LA POSITION DE VOS RAPPORTEURS
La proposition de décision présentée par le Parlement européen s'inscrit dans une démarche que vos rapporteurs ne peuvent qu'encourager : celle de la modernisation d'une procédure destinée à la rendre à la fois plus européenne, à renforcer la visibilité du Parlement européen et à renouer le lien entre l'électeur et le député européen. Cette ambition passe par des mesures nationales : on peut ainsi s'interroger sur l'actuel mode de scrutin et la représentativité des listes régionales ou l'interdiction, sur les bulletins de vote, de mentionner une affiliation. Elle est également dépendante de la procédure électorale européenne.
La commission des affaires européennes du Sénat s'est déjà interrogée par le passé sur les dispositions à prendre en vue de consolider le rôle du Parlement européen.
Une résolution européenne adoptée par le Sénat à l'initiative de la commission des affaires européennes avait approuvé, en 2014, les recommandations de la Commission européenne de mars 2013. La résolution appuyait la transmission d'informations aux électeurs sur les liens d'affiliation entre partis nationaux et partis politiques européens. Elle invitait les partis nationaux et européens à faire connaître avant les élections le nom du candidat aux fonctions de président de la Commission qu'ils soutiennent et son programme. Elle proposait la fixation par les États membres d'une date commune pour les élections avec une fermeture des bureaux de vote à la même heure 10 ( * ) .
La commission des affaires européennes avait également estimé, dans un rapport publié en 2014, qu'il convenait de mieux prendre en compte les conclusions de l'arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 30 juin 2009 qui souligne que le Traité sur l'Union européenne ne met pas en place, au sein des institutions de l'Union, un organe de décision politique élu au suffrage égalitaire par tous les citoyens et capable de représenter la volonté du peuple 11 ( * ) . Le Parlement européen n'est pas considéré par la Cour comme un organe représentatif du peuple européen souverain puisqu'il est composé de contingents nationaux de députés entre lesquels les inégalités de représentation apparaissent considérables. Il est indispensable, dans ces conditions de modifier les règles qui déterminent sa composition, en révisant notamment sa base démographique. Le rapport concluait à la nécessité de mettre en place une procédure électorale uniforme, arrêtée par le Parlement européen, permettant d'élire un nombre de parlementaires limité à 700 (contre 751 aujourd'hui) au sein d'une circonscription unique. En cas de maintien d'un scrutin régionalisé, le rapport prévoyait la possibilité de constituer des circonscriptions transnationales si les États le demandaient.
La proposition de décision du Parlement européen apparaît moins ambitieuse que les préconisations de la commission des affaires européennes puisqu'elle n'insiste pas sur le principe d'une circonscription unique. Elle entend néanmoins participer de l'objectif d'une procédure électorale uniforme, alors même que les circonscriptions nationales sont maintenues. Ce qui n'est pas sans susciter des réserves au titre de la subsidiarité. Il est permis, par ailleurs, de s'interroger sur l'opportunité d'introduire dans le droit des dispositions qui relèvent plus de la pratique politique.
L'ABSENCE DE CONSULTATION DES PARLEMENTS NATIONAUX
La résolution du Parlement européen insiste sur le fait que la réforme de la procédure électorale doit respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité et ne pas chercher à imposer l'uniformité (considérant C). Le Parlement européen n'a, pourtant, pas transmis ce texte aux parlements nationaux, alors même que le Protocole 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au Traité de Lisbonne, prévoit que tout projet d'acte législatif émanant du Parlement européen soit soumis à leur contrôle (article 4). L'article 3 dudit Protocole assimile les initiatives législatives du Parlement européen à des projets d'actes législatifs. La résolution du Parlement européen et la proposition de décision qui lui est jointe auraient donc dû être transmises pour permettre aux parlements nationaux d'exercer leur contrôle.
Cette transmission était d'autant plus nécessaire que le texte, en dépit des précautions affichées dans le considérant C, ne paraît pas respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le degré de détail de la proposition de décision peut en effet laisser songeur, alors même que le principe d'une circonscription unique n'est pas retenu. Nombre des thématiques abordées relèvent du droit interne voire des pratiques politiques. Une intervention de l'Union européenne dans ces domaines n'est pourtant pas envisagée par les Traités, en particulier en ce qui concerne la procédure électorale. Il convient de rappeler que la Charte des droits fondamentaux annexée au traité sur l'Union européenne ne met en avant que trois principes en la matière :
- Le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen de tout citoyen de l'Union dans l'État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État (article 39.1) ;
- L'élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, libre et secret (article 39.2) ;
- Le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales de tout citoyen de l'Union dans l'État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État (article 40).
Ces principes ne sauraient conduire à une harmonisation des législations nationales. L'intervention du Parlement européen doit donc être proportionnée et respectueuse à la fois des Traités et des pratiques nationales, ce qui n'est pas, en l'espèce, le cas.
L'absence de transmission au titre du Protocole 2 ne constitue pas une première en ce qui concerne un acte du Parlement européen. À l'initiative de la commission des affaires européennes, le Sénat a ainsi adopté en mars 2013 une résolution européenne visant les modalités d'exercice du droit d'enquête du Parlement européen. Elle concernait une proposition de règlement du Parlement européen, non encore formellement adoptée par celui-ci. Le problème de subsidiarité avait déjà été relevé 12 ( * ) .
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que plusieurs Parlements nationaux aient choisi le biais de l'avis motivé au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité, prévu dans le cadre du protocole 2, pour relayer leur opposition à ce texte. La Chambre des communes britannique a d'ailleurs choisi la forme de l'avis motivé pour relayer ses critiques sur le projet le 4 février 2016. Le Riksdag suédois a opté pour la même solution le 3 février, suivi de la Chambre des députés luxembourgeoise le 5 février. La chambre des représentants et le Sénat néerlandais ont également adressé un avis motivé le 9 février. Le choix de ce format peut néanmoins laisser songeur, le texte n'ayant pas été transmis au titre du protocole 2, aucun délai d'examen commun aux parlements des 28 Etats n'est fixé.
Ces prises de positions nationales avaient été précédées par l'envoi d'un courrier adressé au président du Parlement européen regrettant l'absence de transmission du document au titre du protocole 2, que le président de la commission des affaires européennes a co-signé avec ses homologues des deux chambres néerlandaises et tchèques, des parlements hongrois, irlandais, letton, maltais et portugais, de la Chambre des Lords britannique et de l'Assemblée nationale.
Cette lettre a donné lieu à une réponse du président du Parlement européen qui ne donne toutefois aucun argument convaincant face aux objections légitimes des parlements nationaux. L'argument évoqué par les rapporteurs du texte pour justifier cette non-transmission tient à la volonté d'entamer des négociations avec le Conseil le plus rapidement possible afin que le texte soit applicable au prochain scrutin. Compte-tenu de la procédure, les rapporteurs du Parlement européen estiment que les parlements nationaux auraient de toute façon été consultés au moment de l'approbation de la réforme par les Etats membres, à l'issue du processus en somme. Une telle réponse n'apparaît pas satisfaisante au regard des Traités et des enjeux du texte.
* 10 Résolution européenne du Sénat sur la citoyenneté européenne du 21 janvier 2014 (n°65 - 2014-2015).
* 11 L'Union européenne : du crépuscule au nouvel élan, rapport d'information n°407 (2013-2014) de M. Pierre Bernard-Reymond, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, page 96.
* 12 Résolution européenne du Sénat du 5 mars 2013 sur les droits d'enquête du Parlement européen n°107 (2012-2013).