AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Dès l'automne 2009, lors des débats sur la création de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), s'est posée la question de la territorialisation de la valeur ajoutée, c'est-à-dire de la répartition, entre collectivités territoriales, de l'assiette de cette nouvelle imposition économique qui a en partie remplacé la taxe professionnelle. En effet, la valeur ajoutée étant mesurée à l'échelle d'une entreprise et non d'un établissement, elle n'est pas automatiquement territorialisée - sauf dans le cas des entreprises constituées d'un unique établissement.

Dès lors, comment répartir entre les collectivités territoriales la valeur ajoutée et donc le produit de la CVAE ? La solution retenue consiste à répartir la valeur ajoutée des entreprises multi-établissements en fonction des valeurs locatives et des effectifs. Cependant, cette règle ne permet pas de traiter la situation des groupes de société. Or des transferts importants de valeur ajoutée peuvent intervenir entre les entités d'un même groupe, notamment au profit du siège.

Dès 2010, a donc été formulée la proposition de consolider la CVAE des groupes, afin d'assurer une répartition conforme à la réalité des territoires. Le Sénat a ainsi examiné des amendements proposant cette solution à neuf reprises depuis 2010.

Finalement, le Parlement a adopté une telle disposition lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2016 1 ( * ) . Initialement prévue pour s'appliquer dès 2017, cette mesure fut reportée à 2018 à l'initiative de la commission des finances du Sénat, afin de se donner le temps d'étudier les effets d'une telle réforme.

Tel est l'objet du présent rapport d'information.

LA CVAE : UN IMPÔT ÉCONOMIQUE LOCAL
MOINS ANTI-ÉCONOMIQUE QUE LA TAXE PROFESSIONNELLE

I. UN IMPÔT PENSÉ POUR AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES

A. LES EFFETS ANTI-ÉCONOMIQUES DE LA TAXE PROFESSIONNELLE ONT CONDUIT À SA SUPPRESSION EN 2010

Mise en place en 1975 2 ( * ) , la taxe professionnelle (TP) était jusqu'en 2010 le principal impôt local acquitté par les entreprises . En 2009, le produit versé aux collectivités territoriales s'élevait à plus de 30 milliards d'euros (dont plus de 40 % pris en charge par l'État à travers des dégrèvements), soit 20 % de leurs recettes réelles de fonctionnement. Elle participait de façon essentielle à leur autonomie fiscale, dans la mesure elles pouvaient en fixer le taux et que son produit représentait plus de 40 % du produit total des quatre taxes directes locales (taxe professionnelle, taxe d'habitation et taxes foncières). Du point de vue des entreprises, la charge nette représentait l'équivalent de près d'un tiers du produit de l'impôt sur les sociétés.

La taxe professionnelle était assise sur une assiette composite, qui a varié au cours de son existence, et qui comprenait, au cours des dernières années précédant sa suppression, la valeur locative des immeubles, la valeur locative des équipements et biens mobiliers (matériels, outillages, etc.), la masse salariale et les recettes.

Cette imposition fut critiquée pour ses effets anti-économiques , l'ancien Président de la République François Mitterrand la qualifiant d'« impôt insensé et imbécile » 3 ( * ) selon une formule restée célèbre. La taxe professionnelle était notamment accusée :

- de nuire à la compétitivité des entreprises : plus une entreprise investissait plus elle était taxée, puisque les équipements et biens mobiliers étaient compris dans son assiette ;

- de nuire spécifiquement à l'industrie, pourtant soumise à une forte concurrence internationale , dans la mesure où le poids des équipements est beaucoup plus important dans ce secteur que dans les autres ;

- de nuire à l'emploi , en pesant sur les salaires, jusqu'à leur suppression progressive de son assiette ;

- d'être devenue illisible en raison des nombreux dispositifs d'allègement successivement mis en place.

Par ailleurs, la taxe professionnelle était également critiquée par les entreprises du fait de l'augmentation régulière de son poids par rapport au produit intérieur brut (PIB), sous l'effet conjugué du dynamisme des bases et de l'augmentation des taux. Le produit de la taxe professionnelle est ainsi passé d'à peine plus de 1 % du PIB en 1976 à 2 % en 2000, avant de diminuer légèrement en raison de la suppression de la part de son assiette reposant sur les salaires.

Les reproches adressés à cet impôt ont conduit à le réformer fréquemment . Entre 1976 et 2010, 68 réformes ont été conduites, d'après les chiffres de la mission commune d'information sénatoriale sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle de 2012 4 ( * ) . Comme le précisait ce rapport, les principales évolutions ont consisté à supprimer la « part salaires » de l'assiette d'imposition pour ne plus nuire à l'emploi (entre 1999 et 2003) et à prendre en compte la valeur ajoutée , en plafonnant, dès 1979, le montant acquitté en fonction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise.

En 2004, prenant acte de son caractère anti-économique, Jacques Chirac, alors Président de la République, a souhaité remplacer « la taxe professionnelle par un nouveau dispositif qui ne pénalise pas l'industrie et prenne mieux en compte la diversité des activités économiques » 5 ( * ) . Une commission fut mise en place, présidée par Olivier Fouquet, qui proposa d'asseoir la taxe professionnelle essentiellement sur la valeur ajoutée. Finalement, l'article 2 de la loi de finances pour 2010 6 ( * ) supprima la taxe professionnelle et lui substitua notamment la contribution économique territoriale (CET), composée de la cotisation foncière des entreprises (CFE), assise sur les valeurs locatives foncières, et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), assise sur la valeur ajoutée .


* 1 Texte n° 208 (2016-2017) transmis au Sénat le 8 décembre 2016.

* 2 Loi n° 75-678 du 29 juillet 1975 supprimant la patente et instituant une taxe professionnelle.

* 3 Entretien de François Mitterrand, Président de la République, accordé à TF1 lors de l'émission L'enjeu , sur la situation économique, le budget 1984 et la politique économique, Paris, Maison de la Radio, jeudi 15 septembre 1983.

* 4 De la taxe professionnelle à la contribution économique territoriale : 25 propositions pour une transition , rapport n° 611 (2011-2012) de Charles Guené, 26 juin 2012.

* 5 Voeux aux forces vives de la nation, le 6 janvier 2004.

* 6 Loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

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