INTRODUCTION - LES ENSEIGNEMENTS DE LA TABLE RONDE DU 14 JANVIER 2016 : « L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES CONTRE LES INTÉGRISMES RELIGIEUX »
La table ronde du 14 janvier 2016 14 ( * ) a été introduite par la projection d'un passage du documentaire de Frédérique Bedos, Des femmes et des hommes 15 ( * ) , qui portait spécifiquement sur « la question des religions et de la place qu'elles font aux femmes » et sur « l'usage qu'en font certains pour priver les femmes de leurs droits et les rendre, en quelque sorte, « invisibles » ». La réalisatrice a choisi de recueillir les témoignages de « femmes de foi », « véritablement imprégnées par leur religion » 16 ( * ) .
Cette rencontre organisée par la délégation rassemblait, dans un esprit comparable, des femmes (théologiennes, biblistes, responsables d'associations, ministres du culte...) ainsi qu'un homme, tous très investi-e-s dans leur religion 17 ( * ) . L'objectif était en effet, d'entendre des points de vue qui ne soient pas nécessairement le reflet des positions des institutions officielles 18 ( * ) . La délégation a aussi souhaité associer à cette réunion des représentantes de la libre pensée et de la Grande loge féminine de France.
A. SYNTHÈSE DES TÉMOIGNAGES
Les témoignages recueillis le 14 janvier 2016 ont attiré l'attention de la délégation sur les points suivants :
1. Si l'intégrisme menace les droits des femmes, l'égalité est un barrage contre les extrémismes
La pensée intégriste est conçue « de façon monolithique, pure de toute contamination étrangère ». Or « l'incapacité d'un système à faire de la place au féminin est toujours révélatrice de son incapacité à faire de la place à l'« autre » en général. » « Tous les fanatismes mettent en garde contre l'impureté des croyances, des idées et, surtout, du corps des femmes » 19 ( * ) .
Le fondamentalisme et l' intégrisme menacent tout particulièrement les femmes : quand ces pensées l'emportent, « les modèles proposés sont ceux du passé, patriarcaux, où les femmes sont invisibles » 20 ( * ) . En d'autres termes, « l'intégrisme religieux favorise l'inégalité entre hommes et femmes » 21 ( * ) .
L'enjeu de l'égalité entre femmes et hommes, y compris au sein des religions, est donc de barrer la route à l'intégrisme : « Faire évoluer le statut des femmes et leur donner une voix », c'est inviter le système à évoluer en faisant une place à l'« autre » , c'est-à-dire, en ce qui nous concerne, aux femmes 22 ( * ) .
2. La dimension émancipatrice des textes fondateurs face à des traductions et interprétations inégalitaires
Les textes fondateurs ne sont pas porteurs d'inégalité : « Les textes bibliques sont certes nés [dans une culture patriarcale], mais ils sont annonciateurs, porteurs de la légitimité de l'égalité. [...] Ces textes patriarcaux portent en filigrane le trésor de l'égalité entre hommes et femmes » 23 ( * ) .
Mais les intervenants ont souligné que leurs traductions et interprétations avaient « forgé l'inégalité entre hommes et femmes pour correspondre à la culture ambiante » 24 ( * ) . Parmi les exemples cités, on peut en retenir deux :
- quand la Genèse évoque l'« aide » 25 ( * ) que représente la femme pour l'homme, le sens originel du mot souligne le besoin dans lequel se trouve une personne dont la force se révèle insuffisante mais ne signifie pas que la femme qui « aide » soit de ce fait inférieure ;
- de même, la « « côte » « est en fait une mauvaise traduction de l'hébreu qui n'a jamais parlé de « côte d'Adam, mais, en réalité, du « côté d'Adam » » 26 ( * ) .
Ces traductions et interprétations influencées par des « a priori sexistes » 27 ( * ) auraient donc, selon les intervenants, légitimé des constructions sociales inégalitaires :
- « On a de fait imposé une soumission de la femme , justifiant une inégalité entre hommes et femmes non seulement dans la sphère ecclésiale, mais aussi dans le couple, la famille, le monde professionnel, et en général dans la société » 28 ( * ) ;
- « Les monothéismes n'ont pas inventé le patriarcat et la domination masculine, mais les religions ont justifié, légitimé et sacralisé ce système hiérarchique fondé sur la supériorité des hommes » 29 ( * ) .
Une conception de la femme centrée sur « la prétendue vocation de la femme pour la maternité », encouragée par la religion, s'est traduite notamment en 1995, à Pékin, lors du sommet de l'ONU sur les femmes , par l'affirmation de cette conception « différentialiste » ayant pour conséquence que « l'égalité entre hommes et femmes au regard des droits humains universels ne permettait pas d'oublier les différences essentielles entre hommes et femmes liées à la maternité et aux devoirs qui en découlent ». De ce fait, « la femme est femme avant d'être un être humain », à la différence de l'homme qui, « au contraire, est libre, sans détermination » 30 ( * ) .
Dans cet ordre social inégalitaire, la femme est trop souvent réduite à son corps : « Le masculin se confond avec l'humain en général. La nature féminine, quant à elle, est toujours directement liée au corps et à la fonction reproductive. Avoir un corps qui produit des enfants aurait pu être considéré comme un privilège, mais c'est finalement devenu un handicap, puisque c'est ce qui définit le corps des femmes » 31 ( * ) .
3. Un appel lancé à la délégation pour mettre fin à des situations d'exclusion
Des intervenant-e-s ont regretté un accès limité des femmes aux responsabilités au sein de leur religion, sans se limiter au ministère du culte, et ont déploré que la mixité de l'espace sacré soit inégalement assurée 32 ( * ) .
« Pourquoi la synagogue, la mosquée, l'église, sont-elles les seuls lieux où l'on attendrait que rien ne bouge ? » 33 ( * ) .
Un appel a été adressé aux membres de la délégation par des participants 34 ( * ) pour encourager l'évolution de certains lieux de culte , qualifiés par deux intervenantes de « zones de non-droit » en raison de la situation d'exclusion qui y est faite aux femmes :
- « Il ne devrait pas exister de territoire dans la République où les citoyens ne peuvent pas saisir la justice pour défendre leurs droits » 35 ( * ) ;
- « Je regrette que la laïcité actuelle laisse faire sans intervenir, sous prétexte que le religieux relève du domaine privé. [...] Nous avons besoin de l'aide de la République ! » 36 ( * ) .
Dans un esprit comparable, un participant a affirmé : « Je ne suis pas favorable à une tutelle complète de l'État sur l'organisation du culte, mais il existe aujourd'hui une sorte de hiatus entre la loi de la République et la loi prônée par les leaders religieux. Délivrer des permis de construire pour des projets qui relèguent les femmes dans les sous-sols revient à trahir la loi de la République, et la valeur de l'égalité entre hommes et femmes qui les sous-tendent » 37 ( * ) .
* 14 Son compte rendu complet est publié en annexe.
* 15 La version intégrale de ce documentaire a été projetée le 8 mars 2016 à l'initiative conjointe de la délégation aux droits des femmes et de la présidente de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly, qui assistait à la table ronde du 14 janvier 2016.
* 16 Les citations de cet alinéa sont de Frédérique Bedos.
* 17 Cette table ronde ne comportait pas de participant issu de l'orthodoxie ni de représentant du bouddhisme.
* 18 Sollicitée par la présidente de la délégation en juin 2016, la Conférence des responsables de cultes en France n'a pas été en mesure d'exprimer son point de vue sur les questions posées par le rapport.
* 19 Les citations de cet alinéa sont de Delphine Horvilleur, rabbin.
* 20 Anne Soupa, bibliste.
* 21 Marie-Thérèse Besson, présidente de la Grande loge féminine de France.
* 22 Delphine Horvilleur, rabbin.
* 23 Valérie Duval-Poujol, traductrice de la Bible, présidente de la commission oecuménique de la Fédération protestante de France.
* 24 Valérie Duval-Poujol, traductrice de la Bible, présidente de la commission oecuménique de la Fédération protestante de France.
* 25 Valérie Duval-Poujol, traductrice de la Bible, présidente de la commission oecuménique de la Fédération protestante de France.
* 26 Delphine Horvilleur, rabbin.
* 27 Valérie Duval-Poujol, traductrice de la Bible, présidente de la commission oecuménique de la Fédération protestante de France.
* 28 Valérie Duval-Poujol, traductrice de la Bible, présidente de la commission oecuménique de la Fédération protestante de France.
* 29 Églantine Jamet-Moreau, universitaire, auteure de Le curé est une femme.
* 30 Anne Soupa, bibliste.
* 31 Églantine Jamet-Moreau, universitaire, auteure de Le curé est une femme.
* 32 Il faut noter que cette demande ne concerne pas les représentantes du protestantisme.
* 33 Delphine Horvilleur, rabbin.
* 34 Il faut noter que cette demande ne concerne pas les représentantes du protestantisme.
* 35 Hanane Karimi, porte-parole du collectif Les femmes dans la mosquée.
* 36 Anne Soupa, bibliste.
* 37 Nassr Edine Errami, co-fondateur de l'association Musulmans inclusifs de France.