E. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 18 JUIN 2015, SUITE AU DÉPLACEMENT EN SEINE-ET-MARNE LE 11 JUIN 2015
Mme Nicole Bricq.- Je vous remercie d'avoir accepté de proposer à la Délégation ce déplacement en Seine-et-Marne. Je suis heureuse qu'aient pu y participer plusieurs d'entre nous. En effet, mes chers collègues, Mme Lamure et moi-même étions accompagnés de Mme Patricia Morhet-Richaud et de M. Dominique Watrin.
Notre journée a débuté par une table ronde à la Chambre de commerce et d'industrie qui a réuni 17 entrepreneurs. Ils sont venus témoigner des freins et leviers à la croissance de leur entreprise, en insistant -comme de coutume- sur les freins, certains ne craignant pas des propos radicaux.
L'intérêt de cette table ronde était de réunir, à une exception près, des entreprises industrielles, ce qui, pour moi, traduisait un message important : l'Ile-de-France est un territoire productif.
Comme ceux que nous avions déjà rencontrés, ces entrepreneurs ont rappelé leur besoin de prévisibilité, de stabilité et de lisibilité. Ils ont exprimé des craintes à l'égard des seuils, déploré la complexité du droit du travail, les charges sociales, les distorsions concurrentielles entre pays européens (Allemagne, Espagne, Slovaquie), l'accès difficile aux marchés y compris publics, les contrôles fiscaux -trop souvent- consécutifs à l'octroi de crédits d'impôt (CIR, CICE)...
Mais ils constatent aussi des difficultés à recruter, des relations défaillantes avec Pôle Emploi, des déficiences du système d'apprentissage ; ils témoignent également de difficultés à obtenir des soutiens bancaires, même s'ils ne précisent pas pour quel besoin spécifique de financement. En outre, ils peinent à accéder au grand export ; l'une des PME a cité l'exemple de la Chine où le grand groupe qu'elle fournissait a préféré produire sur place plutôt qu'en France.
Des propos radicaux ont même été tenus : « il faut arrêter les subventions, qui sont surtout un nid à complexité et du temps perdu » ; « il reste deux pays soviétiques au monde : la Corée du Nord et la France » ; « la simplification est livresque »...
Cela étant dit, j'ai observé que lors des deux visites, l'une au Nord du département (à ACRELEC, leader sur le marché des bornes digitales) et l'autre au Sud (JPB Système, leader dans l'aéronautique), nous avons pu entendre un autre discours, ancré dans le réel de deux entreprises, véritables success stories basées sur l'innovation, la formation, la croissance (organique et externe), le positionnement sur des marchés porteurs et l'accompagnement des pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux.
J'y reviendrai dans les leçons générales à tirer de cette journée pour nos travaux futurs. Le tour de table matinal a relevé des points positifs :
- le rôle utile de la BPI ;
- la reconnaissance portée aux acteurs locaux : mairie, intercommunalités, département, région ;
- le rôle positif de la numérisation, les entrepreneurs ayant conscience des progrès à accomplir dans la robotisation, à laquelle l'un des chefs d'entreprise a attribué un rôle « primordial » ;
- enfin, nous avons eu trois exemples d'entreprises dynamiques ayant fait l'objet de reprise heureuse.
J'ai relevé des demandes et des souhaits auxquels il nous faut être attentif :
- disposer de référents administratifs dédiés ; j'ai noté la satisfaction, à ce sujet, de ceux qui ont obtenu le label d'exportateur agréé par les douanes, et le mécontentement de plusieurs de ne pas avoir de référents dédiés à Pole Emploi ;
- mettre en place la dématérialisation des factures entre entreprises, notamment afin de réduire les délais de paiement ;
- adapter l'État qui doit assumer un rôle d'exemplarité et lui-même se « décongestionner ».
Je tire donc de cette journée quelques leçons générales que je soumets à l'attention de la Délégation :
- quel que soit le sort final de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), il nous faudra veiller à l'accompagnement de proximité : la Région est clairement chef de file en matière d'économie, celle-ci doit être un sujet prioritaire des Conférences Territoriales instituées par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) ;
- les chefs d'entreprise sont comme tous les Français : ils ne croient qu'à ce qu'ils ressentent concrètement, ils se méfient des annonces. Un plan média, fût-il fort, une loi fût-elle votée, ne seront ressentis que lorsqu'ils se concrétiseront dans la vie de l'entreprise. Voici quelque temps, nous entendions parler lors de nos visites du compte pénibilité ; nous n'avons entendu à ce sujet aucune remarque cette fois-ci, après les annonces faites et le satisfecit donné par les organisations patronales. Nous n'avons pas non plus entendu de référence explicite au nouveau dispositif de suramortissement ; en revanche, quand j'ai interrogé les deux chefs d'entreprise visitées, j'ai eu une réponse enthousiaste, ils présenteront un dossier dans la fenêtre ouverte par le gouvernement ;
- l'apprentissage est un sujet majeur. Il saute aux yeux et aux oreilles que cela ne va pas. Les sommes qui y sont dédiées sont pourtant substantielles, des rapports y ont été pourtant consacrés. Sans doute faut-il les reprendre et faire des propositions précises ;
- je ne prends pas à la légère le cri du coeur d'un participant d'« arrêter les subventions ». Sans doute les contrôles de l'administration et quelquefois les redressements qui ont suivi, le temps qui y est consacré, la complexité des dossiers demandés par l'administration provoquent du ressentiment ; mais il existe des mécanismes qui faciliteraient la vie des entreprises, comme la procédure de rescrit fiscal qui permet préventivement de se mettre d'accord sur l'interprétation de la réglementation, et ils sont peu ou pas connus. Ce cri du coeur attire notre attention de parlementaire sur l'exercice de notre rôle de contrôle et d'évaluation des mesures prises ;
- je relève aussi qu'il y a un ressenti comme quoi le « compte n'y est pas », entre ce qui est donné d'un côté et ce qui est pris ou repris de l'autre. L'un nous a cité le coût de la mutuelle obligatoire : 50 € par salarié, et je retiens aussi le surcoût de l'établissement de la feuille de paie induit par le recours au CICE.
Il conviendrait d'établir des cas-types afin de faire le point du rapport coût / avantages.
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Merci beaucoup. Grâce à vous, nous avons visité de belles entreprises. Il serait utile d'emmener des jeunes visiter de telles entreprises industrielles, qui sont modernes et très bien tenues.
Mme Nicole Bricq.- Ce sont en effet de vrais laboratoires !
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Je me souviens que nous avions été accueillis dans la Drôme par une entreprise, Valrhona, qui clamait « Bienvenue dans une entreprise qui se porte bien ! ». En Seine-et-Marne, nous avons été très bien accueillis à la Chambre de commerce et d'industrie (CCI), par ces mots : « Bienvenue dans une CCI qui va mourir ! ».
Mme Nicole Bricq.- En effet, avec mes collègues de tous bords, nous nous sommes battus, pour maintenir une CCI en Seine-et-Marne et dans l'Essonne. Nous avons gagné mais les moyens ne suivent pas. Les CCI de Paris et de Versailles sont très puissantes et ont absorbé d'autres CCI. En Seine-et-Marne, la fusion des deux CCI, du Nord et du Sud du département, a déjà été une épreuve.
La CCI de Seine-et-Marne dispose d'un Centre de formation d'apprentis (CFA) très développé. Il propose des formations à la restauration, et c'est ainsi que nous avons pu y prendre notre repas, préparé et servi par de jeunes apprentis qu'il était réconfortant de rencontrer à cette occasion.
Mme Annick Billon.- Je regrette de ne pas avoir pu participer à ce déplacement en Seine-et-Marne. Je relève un point important : Pôle Emploi devrait être l'interlocuteur privilégié des entreprises.
M. Jean-Marc Gabouty.- En tant qu'entrepreneur, je peux vous dire que je n'ai jamais recruté par Pôle Emploi : l'historique de la création de cet organisme pèse encore sur son fonctionnement ; en outre, les collaborateurs de Pôle Emploi, qui se sont bien adaptés aux métiers tertiaires, ne semblent pas bien connaître les milieux industriels. Par ailleurs, il me paraît naturel que les entrepreneurs rencontrés par la Délégation ne soient pas dans l'anticipation mais témoignent de ce qu'ils vivent, parfois de façon brute. De toute façon, rien de ce qui se profile, avec le compte formation individualisé, le compte pénibilité, la Déclaration Sociale Nominative (DSN), la création de hautes autorités, ou celle de conférences territoriales, ne va vraiment dans le sens de la simplification. La complexification va encore plus vite que la simplification ! Je peux en témoigner : depuis une circulaire de décembre 2014, toute imprimerie doit établir une facture par candidat et par produit. Comme il y a 4 produits et 2 tours pour chacun des 15 candidats, ce sont 120 factures au lieu de 15 qu'il faut désormais établir ! Renseignements pris, il apparaît que cette décision pénalise même la Direction générale des Finances publiques (DGFIP) du ministère des Finances et les services déconcentrés de l'État : chacun subit une complexité dont nul ne semble être à l'origine !
M. Gilbert Bouchet.- Dans la Drôme, l'entreprise qui nous disait que tout allait bien demandait aussi qu'on la laisse travailler : ne l'oublions pas ! Concernant Pôle Emploi, il faudrait examiner de près son fonctionnement. Je crois qu'il présente aussi des failles dans mon département. Il faudrait comprendre pourquoi les fonds consacrés à Pôle Emploi ne produisent pas le résultat attendu.
Mme Bariza Khiari.- Nous devons en effet assurer ce rôle de contrôle. Je relève aussi l'importance de la question de l'apprentissage. L'exemple allemand, qui combine haut niveau technologique et masse d'apprentis, mérite notre attention. La robotisation en marche va exiger des emplois reposant sur des niveaux de formation élevés : il est donc urgent de développer l'apprentissage.
M. Martial Bourquin.- Je regrette de ne pas pouvoir participer plus assidument aux travaux de la Délégation, en raison de mon implication comme rapporteur de la mission commune d'information sur les PME et la commande publique. Deux points me semblent cruciaux : la robotisation, sur laquelle la France accuse un retard avec le taux le plus faible d'Europe, les marges des entreprises ayant été rongées par le poids financier de l'immobilier d'entreprise, est un facteur décisif de notre compétitivité de demain ; le recrutement doit par ailleurs être facilité, par un triptyque Pôle Emploi/ Région/ Entreprise, où la région ferait de la formation sur mesure pour répondre aux besoins des entreprises.
M. Dominique Watrin.- Cette journée en Seine-et-Marne fut très riche. Je n'ai pas été choqué par les propos parfois abrupts des entrepreneurs. Plusieurs points ressortent à mes yeux : la question de la formation, face à l'érosion des compétences dans certains métiers pointus et au manque d'attractivité de certains métiers ; les délais de paiement ; les freins à l'exportation ; les distorsions infra-européennes, notamment dans les appels d'offre.
M. Jean-Marc Gabouty.- Nous pouvons au moins nous féliciter d'une chose, souvent soulignée : le bon fonctionnement de la Banque Publique d'Investissement (BPI), qui fait le travail des banques.
Mme Nicole Bricq.- En effet. C'est d'autant plus remarquable que la BPI n'a que 18 mois d'activité à son actif. Je reviendrais volontiers sur la question de la régionalisation de Pôle Emploi, que nous avons abordée lors des débats du projet de loi NOTRe : l'axe que nous devons favoriser, effectivement, c'est une convention entre Pôle Emploi et les régions, afin d'élaborer des plans de formation. Pour conclure, je serais tentée d'établir une analogie entre la complexité et la température « ressentie » : finalement, qu'importe la mesure exacte, l'essentiel, et j'en conviens, c'est le ressenti.