III. ENTRETIENS À NEW YORK DANS LE CADRE DU DÉPLACEMENT DE LA SOUS-COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES DE LA COMMISSION DES QUESTIONS POLITIQUES À L'OCCASION DE LA 71ÈME SESSION DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
Le programme, ci-dessous, a permis de bien appréhender les activités de l'ONU en matière de droits de l'Homme, de démocratie et d'État de droit tout en mesurant le potentiel de coopération avec le Conseil de l'Europe qui en résulte. Trois membres de la délégation française ont participé à ces entretiens : Mme Josette Durrieu, sénatrice, et MM. René Rouquet et Jean-Claude Mignon, députés.
Mercredi 7 décembre 2016
- Réunion avec M. l'Ambassadeur Nicholas Emiliou, Représentant permanent de la République de Chypre auprès des Nations unies
- Réunion avec M. Jan Eliasson, Vice-Secrétaire général des Nations unies
- Réunion avec M. Tayé-Brook Zerihoun, Sous-Secrétaire général aux affaires politiques, et des responsables du Département des affaires politiques
- Réunion avec M. El Ghassim Wane, Sous-Secrétaire général aux opérations de maintien de la paix
- Réunion avec M. Oscar Fernandez-Taranco, Sous-Secrétaire général pour l'appui à la consolidation de la paix
- Réunion avec M. l'Ambassadeur Roman Oyarzun Marchesi, Représentant Permanent de l'Espagne auprès des Nations unies, Président du Conseil de Sécurité des Nations unies en décembre 2016
- Rencontre avec M. François Delattre, Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès des Nations unies
Jeudi 8 décembre 2016
- Rencontre avec M. l'Ambassadeur Vital Y Churkin, Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations unies.
- Réunion avec M. Stephen O'Brien, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d'urgence
- Réunion avec M. Andrew Gilmour, Sous-Secrétaire général aux droits humains, Chef du Bureau du Haut-Commissaire aux droits de l'Homme à New York, HCDH
- Réunion avec M. Miguel de Serpa Soares, Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques, Conseiller juridique des Nations unies
- Réunion avec Mme Helen Clark, Secrétaire générale adjointe, Administratrice du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)
- Réception offerte par Mme Aleksandra Djurovic, Vice-Présidente de la sous-commission des relations extérieures de l'APCE, Présidente de la délégation serbe auprès de l'APCE
Vendredi 9 décembre 2016 (matin)
- Réunion avec M. Jean-Paul Laborde, Sous-Secrétaire général, Directeur exécutif de la direction exécutive du Comité contre le terrorisme (CTED)
Les relations entre l'ONU et le Conseil de l'Europe reposent notamment sur l'accord du 15 décembre 1951 entre le Secrétariat de l'ONU et le Conseil de l'Europe et sur la résolution 44/6 du 17 octobre 1989 par laquelle l'Assemblée générale de l'ONU a adressé au Conseil de l'Europe une invitation permanente à participer à ses sessions et à ses travaux en qualité d'observateur.
On retiendra les principaux points suivants des entretiens effectués à New York.
- Sur les droits de l'Homme :
Il a été souligné que les problèmes devaient d'abord être traités au niveau régional et que cela constituait une piste insuffisamment explorée. Il a été aussi rappelé que l'ONU avait trois piliers :
- la paix et la sécurité,
- le développement,
- les droits de l'Homme et l'État de droit, qui ne peuvent se développer sans démocratie.
Comme le Conseil de l'Europe, l'ONU est une organisation fondée sur des valeurs. Si l'un de ces piliers manque, c'est l'équilibre de l'ensemble qui est menacé.
Pendant longtemps, le 3 ème pilier était un peu en retrait, mais depuis 5 ans il est passé au premier plan. La violation des droits de l'Homme est en effet un signe avant-coureur des conflits à venir. Les atteintes aux droits de l'Homme se sont multipliées ces dernières années, avec par exemple les attaques contre les civils ou les viols des femmes. Il est aussi inquiétant de constater les attaques contre la société civile et le droit à la libre expression.
À l'image du Conseil de l'Europe, les Nations unies sont extrêmement préoccupées par l'ampleur du phénomène des personnes déplacées et par la montée en puissance de la xénophobie. Celle-ci s'explique notamment par la peur. On constate même de telles craintes dans une région rurale de Suède. Il faut répondre à ces peurs.
Il existe aujourd'hui au plan mondial un déficit de confiance.
L'ONU a ses limites, qu'illustre le droit de veto, et peut donc décevoir. Mais c'est l'existence de ce droit de veto qui permet l'acceptation de l'ONU. Et même lorsque l'ONU est bloquée au niveau du Conseil de sécurité, elle peut quand même faire de l'humanitaire. Il ne faut cependant pas sous-estimer le poids d'une résolution de l'Assemblée générale adoptée par consensus.
Il est ressorti des échanges sur ce sujet que les droits de l'Homme suscitent aujourd'hui des inquiétudes. Les menaces sont sans précédent, de la Hongrie avec le traitement des migrants en passant par les déclarations du Président élu des États-Unis. À cause de la montée de l'extrême droite, on n'ose plus défendre les migrants. Or les conditions de détention de ceux-ci en Libye constituent un scandale. Parallèlement, on constate que la tolérance pour la torture a augmenté. Des gens meurent de faim au Nigéria. Un génocide a lieu au Soudan du Sud.
La lutte contre les terroristes, ou supposés tels, en crée parfois. Avant l'intervention des États-Unis en Irak, il n'y avait pas de terroristes dans ce pays.
La tendance est à mépriser l'opposition, pour tenter de justifier les violences contre celle-ci ; ainsi au Congo « Ils ne portent pas de costume » , sous-entendu « On peut les tuer » .
Les États-Unis détiennent 25 % des prisonniers détenus dans le monde ! Le système judiciaire et les prisons souffrent de biais raciaux, sans parler de la peine de mort. Il ne faut cependant pas caricaturer la situation et oublier l'Histoire qui fait que les priorités des Américains sont très différentes de celles des Européens.
Sur la question du terrorisme , le problème de sa définition a été soulevé à plusieurs reprises. Il existe de nombreuses conventions de l'ONU sur différents actes de terrorisme, par exemple dans l'aviation civile, mais pas de définition générique du terrorisme, du fait des désaccords sur des notions comme le droit à la résistance à l'agression ou les combattants pour la liberté.
Le rôle du comité contre le terrorisme de l'ONU est de faire évaluer la menace par un organe indépendant et la capacité à y résister. Il est aussi de faciliter l'assistance technique.
La coopération avec le Conseil de l'Europe s'opère avec des organes comme MONEYVAL ou les organes de lutte contre la cybercriminalité (OCTOPUS). Le protocole sur la lutte contre les combattants étrangers a été salué 2 ( * ) .
L'une des priorités de l'ONU est de veiller à maintenir un lien avec les Parlements nationaux.
C'est dans ce contexte que M. René Rouquet, président de la délégation française, et M. Jean-Claude Mignon ont proposé aux commissions des affaires étrangères, des affaires européennes, de la défense et des lois d'auditionner M. Jean-Paul Laborde. La proximité des élections législatives a cependant conduit à reporter à la prochaine législature une telle audition.
L'ONU travaille aussi avec l'UIP, avec l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, ou l'Assemblée de la francophonie.
Si l'on constatait une absence de coopération internationale, la frustration des populations serait très compréhensible. Il en est de même pour les procureurs lorsque les lois nationales sont incompatibles, ce qui rend impossible une coopération efficace. Il en va très différemment lorsque les lois sont conformes à une convention ; elles sont alors toutes compatibles et la coopération entre États fonctionne rapidement.
La lutte contre le financement du terrorisme est un élément essentiel. Il faut constamment s'adapter et prêter attention par exemple à de nouveaux mécanismes comme le Bitcoin .
En ce qui concerne la prévention, l'accent est mis sur les mécanismes d'incitation à la violence. Une approche au niveau des communautés est préconisée (« Community based approach »). Des mécanismes indépendants de contrôle sont indispensables pour garantir le respect des droits de l'Homme.
Sur le maintien de la paix, l'ONU est déployée dans 16 territoires, dont 9 en Afrique et 2 en Europe (Chypre et le Kosovo). Ce n'est pas une tâche facile, mais l'ONU a fait de gros progrès. La mission au Kosovo est un succès, même si on essaie de nouveaux aménagements. L'ONU attend une plus grande contribution des pays européens. La France a cependant une importante mission d'entraînement au Mali. Les soldats déployés au titre de l'ONU sont habilités à utiliser, dans certaines hypothèses, la force. Les représentants de l'ONU ont insisté pour que l'on ne juge pas une mission sur quelques incidents qui font la une des médias. Les succès, eux, ne font pas la une des médias. Au Soudan Sud, il y a eu quelques dizaines de civils tués, c'est exact, mais l'ONU a protégé des dizaines de milliers de civils.
En ce qui concerne le Sahara occidental, l'ONU y a une mission de maintien de la paix depuis les années 90. Son mandat est de faciliter la tenue d'un référendum. Le Conseil de sécurité a invité le front Polisario et le Maroc à négocier mais le processus politique est bloqué. Il y a un avant et un après Rwanda.
Sur l'Ukraine, la mission de l'ONU dépend du Conseil de sécurité dont est membre la Russie...
Il y a aujourd'hui plus de 61 millions de personnes déplacées.
La construction de la paix (traduction littérale de « peace building ») n'intervient pas uniquement dans un contexte post conflit. C'est également une question de prévention, d'empêcher l'escalade des conflits. C'est un processus très politique. Pour cela, il faut que les différents piliers, y compris l'Ecosoc de l'ONU collaborent ensemble.
193 membres ont approuvé ce changement d'approche, qui implique des changements de structure et de financement.
Il faut également plus de partenariats stratégiques avec les organisations régionales, le FMI ou la Banque mondiale.
Il faut concevoir des solutions centrées sur les populations. Cela ne peut cependant se faire sans les financements adéquats. Il faut agir très vite, avec par exemple la mise en place de commissions de réconciliation par la vérité. Les migrants viennent souvent des États qui ont implosé.
L'importance de l'implication des parlements dans les processus de paix a été soulignée.
L'ONU a reçu, pour cette politique de prévention, des contributions volontaires au-delà du cercle habituel des donateurs.
Certains pays constituent des menaces potentielles graves. Ainsi, Madagascar pourrait revenir hanter la communauté internationale un jour.
L'importance de la communication a été soulignée, en partant de l'échec de la ratification populaire du plan de paix en Colombie.
Il est intéressant de relever que M. Antonio Guterres, qui a succédé à M. Ban Ki-Moon à la tête de l'ONU, a présenté le 10 janvier sa nouvelle approche, fondée sur la prévention des conflits.
* 2 La résolution 2178 (2014) du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité traite particulièrement de ce problème.