EXAMEN EN COMMISSION
M. Jean Bizet , président . - Merci pour cette réflexion, qui porte sur un sujet loin d'être anodin, d'autant que ces acteurs seront de plus en plus impliqués dans le financement de nos entreprises. La Commission européenne aura trois mois pour nous répondre.
M. Yves Pozzo di Borgo . - J'ai découvert ce phénomène il y a trois ans, lors d'un colloque organisé au Sénat par l'Institut Jean Lecanuet que je préside. Il s'agissait de réfléchir à la crise financière de 2008, en présence notamment du directeur de Tracfin. J'avais appris que la Bourse de New York était très influencée par ces sommes, et cela m'avait paru effarant, d'autant qu'elles ne proviennent pas toujours d'acteurs très respectables. Compte tenu de l'importance des masses financières en jeu, je ne suis pas sûr qu'un avis politique soit suffisant. Peut-être faudrait-il qu'un commissaire européen soit chargé de ce sujet. Il s'agit d'un monde qui échappe à notre contrôle.
M. Jean Bizet , président . - Nous attendrons avec impatience la réponse de la Commission.
M. Jean-Yves Leconte . - Le système financier parallèle ne concerne pas uniquement la gestion de l'argent sale, il peut aussi s'agir d'activités honnêtes...
M. Éric Bocquet . - Mais pas transparentes !
M. Jean-Yves Leconte . - Le renforcement de la régulation du système financier classique l'a-t-il rendu plus ou moins fiable ? Les activités financières parallèles des entreprises sont aussi considérables. Nous devons donc conserver des règles comptables communes pour les pays du G7, et harmoniser la fiscalité des différentes opérations. En Chine, des investisseurs disparaissent pendant des mois, puis reviennent avec des identités différentes. Inquiétant !
M. Éric Bocquet . - Merci pour ce rapport, qui apporte des informations utiles sur cette grande zone d'ombre. Cela ne va pas favoriser ma réconciliation avec la finance... Quel monde de fous ! Nous sommes capables de comprendre que ce système est l'une des causes de la crise de 2008, mais nous ne prenons pas de mesures. Pourtant, il dépend bien d'activités humaines ! Entre 21 000 et 30 000 milliards de dollars sont gérés offshore , et il s'agit bien souvent d'argent sale, issu des commerces les plus vils : armes, prostitution, drogue, corruption...
M. Yves Pozzo di Borgo . - Celui des passeurs, aussi.
M. Éric Bocquet . - Le trading à haute fréquence ajoute à l'instabilité, et échappe au contrôle humain. Quant à l'assouplissement quantitatif, il contribue à alimenter des bulles...
M. Jean Bizet , président . - Grandes interrogations !
M. Éric Bocquet . - Peut-être pourrions-nous insérer un paragraphe demandant à la Banque centrale européenne de réexaminer cette politique ?
M. Jean Bizet , président . - La question se pose.
M. Éric Bocquet . - Cette bulle finira par nous éclater à la figure, et les États ne pourront peut-être pas faire face. Quelle est la place du Luxembourg et de la City dans le shadow banking ?
M. Alain Richard . - Ce dont nous parlons me semble l'exemple typique d'effet secondaire d'un système de régulation. Par définition, un tel système laisse vivre un système non-régulé. Augmenter le périmètre de la régulation concentrera la visibilité du risque. Mais cet avis politique semble considérer que tout dépend de l'Europe, ce qui est très éloigné de la réalité économique... Pour être efficace, l'Europe devrait agir en concertation avec les États-Unis, ce qui lui donnerait des chances d'entraîner aussi de grands émergents.
M. François Marc . - Merci pour votre intérêt pour ce sujet sensible. M. Oudéa nous a indiqué que le but du renforcement de la régulation était de protéger les déposants et d'éviter que les contribuables ne soient appelés à renflouer les établissements en cas de crise. Mais il faut aussi laisser une liberté de circulation pour fluidifier l'économie.
En effet, les entreprises font ce qu'on appelle du window dressing , c'est-à-dire de l'habillage de bilan. D'ailleurs, le même actif ou emprunt sous-jacent, une fois titrisé, peut être utilisé plusieurs fois et circule entre les acteurs économiques. Il serait bon que la circulation des sous-jacents soit plus transparente...
La Chine inquiète, en effet. Quant aux risques posés par l'assouplissement quantitatif, mené par la Banque centrale européenne, la question qu'on peut se poser est celle de la répercussion de ces mesures sur l'économie réelle. Notre point 17 intègre cette préoccupation.
M. Alain Richard . - Mais si l'on arrêtait l'assouplissement quantitatif, cela aurait d'autres conséquences...
M. Jean-Yves Leconte . - C'est comme la morphine, il ne faut pas arrêter d'un coup !
M. François Marc . - Les Américains veulent revenir progressivement vers une situation plus saine, dans ce contexte de drogue monétaire permanente. Ils ont franchi deux étapes, mais aujourd'hui, tout est à l'arrêt. Quand on cesse un traitement, le risque peut être vital, et cela vaut pour l'Europe. Ne pas prendre conscience de ce risque, c'est faire la politique de l'autruche. La City représente cinq à six fois plus que la place de Paris : c'est une part importante de ce qui se passe en Europe...
Des conflits d'intérêt sont possibles entre les Américains et les Européens. Il n'est pas évident que les Américains se dotent des mêmes outils de régulation interne. Incitons à une accélération des mesures engagées en application des préconisations du Conseil de stabilité financière - et notamment sur les marchés d'instruments financiers (MIF). Nous avons dû accepter de retarder d'un an la mise en oeuvre de la transposition. Utilisons ce délai pour mener à bien les mesures d'application. Cela nécessite d'accentuer les efforts.
M. Jean Bizet , président . - Comme le proposait Alain Richard, on peut imaginer d'ajouter un nouveau point dans l'avis politique pour promouvoir une telle démarche au sein des organisations internationales comme le G20.
Eric Bocquet, Fabienne Keller et Richard Yung sont chargés de suivre la politique de la Banque centrale européenne. Ils devront examiner quel serait « l'atterrissage » possible du quantitative easing .
M. Éric Bocquet . - Oui, pourquoi pas ? Ma traduction du shadow banking , c'est un camion de 35 tonnes lancé à 100 kilomètres heure, de nuit, dans une agglomération, tous feux éteints, qui klaxonne...
M. Louis Nègre . - S'il klaxonne...
M. Jean-Yves Leconte . - C'est nous qui klaxonnons !
M. François Marc . - Nous complétons l'avis politique par un nouvel alinéa : « la commission des affaires européennes du Sénat invite la Commission européenne à promouvoir l'adoption d'une telle démarche au sein d'instances internationales telles que le G20. »
M. Jean Bizet , président . - Cet avis politique sera adressé à la Commission européenne. Nous serons très attentifs à la réponse qui doit nous être faite dans les trois prochains mois.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information et adopté l'avis politique ci-après :