C. UNE CAPACITÉ PLUS LIMITÉE DE MENER CERTAINES ACTIONS EN COMPLÈTE AUTONOMIE

Si globalement, les forces armées françaises ont pu démontrer leur aptitude à réaliser les missions qui leur ont été confiées en opérations extérieures, il n'en demeure pas moins que les opérations menées ont pu l'être à moindre risque grâce à un travail en coalition, dans le cadre d'une opération combinée avec une force internationale de stabilisation ou avec des moyens complémentaires fournis par des alliés. Sans doute les forces armées françaises auraient-elles pu mener ces actions en autonomie mais à une échelle de risque et à un coût plus élevés.

1. La capacité d'entrée en premier face à un ennemi disposant d'un niveau de protection élevé (Libye, Syrie...)

Face à un ennemi disposant d'une défense aérienne robuste, l'entrée en premier serait sans doute plus compliquée et plus risquée. Elle exigerait le déploiement de davantage de moyens (aéronefs, navires) pour détruire les défenses ennemies et les systèmes de surveillance, de détection et de communication et commandement, aux premières heures de l'intervention. Dans ces circonstances, l'action en coalition est une hypothèse réaliste mais ne doit pas être une condition sine qua non à l'intervention des forces armées françaises. La France en toute circonstance doit conserver son autonomie d'appréciation et d'action et s'en donner les moyens.

Harmattan : Dans le cadre de l'opération Harmattan/Unified Protector, si des avions français ont pu mener le 19 mars après-midi une attaque au sol contre de blindés se dirigeant vers Bengazi, cette attaque fut suivie dans la soirée par une frappe massive de 124 missiles de croisières Tomahawk tirés à partir de sous-marins et de destroyers américains et britanniques contre une vingtaine d'objectifs composés de noeuds de communication stratégiques et de systèmes de défense anti-aérienne libyens.

2. La capacité de durer dans une opération de stabilisation longue avec des effectifs réduits
a) Le besoin fréquent de s'appuyer sur des capacités alliées pour pallier des insuffisances capacitaires (transport, ravitaillement)

Les lacunes capacitaires (aérotransport, ravitaillement en vol) de nos forces armées sont connues de longue date et sont d'autant plus critiques lorsque la France se trouve engagée sur plusieurs théâtres et qu'elle est amenée à soutenir cet effort dans la durée. Elle doit donc solliciter le concours de ses alliés européens et américains pour lui fournir ces capacités alors qu'ils ne sont pas directement engagés dans les opérations de combat ou dans le cadre plus restrictif d'une mission des Nations unies ou de l'Union européenne.

Serval : La force Serval a pu compter sur le soutien de huit pays pour les missions de transport aérien ou de ravitaillement en vol : Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Grande-Bretagne, Espagne, États-Unis et Pays-Bas.

Barkhane : continue à bénéficier occasionnellement des moyens de transport et de ravitaillement en vol des alliés européens et américains. Ainsi peut-elle bénéficier occasionnellement du soutien de deux C160 de l'armée allemande déployée en soutien au contingent allemand de la MINUSMA et d'EUTM Mali.

Sangaris : Dès le début de l'intervention française, le Royaume-Uni, la Belgique, la Lituanie, l'Espagne, la Pologne et les États-Unis ont décidé d'apporter un soutien à la force Sangaris par la mise à disposition de moyens aériens.

b) Le besoin de s'appuyer sur des capacités alliées pour pallier le manque d'effectif à déployer dans les opérations de stabilisation

Le déploiement d'effectifs en nombre limité dans des zones d'opérations vastes comme au Sahel ou en RCA implique de pouvoir s'appuyer sur des capacités alliées qui seront recherchées soit dans des forces mises en oeuvre par l'Union africaine (MISCA) ou les organisations régionales (MISMA) soit dans la mise en place d'une opération de maintien de la paix des Nations unies (MINUSMA, MINUSCA) soit dans la mise en place d'une opération de Union européenne.

Si la France a toujours pu s'appuyer sur une génération de forces africaines et sur des OMP décidées aux termes de résolution du CSNU, en revanche la génération de forces a été beaucoup plus problématique côté européen, limitée à une opération de nature militaire (EUFOR RCA), une participation à la coalition contre Daech au Levant, la fourniture de moyens de transports aériens et de ravitaillement en vol et une participation plus nombreuse aux OMP dans le Sahel et en RCA et aux misions de formation de l'Union européenne, ce qui a permis de reprendre les militaires français qui s'y trouvaient engagés.

Cette participation toujours compliquée à obtenir en raison du manque d'intérêt d'une partie de nos partenaires pour l'Afrique, de leur opinion publique et de leur règle d'engagement a été rehaussée au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 qui ont frappé le territoire national, dans un élan de solidarité, la France ayant invoquée l'article 42.7 du Traité de l'Union européenne.

(1) Un exemple des difficultés de génération de forces : EUFOR RCA

Le 20 janvier 2014, le Conseil des ministres de l'Union européenne décide une opération militaire de l'UE avec pour but de fournir un appui temporaire à la création d'un environnement sûr et sécurisé dans la zone de Bangui, l'objectif étant de passer le relais aux partenaires africains. Pour autant, la génération des forces nécessaires a été d'une grande difficulté. Lorsqu'il faut 48 heures à la France pour monter de 450 à 1 600 hommes, il a fallu cinq mois et cinq conférences de génération pour projeter 700 hommes et permettre à l'EUFOR RCA d'atteindre le 15 juin sa pleine capacité opérationnelle

La mission a été assurée jusqu'au 15 mars 2015. La France était nation-cadre de cette mission dont elle assuré le commandement depuis Larissa (Grèce) et à Bangui. Elle a participé à hauteur de 260 hommes, militaires et gendarmes confondus, sur un effectif total de 700.

Dans son retour d'expérience d'EUFOR RCA, le général Pontiès, outre la difficulté initiale de génération, souligne les difficultés liées au caractère très composite de cette force, chaque Etat-membre consentant à n'apporter des forces qu'à un niveau symbolique : « la doctrine de l'OTAN en matière de multi-nationalité indique qu'on ne peut pas descendre au-dessous du niveau de la compagnie pour des raisons de compréhension des ordres comme de tactique sur le terrain. À EUFOR, toutes les contributions ont été bienvenues. Et nous avons été confrontés à des contributions de l'ordre de sections. Je crois qu'on est, là, à la limite de l'exercice multinational, sur le plan tactique, comme de la réactivité et de la protection des forces. Il y a, en effet, le risque d'une mauvaise interprétation des ordres et de tirs fratricides. Faute d'autres solution, on fait « avec », on renforce l'effectif des officiers de liaison, d'interprètes. Mais, il faut réfléchir. »

Le groupe de travail regrette que l'idée, un temps évoqué, de déployer un « Battle group », unité cohérente et entraînée, disponible, n'ait pas été suivie. Si l'Union européenne souhaite manifester sa volonté de soutenir sa stratégie globale orpheline de son volet militaire, elle doit sérieusement envisager d'utiliser les outils qui sont à sa disposition .

(2) Le recours au 42.7 et l'ambiguïté de sa mise en oeuvre

Lors du Conseil des ministres de l'Union européenne (format Défense) du 17 novembre, la France a invoqué, pour la première fois dans l'histoire de l'UE, la clause d'assistance mutuelle prévue à l'article 42.7 du Traité de l'Union européenne 161 ( * ) . Elle a demandé à ses partenaires leur appui, à titre bilatéral, dans la lutte contre Daech au Levant et une participation accrue sur les théâtres d'opérations où les forces françaises sont déployées au Sahel et en RCA. Ces demandes ont été précisées par des démarches bilatérales, y compris au-delà du strict cadre de l'Union européenne (Norvège, Canada, États-Unis).

L'intérêt du choix de cette procédure est double. Elle est d'application immédiate 162 ( * ) . Elle est flexible car ses modalités d'activation ne sont aucunement prévues dans le Traité, elle rend possible l'utilisation de canaux essentiellement bilatéraux sans impliquer aucune instance de l'Union européenne et laisse une large marge d'appréciation quant aux moyens mobilisés par les Etats membres.

L'utilisation de la procédure a permis dans un moment particulier de consolider et concrétiser les marques de solidarité au lendemain des attentats et de donner un nouvel élan à des débats de politique intérieure au sein des Etats membres sur la capacité d'engager des moyens militaires au-delà de simples opérations de maintien de la paix par exemple. Ainsi a-t-elle permis d'engager davantage l'Allemagne au Levant 163 ( * ) et au Sahel 164 ( * ) , la Grande-Bretagne au Levant 165 ( * ) ou la Belgique 166 ( * ) qui a décidé de prendre le commandement et une part significative dans la mission EUTM Mali, pour ne citer que les plus significatives.

Cette étape est importante et signifiante dans le long processus d'évolution des dirigeants politiques et des opinions publiques européennes sur la nécessité pour l'Europe de s'impliquer davantage dans son environnement stratégique sud et sud-est et de s'intéresser davantage aux volets sécuritaire et de défense que cela implique. Pour autant, la contribution reste difficilement mesurable en termes d'effet direct sur les effectifs et moyens que la France pourra s'épargner de déployer, aboutissant ainsi à une sorte d'alternance opérationnelle.

Le groupe de travail mesure les progrès accomplis depuis 2013 dans l'implication des partenaires européens. Il espère que cette évolution se poursuivra à l'avenir et qu'une stratégie commune permettra à l'Union européenne de s'impliquer davantage dans ce processus. Il regrette que la mise en oeuvre de l'article 42.7 n'en ait pas fourni l'occasion. La voie bilatérale conduite par la France était sans doute la plus efficace et la plus simple pour gagner du temps, mais en n'impliquant pas les institutions européennes en charge de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), ne serait-ce a minima dans la coordination 167 ( * ) , une occasion a été perdue de progresser sur la voie d'une défense européenne mutualisée.


* 161 «Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément a` l'article 51 de la charte des Nations unies (4). Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité' et de défense de certains États membres. Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traite' de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre.

* 162 Contrairement à l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord qui nécessite une décision favorable du Conseil de l'Atlantique Nord ou à la clause de solidarité prévue par l'article 222 TFUE qui requiert une coordination des États membres au sein du Conseil.

* 163 L'Allemagne a adopté le 4 décembre un mandat autorisant l'engagement jusqu'à 1 200 hommes au Levant, ainsi que 6 avions Tornado (pour des vols ISR), un ravitailleur en vol et une frégate en accompagnement du groupe aéronaval français.

* 164 L'Allemagne a autorisé l'engagement jusqu'à 650 hommes au sein de la MINUSMA et de l'EUTM Mali.

* 165 La Chambre des Communes a autorisé l'extension des frappes aériennes au théâtre syrien et doublé ses capacités aériennes. Elle a également déployé un destroyer avec le groupe aéronaval français.

* 166 La Belgique a également déployé une frégate au sein du groupe aéronaval et devrait déployer des F16 en Irak dans le cadre d'une alternance opérationnelle avec les Pays-Bas.

* 167 Comme l'ont fait remarqué les rédacteurs du blog Bruxelles2 « Dans le contexte de la demande française, rien n'empêchait donc (selon nous) les instances européennes de coordonner ou, au moins, de constituer une cellule chargée de recueillir, analyser et transmettre les demandes faites par la France. Rien ne l'empêchait non plus de convoquer une conférence de génération de forces - inter-opérations - pour examiner comment les effectifs dans les opérations les plus concernées (EUTM Mali, EUTM Somalia...), les effectifs européens pouvaient être renforcés, soit pour libérer les effectifs français de ces missions (qui étaient déjà assez faibles), soit pour prendre en charge certaines tâches qui pouvaient être dévolues aux opérations nationales françaises. Il n'y a eu ainsi aucune traduction visible, concrète de l'effort de solidarité à la France dans un esprit d'assistance et de défense mutuelle qui gouverne ce texte. C'est une opportunité qui a ainsi été perdue de progresser sur la voie d'une défense européenne mutualisée. » http://club.bruxelles2.eu/2016/02/linterpretation-restrictive-du-seae-de-larticle-42-7-nest-pas-la-notre/

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