c'est aussi le cas de quelques pays de l'Est ou bien de la Suisse où l'accueil y est organisé avec sérieux et méticulosité.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Concernant les solutions innovantes en matière de mode de garde sur lesquelles s'interrogent Mesdames Meunier et Jouanno, il s'agit notamment de mieux coordonner les modes d'accueil existants pour répondre à une prise en charge globale d'un enfant dont les parents font appel à diverses solutions pendant la journée.
Je cite volontiers en exemple les crèches solidaires du réseau GEPETTO (Garde d'enfant pour l'équilibre du temps professionnel, du temps familial et son organisation) dont des établissements existent à Vannes et Romans-sur-Isère ; il s'agit d'une crèche assurant un accueil collectif combiné à un service d'accueil à domicile, avec une tarification identique pour les parents sur la base du tarif de la CAF, pour les horaires du soir du week-end. Des entreprises réservent des places pour leurs salariés, à la fois à la crèche et au service d'accueil à domicile. Ce dispositif permet une synergie entre l'accueil collectif et individuel en décloisonnant des métiers, les personnes en charge de l'accueil individuel participant aussi au fonctionnement de l'établissement d'accueil collectif, en assurant par exemple le suivi des temps de repas des enfants. Ces personnes acquièrent ainsi une pratique du travail en équipe, ce qui est d'autant plus valorisant que ce travail s'exerce au sein d'une équipe pluridisciplinaire. En particulier, le travail en équipe développe l'estime de soi et réduit la solitude professionnelle que l'on constate dans l'exercice de tous ces métiers féminins peu qualifiés, qu'il s'agisse des assistantes maternelles ou encore de salariés contribuant à l'aide à domicile pour des personnes âgées.
Le modèle des crèches du réseau GEPETTO est un exemple à suivre et il faut soutenir les initiatives locales des individus, associations ou collectivités locales. Il apparaît que nos règles de fonctionnement, en particulier celles d'attribution de la PSU ou des aides à l'investissement tant pour les assistantes maternelles que pour les crèches, doivent prendre en compte ce besoin de souplesse et de continuité de l'accueil demandé par les parents. Les règles de financement ne doivent pas être un obstacle au développement de solutions innovantes : nous les adapterons si nécessaire.
Le modèle des MAM est un mode d'accueil innovant mais qui doit être encadré principalement par voie réglementaire ; je suis particulièrement favorable aux MAM en association fondée sur un projet collectif et soutenue par des collectivités locales, notamment par leur mise à disposition d'un local, gratuite ou non. Un groupe de travail élabore actuellement une charte qualité pour l'organisation du travail dans les MAM.
Je déplore effectivement que des départements, voire de simples professionnels, édictent leurs propres normes en imposant leur interprétation des textes existants. Y remédier nécessiterait de contrôler des pratiques professionnelles individuelles. Nous avons rédigé un marché public, avec une date de remise souhaitée au 3 e trimestre 2015, portant sur une étude dont l'objet est d'identifier les disparités d'application des normes et de recenser l'ensemble des normes appliquées par les conseils généraux et relatives à la conception, au fonctionnement et à l'organisation des crèches. Les présidents des conseils généraux (puis des assemblées départementales) doivent se saisir de ce problème et rappeler aux professionnels de leur département, agissant en vertu de leur délégation de pouvoir, que seules les normes légales doivent être prises en considération.
L'expression « familles monoparentales » recouvre des situations diverses, du couple séparé dont les enfants sont gardés en résidence alternée aux femmes seules en grand isolement, sans oublier les femmes seules épaulées par un environnement familial assez présent. Des mesures, notamment de discrimination positive, dédiées aux familles monoparentales, doivent donc être pondérées selon des critères de ressources et de d'isolement.
Des prestations spécifiques sont déjà versées aux familles monoparentales : le revenu de solidarité active (RSA) majoré ou l'allocation de soutien familial pour les parents isolés ; la CNAF propose aux couples qui se séparent des offres de services spécifiques. En outre, beaucoup des mesures que j'ai déjà citées bénéficient aussi aux familles monoparentales : la convention passée avec Pôle emploi, la prise en compte de l'accueil des enfants en horaires décalés, le complément du mode de garde (CMG) tiers payant et la garantie des impayés de pensions alimentaires.
Des municipalités ont développé un programme éducatif pour faire acquérir aux enfants issus des milieux culturels les plus défavorisés un vocabulaire minimal, de l'ordre de 500 mots. Je rappelle qu'au moins 10 % des places de crèches sont réservées à des enfants de familles défavorisées. Si les personnels qui interviennent autour de l'accueil du jeune enfant y sont généralement favorables, certains m'ont fait part de leur étonnement car une telle proposition semble ignorer leur contribution à l'épanouissement culturel des jeunes enfants par la parole mais aussi par diverses modalités d'expression corporelle et d'éveil culturel : danse, musique, théâtre de marionnettes.
Des villes pilotes expérimentent un tel dispositif et j'attends avec intérêt les conclusions et enseignements tirés de leurs évaluations. Je rappelle toutefois qu'il s'agit de politiques locales dans lesquelles l'État n'a pas vocation à intervenir.
Une des pionnières en la matière, l'association Enfance et musique , très présente dans les crèches, favorise l'éveil musical du jeune enfant. Je ne suis pas certaine qu'il faille substituer des heures d'apprentissage du vocabulaire à cet éveil musical, l'éveil éducatif pouvant revêtir des aspects très divers.
La date d'application du décret portant sur la qualité de l'air dans les établissements accueillant de jeunes enfants a été reportée de trois ans ; ses dispositions initiales ont été modifiées pour ne retenir que la réalisation d'un diagnostic de la qualité de l'air.
Les micro-crèches sont financées de deux manières, la PSU sur le barème CAF d'une part, le CMG structure versé aux parents, d'autre part : les tarifs pratiqués par les micro-crèches sont très variables et parfois abusifs. Aussi le Gouvernement a-t-il adopté un décret pour plafonner la participation horaire demandée aux parents, et ce depuis le 1 er septembre 2014.
Les enfants handicapés bénéficient d'un accès normal aux crèches et aux assistantes maternelles et des mêmes aides de la CAF. Des aides spécifiques sont prévues dans la nouvelle COG pour cofinancer leurs accompagnateurs. Lors de la Conférence nationale du handicap du 11 décembre 2014, le président de la République a annoncé que ces fonds spécifiques de la CAF seraient davantage mobilisés pour que les enfants handicapés bénéficient aussi des accueils périscolaires.
Concernant l'accueil des enfants de parents réfugiés, ils disposent des mêmes droits que les autres enfants dès lors que le statut de réfugié leur est reconnu ; il y a un mois, j'ai demandé à la CNAF de supprimer le délai de carence pour les réfugiés syriens et la décision a été prise de leur attribuer des prestations familiales dès leur arrivée.
Mme Christiane Kammermann . - Je suis heureuse d'apprendre qu'une instruction a été donnée pour supprimer le délai de carence pour le versement des allocations familiales aux enfants de réfugiés syriens. Donnez-vous une priorité à ces enfants ? Je vous demande une attention particulière car ils ont connu des moments dramatiques.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Si le cas de certains enfants réfugiés doit être tout particulièrement étudié, j'apprécierais qu'ils me soient communiqués. Le nombre de places en crèche est limité et les priorités d'attribution sont définies selon plusieurs critères : monoparentalité, handicap, enfants pauvres, enfants réfugiés. Il y a donc un équilibre délicat à trouver lors de l'attribution des places, d'autant qu'il faudra aussi expliquer à des parents qui travaillent tous deux pourquoi ils ne peuvent bénéficier d'une place car leur cas n'est pas jugé prioritaire ! J'ai cependant une totale confiance dans la gestion par les personnels des communes et des crèches de la diversité des situations sociales douloureuses auxquelles ils ont à répondre.
Mme Anne Emery-Dumas . - Le principal écueil financier que rencontrent les communes qui souhaitent créer des places d'accueil tient non pas au coût de l'investissement mais surtout au coût de fonctionnement, prohibitif à long terme. Il constitue un véritable frein à la décision. Une aide au fonctionnement, notamment pour les communes rurales, serait bienvenue.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Nous en avons conscience, c'est pour cela que nous avons majoré les aides au fonctionnement de 40 à 70 % dans les zones prioritaires qui sont particulièrement en déficit démographique en termes de capacité d'accueil.
Il faut cependant que les communes prennent conscience qu'une crèche, créatrice d'emplois, augmente aussi considérablement leur attractivité auprès de nouveaux habitants potentiels, a fortiori si l'accueil périscolaire et la cantine scolaire sont associés à la création de crèche. Celle-ci, de plus, contribue à consolider l'existence d'une école.
Je vous remercie pour votre attention.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Et nous, madame la Ministre, nous vous remercions pour votre disponibilité.
* 53 Décret n° 2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans.
* 54 Décret n° 2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans.