AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Depuis l'annonce des résultats du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne (UE), le thème de la compétitivité des places financières fait l'objet d'une attention croissante , le Brexit étant susceptible de fragiliser la capacité de l'industrie financière britannique à déployer ses activités en Europe.

Dans ce nouvel environnement aux contours incertains, deux questions majeures se posent.

La première, qui a jusqu'à présent concentré l'attention, porte sur l'ampleur et la destination des relocalisations qui pourraient être décidées par les acteurs financiers exerçant actuellement leurs activités depuis Londres afin de sécuriser leur accès au marché européen.

Cette interrogation apparaît aujourd'hui d'autant plus pressante que la Première ministre britannique Theresa May, dans un discours prononcé à Lancaster House le 17 janvier 2017, a manifestement opté pour une sortie du marché intérieur , engageant ainsi le Royaume-Uni sur la voie d'un Brexit « dur ».

Alors que la place de Londres était parvenue depuis les années 1980 à retrouver le rang de premier centre financier mondial qu'elle avait perdu au lendemain de la Première guerre mondiale, tout en consolidant sa prééminence en Europe 1 ( * ) , le Brexit apparaît ainsi comme un événement susceptible de provoquer un rééquilibrage du paysage financier européen .

Paradoxalement, l'« effet de place » 2 ( * ) , qui tend selon la littérature économique à favoriser la concentration en un lieu géographique « de multiples acteurs qui concourent au bon fonctionnement des marchés financiers au sein d'écosystèmes dégageant d'importantes synergies » afin d'apporter « aux agents économiques financiers des services spécialisés et rapprochés indispensables pour la conduite de leurs opérations » 3 ( * ) , apparaît en effet à la fois comme un phénomène « extrêmement robuste et extrêmement fragile » 4 ( * ) .

Extrêmement robuste , d'une part, parce qu'une fois la dynamique enclenchée, il est particulièrement difficile de « rattraper » une place ayant atteint la « masse critique » en la concurrençant « sur les prix ou les coûts » 5 ( * ) . L'activité financière figure ainsi « parmi les plus hiérarchisées à l'échelle mondiale », un nombre très restreint de grands centres financiers « concentrant des opérations dont les montants sont colossaux comparés à l'activité de centres plus petits, et disproportionnés par rapport à la plupart des indicateurs d'activité économique » 6 ( * ) .

Extrêmement fragile , d'autre part, parce que le déclin des places financières apparaît historiquement comme aussi « brutal » et « inattendu » 7 ( * ) que leur émergence : de Gênes à Amsterdam en passant par Anvers, de multiples exemples 8 ( * ) illustrent le fait que « lorsque l'équilibre se rompt, que les champs de force et la direction des flux économiques se modifient, alors (...) le monde se polarise différemment » 9 ( * ) .

Aussi, bien que les conséquences à long terme du Brexit demeurent à ce jour largement indéterminées 10 ( * ) , les pouvoirs publics s'efforcent d'ores et déjà de peser sur les futures décisions de relocalisation des acteurs financiers . La place de Paris semble de ce point de vue avoir renoué avec « son ambition séculaire » 11 ( * ) de compter parmi les premiers centres financiers à l'échelle internationale, comme en témoignent les mesures visant à renforcer son attractivité annoncées conjointement le 6 juillet 2016 à l'occasion des « rencontres Paris Europlace » par le Premier ministre, Manuel Valls, la présidente de la Région Île-de-France, Valérie Pécresse, et la maire de Paris, Anne Hidalgo 12 ( * ) .

Dans ce contexte, le présent rapport a donc d'abord pour objet d'appréhender les forces et les faiblesses de Paris par rapport à ses principaux concurrents - afin, le cas échéant, de formuler des recommandations permettant de renforcer sa compétitivité.

L'ampleur du rééquilibrage du paysage financier européen dépendra toutefois fortement de la nature des relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Les vingt-sept États membres et la Commission européenne, sous l'impulsion du négociateur en chef Michel Barnier 13 ( * ) , considèrent à juste titre qu'il convient d'abord de s'accorder sur les conditions du « divorce » - et plus particulièrement sur la protection des droits des citoyens et le règlement financier du Brexit . Cependant, il apparaît dès à présent nécessaire d'identifier les grands enjeux de la négociation relative aux services financiers et de réfléchir aux réponses susceptibles d'être apportées aux demandes britanniques et aux inquiétudes des acteurs économiques.

En effet, le poids prépondérant occupé actuellement par Londres dans le domaine des services financiers est susceptible de créer un arbitrage difficile entre, d'une part, la volonté de préserver la souveraineté et la stabilité financière de l'Union , qui semble exclure que des fonctions financières centrales pour l'économie européenne « soient soumises à un régime juridique et à une supervision distincts de ceux de l'Union européenne » 14 ( * ) , et, d'autre part, la nécessité de tenir compte des risques de perturbation pour le financement des entreprises.

Les négociations portant sur les services financiers menées avec le Royaume-Uni et nos partenaires européens constituent ainsi la deuxième question majeure abordée par le présent rapport . À cet égard, ce dernier a vocation à poursuivre les réflexions engagées par le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne, mis en place au Sénat à l'initiative des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes 15 ( * ) .


* 1 Pour une description détaillée de l'évolution historique de la City , voir notamment : David Kynaston, City of London: The History , Vintage, 2012 ; Iain Martin, Crash Bang Wallop , Sceptre, 2017.

* 2 Voir sur ce point : Alexandre Duvivier, « L'attractivité des places financières », Bulletin de la Banque de France , n° 123, mars 2004.

* 3 Hervé Hannoun, « Places financières et banques centrales », Revue d'économie financière , n° 57, 2000, p. 4.

* 4 Inspection générale des finances (IGF), « L'entreprise et l'hexagone », septembre 2000, p. 183.

* 5 Ibid .

* 6 Pierre-Cyrille Hautcoeur, « Financial centres », article pour le Palgrave Dictionary of Transnational History , à paraître, p. 1.

* 7 Inspection générale des finances (IGF), « L'entreprise et l'hexagone », précité, p. 183.

* 8 Les travaux de Fernand Braudel décrivent ainsi l'évolution de la hiérarchie internationale des places financières depuis la Renaissance. Voir sur ce point : Fernand Braudel, Civilisation, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, tome 3 : Le temps du monde, Références , 1993.

* 9 Inspection générale des finances (IGF), « L'entreprise et l'hexagone », précité, p. 183.

* 10 Voir sur ce point : Rapport d'information n° 656 (2015-2016) d'Albéric de Montgolfier fait au nom de la commission des finances, 1 er juin 2016.

* 11 Laure Quennouëlle-Corre, La place financière de Paris au XXe siècle : des ambitions contrariées , Institut de la gestion publique et du développement économique, 2015, p. 2.

* 12 Voir notamment : Discours du Premier ministre aux rencontres financières Paris Europlace, 6 juillet 2016.

* 13 Commission européenne, « Recommandation de décision du Conseil autorisant la Commission à ouvrir des négociations en vue de la conclusion d'un accord avec le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord fixant les modalités du retrait de celui-ci de l'Union européenne », 3 mai 2017.

* 14 Propos tenus le 8 février 2017 par Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor, lors de l'audition relative à la compétitivité des places financières organisée par la commission des finances du Sénat.

* 15 Rapport d'information n° 434 (2016-2017) de Jean-Pierre Raffarin et Jean Bizet fait au nom du Groupe de suivi Retrait du Royaume-Uni et refondation de l'UE, 22 février 2017.

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