II. UN IMPACT MACROÉCONOMIQUE GÉNÉRALEMENT POSITIF, SANS ÊTRE LE GAGE D'UN REDRESSEMENT ÉCONOMIQUE DURABLE
En 2002, la Cour des comptes européenne dressait un bilan globalement positif de l'assistance macrofinancière, constatant que cet instrument avait « manifestement favorisé les processus de transition économique générale et d'ajustement structurel » 22 ( * ) dans les pays concernés, tout en soulignant l'existence de certaines marges d'améliorations. Les évaluations indépendantes réalisées au cours des quinze dernières années tendent à confirmer l'utilité de l'assistance macrofinancière, en complément des interventions du FMI, pour rééquilibrer la balance des paiements de pays tiers en difficulté. Intervenant sur une courte période - généralement comprise entre deux et trois ans - ces assistances représentent un faible risque financier pour l'Union mais leurs effets structurels à long terme sur l'économie des pays bénéficiaires s'avèrent nécessairement modestes.
A. UN INSTRUMENT D'URGENCE CONTRIBUANT À LA STABILISATION DE LA BALANCE DES PAIEMENTS
1. Un impact macroéconomique positif
Bien qu'elle représente en règle générale un apport subsidiaire à celui du FMI, l'assistance macrofinancière de l'Union européenne est aujourd'hui bien identifiée comme source de financement extérieur par les pays tiers en difficulté, qui adressent spontanément leurs demandes à la Commission européenne. Selon la direction générale du Trésor, l'assistance macrofinancière présente comme principal avantage , du point de vue des États bénéficiaires, de leur permettre d'emprunter à un coût très faible dans la mesure où l'Union européenne leur rétrocède intégralement ses conditions de financement très favorables . Le taux d'intérêt demandé au pays emprunteur dépend donc de la notation de l'Union européenne 23 ( * ) et des conditions de marché du moment ; il n'est pas lié au profil de risque du bénéficiaire final. Contrairement au MES, le taux facturé n'inclut pas de marge forfaitaire reflétant le risque auquel s'expose l'Union.
À titre indicatif, en janvier 2015, la Géorgie a emprunté, par l'intermédiaire de la Commission européenne, 10 millions d'euros sur quinze ans au taux fixe de 0,519 % ; en juillet 2015, l'Ukraine a bénéficié d'un prêt de près de 600 millions d'euros sur cinq ans au taux de 0,250 %, dans le cadre de la troisième opération d'assistance.
En outre, les critiques antérieures relatives au délai d'adoption des décisions d'octroi d'assistance 24 ( * ) se sont aujourd'hui estompées. D'une part, la durée moyenne d'adoption des décisions s'est réduite, et, d'autre part, le Traité de Lisbonne a introduit, à l'article 213 du TFUE, une base juridique spécifique « lorsque la situation dans un pays tiers exige une assistance financière à caractère urgent » permettant au Conseil de décider seul, sur proposition de la Commission européenne. Aussi, la Cour des comptes européenne a constaté, s'agissant de l'Ukraine, que « l'instrument d'assistance macrofinancière géré par la Commission constituait le moyen le plus efficace de verser rapidement l'aide promise à l'Ukraine pour faire face à sa situation financière difficile » 25 ( * ) comparativement à des subventions ou à l'appui budgétaire de l'Instrument européen de voisinage.
Les évaluations ex post , prévues par chaque décision d'assistance et réalisées par des consultants externes 26 ( * ) , concluent que les opérations d'assistance macrofinancière ont effectivement contribué à la stabilisation macroéconomique à court terme . Sur la période 1998-2006, une amélioration globale de l'environnement macroéconomique a été observée dans sept pays bénéficiaires - à savoir l'Arménie (1998-2003), la Roumanie (2000-2005), la Macédoine (2001-2005), le Tadjikistan (2001-2006), la Bosnie-Herzégovine (2002-2006), la Serbie et le Monténégro (2002-2006) et l'Albanie (2004-2006) - et ce pour la durée de leurs opérations d'assistances respectives 27 ( * ) . Par exemple, la croissance du PIB de l'Arménie est passée de 5 % en 1999 à 14 % en 2003, l'inflation a diminué et le déficit extérieur courant s'est stabilisé à 7 % en 2003. Dans le cas de la Macédoine, l'évaluation conclut qu'en l'absence d'assistance de l'Union européenne, la récession qui a touché le pays en 2001 aurait été plus longue et plus profonde.
S'agissant des opérations d'assistance décidées depuis 2006, les évaluations ex post établissent que l'aide de l'Union européenne a permis d' atténuer les effets récessifs de la crise économique et financière de 2008-2009 sur l'économie des pays bénéficiaires. C'est plus particulièrement le cas de la Moldavie et de l'Arménie : les modélisations réalisées dans le cadre des évaluations indiquent qu'en l'absence d'assistance macrofinancière, leur PIB aurait été inférieur de 0,5 % en 2012 pour la Moldavie et de 0,3 % à 0,6 % en 2011 pour l'Arménie 28 ( * ) .
Estimation de l'impact net de l'opération d'AMF
de 2010-2012
sur l'économie de la Moldavie
2010 |
2011 |
2012 |
|
Contribution à la croissance du
PIB
|
0,0 |
+ 1,2 |
- 0,6 |
Contribution au PIB (en pourcentage) |
0,0 |
+ 1,1 |
+ 0,5 |
Contribution à l'inflation
|
0,0 |
0,0 |
0,0 |
Contribution à l'équilibre du compte courant (en millions d'euros) |
+ 40 |
- 24 |
+ 9 |
Contribution au niveau des avoirs de réserves (en millions d'euros) |
+ 40 |
+ 15 |
+ 25 |
Source : Évaluation ex-post de l'assistance macrofinancière de l'UE à la Moldavie (2010-2012), octobre 2013
L'impact macroéconomique net, mesuré par la différence entre les effets constatés et la situation attendue en l'absence d'aide, est nettement plus élevé si l'on tient compte du soutien apporté par le FMI, parallèlement à l'assistance macrofinancière. Dans le cas de l'Arménie, l'aide combinée de l'Union européenne et du FMI a permis de limiter la baisse du PIB à 14 % au lieu de 20 % en 2009.
Par ailleurs, les évaluations ex post mettent en évidence la contribution très limitée de l'assistance macrofinancière à l'équilibre du compte courant à moyen et long termes .
Dans quelques rares cas, l'évaluation ex post a conclu à l'absence d'impact macroéconomique de l'assistance macrofinancière. Ainsi, les 100 millions d'euros accordés à la Bosnie-Herzégovine en 2009 - et versés seulement en 2013 en raison du non-respect de certaines conditions - auraient aisément pu être financés par une émission obligataire de ce pays. L'aide de 40 millions d'euros - dont 15 millions d'euros sous forme de don et 25 millions d'euros sous forme de prêt - versée au Liban en 2008 et 2009 s'est, quant à elle, avérée trop faible pour qu'un impact notable puisse être mesuré.
Si les évaluations disponibles constatent, hormis les deux cas énumérés ci-dessus, un impact globalement positif de l'assistance macrofinancière sur les principales variables économiques des pays bénéficiaires, elles soulignent le caractère limité, voire indirect, de cet impact.
2. ... mais souvent indirect et d'une ampleur limitée
Au plan macroéconomique, le bilan globalement positif de l'assistance macrofinancière mérite d'être nuancé sur deux points.
En premier lieu, l'impact net des opérations d'assistance macrofinancière est décrit comme « limité » par les évaluations ex post , en raison de la faible taille de ces dernières comparativement au PIB des pays bénéficiaires. À titre d'illustration, même s'il permettait de couvrir 17 % du besoin de financement calculé par le FMI, le prêt de 100 millions d'euros accordé à la Bosnie-Herzégovine dans le cadre de l'assistance macrofinancière correspondait à 0,7 % de son PIB en 2013. Le graphique ci-après, présentant les effets de l'assistance apportée à l'Arménie en 2011 et 2012 sur son PIB illustre également la portée relativement limitée de cette opération. Il convient néanmoins de rappeler que les évaluations ex post réalisées à ce jour concernent des opérations d'assistance macrofinancière de faibles montants, ne dépassant pas 100 millions d'euros. Par ailleurs, il est encore trop tôt pour évaluer les effets des assistances d'un montant plus significatif - 3,3 milliards d'euros au total pour l'Ukraine et 800 millions d'euros pour la Tunisie - accordées récemment.
Estimation de l'impact net de l'opération
d'assistance macrofinancière
de 2011-2012 sur le PIB de
l'Arménie
(en milliards de drams arméniens)
Source : Évaluation ex-post de l'assistance macrofinancière de l'UE à l'Arménie (2011-2012), octobre 2013
En second lieu, les effets macroéconomiques de l'assistance macrofinancière sont généralement indirects . La plupart des évaluations soulignent que l'octroi d'une assistance par l'Union européenne tend à améliorer la réputation du pays bénéficiaire et accroît la confiance des acteurs économiques . D'après le rapport de synthèse des évaluations publiées entre 2004 et 2008, « les pays bénéficiaires ont considéré l'assistance macrofinancière comme un moyen de renforcer leur crédibilité ; ceci semble avoir été l'effet le plus significatif de l'assistance macrofinancière » 29 ( * ) . Plus récemment, l'aide accordée au Liban dans le cadre de l'assistance macrofinancière en 2008-2009 a été perçue comme un signal de confiance de l'Union européenne à l'égard de l'économie du pays et aurait, ainsi, contribué à la reprise économique.
Cette analyse est corroborée par les représentants des pays bénéficiaires entendus par votre rapporteur spécial. En particulier, l'ambassadeur de Tunisie en France, M. Abdelaziz Rassaa, a indiqué que la décision d'accorder, à deux reprises en 2014 puis en 2016, un prêt à la Tunisie avait contribué à rassurer les investisseurs étrangers dont dépend étroitement l'économie du pays.
Dans l'ensemble, les effets macroéconomiques, qu'ils soient directs ou indirects, s'inscrivent dans un horizon de court terme, limité à la durée de l'opération. C'est pourquoi le versement des différentes tranches d'assistance est conditionné à la mise en oeuvre de réformes structurelles, dont les contours sont négociés au préalable entre la Commission européenne et les autorités du pays bénéficiaire.
Synthèse des évaluations ex-post
d'assistance macro-financière
publiées entre 2012 et
2015
Arménie |
Bosnie-Herzégovine |
Moldavie |
Impact macroéconomique En l'absence d'AMF (100 millions d'euros), le PIB aurait été inférieur de 0,3 % à 0,6 % en 2011 et 0,3 % en 2012. L'effet combiné de l'AMF et de l'aide du FMI a permis de limiter la baisse du PIB à 14 % en 2009 contre 20 % en l'absence de soutien. Impact sur les réformes structurelles L'AMF a favorisé la réforme des politiques fiscales et douanières et la modernisation de l'administration fiscale. |
Impact macroéconomique Le montant versé dans le cadre de l'AMF (90 millions d'euros) aurait pu être couvert par un programme d'émission obligataire. Dès lors, l'AMF a seulement permis de réduire le coût du service de la dette de 12,4 millions d'euros. Impact sur les réformes structurelles L'AMF a permis de renforcer la surveillance du secteur bancaire et la disponibilité de statistiques publiques fiables. |
Impact macroéconomique En l'absence d'AMF (90 millions d'euros), le PIB aurait été inférieur de 0,5 % et l'emploi de 0,2 % en 2012. Le soutien de l'AMF et du FMI ont permis de faire progresser le PIB moldave de 1,5 % et l'emploi de 0,8 % en 2012. Impact sur les réformes structurelles L'AMF a notamment permis le recensement des salariés du secteur public et la présentation devant le Parlement de lois de régulation financière et de supervision du secteur non-bancaire. |
Liban |
Kosovo |
Serbie |
Impact macroéconomique Aucun impact net direct en raison du faible montant de l'assistance (don de 15 millions d'euros et prêt de 25 millions d'euros). Impact sur les réformes structurelles Aucun progrès observé. |
Impact macroéconomique Impact macroéconomique très faible mais contribution utile de la première tranche d'AMF de 30 millions d'euros à la stabilisation des bilans des principales banques. Impact sur les réformes structurelles Impact très limité. |
Impact macroéconomique En l'absence d'AMF (100 millions d'euros 30 ( * ) ), la croissance du PIB aurait été inférieure de 0,05 % en 2010. L'impact macroéconomique du soutien du FMI sur le PIB est estimé à + 0,3 %. Impact sur les réformes structurelles L'AMF a permis d'accélérer l'adoption de règles budgétaires et de dispositions en matière de contrôle interne des finances publiques. |
Source : commission des finances du Sénat (à partir des rapports d'évaluation ex post publiés par la Commission européenne)
* 22 Cour des comptes européenne, rapport spécial n° 1/2002 sur l'assistance macrofinancière aux pays tiers et les facilités d'ajustement structurel dans les pays méditerranéens.
* 23 À savoir, en juin 2017, AAA par l'agence Fitch, Aaaa par Moody's et AAA par Standard& Poor's, soient des notations légèrement plus favorables que celles du MES.
* 24 Ces critiques avaient notamment conduit la Commission européenne à présenter une nouvelle procédure d'adoption dans une proposition de règlement établissant les dispositions générales relatives à l'assistance macrofinancière aux pays tiers (COM(2011) 396 final).
* 25 Cour des comptes européenne, rapport spécial n° 32 sur l'aide de l'Union européenne en faveur de l'Ukraine, 2016.
* 26 Sélectionnés par la Commission européenne.
* 27 European Policy Evaluation Consortium (EPEC), Meta-evaluation of Macro-financial assistance operations (2004-2008), Final report to the European Commission , octobre 2009.
* 28 Voir tableau infra .
* 29 European Policy Evaluation Consortium (EPEC), op. cit ., p. 18.
* 30 La décision initiale prévoyait une opération d'assistance de 200 millions d'euros mais seule la première tranche de 100 millions d'euros fut versée à la Serbie en raison de l'arrêt du programme du FMI.