DEUXIÈME PARTIE : UNE NOUVELLE ÉVOLUTION S'IMPOSE COMPTE TENU DE LA FRAGILITÉ DE LA SITUATION ACTUELLE

I. L'ORGANISATION ADMINISTRATIVE DU RENSEIGNEMENT INTÉRIEUR DEMEURE TROP COMPLEXE POUR ÊTRE DURABLEMENT EFFICACE

A. LE RENFORCEMENT DES DISPOSITIFS DE COORDINATION EST INSUFFISANT POUR PRÉVENIR LES RISQUES DE DÉPERDITION DES MOYENS ET DE CONFLIT D'ATTRIBUTION

1. Le renseignement intérieur français se singularise par la complexité de son organisation administrative, qui a paradoxalement été renforcée par certaines évolutions récentes
a) Les comparaisons internationales confirment l'éclatement de l'organisation administrative du renseignement intérieur français

À l'issue des réformes de 2008 et 2013, quatre services relevant du ministère de l'intérieur concourent désormais au renseignement :

L'architecture du renseignement intérieur

Source : commission des finances

Cette situation contraste avec celle de nos principaux voisins.

Au Royaume-Uni , parmi les trois services constitutifs de la communauté britannique du renseignement, seul le British Security Service (BSS), également connu sous le nom de MI5, est chargé du renseignement intérieur.

En Italie, depuis la réforme de 2007, seule l'Agence de renseignement et de sécurité interne (AISI) est compétente sur le territoire italien.

En Allemagne, parmi les trois services fédéraux de renseignement, seul l'Office fédéral pour la protection de la Constitution (BfV), qui dépend du ministère fédéral de l'intérieur, est chargé du renseignement intérieur. Au niveau régional, chaque Land institue néanmoins un service de renseignement indépendant, qui est subordonné au ministère régional de l'intérieur.

Aux États-Unis , le renseignement intérieur est éclaté entre seize agences fédérales. La coordination entre ces agences est effectuée par le Director of National Intelligence . La spécificité de l'organisation du renseignement intérieur américain est renforcée par la compétence judiciaire du FBI, qui s'étend à la répression de tous les crimes fédéraux.

À l'exception du cas très particulier des États-Unis, les comparaisons internationales permettent ainsi d'observer que l'architecture du renseignement intérieur français continue de se singulariser par son éclatement.

b) Paradoxalement, les évolutions récentes ont contribué à complexifier l'organisation administrative du renseignement intérieur

À l'encontre de l'objectif de la réforme 2008, plusieurs évolutions récentes ont complexifié l'architecture du renseignement intérieur.

Premièrement, non seulement les réformes de 2008 et 2013 ont maintenu la triple compétence fonctionnelle de la DRPP à Paris, mais son périmètre d'intervention a également été étendu à la petite couronne par la réforme de la police d'agglomération de 2009 .

Deuxièmement, la réforme de 2013 a abouti à la création de la SDAO au sein de la gendarmerie, alors même que l'on assiste à une hybridation croissante des forces de police et de gendarmerie au sein du renseignement territorial. Ainsi, il a été décidé après les attentats de janvier 2015 que 150 gendarmes viendront renforcer les effectifs du renseignement territorial dans le cadre de la création d'antennes au sein des compagnies de gendarmerie et des brigades les plus confrontées aux phénomènes de radicalisation.

Troisièmement, la réforme de 2013 a abouti à octroyer une compétence en matière de prévention du terrorisme au renseignement territorial, alors même que la réforme de 2008 visait à instaurer un monopole de la DGSI en la matière.

Cette triple évolution pose ainsi la question des risques :

- de conflit d'attribution positif et négatif entre les services ;

- de déperdition des moyens.

2. Le renforcement des dispositifs de coordination est opportun mais ne permet pas de répondre aux difficultés structurelles liées à cette organisation administrative
a) De nouveaux mécanismes de coordination ont été utilement mis en place afin de limiter les risques de conflit d'attribution positif et négatif entre les services
(1) La coordination interministérielle demeure principalement assurée par l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT)

Mise en place en 1984, l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT) assure la coordination interministérielle de la lutte contre le terrorisme en réunissant chaque semaine, sous la direction d'un haut fonctionnaire de la Police nationale, les correspondants de chacun des ministères appelés à contribuer à la lutte antiterroriste :

- pour le ministère de l'intérieur : la DGSI, la police nationale avec l'ensemble des directions et services concernés par la lutte anti-terroriste, la gendarmerie nationale avec la sous-direction de la police judiciaire ;

- pour le ministère de la défense : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), la direction du renseignement militaire (DRM) et le centre de conduite des opérations aériennes ;

- pour le ministère des finances : la direction générale des douanes et droits indirects avec la direction nationale du renseignement et des enquêtes (DNRED) ;

- pour le ministère de la justice : un observateur de la direction des affaires criminelles et des grâces ;

- pour le ministère de l'écologie : un fonctionnaire de la direction générale de l'aviation civile ;

- un représentant du conseil national du renseignement (CNR) assiste également à cette réunion hebdomadaire.

Toutefois, l'éclatement de l'architecture du renseignement intérieur et les failles révélées par « l'affaire Merah » 53 ( * ) ont également conduit à multiplier les dispositifs de coordination entre les services concourant au renseignement intérieur.

(2) La mise en place de dispositifs de coordination entre les services concourant au renseignement intérieur s'est accélérée
(a) Entre la DGSI et la DRPP

La prévention des risques de conflit d'attribution entre la DRPP et la DGSI repose sur différents mécanismes :

- la DGSI bénéficie d'un droit d'évocation en fonction du degré d'implication des cibles au sein d'un dossier déjà traité par ses services ;

- un bureau de liaison a été mis en place au sein de la DRPP, un officier de liaison de la DGSI étant présent en permanence au siège de la DRPP ;

- la DGSI bénéficie d'un droit de communication de l'ensemble des notes de contact issues du traitement des sources humaines, ainsi que de la liste des interceptions de sécurité dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents ;

- des réunions thématiques à caractère opérationnel sont régulièrement organisées.

(b) Entre la DGSI et le SCRT

S'agissant des relations entre la DGSI et le SCRT, la coordination repose sur les mécanismes suivants :

- la DGSI bénéficie d'un droit d'évocation des objectifs du SCRT ;

- un bureau central de liaison a été mis en place en décembre 2012 au sein du SCRT : il est composé de cinq policiers de la DGSI, dirigés par un commissaire ;

- chaque zone de défense dispose d'un bureau zonal de liaison et de coordination, afin d'assurer la coordination des deux services au plan territorial ;

- des référents ont été désignés au niveau régional et départemental (quinze référents régionaux et onze référents départementaux) ;

- la DGSI bénéficie d'un droit de communication de l'ensemble des notes susceptibles d'intéresser ses agents ;

- des réunions régulières sont organisées : au moins une fois par mois, les chefs de service se réunissent avec les référents, le représentant du bureau zonal de liaison et de coordination et tout agent concerné.

(c) Entre la DRPP et le SCRT

La coordination entre la DRPP et le SCRT s'effectue selon les modalités suivantes :

- un bureau de liaison a été mis en place au sein du SCRT en 2014 : composé de deux officiers de la DRPP, il est en relation permanente avec les deux officiers, rattachés au sous-directeur de l'information générale de la DRPP, chargés de la coordination de l'activité des services ;

- une réunion mensuelle associant les chefs des SDRT de grande couronne, un représentant du SCRT et la DRPP a été mise en place en 2014 ;

- en cas d'urgence, le principe d'une transmission directe des informations au département de la grande couronne ciblé par une action a été validé en 2014.

(d) Entre le SCRT et la SDAO

Enfin, l'articulation entre le SCRT et la SDAO repose sur différents mécanismes :

- des échanges de personnels au plan central : depuis 2014, un officier de gendarmerie est affecté comme adjoint au SCRT tandis qu'un commissaire de police est affecté comme adjoint à la SDAO ; un officier de police a également été affecté à la SDAO à l'été 2014 ;

- une réunion hebdomadaire au plan territorial a été mise en place entre les SDRT et les cellules renseignement des groupements de gendarmerie.

b) Ces mécanismes de coordination sont insuffisants pour garantir l'efficacité de l'organisation administrative actuelle

L'organisation administrative actuelle est confrontée à trois faiblesses structurelles pour lesquelles les dispositifs de coordination mis en place n'apportent pas réellement de solution.

Premièrement, l'efficacité des mécanismes de coordination repose avant tout sur la « bonne volonté » des différents directeurs . Si votre rapporteur a pu constater qu'il existe à l'heure actuelle une indéniable volonté de coopérer à la tête des différents services, plusieurs interlocuteurs ont souligné lors des auditions que rien ne permet de garantir qu'il en sera de même à l'avenir. À titre d'illustration, Bernard Squarcini soulignait récemment que seule l'arrivée en 2009 de Patrick Calvar à la tête de la DGSE, lui qui était numéro deux de la DCRI et ancien de la DST, avait véritablement permis de fluidifier les relations entre les deux services. Auparavant, « les structures de coordination existaient mais les agents des deux services continuaient à se regarder en chiens de faïence » 54 ( * ) .

Deuxièmement, la multiplication des dispositifs de coordination ne semble pas avoir permis de mettre fin au climat de défiance entre les services au plan territorial. Ainsi , le récent rapport de la commission sur le métier du renseignement du syndicat « Alliance Police nationale » mentionne de nombreux exemples témoignant d'une communication entre les services « extrêmement tendue et difficile » - notamment entre le renseignement territorial et la SDAO. Par ailleurs, le ministre de l'intérieur a jugé nécessaire de rappeler le 17 avril dernier aux directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) la nécessité de « décloisonner » les services de police et de les « faire travailler ensemble » face à la menace terroriste, ajoutant qu'il serait « très sévère » envers « ceux qui veulent garder des informations pour eux » 55 ( * ) .

Troisièmement, l'architecture du renseignement intérieur est sous-optimale en ce que son éclatement nécessite la mise en place d'une multiplicité de mécanismes de coordination qui peuvent apparaître comme coûteux en termes d'effectifs , dans un contexte budgétaire contraint.


* 53 Voir sur ce point le rapport de retour d'expérience sur la lutte anti-terroriste de l'Inspection générale de la police nationale : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000576.pdf

* 54 Bernard Squarcini et Etienne Pellot, Renseignement Français : Nouveaux Enjeux, précité.

* 55 http://www.acteurspublics.com/2015/04/20/bernard-cazeneuve-demande-aux-services-de-police-de-changer-leurs-methodes-de-travail

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