B. UN DÉBAT RÉCURRENT DEPUIS 2011 QUI A CONDUIT À L'ADOPTION D'UNE RÉFORME EN 2016
1. Un débat récurrent mais limité par la difficulté à disposer de données
La proposition de consolider la CVAE des groupes pour sa répartition fut présentée dès 2010 par votre rapporteur spécial Charles Guené et notre ancien collègue Pierre Jarlier 30 ( * ) , tandis qu'en 2012, la mission commune d'information du Sénat précitée, dont votre rapporteur spécial Charles Guené était rapporteur, considérait que la « répartition de la CVAE [était] inadaptée aux caractéristiques des groupes » et proposait à son tour cette solution (proposition n° 20). En définitive, cette proposition a été débattue à neuf reprises au Sénat depuis 2010 .
Ce débat était cependant limité par l'absence de données permettant, d'une part, de constater des transferts de valeur ajoutée vers les sièges sociaux et, d'autre part, de mesurer les effets de ces nouvelles modalités de répartition . Les parlementaires devaient se contenter de réponses évasives apportées par le Gouvernement en séance publique pour justifier un avis défavorable aux amendements évoqués précédemment. Ainsi , la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, Valérie Pécresse, déclarait en 2012 que le Gouvernement ne disposait « d'aucun élément permettant d'affirmer que la structure économique d'un groupe intégré favoriserait certains territoires ou en pénaliserait d'autres. [...] Il apparaît à l'heure actuelle à l'administration fiscale que la plupart des opérations intragroupes n'ont pas d'effet sur la détermination de la valeur ajoutée ». Elle ajoutait que les données permettant d'étudier la question seraient soumises aux commissions des finances de chaque assemblée ainsi qu'au comité des finances locales.
Ce n'est cependant qu'en février 2014 que le Gouvernement demandait un rapport sur le sujet à l'inspection générale des finances (IGF) et à l'inspection générale de l'administration (IGA) 31 ( * ) , qui concluait que « l'extension des modalités de répartition des entreprises multi-établissements aux groupes [n'était] pas une réponse adaptée aux enjeux de la territorialisation » .
Plus précisément, la mission IGF/IGA considérait que la consolidation au niveau des groupes :
- ne permettait pas d'atteindre l'objectif de rapprocher la part de CVAE d'une région de son poids dans le PIB ;
- n'avantageait pas particulièrement les territoires industriels ;
- créait un nombre significatif de territoires « perdants » ;
- aurait des effets aléatoires, les périmètres et effectifs des groupes pouvant varier de façon importante.
Cependant, en se basant sur les mêmes données de la mission IGF-IGA, l'Assemblée des communautés de France (AdCF) aboutissait à des conclusions inverses 32 ( * ) , comme le soulignait le rapporteur général de la commission des finances du Sénat à l'automne 2016 33 ( * ) .
L'AdCF considérait pour sa part :
- que la consolidation de la CVAE des groupes n'augmenterait pas les aléas mais les diminuerait , les variations dans les prix de cession intra-groupes et les réorganisations juridiques pouvant actuellement avoir des effets très importants ;
- que les territoires industriels profiteraient fortement de la consolidation au niveau des groupes : il s'agissait ici d'une différence d'approche, la mission IGF-IGA appréciant le caractère industriel d'une région en valeur absolue tandis que l'AdCF l'appréciait en valeur relative 34 ( * ) .
Au-delà de leurs conclusions, ces travaux permettaient d'alimenter le débat avec des données objectives.
2. Le choix, à l'automne 2016, d'inscrire ces nouvelles modalités de répartition dans la loi
C'est dans ce contexte que, à l'initiative de nos collègues députés Christine Pires Beaune et Joël Giraud, avec l'avis défavorable du Gouvernement et favorable de la commission, l'Assemblée nationale a adopté lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2016 un amendement tendant à appliquer la consolidation de la CVAE acquittée par les groupes.
Votre commission des finances, considérant que les effets d'une telle mesure étaient « difficiles à prévoir, mais en tout état de cause massifs », avait précisé la rédaction de cet article et reporté son entrée en vigueur à la répartition de 2018 . Il s'agissait ainsi de se donner le temps d'analyser les effets de cette réforme, objectif du présent rapport. En définitive, l'article ainsi modifié fut adopté sans modification par l'Assemblée nationale et figure à l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016 .
* 30 Amendement n° II-544 déposé sur le projet de loi de finances pour 2011.
* 31 Les règles conventionnelles de répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises , rapport conjoint IGF-IGA, juin 2014.
* 32 Assemblée des communautés de France, Rapport IGF, IGA « Règles conventionnelles de la répartition de la CVAE. Rapport sur la territorialisation » - Analyse et commentaires de l'AdCF , novembre 2014.
* 33 Commentaire de l'article 23 octies dans le Rapport n° 214, tome I (2016-2017) de M. Albéric de Montgolfier sur le projet de loi de finances rectificative pour 2016.
* 34 Ainsi, la Franche-Comté était considérée comme une région non industrielle par la mission IGF-IGA, sa valeur ajoutée industrielle (5,5 milliards d'euros) la classant au seizième rang national, tandis que l'AdCF la considérait comme la première région industrielle, la part de sa valeur ajoutée industrielle dans la valeur ajoutée totale étant la plus importante (21,4 %).