B. LES DERNIERS EXERCICES DE PROGRAMMATION DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT ONT CONNU DES RÉSULTATS CONTRASTÉS

1. Le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) de 2011, une longue liste de projets non hiérarchisés

L'élaboration d'un nouveau schéma national d'infrastructures de transport (SNIT) fut décidée par la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement 12 ( * ) .

Ce schéma devait fixer « les orientations de l'État en matière d'entretien, de modernisation et de développement des réseaux relevant de sa compétence, de réduction des impacts environnementaux et de la consommation des espaces agricoles et naturels, et en matière d'aides apportées aux collectivités territoriales pour le développement de leurs propres réseaux » 13 ( * ) et servir de « référence à l'État et aux collectivités territoriales pour harmoniser la programmation de leurs investissements respectifs en infrastructures de transport » 14 ( * ) .

Tenant compte des objectifs relevant d'autres politiques publiques définis dans la loi dite « Grenelle I », notamment en matière de réduction des gaz à effet de serre, le SNIT présentait un caractère novateur par rapport à la précédente programmation établie en 2003 par le CIADT. Toutefois, la durée de la concertation - environ seize mois -, la longue liste de projets inscrits et la sous-estimation initiale des financements nécessaires ont contribué à décrédibiliser l'exercice .

L'avant-projet de SNIT présenté en juillet 2010 identifiait une liste de grands projets dont la poursuite des études apparaissait « souhaitable », en vue de leur réalisation dans les vingt à trente prochaines années, pour un coût total estimé à 166 milliards d'euros 15 ( * ) . Cet avant-projet comprenait notamment 4 000 kilomètres de lignes ferroviaires nouvelles et 370 kilomètres de nouvelles voies d'eau mais peu de projets routiers .

À l'issue de la consultation publique et du débat au Parlement, le projet de SNIT rendu public en octobre 2011 représentait un coût global estimé à 245 milliards d'euros sur vingt-cinq ans, dont 88 milliards d'euros à la charge de l'État et 56 milliards d'euros financés par les collectivités territoriales , le reste étant pris en charge par les gestionnaires d'infrastructures, concessionnaires et partenaires privés. La révision à la hausse du coût global du schéma s'expliquait principalement par les critiques du Commissariat général au développement durable (CGDD) ainsi que par l'ajout de projets routiers. Relevant la sous-estimation des dépenses de régénération ferroviaire d'environ 25 milliards d'euros et l'absence de chiffrage robuste pour un grand nombre de projets, ce dernier estima le coût total du SNIT à 260 milliards d'euros 16 ( * ) .

Au sein de l'enveloppe de 245 milliards d'euros, 105 milliards d'euros correspondaient à des projets d'optimisation des réseaux, dont 67 milliards d'euros en faveur du transport ferroviaire, et 140 milliards d'euros à des projets de développement , dont 107 milliards d'euros correspondant à des projets ferroviaires.

Estimation du coût des investissements inscrits dans le SNIT

(en milliards d'euros)

Avant-projet de SNIT

Juillet 2010

Projet de SNIT
Octobre 2011

CIADT 2003

Ferroviaire

103

174

Fluvial

16

23

Portuaire

3

5

Routier

13

42

Aérien

1

2

Coût total

140

245

100

Transports collectifs urbains

30

47

Source : CGEDD, avant-projet et projet de SNIT

L'estimation de 245 milliards d'euros retenue par le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, semblait d'autant plus élevée qu'elle n'incluait pas le projet de métro automatique du Grand Paris Express ni les investissements de transport collectif relevant des collectivités territoriales ou d'autorités organisatrices autonomes 17 ( * ) .

Comparativement aux précédents schémas de services collectifs de transport établis en 2002 et critiqués, à juste titre, par notre ancien collègue Jacques Oudin pour leur absence d'évaluation financière et de référence aux moyens financiers de l'État 18 ( * ) , le SNIT comportait un effort de chiffrage , qui plus est contradictoire . Cependant, il n'était pas soutenable d'un point de vue financier .

Il était ainsi admis dans le projet consolidé de SNIT lui-même que « la dépense totale qui résulterait de la réalisation intégrale du schéma sur vingt-cinq ans excède les moyens de financement aujourd'hui mobilisés dans le cadre de la politique de l'État en matière d'infrastructures de transport. Un financement sur vingt-cinq ans de l'ensemble des projets et mesures figurant dans le schéma apparaît donc difficile, a fortiori au regard de la situation budgétaire et d'endettement de l'État, des collectivités territoriales et de certains opérateurs et au regard de la dynamique actuelle de croissance économique. Mais le schéma n'est pas un document de programmation. Il s'agit d'un document d'orientation générale qui définit le cadre d'action de l'État en matière d'infrastructures de transport pour les vingt à trente prochaines années et qui vise dans ce cadre à impulser et à dessiner des perspectives. L'ensemble des dépenses que sa mise en oeuvre est susceptible de générer n'a pas nécessairement vocation à être mobilisé à 100 % sur la période même en considérant que n'ont été pris en compte que des projets ou mesures qui peuvent se concrétiser avant trente ans ».

L'exercice de planification du SNIT se révéla donc, in fine , largement insuffisant en tant qu'outil d'aide à la décision et inadapté au nouveau contexte économique et budgétaire.

2. La commission Mobilité 21 a établi un schéma national de mobilité durable qui constitue aujourd'hui la feuille de route du Gouvernement

Compte tenu du caractère irréaliste du SNIT, le gouvernement issu des urnes au printemps 2012 décida de confier à une commission de parlementaires et de personnes qualifiées 19 ( * ) - dénommée par la suite commission « Mobilité 21 » - la tâche d' établir une hiérarchisation et un « phasage » des opérations inscrites dans le SNIT .

Considérant deux scénarios de financement différents 20 ( * ) - le premier retenant un montant d'investissements d'ici à 2030 de 8 à 10 milliards d'euros et le second un montant compris entre 28 et 30 milliards d'euros - la commission a présenté, en juin 2013 21 ( * ) , deux classements 22 ( * ) répartissant les projets en trois groupes :

- les premières priorités dont l'engagement doit intervenir avant 2030 et pour lesquels il est proposé de poursuivre les études de façon active jusqu'à la déclaration d'utilité publique (DUP) . Figurent notamment dans cette catégorie le traitement des noeuds ferroviaires de Paris-Saint Lazare-Mantes-la-Jolie, de Marseille et de Paris-Gare de Lyon ainsi que la route Centre Europe Atlantique (RCEA) en Allier et Saône-et-Loire ;

- les secondes priorités dont l'engagement doit être envisagé entre 2030 et 2050 . Pour ce groupe de projets, il est proposé de poursuivre les études ; sans viser explicitement la DUP, et d'effectuer un réexamen ultérieur avant de décider de leur réalisation . Un certain nombre de lignes à grande vitesse (dont, par exemple, les lignes Poitiers-Limoges, Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Perpignan) et de projets autoroutiers (notamment l'autoroute A 45 Lyon-Saint-Etienne et le grand contournement Ouest de Strasbourg) sont classés dans cette catégorie, ainsi que le projet d'accès ferroviaire, côté français, au tunnel Lyon-Turin ;

- les projets à horizons plus lointains (2050 et au-delà), pour lesquels il est proposé de suspendre les études .

Scénarios n° 1 et n° 2 proposés par la commission « Mobilité 21 »

(montants en milliards d'euros)

Scénario 1

Scénario 2

Estimation basse

Estimation haute

Estimation basse

Estimation haute

Premières priorités

Amélioration des liaisons entre les ports de niveau européen et leur hinterland

480

570

480

570

Traitement des points noirs du réseau ferroviaire

7 800

8 550

13 700

14 450

Réponse aux enjeux d'attractivité économique et de desserte des territoires

960

1 320

14 630

15 150

Total

9 240

10 640

28 810

30 170

Secondes priorités

Projets ferroviaires

71 450

81 350

58 450

68 250

Projets fluviaux

230

230

-

-

Projets routiers

10 580

12 620

6 240

8 120

Total

82 260

94 200

64 690

76 370

Horizons lointains

Projets ferroviaires

15 620

25 000

15 620

25 000

Projets fluviaux

15 000

17 000

15 000

17 000

Projets routiers

4 020

4 020

4 020

4 020

Projets aéroportuaires

210

210

210

290

Total

34 850

46 310

34 850

46 310

Source : commission « Mobilité 21 »

Pour établir ce classement, la commission « Mobilité 21 » s'est appuyée sur un ensemble de critères, non pondérés, reflétant la contribution aux grands objectifs de la politique des transports - notamment la compétitivité et la réduction des inégalités territoriales - la performance écologique en fonction de leurs effets attendus sur l'environnement et des émissions de gaz à effet de serre, la « performance sociétale » mesurée par la contribution des projets à l'amélioration de la sécurité, de la santé ou à la réduction des nuisances pour les riverains, et enfin, la performance socioéconomique mesurée par la valeur actualisée nette.

À ce jour, le Gouvernement s'est écarté des propositions de la commission « Mobilité 21 » sur trois projets routiers , classés initialement dans la catégorie des « secondes priorités », à engager entre 2030 et 2050 :

- l'aménagement de la section Allaines-Dreux de la route nationale 154 (RN 154), qui sera traité avec la section Dreux-Nonancourt, classée en priorité de premier ordre dans le scénario n° 2 dans le cadre d'un projet d'autoroute concédée qui sera soumis à une enquête publique d'ici la fin de l'année 2016. Selon la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), « le coût de cet aménagement, estimé à 769 millions d'euros 2015 hors taxes, n'apparaît pas finançable autrement que par mise en concession et de manière globale. La participation de l'État dans le cadre de la subvention d'équilibre est fixée à hauteur de 50 % » 23 ( * ) soit environ 28 millions d'euros ;

- la desserte du Chablais , en raison de demandes fortes du conseil départemental de Haute-Savoie , qui s'est par ailleurs engagé à prendre en charge l'intégralité de l'éventuelle subvention d'équilibre nécessaire pour financer le projet ;

- le grand contournement Ouest de Strasbourg , au regard des travaux complémentaires menés par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) en 2013 confirmant la pertinence d'une autoroute de contournement pour faciliter l'accès à Strasbourg , sous réserve de procéder à des adaptations aboutissant à un projet d'une taille plus modeste. À la suite d'un appel d'offres, un contrat de concession a été signé le 28 janvier 2016.

La DGITM souligne que ces décisions « ne remettent pas en cause la pertinence de l'exercice général , les financements de l'État mobilisés par ces trois projets étant très réduits » 24 ( * ) .

Si certains arguments en faveur de l'accélération de ces projets peuvent être entendus, votre groupe de travail estime que cette situation illustre la nécessité de procéder à un suivi régulier de toute programmation .

De plus, contrairement à son intention initiale, le Gouvernement n'a pas formellement adopté le classement proposé par la commission « Mobilité 21 » en tant que « schéma national de mobilité durable » , ce qui lui aurait pourtant conféré davantage de poids.


* 12 Article 16 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

* 13 Article 16 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 précité.

* 14 Ibid .

* 15 En incluant les projets de transport collectif urbain.

* 16 CGEDD, rapport d'évaluation globale de l'avant-projet consolidé de schéma national des infrastructures de transport, mars 2011.

* 17 Le montant de l'ensemble des investissements programmés afférents était alors estimé à 47 milliards d'euros.

* 18 Cf. Rapport d'information n° 303 (2002-2003) sur le financement des infrastructures de transport à l'horizon 2020 fait par Jacques Oudin au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation du Sénat, mai 2003.

* 19 La commission « Mobilité 21 » était composée des députés Philippe Duron, également président de la commission, André Chassaigne, Bernard Plancher et Eva Sas, des sénateurs Michel Delebarre et Louis Nègre et des personnes qualifiées Jean-Michel Charpin, Yves Crozet, Marie-Line Meaux et Patrice Parisé.

* 20 Excluant tous deux le projet de liaison ferroviaire binationale Lyon-Turin.

* 21 Commission « Mobilité 21 », « Pour un schéma national de mobilité durable », Rapport au ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche, juin 2013.

* 22 Cf. Annexe.

* 23 Réponse de la DGITM au questionnaire du groupe de travail.

* 24 Ibid .

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