B. REVENIR SUR LES HAUSSES DE TAUX DE TVA QUI ONT FAIT BASCULER « DANS LE ROUGE » BEAUCOUP D'ENTREPRISES DE LA FILIÈRE ÉQUINE
La principale recommandation est transversale : il s'agit de revenir sur l'augmentation des taux de TVA qui a contribué au basculement dans le rouge des comptes de la filière . Pour les acteurs économiquement fragilisés, l'impact financier et moral de ce changement fiscal a été dévastateur.
1. Le Parlement a souligné les inconvénients, pour le monde du cheval, de la décision européenne tendant à limiter sévèrement l'application de taux réduits
Juridiquement , il convient de rappeler que l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 8 mars 2012 avait condamné la France pour avoir appliqué un taux réduit à 2,1 % de TVA à des équidés non destinés à la préparation de denrées alimentaires ou à être utilisés dans la production agricole. La troisième loi de finances rectificative pour 2012 a donc soumis au taux normal ces opérations, ce qui inclut les gains de course.
LES GRANDES LIGNES DU SYSTÈME DE TVA APPLICABLE AUX ÉQUIDÉS - Conformément à l'article 278 bis , 3° du code général des impôts (CGI), le taux de 10 % s'applique aux produits d'origine agricole n'ayant subi aucune transformation. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux opérations relatives aux équidés lorsque ceux-ci ne sont normalement pas destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ou dans la production agricole. Sur ce fondement, seuls peuvent bénéficier du taux réduit de 10 % : les cessions entre assujettis de chevaux immédiatement destinés à la boucherie ou à la charcuterie ; les ventes, locations et prises en pension d'équidés destinés à être utilisés dans la production agricole, sylvicole ou piscicole - ce qui concerne les chevaux de labour ou de trait ; et enfin les ventes d'étalons ou de femelles à des fins reproductives, y compris leurs prises en pension, ainsi que les opérations de monte ou de saillie, ventes de doses (paillettes) et d'embryons et opérations de poulinage (sans intervention d'un vétérinaire) ; - Relèvent du taux de 2,10 %, conformément à l'article 281 sexies du CGI, les ventes d'animaux vivants de boucherie et de charcuterie effectuées par des redevables de cette taxe à des personnes non assujetties (particuliers, collectivités locales) et à des exploitants agricoles soumis au régime du remboursement forfaitaire agricole. Antérieurement, la doctrine administrative précisait que ce taux concernait également « les ventes d'équidés de grande valeur ». Cette précision a été supprimée et désormais l'administration insiste sur le fait que le taux de 2,10 % ne peut concerner que les ventes d'animaux destinés à la boucherie ou à la charcuterie. Toutes les opérations concernant les équidés autres que celles qui viennent d'être mentionnées doivent être soumises au taux normal . Tel est le cas pour l'entraînement et la prise en pension des chevaux destinés à être engagés dans des courses, les ventes de chevaux non destinés à la boucherie, à la charcuterie ou à la production agricole, les gains de course réalisés par les entraîneurs pour les chevaux dont ils sont propriétaires et enfin les opérations des courtiers en saillie. |
Les débats parlementaires sur ce sujet, particulièrement nourris, ont clairement exprimé la volonté de nos assemblées de soutenir le monde du cheval . Le Gouvernement avait alors entrepris une démarche auprès de la Commission européenne pour demander, en faveur des centres équestres, le maintien d'un taux de TVA réduit en application de l'annexe III de la directive du 28 novembre 2006 dite « directive TVA » qui porte sur l'accès aux installations sportives. Il s'agissait de tenter d'obtenir une interprétation large de ce texte qui permet stricto sensu d'appliquer le taux réduit de TVA dans l'hypothèse où un cavalier ayant sa propre monture utilise un centre équestre en tant qu'équipement sportif. Cette demande de souplesse ayant échoué, le Gouvernement a soutenu la création d'un fonds dit « équitation » qui, financé par un prélèvement de 0,2 % sur les enjeux du PMU, vise à compenser les hausses de TVA subies par les centres équestres .
2. L'impact de la hausse des taux est d'autant plus négatif qu'il est intervenu dans une phase de fragilité de la filière et ne prend pas en compte les spécificités du modèle français
La hausse des taux de TVA ébranle la logique de fonctionnement de nos centres équestres. Chez la plupart de nos voisins européens, les cavaliers possèdent leur propre monture et utilisent les installations des centres équestres, ce qui autorise l'application d'un taux de TVA réduit. En revanche, le modèle français est celui du « cheval partagé » , par lequel les centres équestres, mettent à disposition leurs chevaux. Ce fonctionnement est une des clefs de la démocratisation de l'équitation dans notre pays : pourtant la directive TVA, dans sa configuration actuelle, pénalise nos centres équestres car elle a été conçue pour appliquer un taux réduit aux pratiques plus répandues en Europe mais plus élitistes, impliquant la possession de sa propre monture. Au total, l'augmentation des taux de TVA couplée à la modification des rythmes scolaires ont, en l'espace de deux ans, fait basculer « dans le rouge » les comptes de résultats d'un segment qui avait réussi, sans aucun appel à des aides publiques, à développer avec succès son activité en pratiquant des tarifs modérés. On ne saurait trop souligner à quel point le bon sens économique appelle une révision urgente de ces taux de TVA pour permettre à nos centres équestres de rebondir, en s'autorégulant financièrement et en poursuivant une démocratisation de l'équitation à la fois bénéfique pour nos territoires et nos concitoyens.
Pour le secteur des courses , et comme le souligne le rapport adressé au Gouvernement en juin 2015 par les sociétés-mères France Galop et Le Trot intitulé « Courses hippiques : il faut soutenir le redressement engagé », l'augmentation du taux de TVA a un impact qui hypothèque l'avenir : elle a conduit à une charge fiscale nette supplémentaire de 50 millions d'euros sur les propriétaires, qui sont le premier moteur des courses. Conséquence concrète, on constate une baisse générale du nombre de chevaux à l'entraînement particulièrement marquée sur les hippodromes parisiens, où ce nombre a décru de 7,5 % entre 2013 et 2015. Des mesures compensatoires ont été prises : parallèlement à la création du fonds « Équitation » destiné aux centres équestres - alimenté par un prélèvement de 0,2 % des enjeux - les sociétés-mères ont mis en oeuvre un système de soutien à l'activité des propriétaires financé par des ressources issues du PMU, grâce à la mise en place de la taxe affectée au 1 er janvier 2014 (5,9 %) permettant de limiter la hausse de la fiscalité prélevée par l'État à 7,1 % au lieu de 7,5 %, comme initialement prévu en 2010. Une enveloppe de 10 millions d'euros a ainsi été répartie à parité entre Trot et Galop : au Galop, ce soutien s'est traduit par l'octroi d'une prime de 100 euros par mois et par cheval à l'entraînement à 3 600 propriétaires non assujettis à la TVA ; au Trot, 6 666 propriétaires ont pu percevoir 115 euros. Les sociétés-mères évoquent, en fonction des nécessités, un éventuel réexamen de la répartition de cette solidarité entre le secteur des courses et celui des centres équestres, ce qui suscite, bien entendu, des inquiétudes et donne tout son sens à l'ensemble des recommandations formulées par le présent rapport tendant à consolider les ressources du monde du cheval ainsi que la lisibilité des transferts entre ses différents segments.
3. Unanimement souhaitée par la filière équine, l'application d'un taux réduit serait conforme à la logique fiscale et économique et à l'exigence de simplicité
Du point de vue économique et fiscal, la situation ainsi créée par la hausse des taux de TVA est insatisfaisante à plusieurs points de vue. Tout d'abord, dans sa logique de base, la TVA est un impôt sur la consommation 5 ( * ) mais, s'agissant de la filière cheval, ce n'est souvent pas le cas puisque de nombreux propriétaires de chevaux de courses ne peuvent pas la répercuter ni bénéficier de compensations suffisantes. Les centres équestres n'ont souvent pas non plus répercuté les hausses de TVA sur les prix pour ne pas décourager la clientèle. Ensuite, la multiplicité des taux de TVA applicables au secteur du cheval illustre la complexité que souligne et déplore le conseil des prélèvements obligatoires 6 ( * ) . Concrètement, pour un éleveur ayant un cheptel bovin et deux chevaux, il est difficile de comprendre pourquoi les animaux qui vivent sur les mêmes pâturages relèvent de taux différents. Enfin, la concurrence fiscale entre les États est parfois vécue par les acteurs comme déloyale en matière d'application de taux de TVA : en particulier, le monde du cheval pointe du doigt le cas de l'Irlande qui a, pendant un temps, appliqué la directive européenne de façon beaucoup moins stricte que notre pays.
Les différents segments du monde du cheval se sont exprimés de manière consensuelle sur ce thème par la voix du Comité des organisations professionnelles agricoles (COPA) associé à la Confédération générale de la coopération agricole de l'Union européenne (COGECA). Le COPA-COGECA, lors d'un colloque tenu le 20 octobre 2015 à Bruxelles, a d'abord constaté que le cheval ne fait pas l'objet d'une véritable politique européenne alors que ce secteur en difficulté joue un rôle important en Irlande, en Suède, en Italie et bien entendu en France. Or, le point de départ pour bâtir une stratégie européenne équine est fiscal, car il s'agit là d'un facteur déterminant de la fragilité des entreprises de ce secteur. À cette occasion, Marianne Dutoit, présidente de la FNC (Fédération Nationale du Cheval), qui a été entendue par le groupe sénatorial, a démontré que les activités équestres s'inscrivent dans les activités agricoles : subissant les mêmes contraintes, elles doivent pouvoir bénéficier des mêmes avantages, et ce de façon urgente, car leur survie est menacée.
Au final, la recommandation du groupe cheval consiste à obtenir la révision de la directive TVA en ramenant à un taux réduit toutes les activités équines, pour des raisons de logique économique et de simplicité . Les chevaux contribuent largement à l'économie et aux activités sociales des zones rurales ; ils sont vecteurs de croissance, d'emplois, de santé et de bien-être via les écoles d'équitation, les activités sportives, l'éducation, l'agriculture, l'agro-tourisme et les thérapies. Un taux de TVA global réduit permettrait de résoudre les problèmes de viabilité économique, de sécurité juridique, de clarté et de simplification du cadre fiscal du secteur équestre.
RAPPEL DU CALENDRIER DE RÉFORME DE LA « DIRECTIVE TVA » La Commission européenne a présenté le 7 avril 2016 un plan d'action intitulé « Vers un espace TVA unique dans l'Union - L'heure des choix », qui vise à approfondir le marché unique en stimulant l'emploi. La TVA est une source essentielle de recettes dans l'Union : elle représentait en 2014 près de 1 000 milliards d'euros, soit 7 % du PIB de l'Union. La commission indique cependant que le mécanisme actuel n'a pas été en mesure de s'adapter aux défis de la mondialisation, du numérique et de la mobilité. Le système de TVA en vigueur est fragmenté, complexe pour le nombre croissant d'entreprises exerçant des activités transfrontières, et il laisse la porte ouverte à la fraude. La Commission européenne souligne qu'une réforme est nécessaire « de toute urgence » pour simplifier l'utilisation de la TVA pour les entreprises et lutter contre le risque croissant de fraude, l'écart entre les recettes attendues et effectivement perçues étant estimé à 170 milliards d'euros. Elle envisage de présenter une proposition législative tendant à mettre en place un système de TVA définitif qui reposerait sur un accord entre les législateurs de l'Union sur le principe de la taxation dans le pays de destination des biens. À elle seule, cette modification devrait permettre de réduire la fraude à la TVA transfrontière de 40 milliards d'euros par an. S'agissant de la politique des taux, qui intéresse tout particulièrement le secteur équestre, la Commission constate qu'aujourd'hui le processus est lent et difficile pour étendre l'application de taux réduits à de nouveaux domaines, car les décisions doivent être prises à l'unanimité. Cette lenteur des procédures explique que certains États membres se trouvent en situation irrégulière. Plus de 40 procédures d'infraction ont été ouvertes à l'encontre de plus des deux tiers des États membres. Une réforme accordant davantage de liberté aux États membres leur permettrait de prendre plus rapidement les décisions qu'ils souhaitent en matière de politique fiscale, tout en réduisant les litiges inutiles. La Commission fait observer que le fait de laisser les États membres fixer librement leurs taux aurait pour inconvénient l'érosion des recettes de TVA si certains secteurs revendiquent un traitement plus favorable. Par ailleurs, une plus grande décentralisation est susceptible de rendre le système encore plus complexe. Dans un système fondé sur le principe de destination, dans lequel les entreprises doivent facturer la TVA selon les taux applicables dans d'autres États membres, il est fondamental que les règles nationales soient simples et reposent, dans la mesure du possible, sur des catégories de produits harmonisées. Le choix d'opter pour un système plus décentralisé dépend en fin de compte des préférences politiques et nécessite un débat sur le degré de flexibilité souhaitable. Sur la base de cette analyse, la Commission envisage deux options pour moderniser le cadre actuel et accorder aux États membres une plus grande latitude d'action pour fixer les taux : - la première option prévoit un réexamen périodique de la liste des biens et services soumis aux taux réduits . Tous les taux réduits actuellement applicables, y compris les dérogations légalement accordées à certains pays, seraient maintenus et pourraient être étendus à l'ensemble des États membres afin d'assurer une égalité de traitement. Le taux normal de TVA minimal de 15 % serait également maintenu ; - la seconde option, plus ambitieuse, consisterait à supprimer la liste des biens et services soumis aux taux réduits et à laisser les États membres libres dans la fixation de ces taux . Pour éviter la concurrence déloyale et empêcher la fraude, cette liberté serait assortie de règles d'encadrement des cas d'application de ces taux (nombre de taux différents autorisés par État membre, interdiction de taux réduits aux biens de grande valeur facilement transportables ou dans certains secteurs ciblés, information préalable de la Commission, etc.). Dans le cadre de cette option, tous les taux réduits existants actuellement, y compris les dérogations, seraient également maintenus et tous les États membres pourraient avoir la possibilité d'y recourir. Le taux minimal de 15 % serait en revanche supprimé. Les deux options envisagées ci-dessus visent à engager un débat politique sur le degré d'autonomie à accorder aux États membres en matière de taux au sein du Conseil, ainsi qu'au Parlement européen. Sur cette base, la Commission présentera en 2017 des propositions législatives détaillées s'appuyant sur un mandat du Conseil. |
* 5 Inventeur de cet impôt et de son appellation, Maurice Lauré était parfaitement conscient que l'assiette de la TVA ne correspondait pas à la valeur ajoutée des entreprises mais bien à la consommation finale des ménages, la taxe facturée à chaque stade à l'acheteur restant assise sur le prix total du produit.
* 6 Dans son rapport de décembre 2015 consacré à la TVA, le conseil des prélèvements obligatoires (CPO) rappelle que l'ensemble des mesures dérogatoires relatives à la TVA peuvent être évaluées à 145, les principaux taux réduits s'appliquant au livre, à la presse, aux logements sociaux et aux services de soin à domicile. Pour illustrer la complexité du régime, il prend l'exemple du taux applicable à un sandwich qui est de 10 % pour le consommateur final ou 20 % s'il est vendu dans le cadre d'une formule avec une boisson alcoolisée, ce taux étant de 5,5 % en cas de vente à un autre assujetti à la TVA, tandis que la consommation par un élève dans un lycée est exonérée.