II. TROIS ENJEUX DANS UN CONTEXTE INCERTAIN

Comme évoqué en préambule, certaines réformes engagées par le Gouvernement emportent de lourdes implications sur la politique de décentralisation culturelle.

En accentuant la régionalisation et la métropolisation rampantes du territoire, la réforme des collectivités territoriales pose la question du devenir du socle communal de l'action culturelle , et présage de redoutables difficultés en termes d'aménagement culturel.

Parallèlement, la baisse des dotations de l'État fragilise le modèle de co-financement des dépenses culturelles, étant donné l'ampleur des difficultés financières auxquelles les collectivités - et singulièrement les communes et les conseils départementaux - sont confrontées.

Enfin, c'est une altération du dialogue entre les collectivités et l'État qui peut résulter de la réforme des services déconcentrés de l'État , et notamment de la reconfiguration de certaines DRAC, au détriment de l'indispensable co-construction des politiques culturelles.

Face à ces évolutions concomitantes, les élus locaux sont placés dans une situation d'expectative, voire dans une franche inquiétude.

C'est pourquoi la FNCC, dans la contribution qu'elle a transmise à la délégation, a indiqué qu' « aujourd'hui, deux choix politiques [...] peuvent faire craindre une évolution négative du processus de décentralisation culturelle, avec un réel risque de relégation de certains territoires, ce qui conduirait à un blocage du processus de démocratisation ». Et la fédération de citer « les difficultés budgétaires croissantes des collectivités et les changements de paradigme des politiques publiques », ainsi que « la réforme territoriale ».

En définitive, compte tenu des incertitudes engendrées par la nouvelle donne territoriale, au moins trois enjeux, largement débattus au cours de la table ronde, doivent être pris en compte :

- la proximité de l'offre culturelle , en contrepoint à la régionalisation et à la métropolisation du territoire ;

- la soutenabilité des interventions financières , face à la raréfaction des concours de l'État aux collectivités ;

- enfin, la coopération entre les acteurs locaux , dont l'institutionnalisation, quoique renforcée, demeure perfectible.

A. LA PROXIMITÉ DE L'OFFRE CULTURELLE

Le premier enjeu auquel la politique de décentralisation culturelle est confrontée est le maintien de la proximité de l'offre culturelle.

Certes, la répartition des compétences culturelles ne semble pas, de prime abord, avoir été substantiellement modifiée par les dernières lois de réforme territoriale.

L'article 103 de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a ainsi indiqué que « la responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l'État ».

Son article 104 a précisé, à l'article L.1111-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT), que « les compétences en matière de [...] culture [...] sont partagées entre les communes, les départements, les régions et les collectivités à statut particulier. »

Cependant, le renforcement relatif de deux échelons locaux interroge profondément notre paysage institutionnel, a fortiori en matière culturelle.

Il s'agit, tout d'abord, de celui des conseils régionaux.

La fusion des régions , permise par l'article 1 er de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, a ramené le nombre des conseils régionaux de 22 à 13 en métropole au 1 er janvier 2016, élargissant ainsi leur périmètre et, potentiellement, leur capacité d'action.

En outre, une possibilité de délégation par l'État de l'exercice de certaines de ses compétences aux collectivités ou aux EPCI à fiscalité propre qui en feraient la demande a été ouverte par l'article 1 er de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM).

Cette faculté, inscrite à l'article L.1111-8 - 1 du CGCT, est actuellement mise en oeuvre en région Bretagne en matière culturelle : le conseil régional s'est ainsi vu confier certaines missions de la DRAC dans les domaines du livre, de l'audiovisuel et du patrimoine.

Le conseil régional de Bretagne :
un exemple de délégation de compétences

Le « Pacte d'avenir pour la Bretagne » , signé entre l'État et le conseil régional de Bretagne en décembre 2013 consécutivement à la crise agro-industrielle bretonne, prévoyait, en son article 9 intitulé « De la spécificité culturelle bretonne », la mise en place d' « une délégation de compétences [...] sur un périmètre à définir conjointement ».

Conformément à cet engagement, le président de la région Bretagne, Pierrick Massiot, et le préfet de cette région, Patrick Strzoda, ont signé, le 5 décembre 2014, en présence de la ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, un protocole de mise en oeuvre du volet culture, complété le 16 décembre 2014 par deux conventions : l'une avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), et l'autre avec le Centre national du livre (CNL). Il s'agissait alors d'expérimenter, à partir du 1 er janvier 2015, un « guichet unique » pour l'instruction et le versement des aides dans ces domaines, en préfiguration d'une éventuelle délégation de compétences.

Cette dernière est intervenue avec la convention de délégation de compétences de l'État à la région Bretagne dans le domaine culturel des 15 et 16 octobre 2015, et le décret n° 2015-1918 du 30 décembre 2015 portant délégation de compétences du ministère de la Culture et de la Communication à la région Bretagne.

Sur le fondement de l'article L.1111-8-1 du CGCT, l'État a ainsi confié au conseil régional de Bretagne l'exercice en son nom et pour son compte de compétences relevant de ses services déconcentrés (article 2 de la convention) :

- dans le secteur du livre : le soutien à la librairie, à l'édition et aux manifestations littéraires ;

- dans le secteur du cinéma : le soutien aux manifestations cinématographiques, aux réseaux de diffusion et aux réseaux de cinéma ;

- dans le secteur du patrimoine culturel immatériel : le soutien aux associations ayant pour missions la collecte, la sauvegarde et la diffusion du patrimoine oral de la Bretagne.

Corrélativement, des moyens financiers ont été mis à la disposition du conseil régional, qui s'élèvent à 171 000 euros par an pour le livre, 84 000 euros pour le cinéma, et 140 000 euros pour le patrimoine culturel immatériel (article 5 de la convention).

Prenant effet au 1 er janvier 2016, cette convention est établie pour six ans.

L'autre renforcement concerne les intercommunalités.

Réorganisés autour du seuil minimal de 15 000 habitants fixé par l'article 33 de la loi NOTRe, les EPCI à fiscalité propre ont vu leur nombre passer de 2 062 à 1 266 19 ( * ) entre 2016 et 2017, afin d'accroître leur « masse critique » .

Dans le même esprit, les métropoles ont été promues par la loi MAPTAM (titre II). Au nombre de 12 au 1 er janvier 2017 20 ( * ) , les métropoles de droit commun 21 ( * ) ont été dotées de compétences culturelles : selon l'article L.5217-2 du CGCT, elles sont ainsi en charge de la construction, de l'aménagement, de l'entretien et du fonctionnement des équipements culturels et socioculturels d'intérêt métropolitain.

Depuis une modification introduite à l'article précité par l'article 90 de loi NOTRe, elles peuvent en outre exercer par délégation ou par transfert certaines compétences du conseil départemental 22 ( * ) . Cette faculté est actuellement utilisée dans quatre cas en matière culturelle, comme l'ont précisé le 23 février dernier à la délégation M. Jean-Bernard Auby, professeur à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris, et Mme Estelle Bomberger-Rivot, maître de conférences.

Ce double mouvement de régionalisation et de métropolisation du territoire est ambivalent : il peut certes permettre des synergies entre les acteurs culturels, mais il risque aussi d'engendrer un sentiment d'éloignement dans les territoires ou auprès des publics les plus isolés.

Ce risque d'éloignement ressort de la contribution écrite de la FNCC, qui a indiqué, au sujet de la réforme territoriale, que « son principe central est l'accroissement du rôle du couple régions/intercommunalités, avec la fragilisation que cela peut représenter pour les départements (déjà lourdement tentés par un repli de leur engagement culturel tant le poids de leur compétence sociale est lourd) et pour les petites villes et les territoires ruraux. »

Il en résulte, selon l'association, au moins deux conséquences :

- d'une part, « la poursuite de la décentralisation risque d'être essentiellement urbaine et de laisser de côté des pans entiers du territoire national » ;

- d'autre part, « la réforme territoriale a tendance à concentrer les politiques culturelles sur la gestion des équipements au détriment d'un projet proprement politique. »

Ces enjeux liés à l'évolution du paysage institutionnel en matière culturelle ont été amplement commentés lors de la table ronde.

Après avoir rappelé l'importance de l'équité et de la solidarité entre les territoires, M. Florian Salazar-Martin, président de la FNCC, a ainsi estimé que les intercommunalités comme les régions ne sauraient se substituer aux autres acteurs des politiques culturelles.

De son côté, M. Vincent Berjot, directeur général des patrimoines, a indiqué que les intercommunalités constituent un facteur de mutualisation et d'ingénierie en matière de patrimoine, et s'est interrogé sur la possibilité d'associer davantage les régions au financement de ce domaine.

Enfin, M. Pierre Oudart, directeur adjoint chargé des arts plastiques, a rappelé la verdeur du socle communal de la politique de création, en dépit de la montée en puissance des intercommunalités.

La plupart des interventions des collectivités dans cette politique n'étant pas obligatoires , il a également relevé que tout effort de rééquilibrage territorial ne peut être imposé d'en haut, et qu'un risque de désengagement n'est par ailleurs pas exclu dans certains territoires.


* 19 Ministères de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales, « Bulletin d'information statistique de la DGCL », n° 113, janvier 2017, p. 1.

* 20 Ibidem.

* 21 Aux côtés des 12 métropoles de droit commun, on dénombre 2 métropoles à statut particulier (métropoles d'Aix-Marseille Provence et du Grand Paris) et 1 collectivité territoriale à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution (métropole de Lyon).

* 22 L'article 47 de la loi MAPTAM avait créé, à l'article L.3211-1-1 du CGCT, un dispositif similaire de transfert de compétences, qui pouvait trouver à s'appliquer en matière culturelle dans le domaine des musées.

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