C. ... AINSI QUE PAR DES CAUSES CONJONCTURELLES

1. Un changement des usages induit par une révolution technologique

L'audiovisuel connaît un processus de transformation commun à de nombreux secteurs industriels du fait de la révolution numérique . Ce processus de délinéarisation, qu'il convient toutefois de relativiser 101 ( * ) , pousse les acteurs historiques que sont les chaînes de télévision et les radios à se réinventer. Les caractéristiques de cette transformation sont aujourd'hui bien connues et ont déjà fait l'objet de travaux du Sénat 102 ( * ) . Elles se traduisent notamment par :

- une évolution des usages à travers l'individualisation de la consommation audiovisuelle qui favorise l'essor de la télévision de rattrapage et le développement du « second écran » ( smartphone ou tablette), ainsi que le développement de la radio sur Internet (ou « IP » pour Internet Protocole) et des podcasts ;

- l'accroissement de l'offre à travers l'augmentation du nombre des chaînes de la TNT qui amplifie sensiblement la concurrence à laquelle est soumis le service public et favorise une fragmentation des audiences et une baisse des ressources publicitaires des acteurs historiques fragilisant leurs politiques d'investissement ;

- le développement de plateformes ( Netflix , Canalplay ) qui remettent en cause les fondements mêmes d'une chaîne de télévision et du métier d'éditeur de programmes audiovisuels en s'appuyant sur la collecte et le traitement de données pour produire des recommandations personnalisées. Un phénomène de même nature était déjà en cours pour la musique au travers de plateformes de streaming ( Deezer , Spotify ) qui permettent à l'auditeur de bénéficier d'une programmation personnalisée ;

- la distribution de programmes directement par Internet over the top ») sans passer par les boxes des opérateurs, soit à travers les plateformes vidéo ( Youtube , Dailymotion ), soit à travers des dispositifs qui permettent de basculer des contenus directement d'Internet vers les téléviseurs ( Chromecast de Google ) ;

- une internationalisation de la concurrence, avec l'apparition d'acteurs présents dans des dizaines de pays qui investissent dans des productions à vocation mondiale dans la fiction ( Netflix ) et/ou se portent acquéreurs de droits mondiaux dans le sport 103 ( * ) ( BeIn Sport , Discovery ).

Face à ces évolutions technologiques, c'est le modèle historique de l'audiovisuel public à caractère national évoluant dans un univers peu concurrentiel qui est mis en cause . Cette évolution de l'offre de contenus est par ailleurs à mettre en parallèle avec les changements de pratiques qui induisent une mutation de la demande. L'évolution des comportements des plus jeunes générations, qui n'accordent plus le même intérêt à la consommation de contenus « linéaires », et la surreprésentation des générations les plus âgées dans l'audience des médias de service public font, en effet, émerger le risque d'un décrochage structurel des médias de services publics dans les années à venir en l'absence d'une remise en cause radicale .

Ce constat est aujourd'hui largement partagé, comme en témoignent plusieurs rapports publiés ces derniers mois, mais les conséquences à tirer de cette situation font encore débat . Une véritable stratégie reste, en fait, à définir qui permettrait de reconstruire un nouveau modèle et le Parlement ne peut être absent de cette réflexion qui, pour être ambitieuse, nécessitera des évolutions législatives.

2. Le poids de la régulation budgétaire dans le contexte d'assainissement des comptes publics

La fragilité de la situation financière des sociétés de l'audiovisuel public s'explique également en partie par le contexte budgétaire actuel de maîtrise des dépenses publiques. À ce titre, les sociétés de l'audiovisuel public ont elles aussi été concernées par la régulation budgétaire, ce qui, en tant qu'entreprises, peut être un facteur déstabilisant .

Ainsi, en 2014, l'exécution budgétaire du compte de concours financiers a été marquée par des annulations de crédits au titre de la contribution à la réduction des dépenses publiques , dans le cadre de la loi de finances rectificative du 8 août 2014 104 ( * ) . Celles-ci n'ont concerné que Radio France et France Médias Monde (FMM) et visaient à redistribuer de la CAP à France Télévisions pour atténuer l'effet de l'annulation de crédits de sa dotation budgétaire .

La dotation publique totale accordée à France Télévisions a en effet été réduite de 7 millions d'euros . Pour mémoire, ce montant résulte d'une baisse de 9,1 millions d'euros du montant attribué à la société publique au titre du programme 313 « Contribution à l'audiovisuel et à la diversité radiophonique » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », atténuée par un relèvement des crédits à hauteur de 2,1 millions d'euros hors taxe du programme 841 « France Télévisions » du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », ces deux millions d'euros étant respectivement supportés par Radio France et France Médias Monde 105 ( * ) .

Malgré tout, il est indéniable que les sociétés de l'audiovisuel public ont été jusqu'en 2012 épargnées par l'effort de redressement des comptes publics . Elles ont en effet bénéficié de ressources plus dynamiques que le budget général ou que les opérateurs de l'État , situation favorable qui a suscité la critique récurrente de la Cour des comptes : « le recours à un compte de concours financiers ne répond pas à la définition donnée par l'article 24 de la LOLF. Il créé une distorsion de traitement avec la comptabilité générale , difficile à expliquer, et permet d'exonérer les avances à l'audiovisuel public de toute discipline budgétaire , puisque les dépenses faites sur ce compte - comme d'ailleurs les dépenses pour ordre du programme 200 - Remboursements et dégrèvements des impôts d'État - échappent à la norme de dépense » 106 ( * ) .

La Cour des comptes regrettait ainsi en 2013 le fait que « les sociétés de l'audiovisuel public n'ont pas été soumises à la norme d'évolution de la dépense publique , laquelle s'applique par ailleurs aux opérateurs de l'État. Ceci ne saurait affranchir l'audiovisuel public de l'effort général de maîtrise des finances de l'État, quelle que soit l'évolution des ressources issues de la contribution à l'audiovisuel public » 107 ( * ) .

Les comptes de concours financiers

Les comptes de concours financiers retracent les prêts et avances consentis par l'État . Un compte distinct doit être ouvert pour chaque débiteur ou catégorie de débiteurs.

Les comptes de concours financiers sont dotés de crédits limitatifs , à l'exception des comptes ouverts au profit des États étrangers et des banques centrales liées à la France par un accord monétaire international, qui sont dotés de crédits évaluatifs.

Les prêts et avances sont accordés pour une durée déterminée . Ils sont assortis d'un taux d'intérêt qui ne peut être inférieur à celui des obligations ou bons du Trésor de même échéance ou, à défaut, d'échéance la plus proche. Il ne peut être dérogé à cette disposition que par décret en Conseil d'État.

Le montant de l'amortissement en capital des prêts et avances est pris en recettes au compte intéressé .

Toute échéance qui n'est pas honorée à la date prévue doit faire l'objet, selon la situation du débiteur :

- soit d'une décision de recouvrement immédiat, ou, à défaut, de recouvrement, de poursuites effectives engagées dans un délai de six mois ;

- soit d'une décision de rééchelonnement faisant l'objet d'une publication au Journal officiel ;

- soit de la constatation d'une perte probable faisant l'objet d'une disposition particulière de loi de finances et imputée au résultat de l'exercice dans les conditions prévues à l'article 37. Les remboursements ultérieurement constatés sont portés en recettes au budget général .

Source : article 24 de la LOLF

Le graphique ci-après, qui présente l'évolution du montant de l'inflation et de la contribution à l'audiovisuel public depuis 2008, révèle ainsi que le montant de cette dernière a progressé au-delà de l'inflation sur la période considérée, sans que les dotations budgétaires soient réduites à due concurrence, confirmant le « traitement de faveur » dont ont bénéficié les sociétés de l'audiovisuel public au regard de la norme de dépense de l'État et de ses opérateurs. Ainsi, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 108 ( * ) a mis en place une double norme de dépenses :

- d'une part, les dépenses du budget général de l'État et les prélèvements sur recettes, hors charges de la dette et hors contributions aux pensions des fonctionnaires de l'État, doivent être stabilisés en valeur à périmètre constant : c'est la norme « zéro valeur » ;

- d'autre part, la progression annuelle des crédits du budget général de l'État et des prélèvements sur recettes, y compris charges de la dette et dépenses de pensions doit être, à périmètre constant, au plus égale à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation : c'est la norme « zéro volume » .

Évolution comparée du montant de la contribution à l'audiovisuel public et du niveau d'inflation

(en euros, base 100 en 2008)

Source : commission des finances du Sénat, projet de loi de finances pour 2015, rapport n° 108 (2014-2015) de M. Albéric de Montgolfier, tome II, volume I, fascicule I, les conditions générales de l'équilibre financier, commentaire de l'article 27.

Face à ce constat, la Cour des comptes avait préconisé dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire du compte de concours financiers pour l'année 2012 l'application de la norme d'évolution de la dépense à l'ensemble des crédits consacrés à l'audiovisuel public 109 ( * ) .

De fait, en exécution 2013 et 2014, les crédits totaux attribués aux sociétés de l'audiovisuel public ont diminué respectivement de 1,1 % et de 1 % par rapport aux années précédentes . Ils ont donc respecté la norme d'évolution de la dépense de l'État et permis la participation des entreprises de l'audiovisuel public à l'effort de redressement des comptes publics, effort qui doit être poursuivi au cours des prochains exercices .

Comme le souligne la Cour des comptes dans sa note d'exécution de l'analyse budgétaire du compte de concours financiers pour l'année 2013, « le choix du législateur d'indexer le montant de la CAP sur l'inflation n'exonère pas le secteur de l'audiovisuel public du respect de cet objectif, il conduit simplement à faire porter cet effort sur les crédits des programmes budgétaires (313 et 115) de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Pour autant, cet effort doit concerner l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public et pas seulement France Télévisions et France Médias Monde, ce qui peut se traduire par une révision annuelle de la clé de répartition du produit de la contribution à l'audiovisuel public ».

Toutefois, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) demeure très réticente à l'application de la norme d'évolution de la dépense aux crédits consacrés à l'audiovisuel public . Elle estime en effet que cela revient à remettre en cause l'objectif de valeur constitutionnelle de préservation du pluralisme des courants d'expression et l'indépendance des médias publics.

Il n'en demeure pas moins que dans le contexte actuel très dégradé des finances publiques, ces sociétés doivent poursuivre leur participation à l'effort d'assainissement des comptes publics en réduisant leurs dépenses . Or, pour le moment, elles n'y sont parvenues que marginalement, alors que de nombreuses marges de manoeuvre existent indéniablement (cf. infra ).


* 101 Cf. La synthèse du rapport du groupe de travail sur l'avenir de France Télévisions, page 3 : « Contrairement à ce que l'on peut parfois lire, la télévision linéaire reste le média le plus pratiqué (3h41 en moyenne quotidienne en 2014). »

* 102 Voir à cet égard le rapport d'information de Catherine Morin-Desailly n° 783 (2013-2014) du 25 juillet 2014 sur « Les nouveaux usages de la télévision ».

* 103 L'américain Discovery, propriétaire d'Eurosport, a remporté l'appel d'offres concernant la diffusion des Jeux Olympiques 2018/2020-2022/2024 qui porte sur les droits européens. Si France Télévisions et la BBC avaient sécurisé leurs droits pour les éditions de 2016 et de 2018/2020, cela signifie notamment que le diffuseur public - sauf à racheter des droits à Discovery - ne diffusera pas les Jeux de 2024 pour lesquels la ville de Paris est candidate.

* 104 Loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 105 Pour mémoire, initialement, les annulations de crédits concernaient l'ensemble des organismes de l'audiovisuel public mais, au cours du débat parlementaire, des amendements ont été adoptés afin d'en exempter Arte France et l'Institut national de l'audiovisuel (INA).

* 106 Source : Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire du compte de concours financiers pour l'année 2012.

* 107 Source : Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire du compte de concours financiers pour l'année 2012.

* 108 Loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

* 109 C'est-à-dire en prenant en compte les crédits du compte de concours financiers et ceux des programmes 313 « Contribution à l'audiovisuel et à la diversité radiophonique » et 115 « Action audiovisuelle extérieure » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

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