ANNEXES
Annexe 1 : |
Liste des auditions (hors rapports d'information) |
Annexe 2 : |
Comptes rendus des auditions |
Annexe 3 : |
Colloques et manifestations : supports de communication |
Annexe 4 : |
Rapports de la délégation |
Annexe 5 : |
Texte de la proposition de loi constitutionnelle du 8 mars 2017 |
Annexe 6 : |
Communiqués de presse |
Annexe 7 : |
Présentation par Françoise Laborde,
vice-présidente,
(conférence de presse du 19 juillet 2017) |
1. Liste des auditions (hors rapports d'information)
Jeudi 13 novembre 2014 : audition annuelle de la ministre chargée des droits des femmes |
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- Pascale Boistard |
Secrétaire d'État chargée des Droits des femmes auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes |
Jeudi 16 avril 2015 : bilan des élections de 2014-2015 au regard de l'accès des femmes aux mandats et aux responsabilités politiques |
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- Réjane Sénac |
Chargée de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), HDR, et présidente de la commission parité du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) |
Jeudi 4 juin 2015 : projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi |
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- Brigitte Grésy |
Secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes |
Jeudi 8 octobre 2015 - audition annuelle de la ministre chargée des droits des femmes |
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- Pascale Boistard |
Secrétaire d'État chargée des Droits des femmes auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes |
Jeudi 19 mai 2016 : projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs |
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- Catherine Coutelle |
Présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale |
Jeudi 2 juin 2016 : projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs |
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- Brigitte Grésy |
Secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes |
Jeudi 27 octobre 2016 : audition annuelle de la ministre chargée des droits des femmes |
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- Laurence Rossignol |
Ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes |
Jeudi 3 novembre 2016 : présentation du
rapport du HCE
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- Danielle Bousquet |
Présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh), accompagnée de Romain Sabathier , secrétaire général |
Jeudi 17 novembre 2016 : les violences intrafamiliales |
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- Édouard Durand |
Magistrat |
Jeudi 20 juillet 2017 : première
audition parlementaire de la ministre
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- Marlène Schiappa |
Secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes auprès du Premier ministre |
2. Comptes rendus des auditions
Audition de Pascale Boistard, secrétaire
d'État chargée des Droits
des femmes auprès de la
ministre des Affaires sociales, de la santé
et des droits des
femmes
(13 novembre 2014)
Présidence de Chantal Jouanno, présidente
Chantal Jouanno, présidente . - Alors que nous venons de renouveler notre délégation, qui compte désormais dix hommes au lieu de sept, je tiens à le souligner, nous avons souhaité vous recevoir, Madame la ministre, pour le traditionnel échange de vues organisé chaque année, à la même époque, entre la délégation aux droits des femmes et son interlocutrice privilégiée au Gouvernement. Il s'agit de faire le point entre nous sur les sujets d'actualité de notre ressort et sur l'évolution des crédits budgétaires consacrés aux droits des femmes. Cet échange prendra la forme d'un débat libre, les sujets abordés nous concernant toutes et tous.
À quelques jours de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, le 25 novembre, vous allez certainement détailler le contenu du 4 ème plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes.
Peut-être pouvez-vous aussi nous présenter le Plan d'action pour l'égalité entre les filles et les garçons à l'école (juin 2014), qui a succédé aux ABCD de l'égalité ?
De son côté, notre délégation a déjà inscrit dans son programme de travail à venir un certain nombre de sujets, parmi lesquels la lutte contre les stéréotypes masculins et féminins dans les jouets et jeux, dans la suite logique d'un précédent rapport de la délégation sur les stéréotypes dans les manuels scolaires. Nous travaillons aussi dans la continuité des travaux récemment rendus par le Haut Conseil à l'égalité sur la question des stéréotypes. Par ailleurs, à l'occasion de la commémoration du premier vote des femmes lors des élections municipales de 1945, nous souhaitons avoir une réflexion sur la citoyenneté des femmes.
Madame la ministre, je vous cède sans plus tarder la parole.
Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des Droits des femmes, auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Dans la lettre de mission qui définit les missions de mon secrétariat d'État figure en premier lieu la mise en application de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Cette loi, vous le savez, est transversale, puisque ses dispositions concernent tant l'égalité professionnelle que, notamment, les violences faites aux femmes. À cet égard, au nombre des premières actions de mon secrétariat d'État, je lancerai la semaine prochaine une grande campagne d'information sur la mixité des métiers, décisive pour parvenir à l'égalité salariale. Il s'agit de montrer qu'il est important de rendre accessible tous les métiers aux hommes comme aux femmes, non seulement dans le but d'assurer l'égalité réelle entre eux, mais aussi pour développer de nouveaux leviers économiques. Quand on sait que 80 % des métiers ne nécessitent pas de force physique particulière et que les branches professionnelles, dont je rencontre actuellement les principaux représentants, sont très motivées par cette question, je suis optimiste sur les résultats que nous pourrons obtenir. Si l'un des moments-clé se situe, bien entendu, au moment de la réorientation professionnelle, il faut aussi agir au moment de l'orientation, car, nous le savons bien, l'égalité se construit dès le plus jeune âge.
En milieu scolaire, la formation des enseignants à la question de l'égalité fait partie de nos priorités. À cet égard, je souhaite que, sur ce sujet sensible de la transmission des valeurs d'égalité entre les femmes et les hommes, nous évitions des débats à la fois stériles et orientés. Je sais qu'ici, cela ne sera pas le cas. Il est toutefois utile de rappeler que ce combat de la transmission des valeurs fait écho au triptyque républicain « liberté, égalité, fraternité », inscrit au fronton de nos mairies. Nous devons être les gardiens de cette ambition qui est de permettre à chacune et à chacun de choisir son destin.
Parmi les autres sujets prioritaires figure la question de la prostitution. Le Gouvernement sera à vos côtés pour permettre l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel - je sais que certains d'entre vous ont participé aux débats de la commission spéciale - au cours du premier semestre 2015. La société civile est très sensible à ce sujet, qui s'inscrit dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes.
La lutte contre la traite des êtres humains relève de ce même niveau de priorité. Compte tenu du fait que 80 % des personnes prostituées sont aussi victimes de traite, les réponses que nous apporterons à cette question montreront clairement notre volonté de lutter contre ces systèmes mafieux. Notre volonté doit être d'autant plus ferme que si, nous le savons, la majorité de ces femmes sont étrangères, il est aujourd'hui avéré que le phénomène touche aussi des mineures, étrangères comme françaises.
Sur le sujet proprement dit des violences faites aux femmes, nous préparons bien entendu des mesures à l'occasion du 25 novembre, qui seront présentées au Conseil des ministres le 20 novembre 2014.
Ce que je peux toutefois vous dire, c'est que nous avons, tout d'abord, l'intention de renforcer les dispositifs mis en place, parmi lesquels le numéro d'urgence « 39.19 ». Nous souhaitons aussi lancer une réflexion sur la façon d'améliorer les hébergements d'urgence, en particulier les hébergements permettant aux femmes victimes de quitter le domicile conjugal, comme le prévoient certaines dispositions spécifiques de la loi du 4 août 2014.
Par ailleurs, la question de la recrudescence des propos et des actes sexistes dans les milieux universitaires retient particulièrement notre attention. Je sais que vous êtes conscients que ces agissements contribuent à perpétrer une image « chosifiée » de la femme. D'autant plus que certaines grandes écoles, censées former nos futures élites, n'échappent pas à ces rituels dégradants.
Chantal Jouanno , présidente . - Pourriez-vous nous donner des précisions sur le premier plan de lutte contre la traite des êtres humains ?
Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des Droits des femmes, auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Permettez-moi, tout d'abord, de vous rappeler que les crédits du portefeuille des droits des femmes seront maintenus au même niveau, et qu'au sein de cette enveloppe budgétaire, 2,4 millions d'euros seront consacrés à la lutte contre la traite des êtres humains.
Pour renforcer nos moyens financiers, nous avons la possibilité de solliciter l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, établissement public administratif placé sous la double tutelle des ministères chargés de la Justice et du Budget, dont la création a été prévue par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Nous avons d'autre part demandé à la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) de recenser tous les dispositifs dédiés à cette question dans l'ensemble des ministères concernés. Ces 2,4 millions d'euros sont destinés :
- à la formation des acteurs de terrain. De nombreux médiateurs et médiatrices en bénéficient ;
- au soutien aux associations chargées de former les premiers interlocuteurs qui peuvent être confrontés à ce type de situations (pompiers, policiers, gendarmes, professionnels de santé).
Afin de construire un maillage au plus près du terrain, nous avons délégué les deux tiers de nos crédits aux délégations régionales aux droits des femmes, pour inscrire ce fléau dans la réalité de nos territoires.
Ma position est de privilégier une approche pragmatique : mon intention politique est d'inscrire les droits des femmes dans le quotidien des Françaises et des Français. Il s'agit donc de dépasser le stade des discours et des bonnes intentions pour lui préférer les résultats concrets. Mon ambition est que les femmes voient au quotidien leur vie s'améliorer.
Roland Courteau . - La loi sur l'égalité réelle du 4 août 2014 parle de « délai raisonnable » s'agissant de la délivrance de l'ordonnance de protection instituée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Vous le savez, les victimes de violences sont souvent en grand danger et il est crucial de pouvoir les protéger rapidement, et donc de délivrer, dans certains cas, l'ordonnance en urgence. Or, le bilan de la loi de 2010 a montré qu'il fallait parfois attendre de trois à six semaines pour cela. Quelles dispositions ont été mises en oeuvre pour que ce délai soit raccourci ?
Par ailleurs, nous avons rendu en juin 2014 un rapport sur les stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires, dont j'étais le rapporteur. Considérant que ces manuels doivent être des vecteurs d'égalité entre les filles et les garçons, nous avons formulé un certain nombre de recommandations. Je souhaiterais savoir, sans attendre de vous une réponse immédiate, quelles mesures vous comptez mettre en oeuvre pour que ces recommandations soient suivies d'effets.
Brigitte Gonthier-Maurin . - Vous avez fortement souligné l'importance de la formation des enseignants sur la question de la transmission des valeurs d'égalité à l'école. Dans notre rapport sur la lutte contre les stéréotypes dans les manuels scolaires, nous avons formulé une recommandation visant à prévoir des modules obligatoires d'enseignement à l'égalité au sein des écoles supérieures du professorat (ESPE), chargées de former les futurs professeurs des écoles. Auditionnée la semaine dernière par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, Mme Najat Vallaud-Belkacem nous a assurés de la mise en place de ces modules. Pouvez-vous nous le confirmer ?
Par ailleurs, je souhaite avoir des précisions sur l'évolution des crédits de l'action 12 au sein du programme 137 dont vous avez la charge et, plus particulièrement, sur la légère augmentation des moyens dédiés au numéro d'urgence « 39.19 ». Vous le savez, les appels « traitables » sont en constante augmentation. De plus, le « 39.19 » va devoir faire face à la généralisation du dispositif des téléphones « grand danger ». Les moyens disponibles seront-ils suffisants pour faire face à cette expansion prévisible des besoins ? Je m'inquiète d'être sollicitée, dans le cadre de l'allocation de la réserve parlementaire, par la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), inquiète du manque de moyens pour faire face aux demandes. C'est un dispositif que nous jugeons essentiel et nous estimons qu'il est impératif de lui donner les moyens de fonctionner.
Au cours d'un précédent entretien, j'avais évoqué avec vous le rapport qui doit être rendu avant janvier 2015 sur les contrats à temps partiel. La loi relative à la simplification de la vie des entreprises, qui permet de modifier les dispositions relatives au temps partiel par ordonnance, rend ce rapport d'autant plus nécessaire. Nous souhaitons exercer la plus grande vigilance sur cette question, dont on sait qu'il est l'une des causes de la précarité subie par de nombreuses femmes.
Enfin, nous souhaitons poursuivre notre réflexion sur la révision des critères de pénibilité des femmes au travail, que nous avions demandée dans le cadre de notre rapport du 23 janvier 2013 sur les femmes et le travail et, il y a un an, à l'occasion de notre contribution au débat législatif sur les retraites des femmes. Ce sujet fait-il partie de votre programme de travail ?
Joëlle Garriaud-Maylam . - Je souhaiterais revenir sur la question de la traite des êtres humains, un sujet extrêmement important et d'une actualité brûlante, et pour laquelle nous n'avons pas réellement compris quelles actions vous envisagiez de mettre en oeuvre concrètement.
À cet égard, je me demande s'il ne serait pas opportun que notre délégation entende Mme Michèle Ramis, qui a été nommée ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée, le 25 janvier 2014.
Enfin, pourriez-vous faire le point sur la place des femmes dans les conseils d'administration ? Certes, la loi dite « Zimmermann-Copé », dont j'avais eu l'honneur d'être rapporteur pour notre délégation, a fait avancer les choses. Mais je regrette tout de même un manque de diversité parmi les candidates. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Pascale Boistard secrétaire d'État chargée des Droits des femmes, auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - En ce qui concerne la place des femmes dans les conseils d'administration, la loi du 4 août 2014 permet une nouvelle avancée, puisque l'objectif est d'atteindre 40 % de femmes à l'échéance de 2017. Je vous rappelle que les femmes représentent actuellement environ 30 % des conseils d'administration des grands groupes. Nous avons également inscrit dans la loi des formes de sanctions, par le biais d'une restriction de l'accès aux marchés publics pour les entreprises qui ne respectent pas cette exigence. Cette question me tient à coeur, donc, et j'ai récemment remis des prix à des entreprises exemplaires dans ce domaine. Quant au choix des personnes candidates aux conseils d'administration, la loi ne dit rien, même si on peut le regretter. En tout état de cause, nous attirons l'attention des entreprises sur l'intérêt de donner des responsabilités aux femmes dans leurs instances stratégiques. Je crois que les entreprises y sont sensibles car elles sont conscientes de l'importance de ces mesures en termes d'amélioration de leur image.
Sur la question de la traite des êtres humains, nous travaillons bien entendu en transversalité avec les autres ministères, Intérieur et Justice en particulier. Nous sommes bien conscients du développement du phénomène et, parallèlement, de notre devoir de lutter contre ces réseaux mafieux.
J'ai moi-même rencontré des femmes victimes de ces traites : elles subissent des menaces terribles, de même que, dans leurs pays, les membres de leurs familles, ce qui met ces femmes dans des situations extrêmement difficiles. Croyez bien que j'ai la volonté de soutenir les associations qui sont capables de détecter ces situations de traite au plus près du terrain et d'accueillir ces victimes pour les aider à se reconstruire.
Pour répondre à Mme Brigitte Gonthier-Maurin sur la formation des enseignants à l'égalité, je ne peux que confirmer ce que vous a déjà dit Mme Najat Vallaud-Belkacem : la priorité a été donnée à la formation des enseignants, qui disposent désormais de modules obligatoires de formation sur le sujet de l'égalité entre filles et garçons.
S'agissant du numéro d'appel d'urgence le « 39.19 », le 25 novembre sera aussi l'occasion d'apporter des éléments d'information complémentaires sur l'action des associations dont les missions sont liées à ce dispositif. Quant au dispositif en lui-même, nous sommes actuellement liés à la Fédération nationale Solidarité Femmes par une convention pluriannuelle. Face à l'explosion des appels, dont il est difficile de dire si elle traduit une augmentation des violences ou une libération de la parole, nous avons bien noté que l'accès au service avait été élargi. Il nous revient donc de réfléchir à la meilleure façon d'accompagner ces évolutions, notamment par l'amélioration de l'accès aux hébergements d'urgence.
Sur la question du temps partiel, la publication du rapport que vous évoquiez est en cours. La Direction générale du travail au ministère du Travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social s'y emploie, et je me suis exprimée sur ce sujet à l'Assemblée nationale : nous espérons disposer d'éléments à la fin de l'année. Car la mauvaise place de la France en matière d'égalité salariale - encore environ 25 % d'écart de salaires entre les femmes et les hommes, tant dans la sphère privée que publique - tient pour beaucoup aux spécificités de l'emploi féminin, parmi lesquelles la forte proportion d'emplois à temps partiel.
Sur les critères de pénibilité au travail - sujet que nous avons largement débattu lors de l'examen du projet de loi portant réforme des retraites - nous travaillons avec le ministère du Travail sur ce sujet.
Pour répondre à M. Roland Courteau sur les délais de délivrance de l'ordonnance de protection, nous travaillons avec le ministère de la Justice sur ce point. Si la loi du 4 août 2014 a permis de relancer la question des délais de délivrance, n'oublions pas que nous allons passer à la phase de généralisation sur l'ensemble du territoire, y compris en Outre-mer, du dispositif du téléphone « grand danger », dont le marché public vient d'être clos par le ministère de la Justice.
Concernant les stéréotypes, nous souhaitons agir en transversalité. Bien entendu, c'est dès le plus jeune âge que se construisent les représentations. Cependant, l'État ne dispose pas, comme vous le savez, de tous les leviers d'action sur le choix des manuels scolaires. La détermination du contenu des manuels scolaires relève du Conseil national des programmes, et le choix des manuels revient, en bout de chaîne, aux enseignants, dans les écoles et les lycées. De plus, il nous faut agir à tous les niveaux : les manuels scolaires doivent certes être exemplaires, mais on sait bien que les images véhiculées par les médias sont tout aussi dangereuses et exercent une influence certaine sur les représentations des jeunes. C'est la raison pour laquelle la loi du 4 août 2014 a prévu la mise en place d'une mission de détection des stéréotypes véhiculés dans les médias, au sein du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). C'est Sylvie Pierre-Brossolette qui a été chargée de cette mission, et nous l'appuyons dans ce travail difficile.
Chantal Jouanno, présidente . - Nous allons aborder une autre série d'intervention : Mme Laborde puis M. Godefroy.
Françoise Laborde . - Je voudrais préciser certains points qui ont été abordés avant de poser des questions.
Malgré les variations de dénomination que l'on a pu observer s'agissant de l'échelon ministériel dont dépend le secteur des droits des femmes, tantôt rattaché à un ministère de plein exercice, tantôt à un secrétariat d'État, l'important demeure que les questions qui en relèvent soient prises en compte.
Je voudrais savoir si les référents chargés d'assurer au sein des ministères un suivi des questions relatives aux droits des femmes seront maintenus. Par ailleurs, qu'en est-il de la formation délivrée aux ministres sur les inégalités entre hommes et femmes ? Ces sessions sont-elles toujours d'actualité ?
Par ailleurs, pouvons-nous revenir sur le contenu de la loi du 4 août 2014 concernant les stéréotypes de genre dans le domaine de la communication audiovisuelle et le respect des droits des femmes dans la communication audiovisuelle ? Nous espérons que vous serez l'interprète vigilante de cette exigence auprès du CSA.
Jean-Pierre Godefroy . - La lutte contre la traite des êtres humains est essentielle pour réduire la prostitution, comme nous l'avons constaté tant en préparant avec Chantal Jouanno notre rapport sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées, que dans le cadre de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi sur le système prostitutionnel, dont Michelle Meunier était rapporteure.
Envisagez-vous d'inscrire cette lutte dans un cadre européen ? Si des coopérations existent déjà, notamment avec la Roumanie, leur extension à d'autres pays permettrait cependant plus d'efficacité ; j'appelle de mes voeux une harmonisation européenne sur ce sujet.
Le trafic d'êtres humains en provenance de l'Afrique pose le problème de l'émigration vers l'Europe, à des fins de prostitution, des personnes sous la coupe de réseaux mafieux.
Par ailleurs, nos forces armées engagées sur ce continent ne pourraient-elles avoir pour mission, avec l'accord des gouvernements locaux bien entendu, de procéder à des signalements de réseaux ? Si l'on ne peut intervenir directement dans les principaux pays dont sont originaires les personnes victimes de la traite, du moins peut-on essayer d'endiguer ce trafic scandaleux.
Je déplore que l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRETH), qui réalise un travail remarquable, ne dispose pas de moyens suffisants pour lutter efficacement contre la traite des êtres humains, qu'il s'agisse de la prostitution ou de la traite à usage domestique, sans oublier celle des enfants.
Hélène Conway-Mouret . - Je rebondis sur cette question et rejoins les préoccupations de notre collègue. Je me réjouis que l'adoption de la loi de 2014 ait permis des avancées significatives, même si de nombreux points restent encore à régler ; la lutte contre la traite des êtres humains fait cependant consensus.
Je salue votre approche pragmatique : vous voulez des résultats concrets, vous souhaitez changer la vie quotidienne, je souscris à cette approche.
Je voudrais vous interroger sur la prévention et la lutte en France contre l'excision et les mutilations sexuelles féminines, question longtemps restée tabou, comme l'a été aussi celle des mariages forcés, bien que l'on estime à environ 50 000 le nombre de femmes vivant en France et ayant subi une mutilation.
Ce problème exige une approche de prévention. Il nécessite également un accompagnement et une prise en charge des victimes. Avez-vous été saisie du sujet de la formation des professionnels médicaux et sociaux ? Selon quelles modalités pourrait-elle se décliner ?
Michelle Meunier . - Je m'associe à vos propos sur la formation, l'éducation, la prévention. L'année 2015 verra la célébration des quarante années de la promulgation de la loi Veil et mettra en lumière à nouveau le sujet de la contraception et de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) qui a été abordé récemment dans le cadre de l'examen de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Quelles sont vos propositions sur ce sujet, notamment sur l'IVG, plus précisément médicamenteuse ?
Enfin, une question qui concerne aussi le ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche : quel est l'état actuel des recherches sur la contraception et les diverses modalités de maîtrise de la procréation ? Quels moyens leur sont affectés ?
Alain Gournac . - Je rebondis sur la question du temps partiel, abordée précédemment : le seul temps partiel n'explique pas, à lui seul, l'écart salarial entre les hommes et les femmes. En effet, rapporté à l'équivalent d'un temps plein, les femmes continuent d'être payées entre 17 % et 25 % de moins que les hommes.
Le sujet des violences faites aux femmes dans les couples, déjà abordé par la délégation, sera réexaminé à l'occasion de la visite prochaine d'un établissement d'hébergement pour hommes violents par des membres de la délégation ; pourriez-vous nous préciser s'il existe d'autres centres similaires en France ou si de semblables projets sont à l'étude ?
Les femmes victimes de violences sont encore trop peu nombreuses à déposer plainte, car les conditions de leur accueil et du recueil de leur plainte par les services compétents restent encore à améliorer. En effet, elles peuvent se sentir humiliées si elles ont le sentiment que leur cas n'est pas traité par les forces de l'ordre avec le sérieux que celui-ci mérite, ou si les personnels qui les reçoivent ne font pas preuve de suffisamment de tact.
Pascale Boistard secrétaire d'État chargée des Droits des femmes, auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - M. Gournac, vous avez raison de centrer vos propos sur les violences faites aux femmes, auxquelles près de 60 % de notre budget est consacré. De nouvelles propositions seront annoncées prochainement et vous comprendrez que je ne puisse les dévoiler aujourd'hui. Le rapport remis le 5 novembre 2014 par Marie Fontanel, Patrick Pelloux et Annie Soussy à Marisol Touraine et à moi-même sur la prise en charge des victimes de violences en vue de la définition d'un protocole national pour l'amélioration de la prévention et de la prise en charge des victimes de violences fait état des difficultés rencontrées par les femmes lors de leur accueil par le premier interlocuteur auquel elles se confient, que ce soit le SAMU, les pompiers, l'hôpital, la police ou la gendarmerie.
Nous travaillons à améliorer le dispositif d'accueil en matière de médecine légale afin d'accompagner ces femmes victimes le plus tôt possible : vous indiquez avec raison que les femmes ne vont pas spontanément déposer plainte ou se faire examiner pour faire constater les conséquences des actes de violences qu'elles ont subis.
Le nombre d'associations prenant en charge les hommes violents s'accroît ; elles assurent notamment un accompagnement psychologique pour comprendre les ressorts de leur violence et permettre d'y remédier.
Pour répondre à Madame Michelle Meunier, le débat et le vote de la loi Veil étaient intervenus en novembre 1974, et une célébration sera effectuée très prochainement dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Le 17 janvier, date anniversaire de sa promulgation fera aussi l'objet d'une commémoration, non seulement pour rappeler la portée historique de cette loi, mais aussi pour l'inscrire dans le réel en examinant les avancées récentes en matière d'IVG médicamenteuse. L'objectif est d'améliorer les modalités de la mise en oeuvre de la loi ainsi que l'accompagnement des femmes.
Il faut aussi prévenir la désaffection des médecins pour cette discipline, le plus en amont possible, dès les études en faculté de médecine. Cependant, ce travail ne peut pas être du seul ressort de mon secrétariat d'État et il est important que des responsables politiques s'en saisissent. Parmi les récentes avancées en matière de procréation contrôlée, Marisol Touraine a permis le remboursement à 100 % de l'IVG et nous travaillons à améliorer ce dispositif. Nous avons aussi la volonté d'améliorer en temps réel l'information des femmes sur l'accès aux centres d'IVG sur tout le territoire afin qu'elles sachent où s'adresser, quels que soient la période de l'année ou le lieu où elles se trouvent. Nous savons quelles difficultés particulières se posent, notamment au mois d'août...
Les dispositions de la loi Veil ont fait l'objet d'améliorations au fil des années : afin de les porter à la connaissance du plus grand nombre, le ministère a mis en ligne depuis une année un site dédié à l'information sur l'accès à l'IVG. Nous constatons cependant que des sites hostiles agissent de manière habile en distillant, sous couvert d'un habillage psychologique, des messages pour dissuader les femmes d'y recourir. Les concepteurs de ces sites font en sorte qu'ils apparaissent dans les premières occurrences lors d'une recherche sur Internet, reléguant le lien vers le site du ministère en position secondaire, ce qui nuit à l'information des intéressées.
J'attire votre attention sur la nécessaire vigilance qu'il convient d'observer, surtout en cette période où l'on constate des régressions sur bien des sujets, régressions dont les femmes font souvent les frais.
Pour répondre à Mme Hélène Conway-Mouret, le ministère est d'une extrême vigilance sur la formation, la prévention et la lutte contre les mutilations sexuelles et les mariages forcés ; nous réfléchissons notamment à la mise en place d'un dispositif destiné à protéger les jeunes filles pour leur permettre d'alerter les autorités compétentes, si l'entourage familial cherche à les marier sans leur consentement à l'occasion d'un déplacement dans leur pays d'origine, notamment lors de congés scolaires.
Le 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, le ministère annoncera des mesures pour sensibiliser à cette question les ministères de la Justice et de l'Intérieur. Des plaquettes d'information appelant à la vigilance sur les mutilations sexuelles seront diffusées à l'occasion du 25 novembre par la police, la gendarmerie, les centres de protection maternelle et infantile (PMI), l'Éducation nationale et des associations.
Pour répondre à Monsieur Jean-Pierre Godefroy, l'harmonisation des politiques de lutte contre le trafic des êtres humains est un sujet transversal qui relève tant du ministère des Affaires étrangères et du développement international que du ministère de l'Intérieur, lesquels participent au développement d'une coopération judiciaire et policière européenne ; ce sujet sensible est aussi abordé au cours de nos relations bilatérales avec des pays africains.
Je tiens à rassurer Madame Françoise Laborde, la ministre chargée du droit des femmes est Marisol Touraine et je travaille de concert avec elle sur ce point. Ce gouvernement a donc plutôt renforcé les moyens dédiés aux droits des femmes. Les référents au sein de chaque ministère existent bien sûr toujours et un nouveau cycle de conférences de l'égalité vient de s'achever afin d'examiner l'intégration des droits des femmes dans les politiques publiques menées par chaque ministère. Une synthèse de ces conférences de l'égalité sera effectuée. La formation des ministres peut être dispensée à ceux qui souhaiteraient compléter leur sensibilisation sur la question.
Je tiens à souligner que le rôle du CSA n'est pas mineur dans la lutte contre les stéréotypes masculins et féminins et pour une juste représentation des femmes dans les médias. Sylvie Pierre-Brossolette, dont c'est la mission, peut compter sur l'appui de Marisol Touraine et de Fleur Pellerin dans l'accomplissement de cette tâche difficile qui rencontre certaines réticences. Enfin, pour encourager à la mixité des métiers et lutter contre les stéréotypes, des messages seront diffusés dans les médias.
Corinne Bouchoux . - Je tiens à attirer votre attention sur la dénomination des noms de rues. Dans le strict respect de l'autonomie des collectivités territoriales et de leurs attributions, j'invite à mener une réflexion sur les surprenantes initiatives de quatre communes qui ont récemment débaptisé des rues portant des noms de femmes exemplaires, notamment des résistantes, ce qui va à l'encontre des récents efforts de mixité de la toponymie urbaine. Or, 97 % des dénominations de voies et de l'espace public sont déjà de genre masculin.
Une interrogation connexe concerne l'espace public dont la dimension mixte décroît depuis 20 ans, ainsi que l'ont montré diverses études ; j'invite à une sensibilisation des architectes, des urbanistes et des paysagistes au cours de leur formation pour parvenir à une réelle mixité de l'espace public, tant urbain que rural, à l'instar de ce qui est réalisé dans les pays nordiques. La commande publique pourrait aussi contribuer à cet objectif de mixité en insérant dans les marchés publics des clauses spécifiques destinées à parvenir à un espace public mixte et sans ségrégation.
De récentes dispositions législatives prévoient la mise en place, dans les établissements de formation des enseignants, de modules de sensibilisation à la gestion non violente des conflits ; or, bien qu'une telle sensibilisation soit essentielle pour endiguer la banalisation des injures homophobes et sexistes proférées dans les établissements scolaires, force est de constater qu'elle peine à être mise en oeuvre. Quelles sont vos propositions pour y remédier ?
Annick Billon . - Quels sont les moyens mis en oeuvre pour lutter contre la prostitution étudiante et sensibiliser les universitaires sur ce sujet qui demeure peu abordé ? Plus particulièrement, des actions spécifiques sont-elles menées par des associations labellisées au sein des universités ?
Christiane Kammermann . - Certaines de vos réponses ne nous éclairent guère, vous êtes notamment restée très évasive sur les réticences que l'on peut observer pour la juste représentation des femmes dans le secteur de la culture et de la communication ; pourriez-vous développer ce point ?
Par ailleurs, je vous invite aussi à nous préciser les actions que vous comptez mener pour remédier à la difficulté de consulter des médecins pendant le mois d'août, ceux-ci prenant aussi leurs congés pendant cette période estivale.
Enfin, pouvez-vous nous indiquer si des actions spécifiques sont mises en oeuvre pour l'accompagnement des femmes esseulées ou traumatisées, en provenance des pays en guerre ?
Joëlle Garriaud-Maylam . - Je rebondis sur la question primordiale des mariages forcés qui concernaient déjà il y a 10 ans 70 000 jeunes filles, selon les associations. Pour lutter contre ce phénomène, j'avais déposé une proposition de loi élevant l'âge minimal du mariage de 15 à 18 ans ; bien que la loi correspondante ait été adoptée, force est de constater qu'elle est néanmoins détournée, en France, mais aussi dans d'autres pays, notamment la Tunisie et le Maroc dont le code de la famille avait pourtant été réformé en ce sens. Les mariages de mineures, souvent organisés lors des vacances scolaires, perdurent ainsi. Des actions de prévention doivent donc être organisées dans les collèges et les lycées pour avertir les jeunes filles des risques qu'elles encourent. Je souligne l'intérêt de la mise en place de numéros de téléphone dédiés, susceptibles d'être appelés même par des jeunes filles se trouvant à l'étranger, afin que les représentations françaises, alertées, puissent leur venir en aide. Il est urgent de mettre un terme aux mariages forcés.
Hélène Conway-Mouret . - S'agissant de la prévention au sein des établissements scolaires, quand j'étais au Gouvernement, j'avais signalé au ministre de l'Éducation nationale, Vincent Peillon, l'intérêt de procéder à un signalement systématique de l'absence prolongée des jeunes gens, pas seulement des jeunes filles, car des jeunes garçons sont malheureusement aussi mariés de force. D'importants efforts de formation ont sensibilisé les agents consulaires à cette question pour leur permettre d'y apporter des réponses adaptées et d'accompagner ces jeunes. J'insiste néanmoins sur l'essentielle prévention en ce domaine, non seulement pour faire connaître les mesures qui existent, mais aussi pour faire prendre conscience aux jeunes que leur libre arbitre leur permet de s'opposer à un mariage forcé et à toutes ses implications, même si leur décision peut peiner leurs parents.
Chantal Jouanno, présidente . - Le dernier rapport du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes relatif à la lutte contre les stéréotypes (« Pour l'égalité femmes-hommes et contre les stéréotypes de sexe, conditionner les financements publics ») propose un concept d'« éga-conditionnalité » des financements publics en subordonnant leur attribution au respect du principe d'égalité entre les sexes. J'avais déjà proposé une mesure similaire quand j'étais ministre des Sports : il s'agissait de conditionner l'attribution de subventions aux associations au respect par celles-ci de leurs obligations légales. La levée de boucliers qui s'en était suivie n'a pas permis de la mettre en oeuvre. Une telle attribution conditionnée des financements publics fait-elle partie de vos préoccupations ?
La faible représentation des femmes constatée dans les instances dirigeantes des entreprises, du monde politique et sportif - seules 7 fédérations sur 115 sont présidées par des femmes - concerne tout autant les syndicats. Quelles sont les avancées sur ce point ?
Pascale Boistard secrétaire d'État chargée des Droits des femmes, auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - concernant l' « éga-conditionnalité », Marisol Touraine et moi-même avons pris connaissance du rapport du Haut Conseil à l'égalité sur la question. Je vous rappelle que d'ores et déjà, ce concept est mis en oeuvre par la loi du 4 août 2014, puisque le non-respect de leurs obligations légales en matière d'égalité professionnelles par les entreprises sera soumis à des sanctions, dès 2017 pour les plus grandes entreprises, en 2020 pour les autres.
S'agissant de la représentativité chez les partenaires sociaux, des avancées restent à faire. Il est notable, à cet égard, que les syndicats envoient des femmes quand il s'agit de discuter de sujets concernant les femmes, comme par exemple la représentation des femmes au sein de leurs instances, mais que ce soient des hommes qui viennent lorsqu'il s'agit d'aborder des questions plus générales.
Dans le domaine du sport, la question est actuellement d'actualité, alors que les fédérations continuent de signer avec le ministère des sports des conventions d'objectifs, qui doivent prendre en compte l'obligation légale de représentation égale des femmes et des hommes, quel que soit le nombre d'hommes ou de femmes au sein des fédérations. Ayant travaillé au ministère des sports, je sais également qu'il est possible de conditionner l'agrément des associations, notamment celles intervenant dans le domaine de l'éducation populaire, à des seuils d'égale représentation des femmes et des hommes au sein des instances dirigeantes.
Concernant le « désert médical » du mois d'août, Marisol Touraine et moi-même travaillons à améliorer l'information des femmes qui se retrouvent, pas seulement l'été d'ailleurs, dans des lieux où elles n'ont pas leurs contacts médicaux habituels. À cet égard, nous avons lancé un site internet répertoriant les lieux ouverts en France susceptibles d'accueillir les femmes désirant pratiquer une IVG. N'oublions pas que, sur notre territoire, existe un tissu d'associations dont la principale mission est d'informer, accompagner et soutenir les femmes dans ces démarches compliquées pour elles.
Le développement de la prostitution en milieu universitaire est directement lié à la question de la précarité. Le 25 novembre 2014 sera aussi, à cet égard, l'occasion de faire le point sur les violences faites aux femmes dans les milieux universitaires. La Secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, Geneviève Fioraso, et moi-même avons décidé, par exemple, de maintenir un haut niveau de vigilance sur les « soirées » universitaires, dont on sait que les organisateurs, pour attirer les jeunes, n'hésitent pas à se servir de messages sexistes. Parallèlement, nous travaillons à mettre en place, au sein des Universités, et en particulier au sein des Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) des points d'accueil où les jeunes femmes peuvent trouver une écoute auprès d'assistantes sociales, mais aussi de personnels médicaux. Ces dispositifs existent dans certaines universités, mais de façon très inégale en fonction des lieux et des territoires. Or, il est essentiel de pouvoir établir un lien de confiance pour « détecter » des situations que les jeunes filles ont parfois tendance à garder sous silence. Ce n'est pas évident à mettre en place dans les grandes universités où l'anonymat reste la règle. Et ceci est également vrai dans la relation avec les enseignants : la règle du « dépaysement » des plaintes déposées dans les « affaires » de harcèlement, posée dans la loi du 4 août 2014, devrait permettre de libérer la parole des étudiants.
Sur la question de la mixité dans les espaces publics, je suis d'accord avec vous pour reconnaître le retard de la France sur le sujet, notamment en matière d'urbanisme. La loi du 4 août 2014 invite les collectivités locales à définir des budgets « genrés ». C'est déjà reconnaître que « l'espace public neutre » n'existe pas : c'est donc une première avancée. Mais il faut aller plus loin, car certaines femmes vont jusqu'à ressentir l'espace public comme un lieu hostile, ce qui les conduit parfois à ne plus sortir de chez elles. Nous avons donc décidé, avec la secrétaire d'État chargée de la ville, Myriam El-Khomri, de lancer des « marches exploratoires » de femmes dans onze villes expérimentales. Ces marches exploratoires, menées sous l'égide d'une association, consistent en des enquêtes de terrain conduites, en lien avec les instances locales concernées, par des groupes de femmes résidant dans le quartier. Les courriers viennent d'être envoyés. Par ailleurs, nous prévoyons de rencontrer prochainement des architectes pour les sensibiliser à la nécessité de proposer aux collectivités des constructions mixtes.
Le sentiment d'insécurité, notamment dans les transports, ne touche pas que Paris. La diffusion récente par une association d'un « clip » de sensibilisation a fait l'effet d'une opération « coup de poing ». C'est pourtant un sujet de fond. J'ai pris la semaine dernière l'initiative d'une rencontre avec les membres du cabinet du secrétaire d'État chargé des transports, Alain Vidalies. Notre objectif, en coordination avec l'ensemble des opérateurs de transport sur le territoire, est de renforcer la prévention, bien sûr, mais aussi de fournir des outils permettant de répondre à des situations d'urgence, face auxquelles il nous arrive parfois de ne pas savoir quoi faire.
Vous m'interrogiez sur les « débaptisations » de rues. Même si ces décisions relèvent, vous le savez, des collectivités territoriales, j'espère que la prochaine « panthéonisation » de deux femmes incitera les collectivités publiques à mettre des femmes à l'honneur et à leur rendre hommage.
La question de la formation des enseignants à l'égalité est un sujet crucial. Ils sont souvent volontaires, mais il leur manque parfois les outils pour répondre à des situations de violence qui, à l'école, sont le reflet de ce qui se passe dans le reste de la société. Si je peux me permettre une réflexion personnelle, il me semble qu'on ne peut demander aux enseignants de pallier toutes les lacunes de l'éducation des enfants, et que, sur ce point, le recul des actions d'éducation populaire explique un certain « déversement » sur l'école de missions qui étaient traditionnellement prise en charge dans ces réseaux. On ne pourra, par conséquent, résoudre cette question que de façon globale.
Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie, madame la ministre.
Audition de Réjane Sénac, chargée
de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF)
HDR, et présidente de la commission parité du Haut Conseil
à l'Égalité (HCE|fh)
Évaluation de la mise en
oeuvre des lois dites de parité dans le cadre
des élections de
2014 (municipales et communautaires, européennes,
sénatoriales)
(16 avril 2015)
Présidence de Chantal Jouanno, présidente
Chantal Jouanno , présidente . - Je suis particulièrement ravie d'accueillir Réjane Sénac, chargée de recherche CNRS au CEVIPOF et présidente de la commission « Parité en matière politique, administrative et dans la vie politique et sociale » du Haut Conseil à l'Égalité.
Réjane Sénac est l'auteure, entre autres nombreuses références, de L'ordre sexué - La perception des inégalités femmes-hommes , du « Que sais-je ? » sur la parité et d'un ouvrage intitulé Femmes-hommes : penser l'égalité .
Réjane Sénac nous fait l'amitié de venir animer l'une des tables rondes du colloque du 19 mai sur les femmes citoyennes : il s'agit de la séquence historique consacrée au long cheminement vers l'ordonnance de 1944 et au bilan de 70 ans d'exercice du droit de vote par les femmes.
Pour le Haut Conseil à l'Égalité, Réjane Sénac a effectué une étude absolument remarquable, dont vous avez des exemplaires à votre disposition, et que je vous invite à lire ou relire et faire connaître autour de vous. Il s'agit d'un bilan des élections de 2014 : municipales, européennes et sénatoriales.
En ce qui concerne les élections sénatoriales, j'ai écrit en novembre 2014 au ministre de l'Intérieur pour lui demander d'apprécier la proportion de femmes dans les collèges de « grands électeurs » : je pense que ces éléments statistiques nous seront bientôt communiqués.
Toujours en ce qui concerne le Sénat, je fais observer que :
- certes, le nombre de sénatrices a augmenté (87 au lieu de 80) de même que la proportion de sénatrices (25 % au lieu de 22 %) ;
- mais l'accès des sénatrices aux postes de responsabilités n'a pas été vraiment renforcé : la proportion de femmes au Bureau du Sénat a même légèrement baissé dans sa globalité (6 sur 25 au lieu de 7 sur 25), même si le nombre de vice-présidents a augmenté ;
- le groupe communiste républicain et citoyen reste le seul groupe du Sénat à être présidé par une femme ;
- le nombre de commissions permanentes présidées par une femme est resté le même : 2 sur 7 ; la présidence de la commission des finances confiée à une femme, fait sans précédent au Sénat (même si la fonction de rapporteur général y a déjà été confiée à une femme, Nicole Bricq), revêt cependant une certaine importance symbolique ;
- contrairement à l'Assemblée nationale, le Sénat n'a jamais ouvert le conseil de questure à une femme : il s'agit là d'un autre symbole significatif à mon avis de la place des femmes dans notre assemblée ;
- depuis les élections départementales de mars dernier, on ne compte plus qu'une sénatrice présidente d'assemblée (Hermeline Malherbe, groupe RDSE, Pyrénées-Orientales). Avant les dernières élections, il y avait au Sénat deux présidentes de conseils généraux (Françoise Perol-Dumont, groupe socialiste, Haute-Vienne, et Hermeline Malherbe) ;
- s'agissant des appartenances aux groupes politiques, on remarque que seuls les groupes CRC et Écologiste sont paritaires ; la proportion de femmes est la plus faible au groupe UMP (18 %) et au RDSE (15 %) ;
- les sénatrices sont les plus représentées dans les commissions qui reflètent les centres d'intérêt que l'on attribue traditionnellement aux femmes : 45 % des membres de la commission des affaires sociales et 37 % des membres de la commission de la culture sont des sénatrices. Les proportions les plus faibles concernent les commissions des finances (10 %) et les lois (18 %).
En revanche, mes chères collègues, nous avons toutes remarqué que pendant les séances de nuit, notre hémicycle est généralement paritaire...
Maryvonne Blondin . - J'ai pris contact tout récemment avec la division des archives pour me documenter sur les femmes membres du Conseil de la République au début de la IV e République. Je pense qu'il faudrait absolument mettre en valeur cette génération de sénatrices, dont une forte majorité, le colloque du 27 mai 2014 sur les femmes résistantes l'a rappelé, étaient issues de la Résistance. Or nous ne disposons même pas d'une liste de ces femmes. Nous devrions pouvoir disposer d'éléments biographiques susceptibles de constituer une base de documentations sur les élues qui nous ont précédées dans cette assemblée.
Chantal Jouanno, présidente . - Il y a eu, pendant le colloque sur les résistantes dont vous parliez, une communication très intéressante intitulée « Portrait de groupe des sénatrices issues de la Résistance », due à l'historienne Sabrina Tricaud, mais il est vrai que cette analyse n'est pas spécifique à la génération des élues des années 1940 et qu'elle ne saurait se substituer au recensement complet que vous souhaitez.
Corinne Bouchoux . - J'ai déjà évoqué lors d'autres réunions la lacune considérable concernant les archives des sénatrices : pour la génération d'élues dont vous parlez, il faut souvent aller consulter les archives départementales pour trouver des informations, car ces sénatrices n'ont pas transmis leurs archives aux services du Sénat. Notre division des archives en est bien consciente, mais elle est tributaire des dépôts qui lui sont faits par les membres de notre assemblée, par exemple en fin de mandat. Dans ce domaine, tout est à faire. Il faut absolument sensibiliser les sénatrices d'aujourd'hui à la nécessité de transmettre leurs archives car il ne faudrait pas que ce phénomène se perpétue. Il serait également très intéressant d'encourager des études biographiques de sénatrices. Cela pourrait donner lieu à des sujets de mémoire pour des étudiants en master d'histoire. Je suis persuadée que ce thème pourrait intéresser des UFR d'histoire. Par ailleurs, il existe un ouvrage de Jean Pascal, intitulé Les femmes députées de 1945 à 1988 , édité par l'auteur en 1990, auquel se trouve annexée une liste des femmes ayant siégé au Conseil de la République puis au Sénat jusqu'en 1988. À cet égard, notre délégation aurait vocation, à mon avis, à prendre l'initiative d'un projet éditorial pour écrire un ouvrage sur les sénatrices depuis l'origine, sur le modèle des « dictionnaires amoureux », par exemple.
Chantal Jouanno, présidente . - Cela fait partie des suggestions que nous pourrions porter et faire connaître lors du colloque du 19 mai sur les femmes citoyennes. Réjane Sénac, je vous donne la parole et nous vous écoutons avec un très grand intérêt.
Réjane Sénac . - Je vous remercie de m'avoir invitée à exposer devant vous les points significatifs du rapport sur la parité intitulé Parité en politique : entre progrès et stagnations - Évaluation de la mise en oeuvre des lois dites de parité : municipales et communautaires, européennes et sénatoriales, issu d'un travail d'évaluation du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh ).
Tout d'abord, si vous m'y autorisez, je vais me présenter. Je suis politiste, chercheure CNRS affectée au Centre de recherche politique de Sciences Po (CEVIPOF) et membre du comité de pilotage du programme PRESAGE (Programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre) mis en place à Sciences Po, il y a cinq ans, pour institutionnaliser et compléter des cours dispensés, dès 1945, année du premier vote des femmes, sur la question de la dimension sexuée du vote. Maurice Duverger et Jacques Narbonne ont publié des études sur la participation des femmes à la vie politique en 1955 et à partir des années 1980, Janine Mossuz-Lavau, Mariette Sineau et Françoise Gaspard ont traité des questions du vote des femmes et de l'égalité femmes-hommes.
L'enseignement dispensé à Sciences Po dans le cadre du programme PRESAGE irrigue l'offre pédagogique du collège universitaire aux masters et écoles, notamment de journalisme. La philosophie générale des enseignements proposés repose sur une approche transversale de la question du genre, afin que les étudiants y soient sensibilisés comme ils le sont aux autres disciplines majeures que sont le droit, la sociologie, l'histoire, l'économie et la science politique. J'assure pour ma part le cours intitulé « La science politique au défi du genre ». Un tronc commun aux masters permet aux étudiants d'accéder aux enseignements de PRESAGE. 140 étudiants de master peuvent suivre un cours sur le thème « égalité et politique », ainsi que le cours d'Hélène Périvier sur les inégalités entre les sexes dans le monde économique.
J'ai été nommée, en tant qu'universitaire spécialiste de ces sujets, au sein du HCE|fh, instance consultative placée auprès du premier ministre créée en janvier 2013 et issue du regroupement de différentes instances, parmi lesquelles l'Observatoire de la parité. Celui-ci s'est trouvé recomposé au sein de la commission du HCE|fh en charge de la parité politique, administrative, économique et professionnelle, que je préside. Nous y avons étudié l'exclusion des femmes de la citoyenneté active puis leur accès à celle-ci à partir de l'ordonnance de 1944, ainsi que l'impact de la réforme constitutionnelle de 1999 et des lois qui ont été votées depuis cette date pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Le rapport que je suis venue vous présenter est décliné en deux versions, l'une exhaustive, l'autre condensée. Il s'attache à mettre en exergue les modalités d'application, pour chaque type de scrutin (de liste, uninominal, binominal) des dispositifs paritaires prévus par les neuf lois sur la parité votées depuis 2000. Il pose aussi un état des lieux de la présence des femmes dans les différentes élections en mettant en question les idées préconçues à déconstruire, notamment les prétendues compétences masculines pour certains sujets ou le désintérêt des femmes pour l'exercice de certaines fonctions.
Ce rapport du HCE|fh , issu d'un travail d'évaluation de la mise en oeuvre des lois dites de parité dans le cadre des élections 2014, confirme qu'en l'absence d'obligations légales claires, la parité ne progresse que très lentement. Il n'y a pas de « pente naturelle » vers l'égalité femmes-hommes dans ce domaine. En revanche, si des contraintes légales existent, on peut s'approcher de la parité.
Notre étude sera actualisée pour intégrer les données des élections départementales de 2015, dont le mode de scrutin inédit adopté par la loi du 17 mai 2013 institue des binômes paritaires.
Ce rapport propose une présentation globale des élections municipales, intercommunales, européennes et sénatoriales de 2014 et compare les résultats selon que le scrutin est soumis ou non à des contraintes légales, qu'elles soient partielles, incitatives ou strictes. On observe par exemple que si aucune disposition n'est prévue pour encadrer l'élection des exécutifs, des assemblées ont beau être paritaires, la proportion de femmes dans ces exécutifs est faible. L'exemple des élections départementales et régionales est éclairant sur ce point : on ne compte en effet plus qu'une seule femme présidente de conseil régional ; il y a en revanche plus de 90 % d'hommes présidents de conseils départementaux. La proportion d'hommes présidents d'intercommunalité est, quant à elle, de 92,3 %.
L'analyse des résultats des élections de 2014 montre bien, quinze ans et neuf lois après la révision constitutionnelle de 1999 et soixante-dix ans après le premier vote des Françaises, que les lois sur la parité sont absolument nécessaires pour limiter ce que l'on peut qualifier de discrimination structurelle des femmes. Il suffit de constater à cet égard qu'en 1993, il y avait le même pourcentage de femmes parlementaires (5 %) qu'en 1945 ! Même des responsables politiques situés plutôt à droite de l'échiquier et qui étaient réticents à adopter des lois favorisant la parité le reconnaissent maintenant. En effet, de deux choses l'une : soit il y a des blocages structurels, en particulier dans les partis politiques, qui excluent les femmes de l'éligibilité, soit Jean-Jacques Rousseau avait raison de dire que les femmes ne sont pas faites pour être des citoyennes, mais que leur destin est d'être des mères et des épouses de citoyen.
Le principe constitutionnel de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives doit s'appliquer à toutes les élections. En effet, l'article premier de la loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l'égalité entre les femmes et les hommes a complété ainsi l'article 3 de la Constitution : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Puis l'article premier de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a ainsi complété l'article 1er de la Constitution : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».
Cette révision constitutionnelle de 2008 dispose donc que la loi doit aussi favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales, disposition qui a permis l'adoption des lois dites Copé-Zimmermann et Sauvadet dont le HCE|fh a débuté l'évaluation en auditionnant la présidente de l'Institut français des administrateurs. Ces lois ont été nécessaires pour que la proportion de femmes au sein des conseils d'administration passe de 7 % à 30 %.
Ceci démontre qu'en l'absence de contraintes légales, le constat de la confiscation des postes de pouvoir ultimes, que l'on observe dans le monde politique, vaut aussi pour le monde économique. On ne compte en effet aucune dirigeante dans les sociétés composant l'indice CAC 40, alors que 45 % des diplômés du supérieur sont des femmes et que le taux d'activité des femmes en France est l'un des plus élevés d'Europe.
Pourquoi n'existe-t-il aucune règle favorisant la parité pour les vice-présidences d'intercommunalité ? Pourquoi des candidats aux sénatoriales peuvent-ils créer des listes dissidentes pour contourner les règles concernant la parité, en ayant l'assurance de pouvoir se rattacher, une fois élus, à leur groupe politique d'origine ? Cette manipulation ne sera plus possible pour les candidats aux législatives en 2017 : pourquoi cette différence ?
Les réformes successives ont conduit à des applications différenciées du principe de parité en fonction des élections. Les recommandations que formule notre rapport ont pour objectif de faire appliquer la parité de la même manière pour toutes les élections. L'idée est aussi de rendre de plus en plus difficiles, voire impossibles, les contournements de la loi, en particulier les rattachements a posteriori de candidats dissidents qui réintègrent le groupe issu de leur parti d'origine une fois élus. Il faut tenir compte des conséquences de la multiplication des listes, les partis récupérant l'ex-candidat dissident notamment pour bénéficier du versement de la seconde fraction de la dotation financière publique. On peut imaginer que les partis seront plus vigilants vis-à-vis de ces stratégies de contournement si le rattachement d'un dissident n'est plus possible.
Afin de respecter la parité, dans les communes de 1 000 habitants et plus, la liste des candidats aux conseils municipaux comprend alternativement un homme et une femme, chaque démissionnaire devant être remplacé par un élu du même sexe. Nous demandons la généralisation de cette règle pour combattre une autre stratégie de contournement.
Dans le cas du scrutin de liste, il faudrait imposer que le remplaçant d'un élu démissionnaire soit choisi dans la suite de la liste, parmi les candidats de même sexe. Cette recommandation vise à éviter une stratégie dont une liste Front National a fourni un exemple éclairant lors des dernières élections européennes : un accord était intervenu en amont du scrutin pour qu'une candidate femme démissionne si elle était élue. Elle a ensuite changé d'avis et l'affaire s'est ébruitée, stigmatisant le FN. Cette pratique ne lui est pourtant pas exclusive, comme l'indiquent les résultats sexués à l'issue des scrutins reproduits par le rapport du HCE|fh. Aux élections cantonales, la proportion de femmes élues est passée de 16 % à l'issue du scrutin à 13 % à la veille du renouvellement de 2015. Cette constatation vaut pour toutes les élections.
Le HCE|fh examine comment améliorer la loi pour redistribuer le pouvoir et tendre vers son réel partage entre hommes et femmes. Pour généraliser les bonnes pratiques en politique, il faut procéder à un bilan de l'application des différentes lois sur la parité et définir l'objectif de cette politique publique. Il faut aussi adopter un référentiel commun à toutes les élections, en retenant les bonnes pratiques, comme celle qui prévoit, pour les élections sénatoriales, que le candidat et son remplaçant soient de sexes différents. Nous demandons que cette formule soit étendue à tous les scrutins uninominaux, notamment aux élections législatives.
Une philosophe américaine, Nancy Fraizer, a élaboré une théorie très stimulante, la règle dite des « 3R », qui comprend trois volets, pour assurer l'égalité entre hommes et femmes.
La redistribution est le premier volet, car l'égalité ne peut pas être seulement analysée et observée à l'aune de la redistribution des places, ainsi que l'a rappelé la présidente dans son introduction. Si les lois sur la parité permettent une redistribution des places dans une instance élue (48,5 % de femmes au sein des conseils municipaux du fait de l'application des lois sur la parité, 48 % dans les conseils régionaux et 50 % dans les conseils départementaux avec la création des binômes paritaires), elles ne permettent cependant pas d'assurer l'égalité entre les candidats placés en tête de liste : le premier - souvent un homme - devient généralement le président de l'exécutif.
La reconnaissance est le deuxième volet : il faut que les femmes soient considérées comme des pairs et qu'elles briguent des mandats, non pas en tant que représentantes des femmes, mais comme des candidates à part entière, aptes à décider et à trancher comme les hommes. Cette remarque vaut aussi d'ailleurs pour les candidats issus de la diversité. Il ne faut plus que les femmes soient assimilées à des représentantes complémentaires, destinées à éclairer la tête de l'exécutif, encore majoritairement masculine. Le Sénat et l'Assemblée nationale n'ont encore jamais compté de présidente et la fonction de Président de la République n'est pas encore conjuguée au féminin. Une seule a été nommée chef de gouvernement.
Le troisième volet est politique, celui de la représentation. L'égalité au sein d'une instance ou d'un parti politique ne devient en effet vraiment effective que lorsque l'on détient le pouvoir de modifier le cadre et de changer les règles du jeu. Or le pouvoir d'investir les candidats, fonction clé, demeure encore détenu en grande majorité par des hommes dans la gouvernance locale des partis, parmi les têtes de section ou les responsables des élections des fédérations.
Il n'y a que 16 % de femmes maires et 28 % de femmes adjointes au maire. On pourrait penser que, les femmes n'étant pas parmi les responsables exécutifs, on pourrait au moins leur confier les postes de n° 2 (première vice-présidente, première adjointe) mais il n'en est rien. La loi impose la parité dans l'exécutif depuis 2007 mais les délégations les plus valorisées sont confiées à des hommes. 80 % des femmes occupent des postes dans des délégations liées au « care » - l'écoute de l'autre, la sensibilité : famille, culture, petite enfance, environnement, école... 80 % des hommes exercent des responsabilités dans le domaine des finances ou de l'urbanisme, considérés comme plus prestigieux en termes de pouvoir. Cette association « genrée » répond à une logique de complémentarité entre hommes et femmes aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère publique. Cette logique est liée au partage des tâches traditionnel entre les parents : en politique aussi, « le papa » est hiérarchiquement plus élevé que « la maman » ; il y a une logique de spécialisation et de moindre autonomie. Les femmes ont moins de pouvoir décisionnaire.
Notre rapport propose que, une fois la tête de l'exécutif élue, une liste alternant hommes et femmes soit constituée pour les adjoints ou les vice-présidents. La tête de cette liste serait du sexe opposé à celui du responsable de l'exécutif, afin d'éviter qu'il y ait monopolisation par les hommes à la fois des postes de n° 1 et de n° 2.
Nous avons aussi des recommandations à faire sur la remontée des données « sexuées » après les élections, en particulier pour les élections départementales et intercommunales. Notre objectif, au sein de la commission Parité du HCE|fh est de dresser un bilan de l'application des différentes lois qui se sont succédé. Nous sommes encore, malheureusement, dans l'obligation de veiller à l'homogénéisation de ce principe paritaire dans toutes les élections, afin de tendre vers un réel partage du pouvoir entre hommes et femmes.
J'ai été frappée que, lors des dernières élections départementales, les médias aient surtout relaté l'affaire des binômes paritaires. C'était certes une grande première pour des élections françaises, mais n'oublions pas que cela avait été proposé dès 1992 par Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall dans leur livre Au pouvoir citoyennes ! Liberté, égalité, parité , et que des débats avaient eu lieu à ce sujet dès 1995 à l'Observatoire de la parité ! Nous avons parmi nous une de ses rapporteures, qui pourrait en témoigner. La question de la répartition des places et des postes de responsabilité entre les femmes et les hommes est récurrente en France. Il y a dans notre pays une tolérance traditionnelle envers une différence de traitement entre hommes et femmes, qui n'est pas perçue réellement comme une inégalité. Le fait qu'il n'y ait en France qu'une seule présidente de région, que 16 % de femmes maires alors que l'on compte 48,5 % de conseillères municipales et d'adjointes, personne n'en parle ! En revanche, le fait qu'il y ait désormais des binômes paritaires dans les conseils départementaux et, par conséquent, autant de conseillères que de conseillers départementaux, a été un sujet. C'est la marque d'un dysfonctionnement démocratique. J'espère que ce précédent des conseils départementaux a permis d'ouvrir une brèche favorable aux femmes.
En ce qui concerne la remarque de Maryvonne Blondin concernant l'insuffisante visibilité des premières sénatrices, force est de constater qu'il y a une sorte de cécité historique. Les historiennes qui seront présentes au colloque « Femmes citoyennes » du 19 mai prochain en parleront mieux que moi. Pourquoi sommes-nous aussi en retard en France sur la présence des femmes dans les institutions ? Je pense que c'est justement parce que nous sommes le pays des droits de l'homme, le pays de l'universalisme républicain, et que l'exclusion des femmes de la citoyenneté active a été faite au nom de cet universalisme. Il n'y avait pas de contradiction entre la proclamation de l'égalité de droit et de l'universalisme républicain et l'exclusion des femmes. Au contraire, on a validé le fait que cette « fraternité » n'existait que dans l'entre soi masculin ; on n'avait pas besoin de dire que les femmes étaient exclues et dans certaines constitutions françaises, il n'était même pas précisé que les femmes n'avaient pas le droit de vote. C'est pour ces raisons qu'il y a encore beaucoup de résistance à l'accès des femmes aux mandats et aux responsabilités et qu'il faut mettre en place des lois contraignantes - ce qui n'est pas le cas, par exemple, dans les pays nordiques. La République a exclu les femmes en théorisant cette exclusion.
Les résistances actuelles ne sont pas seulement dues au fait que les hommes ont le pouvoir et veulent le garder ; la responsabilité est historique et théorique. Nous n'avons pas fait de bilan critique des moments sacrés de notre histoire - la Révolution française, l'élaboration des constitutions, en particulier celle de 1848. Je pense que des anniversaires heureux, comme celui du premier vote des femmes en 1945, doivent fournir l'occasion de mieux comprendre notre présent à l'aune de ce passé. Sans remettre en cause cette compréhension à long terme et le fait qu'il faut travailler sur la socialisation à long terme, il faut avoir des mesures d'action positive à court terme, améliorer la loi pour débloquer la situation sans attendre qu'elle veuille bien se débloquer d'elle-même.
Chantal Jouanno, présidente . - Merci beaucoup pour votre exposé. Vos recommandations sont très riches et très prometteuses. Il y aurait lieu de rédiger une proposition de loi sur ce sujet et je pense qu'il serait intéressant que notre délégation engage une réflexion dans cette perspective.
Il y a deux éléments sur lesquels je souhaiterais revenir. Vous dites que sans contrainte légale, il n'y a pas de progression de la situation des femmes, et qu'on observe même une forme de raidissement à leur encontre. C'est effectivement ce que nous percevons. Le motif en est, pour certains, que la parité va s'installer de manière naturelle et qu'il n'est pas besoin de lois pour que la situation progresse.
Le deuxième point concerne les trois aspects de l'égalité en politique que vous avez évoqués : redistribution du pouvoir, redistribution des places et reconnaissance. C'est sur la partie reconnaissance, donc sur le fondement culturel, que nous avons le plus de difficultés à progresser. Ce n'est pas tant la place que l'on va nous attribuer dans un hémicycle qui nous importe mais bien l'écoute et le regard qui vont être accordés à notre parole. Même si la loi peut avoir un impact sur l'accès des femmes aux mandats, il me semble difficile d'évoluer sur ce point par le seul moyen légal. Il me semble difficile aussi d'imposer par la loi la parité dans les commissions nationales d'investiture (CNI) des partis politiques. Sur ce point, nous devons constater que ces commissions sont toutes constituées de la même façon.
Corinne Bouchoux . - Merci beaucoup pour votre exposé. Je suis d'accord avec notre présidente : notre délégation devrait porter une proposition de loi qui ferait la synthèse de vos recommandations. Notre délégation ne devrait-elle pas proposer un séminaire de réflexion sur ces sujets, ouvert à toutes les sénatrices ? Par exemple, avec ma collègue Catherine Deroche, nous avons réussi, bien que nous ayons des idées diamétralement opposées (elle est UMP, je suis membre du groupe écologiste), à convaincre l'association des maires de notre département - le fait qu'elle en ait été la présidente nous a beaucoup aidées - de faire de l'activisme pour les élections municipales. Nous avons organisé, en amont des élections, un grand rassemblement dans le Maine-et-Loire, auquel 105 femmes élues ont participé, avec une historienne et une sociologue. Roselyne Bachelot est venue témoigner devant nous. Nous avons suivi et filmé ces femmes et nous venons de faire une restitution, un an après, de cet événement, avec un groupe de chercheurs. Le mandat de certaines de ces 105 femmes a pris fin depuis, mais elles ont décidé d'aider des femmes dans d'autres communes à participer aux élections. Est-ce dû à cette initiative ou à un heureux hasard ? Il y a eu dans notre département plus de candidates aux élections municipales et plus de femmes élues que lors des précédentes élections.
Catherine Deroche est venue témoigner lors de cette restitution et a reconnu avec beaucoup de sincérité qu'en 2011, elle n'aurait pas engagé une telle opération mais que, le pragmatisme aidant, elle avait accepté d'organiser ce rassemblement. Si toutes les sénatrices faisaient de l'activisme à la fois par le biais d'une initiative législative et d'un rassemblement de ce type, je pense que nous pourrions être très productives d'ici 2017. Il me semble, comme je le disais, que c'est à la délégation de prendre l'initiative d'une telle réunion. Je ne me suis présentée que pour un seul mandat, ma démarche n'est donc pas partisane. D'ailleurs, dans mon parti, la parité existe.
Dernier point : lorsque les affaires sont considérées comme importantes, il n'y a plus que des hommes. Après les attentats du mois de janvier, j'ai participé, avec Emmanuelle Cosse et Barbara Pompili à une réunion de crise à l'Élysée. Nous étions les seules femmes. Lorsque nous avons demandé si cela ne posait pas problème, il nous a été répondu : « quel problème, quel est le sujet ? ».
Michelle Meunier . - Je vous remercie à mon tour, Réjane Sénac, pour votre intervention. Lorsque j'ai été élue au Sénat en 2011, j'ai fait un « rapport d'étonnement » - une pratique issue du travail social et de nos cousins québécois. Or depuis 2011, rien, ou presque, n'a changé. Nous sommes toujours appelées « sénateur », nous avons une carte de « lecteur » de la bibliothèque... Le Sénat reste toujours très masculin. Il arrive, parfois, que l'on nous appelle « Mesdames les sénatrices », mais les courriers que nous recevons sont quasiment toujours adressés à « Madame le sénateur », quand ce n'est pas « Monsieur le sénateur » !
J'ai également écrit, très modestement, un petit ouvrage sur la parité au niveau local. Je suis sénatrice de la Loire-Atlantique. Ce département est quand même un bel exemple de la possibilité, pour les femmes, d'accéder à des postes importants : je pense à Johanna Rolland qui a succédé à Jean-Marc Ayrault à la mairie de Nantes, ou encore à Nathalie Appéré qui est devenue maire de Rennes en mars 2014. Mais le diable se cache dans les détails... et dans les exécutifs ! Le diable se cache aussi parfois dans la loi. Récemment, après le décès du maire de Couëron, une commune de la métropole de Nantes, son successeur, Carole Grelaud, n'a pas pu obtenir de poste pour une femme au sein de l'exécutif de la métropole au motif qu'il était déjà paritaire.
Réjane Sénac . - Il n'y a pas de contraintes paritaires pour les exécutifs intercommunaux... Il faut donc repartir au combat !
Michelle Meunier . - Vous avez raison. En ce qui concerne les stratégies de contournement, tous les partis sont concernés, pas seulement l'UMP et les partis de droite, même si cela a été beaucoup médiatisé lors des dernières élections sénatoriales. Ces pratiques existent aussi à gauche.
Il faudra du temps pour observer les effets que vont produire les élections départementales, mais je suis sûre que le fait qu'une assemblée soit paritaire ne peut pas ne pas avoir d'impact. Je pense qu'il faudrait également tendre vers des binômes pour les prochaines élections législatives. Je souhaiterais également que, lorsqu'un homme arrive au terme de son mandat, on se pose la question : « à compétences égales, pourquoi ne pas le remplacer par une femme ? ». Ce sont des petites choses, mais elles pourraient permettre de parler d'égalité.
Catherine Génisson . - Je remercie également Réjane Sénac et je constate qu'elle n'a rien perdu de son enthousiasme ni de sa détermination depuis l'époque de l'Observatoire de l'égalité.
Je confirme que le machisme des partis politiques est également développé dans les partis de gauche et dans les partis de droite et je le dis pour avoir exercé des responsabilités dans mon parti politique, puisque j'y ai été première secrétaire fédérale et secrétaire nationale aux droits des femmes.
La question que m'inspire votre exposé concerne le prestige des fonctions que l'on nous fait occuper au sein des exécutifs. Je me demande si la société et nous-mêmes ne sommes pas conditionnées par l'organisation qu'en font les hommes. Ils exercent des responsabilités sur le plan de la gestion de la vie en société ; les femmes sont spécialisées dans l'organisation de la société. Pourquoi cette hiérarchie négative ? Il est aussi important pour l'organisation de la vie de s'occuper de culture que de finances ! Je crois que nous devrions agir collectivement pour considérer que la vie en société est aussi, voire plus, importante que la gestion de la vie en société. Cette démarche permettrait d'inverser les hiérarchies implicites actuellement en vigueur.
Réjane Sénac . - Pour répondre à Catherine Génisson, je précise que ce que je prends en compte est la hiérarchie qui est elle-même portée au sein de ces institutions. Nous avons observé l'ordre des délégations tel qu'il apparaissait pour les nominations aux vice-présidences. Les statistiques nationales nous montrent que, parmi les quatre premières, en particulier dans les communes, les délégations sont plutôt de l'ordre de la gestion que de l'organisation, plutôt de l'ordre de l'autorité ou de la décision que de l'écoute ou du soin, pour aborder la question de manière « genrée ».
Le questionnement à avoir relève plus de l'ethos du politique. Le constat opéré par notre rapport livre une photographie de la hiérarchisation actuelle des missions politiques. Nous avons le premier gouvernement paritaire mais aucune femme, en dehors de Mme Taubira, à la fois femme et issue de l'outre-mer, n'occupe de poste régalien. Il y a un vrai questionnement à porter sur ce qui se joue en termes de légitimité politique au sein des instances et ce que c'est de faire de la politique.
En ce qui concerne la question des partis politiques, il n'est pas concevable juridiquement, Chantal Jouanno l'a relevé, d'agir sur leur organisation interne par la loi. Ce que l'on observe, c'est qu'il y a des partis qui, historiquement, imposent la parité dans leur gouvernance depuis leur création - on peut citer Les Verts, maintenant Europe Écologie Les Verts - ou qui, comme le Parti communiste français, se sont posé cette question en interne depuis longtemps. Au Parti socialiste, cette question est posée depuis moins longtemps. Ces partis conduisent des interrogations sur leur cohérence idéologique et, historiquement, ont été amenés à s'interroger sur le principe d'égalité qui est au coeur de leur corpus idéologique : comment ne pas être en contradiction entre lutte des classes et lutte des sexes en particulier ? Hubertine Auclert a prononcé, au congrès national ouvrier à Marseille en 1879, un très beau discours : ses premiers mots mentionnaient le fait qu'elle parlait en tant que représentante du groupe des femmes et en tant que représentante des travailleurs de Belleville. Elle a poursuivi en réfléchissant au sens de la République et elle a demandé aux « prolétaires » de l'assistance ce qu'ils pensaient de l'égalité, et plus particulièrement de l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle pointait là les contradictions qui existent au sein de la République et au sein de la gauche.
La gauche a été mise face à ses contradictions, en interne, par un groupe de militantes. À droite, on défend l'idée qu'il y a une place pour les femmes et une place pour les hommes ; on pense en termes de complémentarité et cette notion va s'incarner aussi dans la manière dont est pensée la gouvernance des partis politiques. Mais s'il y a eu une pression, surtout à gauche, pour que les partis politiques excluent moins les femmes de la gouvernance, c'est le plus souvent de la gouvernance nationale qu'il s'agit. Au niveau local, c'est beaucoup plus difficile, en particulier au Parti socialiste où l'on constate qu'il y a une parité au niveau du bureau ou du secrétariat national - c'est dans les statuts - mais rien n'est dit s'agissant du niveau local, qui est pourtant déterminant pour les investitures. Celles-ci sont « le coeur du réacteur ».
Le communiqué du HCE|fh, après la remise en février dernier de son Guide de la Parité - Des lois pour le partage à égalité des responsabilités politiques, professionnelles et sociales , était explicitement adressé aux partis politiques. En effet, on peut toujours améliorer la loi, mais il y aura encore une partie de l'égalité qui dépendra de l'attitude des partis politiques. Ceux-ci devront être cohérents ou assumer une dissonance. Ils ne pourront plus jouer l'ambivalence en défendant le principe de l'égalité femmes hommes, en particulier en termes de valeurs de la République, tout en justifiant, en interne, une inégalité flagrante dans leur gouvernance et dans leurs investitures !
Il y a eu un argument récurrent pour l'élection des conseillers départementaux, celui du vivier. Cet argument consistait à dire que les femmes étaient nouvelles dans ces conseils et qu'il était donc normal qu'elles soient peu nombreuses à y siéger ! Cela nous a paru incroyable d'oser utiliser cet argument, qui a pourtant été cité à tous les moments de notre histoire, en particulier lors de l'élaboration des lois sur la parité ! Il est absolument faux de prétendre que les femmes sont nouvelles ! La tentation est grande, pour éviter de poser la question de l'égalité et de la reconnaissance, de choisir des femmes dont les profils sont différents de ceux des hommes et d'ouvrir l'accès aux mandats à la société civile ou à la diversité par les femmes. À cet égard, un porte-parole de l'UMP m'a un jour objecté : « On ne va pas se faire hara-kiri deux fois ». Il voulait dire que les hommes blancs en position de pouvoir étaient obligés de sacrifier des places au profit à la fois des femmes et de la diversité. Il y a également eu le manifeste des trentenaires blancs « sacrifiés de la parité » au Parti socialiste. Cette posture est valable à droite comme à gauche. Les partis font alors donc de la « résilience électorale », des calculs électoraux en ouvrant les listes à des femmes représentant, par exemple, des quartiers ou des associations.
Cette démarche peut être très positive car elle peut permettre de renouveler l'élite politique. Mais pourquoi renouveler celle-ci de manière asymétrique ? Pourquoi les femmes devraient-elle payer le prix de ce renouvellement ? C'est aussi un risque pour ces femmes en matière d'autonomie, car elles doivent tout à ceux qui viennent les chercher. Elles demandent donc moins de vice-présidences, moins de postes de n° 1. Yvette Roudy qualifie cela de « fait du prince » : ces femmes doivent tout au « prince » qui les a choisies. Il y a donc une question à poser dans le pouvoir, central pour l'accès des femmes aux mandats électoraux et aux responsabilités, qui est celui d'investir les candidats.
Ces méthodes de choix posent un problème de reconnaissance : on intègre à la politique des femmes et des non blancs pour les mêmes raisons qu'on les avait exclus. On les avait exclus parce qu'ils étaient différents, et que cette différence était théorisée comme incompatible avec les instincts et missions naturelles qui étaient, pour les femmes, d'élever leurs enfants. Or on les inclut pour les mêmes raisons, au nom de la plus-value susceptible de résulter de cette différence. Les femmes vont apporter autre chose que les hommes : elles font de la politique autrement... Les femmes sont ainsi piégées parce qu'elles sont là pour ce qu'elles vont apporter d'autre, alors qu'elles veulent être là en tant que politiques, pas en tant que femmes en politique. Il y a cette idée d'égalité sous condition de performance de la différence, performance au sens de rentabilité électorale en particulier.
En ce qui concerne les propositions de binômes pour les législatives, cela faisait partie des propositions de Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall dans le livre que j'ai cité précédemment : elles proposaient des binômes pour tous les scrutins uninominaux. L'idée n'est pas très récente.
Maryvonne Blondin . - Une anecdote qui témoigne qu'être une femme politique étonnait encore en 2008, année de mon élection au Sénat : le chauffeur d'un taxi qui me conduisait au Sénat a été fort surpris de constater que j'étais une sénatrice, comme si cette fonction ne pouvait exister qu'au masculin ; d'autres sénatrices m'ont indiqué avoir aussi suscité le même étonnement dans des circonstances analogues.
Au sein du Sénat, le titre dont on use pour dénommer les femmes parlementaires de notre assemblée est encore bien souvent « Madame le sénateur ». Il faut demander à être appelée « Madame la sénatrice ». C'est vrai de la part des huissiers du Sénat, très prompts d'ailleurs à enregistrer nos demandes, mais aussi des courriers qui nous sont destinés.
Le président du conseil général du Finistère dont j'ai été membre avait souhaité que ce département accède à la parité. Il est devenu sous son impulsion l'un des départements les plus féminisés. Son exécutif comptait ainsi sept femmes pour six hommes. C'était vrai aussi à la tête des directions, des femmes ayant été nommées responsables des finances, de la voirie et de l'économie, alors qu'un homme l'était à celle de l'enfance-famille. On ne parle pas assez des administrations mais elles contribuent aussi à la féminisation d'une institution...
Dans le cadre de l'élection des conseillers départementaux, la présence obligatoire de femmes au sein de chacun des binômes n'a pas été aisée à mettre en oeuvre. Les femmes que nous avons sollicitées pour les constituer, notamment des jeunes, destinées à préparer la relève, avaient beau ressentir un réel intérêt pour la vie publique, elles s'interrogeaient néanmoins sur leur capacité à concilier vie familiale et l'exercice d'une fonction élective. Comment pourrions-nous inciter les femmes à s'engager davantage dans des fonctions électives ?
Je constate par ailleurs que si l'Assemblée nationale a compté une femme, Mme Lebranchu, au sein du conseil de questure, cette fonction, comme le relevait notre présidente en introduction, n'a pas encore été occupée par une femme au Sénat.
Marie-Pierre Monier . - Je suis une parfaite illustration de ce que vous venez de dire. Étant issue de la société civile, j'ai refusé par deux fois de faire partie de conseils municipaux, mon emploi d'enseignant et l'éducation de mes enfants ne me laissant guère de possibilité de m'y impliquer. La troisième fois que j'ai été approchée, c'était pour me proposer de devenir suppléante d'un conseiller général, car la parité imposait que le titulaire et son suppléant soient de sexes différents. J'ai été élue maire en 2014 à la faveur du désistement de la tête de liste masculine. Pour les élections sénatoriales, j'ai été inscrite sur une liste, par obligation, en seconde position. On m'avait prévenue que je ne serais pas élue, mais, contre toute attente je l'ai été, à la faveur de l'existence de listes dissidentes à droite, des candidats n'ayant pas accepté de ne pas figurer au premier rang de la liste de leur parti.
J'arrive donc au Sénat avec peu d'expérience politique car si j'ai des convictions, je ne suis pas « encartée », même si je suis rattachée au groupe socialiste du Sénat. J'ai le sentiment que l'on attend beaucoup de moi pour promouvoir et faire entendre une voix différente.
Je voudrais aussi dire qu'un député de ma circonscription refuse de m'appeler « Madame la sénatrice », arguant que cette formulation contrevient aux règles grammaticales.
Nous sommes deux femmes à siéger au sein de l'organe délibérant d'une intercommunalité où l'on m'a attribué le secteur de la petite enfance ainsi que celui de la prévention spécialisée, qui prend notamment en charge les adolescents.
Roland Courteau . - Vous nous avez démontré, Madame, que des lois sont parfois nécessaires pour favoriser certaines évolutions. La parité en politique en fait partie. Il n'en demeure pas moins que des progrès restent encore à faire quant à la représentation des femmes au sein des organes délibérants des intercommunalités.
La réintégration au sein d'un parti politique des dissidents ayant opté pour une stratégie de contournement pour être élu et s'affranchir du respect des lois sur la parité me semble être de la seule compétence interne des partis politiques. Si le système d'incitations financières a été retenu pour la mise en oeuvre de la parité, c'est sans doute qu'il a été jugé que cette solution apparaissait la plus efficiente. Je pense qu'un dissident préférera être exclu de son parti si son élection est à ce prix, mais peut-être est-ce une vision pessimiste...
Le fait que l'on continue d'attribuer préférentiellement aux hommes le contrôle des secteurs des finances et de l'urbanisme et de reléguer les femmes dans le domaine de l'action sociale et de l'écoute trouve son origine dans les stéréotypes de genre qui, dès la prime enfance, assignent aux femmes un rôle secondaire de maternage. Le rapport que notre délégation a publié en décembre dernier le montre pour le domaine des jeux et des jouets. Il faut donc travailler dès le plus jeune âge à lutter contre ces stéréotypes tout en légiférant si nécessaire pour favoriser les évolutions.
Danielle Michel . - Je voudrais revenir sur les propos de Maryvonne Blondin concernant la représentation des femmes au sein des services des collectivités. Les élues s'appuient sur des directions où la cause de la parité est encore à mener à bien ; j'ai été amenée à procéder à des recrutements de femmes pour occuper des postes au sein des services municipaux de la commune dont j'étais maire. De nombreuses femmes y ont postulé quand elles ont constaté que la maire était une femme, pensant qu'elles auraient sans doute plus de chance d'être retenues. Dans ma commune, des femmes dirigeaient les services des travaux, de la police et des eaux et assainissement, ce qui m'a valu des reproches de la part d'un syndicaliste au cours d'une réunion du CHSCT, qui m'a prêté l'intention d'instaurer dans la commune un « matriarcat ». Lorsque j'ai démissionné de ma fonction de maire une fois élue sénatrice, il m'a aussi été reproché d'avoir suggéré la candidature d'une autre femme que j'estimais parfaitement capable pour me succéder. Une levée de boucliers s'en est ensuivie, menée conjointement par le Parti socialiste local et les élus hommes de la mairie. On rencontre donc encore beaucoup de résistance de la part des élus ou des services municipaux.
Chantal Jouanno, présidente . - J'ai été confrontée au même problème quand j'étais ministre des sports, les fédérations sportives ayant manifesté leur étonnement devant la composition de mon cabinet, qui comportait une directrice, une directrice-adjointe et une cheffe-adjointe. Quand mes fonctions de ministre ont pris fin, un important remaniement a été opéré parmi ces proches collaboratrices...
Réjane Sénac . - La place des femmes en politique ne peut pas être analysée sans considérer celle que la société assigne aux femmes, ainsi que l'exposent les deux rapports que votre délégation a publiés sur les stéréotypes dans les manuels scolaires et les jeux et jouets. Ces travaux démontrent qu'il faut déconstruire la socialisation « genrée », voire sexiste, par les instances de socialisation que sont l'école, les médias et la famille, et aussi agir sur ce qui peut apparaître comme une répartition encore trop stéréotypée des postes. Jacques Derrida explique dans son ouvrage Politique de l'amitié que lorsque l'on veut changer les choses, on se trouve placé devant un dilemme qui est celui du choix entre modifier l'existant ou se projeter dans un monde différent. Selon lui, il faut s'attacher à modifier le monde tel qu'il est tout en le rendant différent ; nous devrions donc travailler sur ces deux versants. La répartition des métiers entre les hommes et les femmes est éclairante sur ce point, les femmes sont concentrées dans moins de métiers moins valorisés, moins rémunérés et plus précaires que les hommes.
En ce qui concerne le traitement de la question du rattachement de dissidents ayant été élus en contournant la loi, il suffirait pour y remédier d'étendre aux élections sénatoriales les dispositions qui existent déjà pour les candidatures aux élections législatives. Il s'agit d'une simple harmonisation législative vers le haut des dispositifs favorisant la parité en politique.
L'argument selon lequel il est difficile de trouver des femmes pour occuper des fonctions politiques n'est pas nouveau. Le modèle social qui prévaut en France, à la différence d'autres pays, demande aux Françaises d'être des « wonderwomen » qui concilient parfaitement vie professionnelle et vie familiale, dont l'éducation de leurs enfants, ce qui les occupe déjà à plein temps. Il ne reste donc pas de temps pour un engagement politique. La France présente le taux d'activité des femmes et le taux de fécondité les plus élevés par comparaison avec l'Italie, l'Espagne, les États-Unis ou l'Allemagne, alors même que seulement 10 % des enfants non scolarisés sont gardés en crèche et que plus de 50 % des enfants non scolarisés sont gardés par un des parents, en l'occurrence la mère. Les carrières des femmes dans notre pays sont hachées : entre périodes de congé parental et emploi à temps partiel, elles essaient de tout cumuler. Les enquêtes « emploi du temps » de l'INSEE montrent qu'en 10 ans, le temps consacré au temps domestique et familial n'a diminué que de 10 %. Et encore est-ce dû non pas à l'aide du conjoint mais à l'utilisation de plats surgelés tout préparés. Les femmes consacrent moins de temps à cuisiner.
On demande à des jeunes femmes de s'investir en politique alors qu'elles sont déjà en situation de burn out , écartelées entre vie professionnelle et vie familiale. Dans le même temps, on les invite, au nom du renouvellement de la classe politique, à n'effectuer qu'un ou deux mandats, alors que les hommes privilégient une stratégie de cumul dans le temps et bénéficient de la prime au sortant et à l'expérience. Cette vision asymétrique n'est pas acceptable.
Le rapport du HCE|fh propose douze recommandations. Nous serions très heureux que notre travail puisse être repris dans une proposition de loi, notamment la recommandation 11 concernant le rapport de situation comparée qui porte sur l'harmonisation des règles de présentation de rapport en matière d'égalité femmes-hommes pour l'Assemblée nationale et le Sénat avec celles prévues pour les communes et les intercommunalités de 20 000 habitant-e-s et plus, ainsi que pour les conseils départementaux et régionaux.
Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie de ce travail qu'il nous reste à traduire en termes législatifs.
Corinne Bouchoux . - Lorsque j'ai été élue, ma carte de parlementaire indiquait la qualité de « sénateur » ; si j'ai réussi, non sans mal, à obtenir que le terme de « sénatrice » soit substitué à celui de « sénateur » sur ma carte personnelle, je souhaite que toutes celles d'entre nous qui le désirent accèdent à cette modification sans que d'obscurs motifs leur soient opposés.
Audition de Brigitte Grésy, secrétaire
générale du Conseil supérieur
de
l'égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes
(4 juin 2015)
Présidence de Chantal Jouanno, présidente
Chantal Jouanno, présidente . - En attendant l'arrivée imminente de Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), nous allons engager la discussion avec Marie Becker, cheffe de projet au CSEP, qui va nous aider à y voir plus clair sur les incidences, en matière d'égalité entre femmes et hommes, du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi que l'Assemblée nationale a modifié en première lecture le 2 juin dernier. Mme Becker nous parlera plus précisément des dispositions relatives au sexisme en entreprise avant que Mme Grésy n'aborde le sujet des négociations sur l'égalité professionnelle.
Une disposition précise a suscité une opposition très médiatisée : il s'agit de l'article 14 qui, dans la version initiale du projet, supprimait des dispositions qui avaient été ajoutées à l'article L. 2242-2 du code du travail par la loi du 4 août 2014 pour permettre une analyse de situation comparée dans l'entreprise.
Je voudrais néanmoins mentionner que certaines dispositions de ce texte semblent favorables aux femmes, comme par exemple la prime d'activité, destinée à remplacer la prime pour l'emploi et la composante activité du RSA.
Cette mesure pourrait être favorable aux actifs ayant des revenus modestes, dont une importante proportion - on le sait bien - sont des femmes, et aux familles monoparentales, elles aussi en majorité féminines.
À cet égard, la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale a préconisé d'exclure les pensions alimentaires des ressources prises en compte pour déterminer l'éligibilité à la prime d'activité. Cette mesure semble de bon sens.
Nous savons que le CSEP n'a pas rendu d'avis sur ce point précis et que celui-ci n'est pas à notre ordre du jour mais il me semblait important d'évoquer aussi ce matin cette disposition du projet de loi.
Pour le reste, nous attendons de vous que vous nous fournissiez des éclaircissements sur les modifications introduites à l'Assemblée nationale.
Pensez-vous que le projet de loi, tel qu'il nous est transmis par les députés, soit de nature à apaiser toutes les inquiétudes qu'il a suscitées ?
Marie Becker, cheffe de projet au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle (CSEP) . - Le CSEP a été saisi sur certains articles du projet de loi, à savoir l'article 5 relatif à la parité, l'article 13 relatif à la base de données uniques (BDU) et la consultation du comité d'entreprise en matière d'égalité professionnelle et l'article 14 relatif à la négociation sur ce sujet, sur lesquels nous avons émis un avis.
Par ailleurs, sur la question du sexisme en particulier, le CSEP a rendu, le 6 mars dernier, à la ministre en charge du droit des femmes, un rapport sur le sexisme dans le monde du travail, qui a été l'occasion de formuler 35 recommandations.
Parmi celles-ci, la codification, dans le code du travail, des agissements sexistes, nous tient particulièrement à coeur.
La loi du 27 mai 2008 a transposé en droit français deux directives européennes de 2002 et 2006, selon lesquelles la discrimination inclut également tout comportement subi par une personne en raison de son sexe ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité et de dégrader son environnement de travail.
Depuis, cette définition fait partie intégrante du droit français. Auparavant, aucun texte interne ne définissait la discrimination directe ou indirecte. La loi de 2008 permet donc de saisir des comportements de « sexisme ordinaire », puisqu'au-delà de la qualification de « harcèlement », elle permet de sanctionner des « comportements » sexistes.
Nous vous proposons aujourd'hui de rendre visible cette disposition législative en l'intégrant dans le code du travail sous la dénomination d'« agissement fondé sur le sexe ». Cette codification est d'autant plus légitime que le code du travail français comporte déjà des dispositions spécifiques aux relations individuelles entre hommes et femmes, notamment aux articles L. 1142-1, L. 1142-2 et L. 1144-1, relatifs à l'interdiction de toute discrimination.
L'objectif est de permettre aux femmes qui subissent de telles situations de se référer à un article précis du code.
Cette mesure a fait l'objet d'un amendement lors de la discussion du projet de loi relatif au dialogue social à l'Assemblée nationale, mais il a été retiré à la demande du Gouvernement, afin d'être abordé à la suite du groupe de travail sur les discriminations, dont est notamment issue la proposition des curriculum-vitae anonymes.
Cette méthode n'est, selon nous, pas souhaitable car ce groupe de travail, à notre avis, ne fait pas une place suffisante aux associations représentant les droits des femmes.
Le second point que je souhaite aborder est relatif au règlement intérieur des entreprises. À l'heure actuelle, si le code du travail prévoit que le règlement intérieur ne doit pas comporter de dispositions discriminatoires, il n'engage ni n'oblige les partenaires sociaux à faire figurer les dispositions légales relatives aux discriminations dans le règlement intérieur.
Il n'en va pas de même des dispositions relatives au harcèlement sexuel : celles-ci doivent obligatoirement être reprises dans le règlement intérieur. Force est de constater, à la lecture de plusieurs règlements intérieurs qui nous ont été transmis, que ce n'est pas ou que partiellement le cas : beaucoup ne sont pas mis à jour !
C'est la raison pour laquelle nous proposons que l'intégralité des dispositions relatives tant aux discriminations qu'au harcèlement figure de manière obligatoire dans le règlement intérieur des entreprises.
Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) . - Madame la Présidente, je vous remercie pour votre invitation.
Pour commencer, je vais vous présenter le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). Par décret du 30 avril 2013, le Premier ministre m'a nommée secrétaire générale et nous a confié trois missions : consultation sur tous les projets de lois ou de décrets en matière d'égalité professionnelle, évaluation des politiques publiques et proposition d'actions sur la base d'études et de recherches lancées à notre initiative.
Nous avons rédigé un rapport sur les accords « Égalité » sur lesquels nous avons fait un certain nombre de propositions, ainsi qu'un rapport sur le sexisme qui nous a conduits à formuler des propositions, dont deux ont été précédemment exposées à votre délégation.
C'est dans le cadre de notre première mission que nous avons été saisis, le 7 avril 2015, sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi. Notre avis a été remis aux ministres le 13 avril et a été rendu public le 11 mai 2015.
C'est sur la suppression du rapport de situation comparée (RSC) que s'est focalisée l'attention de l'opinion publique. Les amendements portés par vos collègues de l'Assemblée nationale sont tout à fait remarquables et ont permis de clarifier les liens entre les quatre étapes de la négociation sur l'égalité professionnelle : la constitution d'une base de données unique (BDU), la consultation du comité d'entreprise, la négociation devant aboutir à un accord ou, à défaut, à un plan d'action unilatéral de l'employeur et, enfin, la sanction.
Il apparaît toutefois que certaines clarifications pourraient encore être apportées de façon que chacune des étapes contribue, sur les mêmes bases, à l'objectif final d'un accord.
Nous avons obtenu les derniers chiffres des accords « Égalité » de la direction générale du travail (DGT) : 1 662 mises en demeure et 56 pénalités (77 % des mises en demeure concernent une absence d'accord ou de plan d'action, 23 % sont liées à une non-conformité de l'accord aux textes) depuis le 1 er avril 2013. Parmi les entreprises assujetties, c'est-à-dire celles disposant d'un délégué syndical, 36,6 % sont couvertes par un accord d'entreprise ou par un plan d'action, avec de très grandes différences puisque cela correspond à 78,7 % des entreprises de plus de mille salariés, 64 % des entreprises de 301 à mille salariés et 31,7 % des Petites et moyennes entreprises (PME) de 50 à 299 salariés. Les pénalités touchent avant tout les PME (plus de la moitié des pénalités) : ce sont évidemment les entreprises qui n'ont pas beaucoup de services pour les assister qui sont pénalisées.
On peut donc dire aujourd'hui que le système mis en place avec la sanction, et tout le système mis en place avec les lois de 1983 et de 2001, fonctionne.
Le rapport situation comparée (RSC) n'existe pas seulement dans le code du travail, mais également dans la fonction publique. Il est donc entré dans les moeurs.
Je souhaitais clarifier les choses en vous proposant plusieurs propositions de modification du texte qui vous a été transmis par l'Assemblée nationale.
L'Assemblée nationale, dans un souci de rendre visibles les données consacrées à l'égalité professionnelle, a inséré un 1°bis à l'article L. 2323-7-2 du code du travail (qui devient l'article L. 2323-8) relatif à la base de données unique (BDU) et qui permet de préciser les neuf domaines sur lesquels doivent porter les indicateurs du RSC en y ajoutant les nouveaux domaines instaurés par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les hommes et les femmes, c'est-à-dire la sécurité et la santé au travail et les écarts de rémunération et de déroulement de carrière en fonction de la qualification, de l'âge et de l'ancienneté.
Cependant, nous estimons que des améliorations pourraient être apportées à la rédaction du 1°bis de l'article L. 2323-8, car rien n'est précisé sur la façon dont ces informations doivent être recueillies. Il importe donc d'enrichir le 1°bis de cet article en rajoutant la notion d'indicateurs chiffrés et en renvoyant à un décret pour préciser la liste des indicateurs chiffrés retenus, d'autant que ces indicateurs doivent varier selon la taille de l'entreprise.
Il faut faire la différence entre les entreprises de plus ou de moins de 300 salariés. Auparavant, nous avions l'article L. 2323-57 pour le RSC des entreprises de plus de 300 salariés et l'article L. 2323-47 pour les entreprises de moins de 300 salariés. Pour les entreprises de moins de 300 salariés, le rapport s'intitulait « Rapport sur la situation économique des entreprises » (RSE). Aucun indicateur ne figurait dans ce RSE : ce n'était pas obligatoire. Nous ne disposions que de quelques données sur le temps partiel, le salaire moyen, et des éléments ad libitum pour les négociateurs qui prenaient dans le RSE les éléments qu'ils souhaitaient.
Le décret parle de diagnostic, j'aurais pour ma part proposé « Analyse de la situation respective des femmes et des hommes pour chacune des catégories professionnelles dans les neuf domaines » : cette analyse repose sur des indicateurs chiffrés fournis par décret qui peuvent varier selon que l'entreprise comporte plus ou moins de 300 salariés.
Le CSEP a été missionné par la ministre en charge des droits des femmes pour construire des indicateurs chiffrés sur le domaine nouveau de la santé et de la sécurité au travail. L'avis que nous avons rendu construit des indicateurs sur la base du coefficient hiérarchique en fonction de l'âge, de l'ancienneté sur la notion de déroulement de carrière. Nous allons vous fournir les deux avis du CSEP donnant des éléments sur ce que pourraient être des indicateurs chiffrés pour les nouveaux domaines institués par la loi du 4 août 2014.
J'en viens maintenant à la procédure de consultation devant le comité d'entreprise (CE), l'article L. 2323-17 du code du travail. Il me semble qu'il faut y réintégrer la notion de RSC ; il s'agit d'une simple réintégration d'une appellation, sans aucune contrainte supplémentaire pour les entreprises.
Comme l'ancien RSC qui comportait deux parties bien distinctes, l'une relative au diagnostic chiffré et à son analyse, l'autre relative au plan d'action destiné à assurer l'égalité, il convient de rajouter cette idée de plan d'action qui précède la négociation, dans les mêmes termes que ceux de l'ancien RSC, au lieu de la formulation assez imprécise retenue dans l'actuel article L. 2323-17 du code du travail.
Nous proposons de reprendre les dispositions des articles L. 2323-47 et L. 2323-57 du code du travail : « Un rapport sur la situation comparée des femmes et des hommes en matière d'égalité professionnelle au sein de l'entreprise, comportant les informations et les indicateurs chiffrés mentionnés au 1°bis de l'article L. 2323-8, ainsi qu'un plan d'action qui évalue les objectifs fixés et les mesures prises au cours de l'année écoulée, détermine les objectifs de progression prévus pour l'année à venir, définit les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre et en évalue leur coût », c'est-à-dire le libellé exact du RSC.
Devant le CE, on consulte ainsi sur le RSC qui comprend deux parties : les indicateurs chiffrés de la BDU (article L. 2323-8) et un plan d'action qui fait le bilan des actions passées, la programmation des mesures à venir, les actions qualitatives et quantitatives.
Chantal Jouanno, présidente . - On revient donc à la situation antérieure ?
Brigitte Grésy . - Non, pas tout à fait, car la première partie du RSC a été intégrée dans la BDU qui est essentielle, car elle collecte toutes les données qui seront nécessaires aux employeurs.
Sans doute faudrait-il préciser que les obligations peuvent être modulées en fonction de la taille de l'entreprise.
L'article L. 2242-9 du code du travail, qui est l'ancien article L. 2222-5-1, dispose : « Les entreprises d'au moins 50 salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l'employeur lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l'égalité ou, à défaut d'accord, par les objectifs et les mesures constituant le plan d'action défini dans les rapports, etc. ». Je pense qu'il faut engager les entreprises, notamment les PME, sur ce qui sera le coeur de leur négociation future.
Il faudrait mentionner à mon avis, à l'article L. 2323-17, que le plan d'action doit porter sur un nombre minimum de domaines tel que prévu dans le décret mentionné à l'article L. 2242-9.
L'article L. 2323-19 précise que le contenu des informations de la BDU est prévu par décret qui comporte également « les modalités de mise à disposition des salariés et de toute personne qui demande ces informations d'une synthèse du plan d'action mentionné au 2° de l'article L. 2323-17. ».
Il me semble qu'il faudrait que l'article L. 2323-8 relatif à la BDU précise que les informations doivent être définies par décret. Par ailleurs, la synthèse du plan d'action est déjà mentionnée à l'article L. 2242-8 qui dispose qu'« une synthèse du plan d'action, comprenant un minimum des indicateurs et des objectifs de progression définis par décret est portée à la connaissance des salariés... ».
Je pense aussi que la suppression de l'article L. 2323-19 doit être envisagée.
L'article L. 2242-8 du code du travail précise le contenu de la négociation collective sur l'égalité professionnelle et doit renvoyer à mon avis non pas à « la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail porte », mais à « la négociation annuelle sur l'égalité professionnelle et sur la qualité de vie au travail».
En ce qui concerne le contenu de la négociation collective, je suis d'avis qu'il faut réintroduire le domaine de l'articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié. Les inégalités au travail entre les femmes et les hommes trouvent leur origine essentiellement dans l'inégal partage des responsabilités familiales et domestiques. Ce thème figurait dans l'ancien article L. 2242-5 relatif à la négociation et doit donc également figurer dans l'article L. 2242-8 et préciser que la négociation s'appuie sur le RSC.
Les négociateurs et les employeurs confondent le plan d'action du RSC conçu ex-ante , lors de la construction des indicateurs, avec le plan d'action unilatéral établi par l'employeur à défaut d'accord ; c'est notamment le point de vue de la direction générale du travail, ce qu'elle justifie par son interprétation des textes actuels, assez imprécis.
Le CSEP considère que si le plan d'action du RSC est soumis au comité d'entreprise pour négociation, l'employeur doit proposer, à défaut d'accord, un nouveau plan d'action sur la base du plan d'action du RSC, au regard de ce qui a été dit dans la négociation. Aussi, dans un souci de clarification, le CSEP propose-t-il que l'article L. 2323-17 précise que le RSC comporte un programme d'action soumis à négociation auquel est substitué, à défaut d'accord, un plan d'action unilatéral de l'employeur.
Cela permettrait de résoudre la contradiction entre la formulation des articles L. 2242-8 et L. 2242-9, l'article L. 2242-8 indiquant que le plan d'action est celui annexé au RSC alors que l'article L. 2242-9 précise que le plan d'action est établi sur la base des mesures de la BDU.
L'article L. 2242-8 précise : « une synthèse de plan d'action, comprenant un minimum des indicateurs et des objectifs de progression définis par décret est portée à la connaissance des salariés... » ; le CSEP propose de le compléter par l'indication que la synthèse de l'accord est aussi portée à la connaissance des salariés.
Actuellement, la négociation sur l'égalité professionnelle ne peut être portée à trois ans que si la négociation a abouti à un accord collectif. Lorsque l'employeur a établi un plan d'action unilatéral, la négociation demeure annuelle. De ce fait, l'employeur a intérêt à négocier pour éviter de relancer une négociation chaque année.
Tel qu'il est rédigé, l'article L. 2242-20 permet, par accord d'entreprise, de porter la périodicité des deux négociations annuelles à trois ans et de la négociation triennale à cinq ans, et donc d'alléger le calendrier des négociations, lorsqu'il existe un accord sur l'égalité professionnelle ou, à défaut, un plan d'action unilatéral de l'employeur.
Si cette mesure est incitative pour les entreprises qui ne sont pas encore couvertes par un accord ou par un plan d'action unilatéral de l'employeur, elle l'est beaucoup moins pour les entreprises déjà couvertes et pourrait même avoir des conséquences négatives sur l'activité conventionnelle.
En conséquence, il est proposé de rédiger ainsi l'article L. 2242-20 : « Dans les entreprises satisfaisant à l'obligation d'accords ou, à défaut de plan d'action, relatifs à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, un accord d'entreprise [...] peut modifier la périodicité de chacune des négociations prévues à l'article L. 2242-1 pour tout ou partie des thèmes, dans la limite de trois ans pour les deux négociations annuelles et de cinq ans pour la négociation triennale ».
Il est proposé, afin de calmer les inquiétudes qui sont apparues dans la société civile et de disposer d'un cadre de référence commun, de réintégrer la notion de RSC, notion familière, que les négociateurs se sont appropriée et qui permet dès lors de clarifier les différentes étapes de la négociation. Il s'agit d'une simple réintégration d'une appellation, sans aucune contrainte supplémentaire pour les entreprises.
Comme l'ancien RSC qui comportait deux parties bien distinctes, l'une relative au diagnostic chiffré et à son analyse, l'autre relative au plan d'action destiné à assurer l'égalité, il convient de rajouter cette idée de plan d'action qui précède la négociation.
Catherine Génisson . - Il faudrait que le règlement intérieur affirme l'interdiction des discriminations dans leur globalité.
Brigitte Grésy . - Je suis totalement en accord avec vous. Il serait utile également de mettre en place une forme d'accompagnement des PME, qui serait mise en oeuvre par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ou par la délégation régionale aux droits des femmes afin de les aider dans la conduite des consultations et des négociations dans les meilleures conditions possibles.
La négociation sur le fondement du RSC est délicate car il faut déterminer des indicateurs qui mettent en évidence l'égalité entre les hommes et les femmes, tant à un instant donné que lors du suivi de leur évolution dans le temps.
Annick Billon . - Je vous remercie de votre présentation ; celle-ci est extrêmement technique pour ceux et celles qui ne maîtrisent pas parfaitement le code du travail. En France, nous avons un code du travail très dense, qui suscite l'objet de maintes critiques récurrentes de la part des entreprises, obligées de consulter des spécialistes pour l'analyser afin de ne pas s'exposer à des poursuites judiciaires.
S'il est essentiel de lutter contre les discriminations, il faut néanmoins veiller à ne pas aggraver la complexité du code du travail et les contraintes administratives qu'il impose aux entreprises, notamment celles qui accompagnent le dépassement d'un des seuils du nombre de salariés de l'entreprise.
Brigitte Grésy . - Nos propositions sont guidées par un souci de simplification des termes du code du travail, dont je ne méconnais pas la complexité.
Maryvonne Blondin . - J'admire votre connaissance parfaite du code du travail et je souligne la technicité considérable de ce texte. J'abonde sur la nécessité d'accompagner les entreprises dans la rédaction des documents administratifs qui leur sont demandés.
Par ailleurs, l'article 20 du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi est une reconnaissance du régime des intermittents. Avez-vous étudié cette question ainsi que la situation spécifique des « matermittentes », ces femmes intermittentes dont j'avais exposé la précarité lors de l'examen du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes ? Qu'en est-il aussi de la proportion des femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises ?
Michelle Meunier . - Pourriez-vous nous faire une synthèse des apports de ce projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi et des modifications que vous proposez, compte tenu notamment des avancées déjà significatives de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes ?
Brigitte Grésy . - Le CSEP travaille à déterminer des indicateurs aisés à mettre oeuvre par les entreprises ; le ministère des affaires sociales met à leur disposition un site dénommé EGA-PRO ( http://www.ega-pro.femmes.gouv.fr/ ) malheureusement encore trop peu connu bien qu'il vienne d'être entièrement remis à jour. Son actualisation est régulière et il comporte des informations à destination des PME, notamment un guide « pas à pas » pour les aider à construire un accord portant sur l'égalité professionnelle. Les entreprises peuvent aussi se faire aider par un expert pour définir un tel accord.
Si la structuration du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi en cinq sections (finances, ressources humaines,..) rassemblant les éléments issus de 17 consultations et 12 négociations en simplifie la compréhension, la complexité du texte demeure, j'en conviens.
C'est pourquoi le CSEP propose des modifications qui simplifient sa mise en oeuvre par les entreprises, notamment par les PME ; en résumé, l'employeur est guidé par un cadre dont les étapes sont les suivantes :
- création d'une base de données unique (BDU) ;
- confection d'indicateurs chiffrés qui diffèrent en fonction du nombre de salariés de l'entreprise ;
- consultation du comité d'entreprise ;
- rédaction d'un rapport de situation comparée en deux parties : indicateurs de la BDU et plan d'action ;
- négociation sur la base du plan d'action proposé dans le RSC (différent selon qu'il s'agit de PME ou d'entreprises de plus de 300 salariés) ;
- à défaut d'accord, l'employeur établit un plan d'action unilatéral ;
- dépôt auprès de l'autorité administrative, laquelle peut sanctionner l'entreprise si le plan d'action ne comporte pas au moins trois ou quatre domaines ; c'est notamment à cette étape que les négociateurs peuvent utilement conseiller l'entreprise.
Je rappelle les grandes étapes législatives et réglementaires depuis le début des années 1980 qui concernent notamment le dialogue social :
- 1983 : la « loi Roudy » institue la négociation spécifique non obligatoire ;
- 2001 : la « loi Génisson » institue la négociation spécifique sur l'égalité obligatoire avec le RSC ;
- 2006 : la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes introduit la négociation sur les salaires dans la négociation annuelle obligatoire dans un objectif d'égalité professionnelle ;
- 2010 : la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites institue la sanction, mais le décret d'application n'a pas été pris ;
- le décret n° 2012-1408 du 18 décembre 2012 renforce les obligations des entreprises de plus de 50 salariés et prévoit des sanctions financières. Si l'entreprise ne se conforme pas à la loi, la sanction peut atteindre 1 % de la masse salariale, laquelle s'applique, soit en l'absence d'accord et de plan, soit pour non-conformité de l'accord. Pour les entreprises de plus de 300 salariés, un accord est reconnu conforme au sens du décret d'application si au moins quatre des neuf domaines, dont celui de la rémunération, sont négociés. Pour celles de moins de 300 salariés, l'accord est conforme si au moins trois domaines, dont celui de la rémunération, sont négociés ;
- la loi du 4 août 2014 a ajouté deux points essentiels. D'une part, les risques psychosociaux, dans ses dispositions relatives à la sécurité et la santé au travail - la question de la santé des femmes au travail, rappelons-le, demeure sous-appréhendée. D'autre part, cette loi précise que la négociation sur les salaires réintègre la négociation générale sur l'égalité professionnelle, mais que la discussion de ce point particulier se fera toujours dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire. La loi du 4 août 2014 a aussi ajouté la mixité aux grands thèmes de la négociation.
J'en reviens au 2° de l'article L. 2323-17 du code du travail. Une formulation plus compréhensible consisterait à réintégrer le concept de RSC dans cette disposition, qui renvoie, conformément à la pratique française en matière de codification, au 1° bis de l'article L. 2323-8, ce qui n'est pas clair.
Par ailleurs, le 2° de l'article L. 2323-17 dispose : « le plan d'action est déposé auprès de l'autorité administrative », mais n'indique rien quant à la nécessité du dépôt de l'accord, disposition qui relève de l'article D. 2231-4. Il serait utile de préciser ce point, à mon avis.
Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie de votre exposé.
Audition de Pascale Boistard, secrétaire
d'État chargée des Droits
des femmes auprès de la
ministre des Affaires sociales, de la santé
et des droits des
femmes
(8 octobre 2015)
Présidence de Chantal Jouanno, présidente
Chantal Jouanno, présidente . - Nous accueillons maintenant Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État aux Droits des femmes, que je remercie d'être venue jusqu'à nous. Madame la ministre, c'est la deuxième fois que notre délégation a le plaisir de vous auditionner. Cette réunion doit être l'occasion de présenter les crédits budgétaires destinés à l'action de votre département ministériel, de faire un point d'actualité sur les temps fort de votre action et, enfin, d'évoquer l'examen prochain, en deuxième lecture au Sénat, de la proposition de loi visant à lutter contre le système prostitutionnel. La commission spéciale s'est en effet réunie hier.
Madame la ministre, vous avez la parole, puis nous vous poserons des questions.
Pascale Boistard , secrétaire d'État chargée des Droits des femmes auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Le domaine d'action de mon secrétariat d'État étant large, nous travaillons toujours en transversalité, comme vous le savez, ce qui rend les choses parfois complexes.
Un bon exemple de cette transversalité est l'application de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. On peut s'en féliciter : cette loi est aujourd'hui mise en oeuvre à 95 %. Je considère que c'est une belle avancée, et le dernier décret d'application doit être publié prochainement, conjointement avec le ministère du travail.
L'expérimentation de la garantie des impayés de pensions alimentaires, aujourd'hui testée dans dix-neuf départements, et qui consiste à substituer la Caisse d'allocations familiales (CAF) au mauvais payeur, charge à elle de se retourner ensuite contre celui-ci, est un exemple à mon avis emblématique des avancées permises par cette loi. La garantie touche au quotidien des femmes, dont il permet de stabiliser la situation financière, dans l'intérêt des enfants dont elles ont la charge.
C'est pourquoi nous avons décidé de généraliser le dispositif sans attendre les dix-huit mois d'expérimentation. Le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) tirera les conséquences de cet objectif.
Mes activités récentes m'amènent à aborder avec vous en premier lieu le lien entre les droits des femmes et l'actualité internationale : vous savez qu'au sein de la prochaine Conférence climatique qui se tiendra à Paris en décembre, une journée spécifique sera dédiée à la question « genre et climat ». Portée par le Président de la République et soutenue par Laurent Fabius, cette initiative doit déboucher sur des propositions concrètes, en lien avec la société civile et avec le secteur économique.
Plusieurs manifestations auront lieu en amont de la Conférence climatique et le Président de la République a réaffirmé devant les Nations unies, où il participait à la 70 ème Assemblée générale, il y a quelques jours, le rôle central des femmes en matière de changement climatique, dont les incidences sur les mouvements de populations sont importantes. Le changement climatique, les femmes en sont les victimes, mais aussi les actrices ; il faut le souligner.
Nous portons également au niveau international la voix de la France en ce qui concerne la maîtrise de la fécondité, droit essentiel des femmes que nous avons réaffirmé à l'ONU en septembre dernier. À cet égard, le Président de la République a rappelé que la France considérait la prostitution comme une violence faite aux femmes : à ce titre, nous sommes résolus à lutter contre ce phénomène.
Cette semaine est la semaine de l'égalité professionnelle : permettez-moi d'aborder cette question. Les premiers résultats sont encourageants, puisque les chiffres dont nous disposons permettent de situer la France parmi les pays qui voient leurs inégalités professionnelles diminuer : la France réduit ces inégalités deux fois plus que la moyenne européenne. Quant à l'entreprenariat au féminin, le salon des microentreprises, auquel j'assistais hier soir, a été une nouvelle occasion de rappeler que nous souhaitons renforcer tous les dispositifs qui accompagnent les femmes dans la création d'entreprises, parmi lesquels le Fonds de garantie pour la création, la reprise, le développement d'entreprises à l'initiative des femmes (FGDF).
À cet égard, j'ai signé hier une convention avec le Fonds de solidarité pour que les femmes puissent être accompagnées dans leurs projets de création d'entreprise dans l'économie sociale et solidaire, secteur relativement peu investi jusqu'à ce jour.
S'agissant de l'encouragement à la création d'entreprises, nous avons défini trois priorités : le secteur rural, le secteur de la politique de la ville et la reprise d'entreprise. En effet, faute de repreneurs, nombre d'entreprises, et donc nombre de produits comme de savoir-faire, péricliteraient aujourd'hui si les femmes ne s'y investissaient pas. Afin de faire connaître ces dispositifs, nous sommes sur le point de signer un partenariat avec La Poste pour que les femmes, en particulier celles qui résident en zone rurale, sachent qu'elles peuvent être accompagnées dans leurs projets.
Parallèlement, nous avons augmenté le plafond de garantie du FGDF, afin que ce dispositif puisse accompagner des projets jusqu'à 45 000 euros. Nous devrions ainsi pouvoir accompagner des femmes dont les projets ne sont pas financés par les banques.
Notre ambition est de porter le nombre de femmes cheffes d'entreprises de 30 % actuellement à 40 % en 2017.
Par ailleurs, nous avançons à grands pas sur le terrain des territoires d'excellence, initiative lancée en 2012 et qui consiste à établir des partenariats entre l'État, les régions et tous les organismes qui travaillent à la mixité, l'insertion des femmes dans le domaine professionnel et l'égalité au sien des entreprises. L'intérêt de ce dispositif est de « coller » aux réalités de terrain pour répondre au mieux aux besoins spécifiques identifiés sur les territoires. Dans quelques jours, le nombre de territoires d'excellence aura doublé, puisque je m'apprête à signer la dix-huitième convention, l'objectif étant de généraliser le dispositif à la France entière.
J'en viens maintenant à la lutte contre les violences, pour laquelle trois plans d'action sont actuellement engagés : un plan contre les violences domestiques, un plan contre la traite des êtres humains et un plan, présenté le 9 juillet dernier, qui vise à lutter contre le harcèlement sexiste dans les transports. Ces plans d'actions sont adossés à trois textes législatifs emblématiques : la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France, qui retranscrit dans notre droit la Convention d'Istanbul et la loi pour l'égalité réelle du 4 août 2014 dont plusieurs dispositions renforcent la lutte contre le harcèlement, auxquelles il faut ajouter la future loi contre le système prostitutionnel, qui sera la semaine prochaine examinée en deuxième lecture dans votre assemblée.
Alors que le 4 ème plan gouvernemental de lutte contre les violences a été lancé, je vous annonce que nous préparons pour le 25 novembre prochain un recensement précis du nombre des hébergements d'urgence susceptibles d'accueillir les femmes en danger. En collaboration avec le ministère du Logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, nous avons envoyé une circulaire aux préfets pour que la question spécifique des femmes en danger soit prise en compte dans les commissions d'attribution des hébergements d'urgence, mais également dans les commissions d'attribution des logements, pour permettre aux femmes de sortir des dispositifs d'urgence. En parallèle, nous travaillons pour que les nouvelles places d'hébergements soient attribuées dans des structures spécifiquement dédiées aux femmes.
Sur le terrain, nous mettons l'accent sur la formation des professionnels, notamment afin d'améliorer le dépôt des mains courantes et l'accueil des plaintes (des conventions visent à renforcer la collaboration entre les services de police, de gendarmerie et l'action de la justice) ; le renforcement de l'ordonnance de protection et la généralisation du téléphone grand danger. Actuellement, 400 téléphones sont à la disposition des procureurs, auprès desquels nous menons des campagnes d'information et enfin, nous comptons lancer une nouvelle campagne d'information à destination du grand public : c'est l'un de nos projets pour le 25 novembre.
J'en arrive maintenant au budget, dont je vous annonce qu'il sera cette année le plus haut de la mandature, passant de 21 à 27 millions d'euros. Cette augmentation budgétaire a été acceptée, notamment dans la perspective de l'adoption de la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, afin d'abonder le fonds pour les victimes de la traite et l'insertion des personnes prostituées, inscrit au sein des crédits du chapitre 137.
Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie. Je précise que, dans la logique de ce que vous venez de nous présenter, le Sénat va débattre d'une proposition de résolution, le 16 novembre prochain, en vue du sommet de Paris en décembre 2015 : nous venons d'adopter ensemble un passage de cette proposition de résolution, centré sur le thème « femmes et changement climatique », qui pourrait être soumis au Sénat. Par ailleurs, notre délégation vient de valider la constitution d'un groupe de travail sur l'évaluation des dispositifs existants en matière de lutte contre les violences au sein des couples. Le sujet des violences faites aux femmes est donc au coeur de notre programme de travail.
Marc Laménie . - Tout d'abord, une attention particulière sera portée par le groupe auquel j'appartiens à l'adoption des crédits du programme 137 lors de la discussion budgétaire. Je souhaite par ailleurs revenir sur la question des campagnes de communication visant à sensibiliser l'opinion publique aux violences faites aux femmes.
D'autre part, tous les départements ne mettent pas en oeuvre les directives de la même manière ; enfin, toutes les actions ne sont pas toujours efficaces. Les violences sont partout, la simple lecture quotidienne des journaux suffit à nous le rappeler.
C'est pourquoi j'estime qu'il est essentiel que l'ensemble des partenaires institutionnels soient impliqués pour que, sur le terrain, les responsables disposent de véritables relais.
Brigitte Gonthier-Maurin . - Pourriez-vous nous fournir des éléments plus précis sur l'évolution des chiffres concernant l'égalité professionnelle, en particulier s'agissant du temps partiel contraint ? J'aimerais pouvoir disposer du détail de ces données statistiques. Concernant votre dotation budgétaire, il me semble que l'augmentation dont vous parlez résulte d'un regroupement des crédits inscrits au sein des programmes budgétaires 204 (Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins), 101 (Accès au droit) et 176 (Police nationale).
Or, comme nous l'ont rappelé hier Sophie Bejean et Bertrand Monthubert, respectivement présidente et rapporteur du comité pour la stratégie nationale pour l'enseignement supérieur (StraNES), en commission de la culture, de l'éducation et de la communication, la question des moyens alloués à votre politique ne pourra pas être résolue par redistribution si on veut éradiquer le fléau des violences.
Maryvonne Blondin . - Comme ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin, j'ai été choquée par les chiffres présentés hier en commission de la culture, de l'éducation et de la communication par les représentants du comité de la StraNES. Les retours sur investissement des crédits engagés dans l'enseignement supérieur sont bien plus importants pour les hommes que pour les femmes et cela s'explique par tous les obstacles que nous connaissons : plafond de verre et inégalités professionnelles, entre autres.
Concernant l'application effective de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014, dont je me réjouis, pourriez-vous, même ultérieurement, nous fournir des chiffres plus précis ? Le Téléphone grand danger (TGD), par exemple, est un dispositif dont nous avons parlé au sein du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence, auquel j'appartiens. On sent actuellement une inquiétude des collectivités territoriales, sur lesquelles reposent la prise en charge et l'organisation des plates-formes d'appel, puisque le TGD, pour être satisfaisant , suppose que quelqu'un réponde efficacement aux appels sept jours sur sept et 24 heures sur 24.
Michelle Meunier . - Je salue tout d'abord l'endurance et la continuité de votre ministère en matière de lutte contre les inégalités, en particulier professionnelles. Je souhaite insister sur l'importance de la mise en oeuvre des garanties d'impayés des pensions alimentaires.
Hier, en commission des affaires sociales, le président de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a confirmé ce que vous disiez tout à l'heure : la substitution des CAF aux mauvais payeurs a des effets très positifs, non seulement sur la situation des femmes qui en bénéficient, mais aussi sur la stabilisation des parcours des enfants qu'elles élèvent.
Concernant le plan de lutte contre le harcèlement des femmes dans l'espace public, j'y porte une attention particulière puisque Nantes fait partie des villes d'expérimentation. Actuellement, nous expérimentons un programme innovant qui permet aux femmes, la nuit, de demander aux transports en commun de les déposer au plus près de leur domicile.
En ce qui concerne la place des femmes dans l'espace urbain, permettez-moi de regretter que les femmes, et en particulier les plus fragiles, soient sous représentées au sein des comités d'architectes innovants.
Roland Courteau . - Comme vous le savez, je suis particulièrement sensible à la question de la lutte contre les violences, plus particulièrement les violences au sein des couples.
Il me semble que la question des hébergements d'urgence est cruciale et que, par ailleurs, la généralisation du dispositif des TGD est une mesure qui va dans le bon sens.
Permettez-moi néanmoins de vous rappeler que la loi de 2006 prévoyait qu'un rapport soit remis tous les deux ans au Parlement pour faire le point, non seulement sur les structures d'hébergements des victimes, mais aussi sur les soins dispensés aux auteurs. À ma connaissance, un seul rapport a été remis depuis 2006 ; il me semble qu'il serait bon de renouer avec cette procédure. À cet égard, disposez-vous de chiffres sur les stages de responsabilisation proposés aux auteurs de violences ? Beaucoup d'hommes violents peuvent être soignés et il me semble essentiel de pouvoir le leur proposer.
Par ailleurs, vous savez qu'il existe une grande disparité d'utilisation par les parquets de l'ordonnance de protection. Le « délai raisonnable » n'est pas interprété de manière uniforme sur le territoire : attendre parfois six semaines pour bénéficier d'une mesure de protection quand on est en grand danger ne me semble pas en adéquation avec la loi.
Enfin, je voudrais insister sur l'importance des séances d'information dans les établissements scolaires : sensibiliser les jeunes, dès le plus jeune âge, à la question des violences est essentiel. Or, à ma connaissance, aucune instruction en ce sens n'a été envoyée aux chefs d'établissements depuis 2010.
Claudine Lepage . - Le recouvrement des pensions alimentaires concerne aussi les femmes françaises établies à l'étranger, il faut le rappeler. Même si leurs situations sont diverses et qu'on ne peut remédier à toutes les difficultés qu'elles rencontrent, il arrive cependant que des ex-conjoints soient domiciliés en France. J'aimerais savoir si vous travaillez sur ce sujet avec le ministère des affaires étrangères et quelle approche vous privilégiez.
Pascale Boistard , secrétaire d'État chargée des droits des femmes auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Deux campagnes de communication vont être lancées, l'une début novembre pour alerter sur le harcèlement dont sont victimes les femmes dans les transports en commun, et l'autre le 25 novembre, dans le cadre de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes.
Comme vous le soulignez, Monsieur le sénateur Laménie, ces campagnes de communication ne se bornent pas à imaginer un diptyque slogan/affichage, mais aussi à renouveler les outils d'information et de sensibilisation, tout en délivrant aux femmes victimes de violences des renseignements ciblés, afin de les guider efficacement dans leurs démarches d'obtention d'une protection.
La campagne portant sur le harcèlement dans les transports visera à mobiliser les citoyens sur la place et le respect des femmes dans l'espace public ; les acteurs (transporteurs et associations) seront aussi sensibilisés sur ce sujet peu connu ; des rappels à la loi seront effectués pour que chacun comprenne le respect dû à une femme seule, dans la rue ou dans les transports en commun.
Un guide synthétique portant sur l'égalité professionnelle en France a été réalisé par le ministère des Affaires sociales, de la santé et des Droits des femmes et est disponible sur son site Internet ; il contient l'essentiel des données chiffrées disponibles sur ce sujet.
S'agissant des moyens de lutte contre les violences évoqués par plusieurs d'entre vous, je précise que 463 000 euros ont été inscrits cette année sur le programme 137 au titre de la part de l'État dans la mise en oeuvre du TGD aux fins de paiement de l'opérateur téléphonique et du personnel d'assistance ; s'y ajoutent les sommes qui seront versées par les conseils départementaux dans le cadre de conventions conclues avec les associations assurant un suivi des victimes. Une certaine inégalité territoriale subsiste néanmoins, tant dans le déploiement du TGD, car tous les départements n'ont pas encore signé de telles conventions, que dans celui de l'ordonnance de protection. Celle-ci nécessite un travail pédagogique auprès des professionnels concernés (justice, police et gendarmerie) pour les sensibiliser à l'intérêt de ces dispositifs et à leur efficacité. À cette fin, notre ministère a réalisé un fascicule démontrant tout l'intérêt du système TGD et son utilité pour protéger des femmes en danger de mort après une séparation avec leur ex-compagnon : les demandes de TGD ont augmenté après cette sensibilisation des professionnels de la justice.
Un bilan de la mise en oeuvre de l'ordonnance de protection sera effectué vers le 25 novembre 2015. Ce dispositif a été renforcé par des dispositions de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014. J'ai demandé à la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) de réaliser une formation des avocats et des magistrats pour les sensibiliser à cette procédure, l'utilisation de cette ordonnance étant inégale selon les départements. Nous devons réaliser un travail de formation, mais aussi d'évaluation de nos dispositifs, dont je souhaite pouvoir quantifier l'utilisation. En effet, j'ai constaté l'année dernière qu'il était très difficile d'affiner par département les données relatives à l'hébergement d'urgence, car les commissions départementales en charge de cette question ne comprennent pas toutes des déléguées aux droits des femmes, que ce soit au niveau départemental ou régional.
Aussi, Sylvia Pinel, ministre du Logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, et moi-même avons rédigé cette année une circulaire dont l'application permettra d'identifier précisément les places d'hébergement disponibles.
Bien que d'une manière inégale, les stages destinés à la prise en charge des auteurs de violences se développent sur notre territoire, dix tribunaux de grande instance (TGI) les mettant en oeuvre, notamment dans le département du Calvados. Les auteurs de violences, comme cela a été souligné, peuvent être aidés. L'enjeu est de prévenir la récidive.
Le décret d'application de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne permettra de renforcer les dispositions de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Concernant les établissements scolaires, j'ai signé en juillet, conjointement avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, une saisine du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) pour vérifier si la circulaire de 2003, concernant l'éducation à la sexualité, était bien appliquée dans tous les établissements scolaires ; cette éducation à la sexualité comporte différents aspects, parmi lesquels le respect entre les filles et les garçons et l'information des jeunes sur leurs droits. Elle vise aussi la sensibilisation à l'égalité. Un travail pédagogique est à mener sur le rapport à la violence et le développement dès le plus jeune âge de la relation à l'autre ; les conclusions du HCE|fh devraient être assorties de propositions et nous être communiquées début 2016.
En réponse à Claudine Lepage, je préciserai que l'extension en dehors du territoire français du dispositif de Garanties contre les impayés de pensions alimentaires (Gipa), expérimenté dans dix-neuf départements avant d'être étendu à partir du 1 er janvier 2016 à l'ensemble des départements métropolitains et d'outre-mer, fait l'objet d'une étude conjointe avec le ministère des Affaires étrangères.
J'ai décidé d'abonder à hauteur de 400 000 euros sur trois ans l'enquête nationale sur les violences subies et les rapports de genre (VIRAGE), qui n'avait pas été menée depuis plus de douze ans. Cette enquête, dont il faut souligner l'importance, permettra d'identifier les types de violences et leurs mécanismes. Les premiers résultats seront publiés courant 2016 ; compte tenu des spécificités des violences liées à l'insularité, un volet particulier, dédié aux territoires d'outre-mer, sera réalisé ultérieurement pour un coût de 25 000 euros.
Chantal Jouanno, présidente . - Je vous en remercie. Vous avez abordé le sujet des violences au sein des couples : il y a un an, la délégation a effectué un déplacement, dans le cadre de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes du 25 novembre, dans un centre qui accueille les hommes auteurs de violences. Ces hommes devraient pouvoir retrouver une vie normale, pour peu qu'ils soient soignés.
Marie-Annick Duchêne . - Pour traiter de la question de l'égalité filles et garçons à l'école, souvent mal comprise, il faudrait l'aborder sous l'angle du respect, essentiel, et former les enseignants : j'ai beaucoup de retours négatifs sur la manière dont cette question est actuellement traitée au sein des établissements scolaires.
Christiane Kammermann . - Je vous remercie de vos très intéressants propos, qui n'abordent cependant que peu le cas des Françaises résidant à l'étranger. Pendant les vingt années où j'ai été membre du Conseil supérieur des français de l'étranger, puis de l'Assemblée des français de l'étranger pour le Liban, l'Irak, la Jordanie et la Syrie, tant d'abominations m'ont été rapportées : femmes et enfants violés, tués, blessés ou enlevés... et je ne parle pas de ce que j'ai pu constater pendant la guerre au Liban !
Beaucoup de femmes françaises, ou qui le sont devenues, vivent hors de nos frontières. Cependant, jamais aucun des conseils consulaires auxquels j'ai assisté n'a abordé le sujet des femmes victimes de violences et à ma connaissance, il n'y a pas encore de conseils spécifiques consacrés à nos concitoyennes de l'étranger qui subissent ces violences. Je souhaiterais donc vraiment que ce point puisse être étudié par votre ministère, mais il y a urgence !
Pascale Boistard , secrétaire d'État chargée des Droits des femmes auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - L'égalité entre filles et garçons à l'école figure dès cette rentrée dans la formation initiale ou complémentaire des enseignants, comme l'a souhaité la ministre de l'Éducation nationale, afin que cette dimension soit prise en compte dans la pédagogie. Des outils sont mis à leur disposition pour leur permettre d'enseigner le respect et l'égalité entre les filles et les garçons.
Reste la question des manuels scolaires, dont certains ont encore récemment fait l'objet d'articles très critiques quant à leur contenu. Les éditeurs doivent respecter les programmes, mais ils ont une grande latitude quant à leur présentation. Les manuels sont utilisés pendant plusieurs années. Ceux qui sont utilisés actuellement ont été élaborés pour la période 2008-2015. Le prochain renouvellement en 2016 permettra de mieux prendre en compte l'égalité entre filles et garçons.
Je voudrais préciser que j'ai souhaité maintenir à moyens constants en 2015 les enveloppes attribuées aux déléguées régionales aux droits des femmes, ce qui représente 16 millions d'euros sur les 25 millions que je peux allouer. Il y a donc une stabilité des moyens budgétaires alloués à ce titre par l'État aux régions et aux départements.
Même si le Gouvernement agit déjà beaucoup par son réseau d'ambassades, il faut, comme vous le soulignez, Madame Kammermann, que l'on donne une lecture beaucoup plus précise de ce qu'il est possible de faire pour les femmes françaises vivant à l'étranger, afin qu'elles bénéficient également des dispositifs accessibles aux femmes qui vivent en France et puissent être protégées et soutenues par des représentants de la France.
Christiane Kammermann . - C'est pour cela qu'il est très important que des réunions d'information à destination des femmes françaises vivant à l'étranger soient tenues dans les consulats.
Pascale Boistard , secrétaire d'État chargée des Droits des femmes auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Il faut en effet embrasser tous les sujets qui intéressent les femmes françaises vivant à l'étranger.
À ce propos, les consulats et les ambassades portent une attention particulière à l'insertion professionnelle des femmes qui ont choisi de suivre leur mari à l'étranger. Je l'ai constaté au Japon ou au Brésil au cours des voyages que j'effectue pour promouvoir la France à l'étranger et qui me permettent aussi de découvrir des dispositifs originaux mis en place dans certains pays.
Chantal Jouanno, présidente . - Je rappelle que M. Courteau a rédigé l'année dernière au nom de la délégation un rapport d'information contre les stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires, étude qui s'est prolongée en début d'année 2015 par un rapport sur l'initiation à l'égalité par les jouets.
Venons-en maintenant à la deuxième lecture de la proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel par le Sénat. La commission spéciale chargée d'élaborer un texte s'est réunie hier, mercredi 7 octobre 2015. Le texte adopté abroge le délit de racolage et supprime la pénalisation des clients de personnes prostituées. Ce n'était probablement pas l'objectif premier partagé par les membres de la commission spéciale : ce texte aboutit de fait à une libéralisation du système prostitutionnel. Cependant, en séance publique la semaine prochaine, la proposition de loi pourra être amendée.
La commission spéciale a adopté l'article premier ter présenté par Michelle Meunier sur les dispositifs de protection des personnes prostituées en offrant une protection spécifique à celles qui contribuent par leur témoignage au démantèlement de ces réseaux. La question qui s'est posée lors de l'examen par la commission spéciale de ces dispositifs de protection des personnes portait sur le moment de leur mise en oeuvre : est-ce au début de la procédure, dès lors qu'une femme contacte les services de police pour dénoncer des faits d'exploitation sexuelle dont elle est victime, étant dès ce moment directement menacée ainsi que sa famille, ou bien est-ce seulement après une décision de justice définitive, comme cela pouvait être le cas auparavant ? Il me semble avoir été rassurée sur ce point, mais vous pourrez apporter des éclaircissements à la délégation. Vous pourrez également nous éclairer sur l'éternel débat sur l'efficacité de la pénalisation du client, qui fait l'objet d'études et de contre-études plus ou moins fiables, dont les conclusions peuvent être totalement opposées. Pour éclairer le débat, une synthèse de ces différentes études pourraient être transmise aux membres de la délégation ainsi qu'à ceux de la commission spéciale.
Michelle Meunier . - En tant que rapporteure de la commission spéciale, je tiens à saluer la présence ici de plusieurs de nos collègues commissaires et membres de la délégation, qui ont exprimé des votes courageux sur certains amendements, par-delà leurs appartenances politiques.
La réunion de la commission spéciale m'a laissé l'impression que certains de ses membres restaient figés dans des postures d'un autre temps, intransigeantes, à contre-courant du monde extérieur qui évolue. Pour rester sur une note positive, la commission spéciale a néanmoins adopté l'article premier ter , essentiel, qui facilitera l'obtention des informations et des témoignages utiles pour le démantèlement des réseaux prostitutionnels, tout en protégeant la personne prostituée par un statut assurant sa protection physique, une nouvelle domiciliation, des mesures de réinsertion ou la possibilité de bénéficier d'une identité d'emprunt.
Il faut aussi se réjouir que plusieurs amendements portant sur l'article 6 n'aient pas été adoptés.
Demeure la disposition essentielle que constitue la pénalisation du client, qui n'a pas été adoptée par la commission spéciale mais que nous tenterons de réintégrer par amendement lors du débat en séance publique.
Le texte adopté par la commission spéciale doit nous inviter à être présents lors de l'examen du texte en seconde lecture le 14 octobre pour défendre cette proposition de loi qui est un élément déterminant de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Laurence Cohen . - Outre le fait que différentes études, comme le relevait Chantal Jouanno, apportent des conclusions différentes, il me semble qu'un certain nombre de données erronées peuvent laisser à penser à certains de nos collègues que la pénalisation de l'acte sexuel tarifé va fragiliser la situation de la personne prostituée : de ce fait ils n'entendent pas les arguments en faveur de la pénalisation.
L'argument selon lequel la prostitution a toujours existé continue d'être développé par les opposants à la pénalisation. Je me réjouis de l'adoption de l'article premier ter : il faut saluer le travail législatif effectué, en lien avec les différents ministères, depuis la première lecture de la proposition de loi.
Le résultat du vote du Sénat demeurant incertain, il faut préalablement à l'examen du texte en séance publique veiller à ce que certaines conceptions de la prostitution, qui peuvent influer sur le vote, soient combattues en appuyant notre argumentation sur des propos cohérents et rassurants.
Maryvonne Blondin . - Certains de nos collègues s'interrogent notamment sur le fait que disposer librement de son corps permette de vendre un acte sexuel.
Pascale Boistard , secrétaire d'État chargée des Droits des femmes auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - La position du Gouvernement sur cette proposition de loi est constante. Nous soutenons depuis le début que les personnes prostituées doivent être considérées non plus comme des délinquantes mais comme des victimes, étant donnée la réalité actuelle de la prostitution, notamment dans notre pays. Nous soutenons aussi qu'un accompagnement social sur la base du volontariat doit permettre de lutter contre les filières mafieuses qui génèrent d'importants profits, la traite de ces victimes alimentant les ramifications du crime organisé.
Le texte adopté par la commission spéciale le 7 octobre, même si je n'ai pas à juger du travail du Sénat, crée un déséquilibre ; si le texte qui sera adopté en séance publique le 14 octobre prochain est identique à celui que propose la commission, cela constituera une invitation au développement du système prostitutionnel, comme on peut le constater dans certains pays limitrophes.
Même si le délit de racolage n'a pas permis d'atteindre l'objectif de démantèlement des réseaux prostitutionnels, de nouveaux outils sont à développer pour lutter contre la réalité de la prostitution qui sévit aujourd'hui dans notre pays.
Le Gouvernement écoute les débats et les préoccupations qui peuvent se faire jour pour aboutir à un texte équilibré. Des réunions pilotées par mon secrétariat d'État avec les présidents des deux commissions spéciales, les deux rapporteures, les ministères de la Justice et de l'Intérieur ont permis de définir des points d'équilibre au travers de différents articles, et notamment la rédaction de l'article premier ter dont vous parliez, qui permet de renforcer la protection des personnes prostituées s'engageant à témoigner pour permettre le démantèlement de filières mafieuses de prostitution dont on connaît la violence.
J'entends vos interrogations légitimes quant aux conclusions divergentes des diverses études qui ont été réalisées sur le système prostitutionnel, mais je suis convaincue de la pertinence des études commandées par le Gouvernement. Je demeure réservée sur certaines références citées dans l'hémicycle : l'impartialité de ces études me semble sujette à caution.
La question de la prostitution peut conduire à des débats passionnels, mais je ne doute pas que la raison régnera dans l'hémicycle le 14 octobre prochain, lors du vote du Sénat, quelles que soient les opinions des uns et des autres. Le débat sera, j'en suis certaine, serein et respectueux.
Le vrai sujet, au-delà de la diversité des points de vue qui peuvent prospérer sur la prostitution, demeure la situation de ces femmes, en danger de mort sur notre territoire, et dont les familles, ne l'oublions pas, sont aussi en danger dans leurs pays d'origine.
La France défend des valeurs depuis de longues années au niveau international ; elle est sur le point de les mettre en oeuvre sur son territoire pour résoudre cette question de la prostitution, dont les enjeux dépassent nos seules personnes et invitent à l'humilité. Ce débat répond aussi, je voudrais le rappeler, à une demande de la société civile.
Maryvonne Blondin . - Un grand débat sur les migrations se déroule actuellement en Europe car une partie des femmes enlevées par Daech, Boko Haram ou d'autres organisations, sont vouées à l'esclavage sexuel et arrivent sur notre territoire. On ne peut laisser faire et cela dépasse les frontières de notre pays, c'est un problème mondial. Le Président de la République l'a bien exprimé lors de son discours à l'ONU ; les instances européennes sont dans la même logique. Le Conseil de l'Europe, au sein duquel 47 pays sont représentés, a beaucoup débattu, lui aussi, sur les migrations et la lutte contre la traite des êtres humains. José Mendes Bota, membre du Conseil de l'Europe, a publié en 2014 un travail remarquable sur la traite des êtres humains et la prostitution. Je m'interroge sur le manque de cohérence dans leur vote au Sénat de certains collègues qui, également membres de la délégation parlementaire française auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ne peuvent donc ignorer ces travaux sur la traite.
Chantal Jouanno, présidente . - Madame la ministre, je vous remercie.
Audition de Catherine Coutelle, présidente de la
délégation
aux droits des femmes de l'Assemblée
nationale
(19 mai 2016)
Présidence de Brigitte Gonthier-Maurin, vice-présidente
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, co-rapporteure pour cette même délégation, du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s.
Ce rapport est intitulé « Femmes et droit du travail : pour de nouveaux progrès ».
Je remercie chaleureusement Catherine Coutelle d'avoir accepté notre invitation et j'excuse notre présidente Chantal Jouanno, empêchée d'être parmi nous ce matin.
Notre délégation n'est pas saisie de ce projet de loi. Néanmoins, au regard de ses enjeux, il est important que nous puissions faire le point sur les avancées réalisées à l'Assemblée nationale sur ce texte, afin d'être en mesure d'intervenir en séance publique.
Je rappelle que le projet de loi « travail » est particulièrement large puisque :
- son titre premier est consacré à la refondation du droit du travail ;
- son titre II contient des dispositions relatives à la négociation collective, qui a trait notamment à la question du temps de travail ;
- son titre III traite de la sécurisation des parcours professionnels et de la prise en compte du numérique dans le modèle social ;
- son titre IV contient des dispositions dédiées à la promotion de l'emploi, notamment dans les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) ;
- son titre V procède à une réforme de la médecine du travail.
Autant de sujets qui appellent une vigilance particulière pour garantir l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Souvenons-nous par exemple que les femmes occupent aujourd'hui 80 % des emplois à temps partiel, et que les salaires des femmes sont encore environ 19 % inférieurs à ceux des hommes. Et je ne parle pas des retraites !
La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale a réalisé un travail remarquable sur ce texte, à travers un rapport d'information très complet, assorti de trente recommandations dont le texte vous a été distribué.
Celles-ci concernent notamment les principes essentiels du droit du travail, la négociation collective sur l'égalité professionnelle, le temps partiel, le compte personnel d'activité, ainsi que les discriminations et agissements sexistes au travail.
Certaines de ces recommandations ont donné lieu à l'adoption d'amendements par la commission des affaires sociales de l'Assemblée. Toutefois, d'autres amendements n'ont pu être défendus par la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée en séance publique. Y aurait-il à cet égard une marge de manoeuvre possible au Sénat ?
Je rappelle que l'Assemblée nationale a achevé l'examen du texte le 12 mai, après que le Gouvernement a engagé sa responsabilité sur le texte en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Pour sa part, le Sénat examinera le projet de loi en séance publique à compter du 13 juin, après son examen par la commission des affaires sociales début juin.
Madame la présidente, nous avons souhaité vous entendre en premier lieu, afin que vous nous éclairiez sur vos travaux.
Sur quoi faire porter nos efforts communs ?
Je vous donne donc sans plus tarder la parole.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Nous nous sommes saisis du texte, dont la première version nous avait beaucoup inquiétés. Heureusement, il a évolué dans un sens plus favorable depuis. Par exemple, le patron ne pourra pas imposer son point de vue puisqu'il faudra un accord majoritaire dans les PME et, pour les TPE, l'accord du mandataire. Une disposition introduite par amendement prévoit même que la branche vérifie la conformité d'un accord signé par un mandataire, afin d'éviter que celui-ci ne se sente contraint, et aussi pour ne pas créer de distorsions de concurrence. Comme les femmes sont nombreuses dans les TPE, nous y sommes particulièrement attentifs.
Dans le cadre de notre travail, nous avons reçu des associations féministes, des experts, des organisations syndicales de salariés et d'employeurs ; seul le Medef, pour la deuxième fois, n'a pas répondu à notre invitation, considérant qu'il lui suffisait de se rendre devant la commission des affaires sociales : je l'ai évoqué publiquement.
La réflexion du Conseil Supérieur de l'Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) nous a été très utile. Nous demandions d'ailleurs par amendement que le CSEP soit reconnu par la loi, ce que nous n'avons pas obtenu.
Nous ne voulons pas d'une réforme à droit constant mais à droit amélioré, car les femmes sont les premières victimes des inégalités professionnelles. En tous cas, nous souhaitons qu'on ne revienne pas sur les acquis obtenus par nos délégations dans le texte sur la formation professionnelle, celui sur la transposition de l'Accord national interprofessionnel (ANI) ou dans la loi du 17 août 2015 79 ( * ) relative au dialogue social et à l'emploi dite loi « Rebsamen ».
Par exemple, nous avions obtenu que dans la transposition de l'ANI, la durée standard du temps partiel soit de 24 heures, en prévoyant des exceptions qui devaient faire l'objet de négociations dans les branches. Or, plus de 24 branches ont dérogé à cette durée standard, en la réduisant jusqu'à deux heures ! L'inversion de la hiérarchie des normes en droit du travail 80 ( * ) n'est donc pas forcément un scandale...
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Qui recueille ces accords de branches ?
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Ils résultent d'une négociation paritaire. Dans les commerces de chaussures, la durée minimale a été réduite à vingt-et-une heures ; pourquoi ? Les cabinets médicaux, ainsi que les laboratoires d'analyse médicale, ont opté pour seize heures. Dans les sociétés coopératives d'habitations à loyer modéré (HLM), on arrive à deux heures, sans doute pour certains emplois de nettoyage. La femme qui accepte cela n'en est pas moins soumise à de longs déplacements... Dans l'immobilier, on est descendu à huit heures.
Hélène Conway-Mouret . - Cela ne facilite-t-il pas la reconnaissance d'un statut d'employé, avec un minimum d'heures ? S'il n'y a pas 24 heures à faire, ces dérogations permettent de créer tout de même un emploi.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Nous avions imposé que, si le temps de travail est inférieur à 24 heures, l'employeur le regroupe dans la semaine. Cela ne correspond pas aux besoins de la grande distribution, qui demande souvent une disponibilité de 35 heures pour vingt heures de travail. Bien sûr, les services à la personne ne sont pas concernés. Mais les services hospitaliers, si ! J'ai rencontré un homme de 35 ans qui n'avait que des contrats d'une semaine dans un établissement de soins, à Noël, autour du 31 décembre ou pendant les vacances scolaires.
Hélène Conway-Mouret . - Je comprends, mais l'on peut aussi voir ces courtes durées comme un moyen d'entrer sur le marché du travail.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Notre délégation a souhaité rendre le temps partiel le plus cher possible, pour dissuader les abus. Pour autant, nous savons bien que le monde du travail exige de la souplesse. Une fleuriste m'a ainsi expliqué qu'elle avait besoin de faire travailler ses employés 45 heures la semaine de la fête des mères, et quinze heures la suivante. Pourquoi pas ? Nous ne devons pas défendre une rigidité absolue. Mais trop souvent, les femmes sont la variable d'ajustement dans les négociations. On me l'a dit dans le secteur médico-social. Aussi ne suis-je pas nécessairement effrayée par l'inversion de la hiérarchie des normes : les syndicats ne sont pas toujours assez mobilisés sur la question de l'égalité professionnelle.
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous avons besoin de marges de manoeuvre. Actuellement, la loi est le fondement de la protection pour tous. Une vérification par branche est prévue...
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Il s'agit là d'un amendement de Christophe Sirugue, le rapporteur du texte, qui n'a pas été retenu, je crois. Le problème est que nous voulons tout mettre dans la loi. Or le Gouvernement mise sur la négociation - sachant que le patron ne pourra rien imposer. En l'absence d'accord, un supplétif est prévu, qui fixe des limites. Pour le temps de travail, par exemple, on peut négocier de monter jusqu'à 48 heures, voire 60 heures. Si aucun accord n'est trouvé - certains syndicats ne sont pas toujours en phase avec leurs mandants - le supplétif s'applique. Nous sommes tentés de mettre plus dans la loi que dans le supplétif. Le Gouvernement, lui, considère que la France est assez mûre pour donner plus de marge à la négociation.
Hélène Conway-Mouret . - Cela renforcerait le rôle des syndicats, qui en ont bien besoin.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Nous avons modifié l'intitulé du projet de loi, en imposant la graphie « actif-ve-s », malgré un amendement du Front national et un de la droite, qui affirmaient que, selon l'Académie française, le masculin était neutre et devait de ce fait l'emporter...
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Pour ma part, je suis très favorable à cette formulation, surtout après les remarques récentes de notre collègue Jean-Louis Masson contestant, en séance publique, le bien-fondé de notre travail sur la traite des femmes...
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Nous avons aussi introduit la parité dans la commission de refondation du code du travail prévue à l'article 1.
Sur le harcèlement sexuel au travail, les syndicats ont fait valoir qu'ils avaient du mal à porter ces affaires devant la justice car la charge de la preuve est difficile à apporter. Nous l'avons donc alignée sur le harcèlement fondé sur une discrimination : le plaignant n'a à apporter que des « éléments de fait », et c'est l'employeur qui doit prouver qu'il n'y a pas discrimination.
Nous avons aussi obtenu que les Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) participent à la prévention des agissements sexistes. Nous nous efforçons également d'inscrire cette préoccupation dans le Règlement intérieur de l'Assemblée nationale...
De plus, nous avons prévu l'obligation pour l'employeur de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à la personne licenciée à la suite d'un traitement discriminatoire ou d'un harcèlement moral ou sexuel. Nous avions fixé un plancher d'un an de cotisations.
Nous demandons par ailleurs au Gouvernement d'établir un bilan des accords de branche prévoyant des dérogations aux 24 heures. Il pourra aussi préciser qui négocie ces dérogations.
Nous avons entre outre supprimé la possibilité de ne négocier que tous les trois ans lorsque l'entreprise n'est pas couverte par un accord. Le Gouvernement estimait qu'il suffisait que les entreprises se soient dotées d'un plan, mais ce dernier est établi de manière unilatérale par l'employeur, alors que l'accord doit être signé par les salariés.
Enfin, le compte personnel d'activité (CPA) est une avancée, puisqu'il marque le début de la « flexi-sécurité ». Mais le compte personnel de formation (CPF) doit s'adapter au fait que les personnes qui travaillent à temps partiel sont souvent celles qui ont le plus besoin de formation. Un accord collectif, ou une décision de l'employeur, permettront d'abonder le CPF. Le Gouvernement a d'abord dit que cela ne serait pas financé ; mais il prévoit un CPF pour les décrocheurs et les chômeurs...
Maryvonne Blondin . - Qui paiera ? L'Unedic ?
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Nous n'avons pas précisé qui devrait payer. Et nous avons écrit « peut prévoir »... Il est vrai que nos premiers amendements demandaient 50 %, puis 30 %. Il faut revenir à la charge.
Anne Emery-Dumas . - L'employeur peut déjà prendre une telle décision.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Il faut sensibiliser les négociateurs, aux yeux de qui les femmes ne sont pas prioritaires. Nous avons même parfois à les encourager...
Nous avons également introduit dans ce texte une proposition de loi que nous avions adoptée sur le licenciement des femmes enceintes.
De surcroît, avant la loi du 17 août 2015, il existait un rapport de situation comparée, à partir duquel l'employeur devait faire des propositions pour l'égalité professionnelle. Une consultation faisait référence à ce rapport de situation comparée, puis une négociation aboutissait à un accord, ou bien l'employeur faisait un plan. La loi « Rebsamen » d'août 2015 introduit la base de données économiques et sociales (BDES), mais inverse l'ordre des discussions et des négociations. Nous avons demandé une simplification, sans succès. Espérons que le Sénat y parvienne !
Nous demandons aussi que les syndicats bénéficient d'un expert en égalité professionnelle payé par l'employeur même dans les entreprises de moins de 300 salariés - mais de plus de 50 salariés. La commission ne m'a pas suivie sur ce point. Nous avions toutefois réintroduit dans les trois négociations obligatoires l'égalité entre les hommes et les femmes. Les syndicats commencent à s'en saisir : ce n'est pas le moment de brouiller le message !
Je veux bien que certains emplois doivent faire face à des pics d'activité suivis de périodes beaucoup moins intenses. Dans ce cas, mieux vaut du temps partiel que le chômage. En même temps, il y a des personnes, et en particulier des femmes, à qui l'on demande d'être « hyper-flexibles », avec des horaires variables et des contrats courts.
Il est question de pouvoir réduire à trois jours le délai de prévenance. Or, ces personnes doivent dans ce cas organiser par exemple l'accueil de leurs enfants pendant les vacances. Imaginez la complexité induite, notamment pour des personnes divorcées, quand les dates de vacances résultent d'une décision du juge ! N'ajoutons donc pas à toutes leurs contraintes une réduction du délai de prévenance, qui doit rester fixé à sept jours dans la loi.
Maryvonne Blondin . - Cela ne se passe pas ainsi dans les hôpitaux...
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Le Gouvernement souhaiterait faire figurer ces dispositions sur les délais de prévenance dans le supplétif. Nous trouvons plus protecteur de les inscrire dans la loi.
Anne Emery-Dumas . - Pourtant, c'est aussi protecteur dans un cas que dans l'autre...
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Sans doute. Par ailleurs, nous avions obtenu que les heures complémentaires soient payées avec une majoration de 10 % pour le premier dixième, puis avec une majoration de 25 % jusqu'à un tiers de temps supplémentaire. Le Gouvernement est prêt à fixer 10 % pour toutes les heures complémentaires s'il n'y a pas d'accord. Nous demandons le maintien des 25 % au-delà du premier dixième. Le temps partiel concerne surtout des femmes.
Anne Emery-Dumas . - En somme, vous demandez l'application stricte du droit actuel.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Oui. Nous avons aussi demandé que le mandat syndical ne soit pas limité par le temps partiel, et que les négociateurs bénéficient de formations spécifiques à l'égalité professionnelle.
Enfin, les maladies professionnelles des femmes sont sous-estimées, et leurs accidents du travail connaissent actuellement la plus forte augmentation. Ils sont souvent liés aux déplacements. Le temps partiel y contribue sans doute... Il faudrait probablement, par ailleurs, revoir la classification des métiers, car les métiers masculins sont plus facilement reconnus comme pénibles et mieux valorisés.
Un autre sujet : la transformation du métier de caissière ne semble pas toujours bien vécue car il s'effectue désormais souvent debout, et consiste davantage à exercer un contrôle.
Quant au télétravail, je ne pense pas qu'il soit favorable aux femmes. Le Centre Hubertine Auclert a ainsi constaté qu'il suffisait à un cadre, quand c'est un homme, d'annoncer qu'il pratiquerait le télétravail, sans avoir de doute sur la perception de cette demande, alors qu'une femme se sent contrainte d'en solliciter l'autorisation, car pèse sur elle, semble-t-il, le soupçon qu'elle ferait cela pour s'occuper de ses enfants.
Maryvonne Blondin . - Le Conseil général du Finistère a mis en place le télétravail il y a quelques années, en demandant toutefois qu'une pièce lui soit dédiée au domicile et que les personnes concernées restent joignables par téléphone aux horaires de bureau. Cela répondait à une demande de plusieurs employés, qui habitaient loin de leur lieu de travail ou avaient des enfants en bas âge. L'expérimentation a été conduite avec des salariées volontaires, qui ont demandé à se voir confier des travaux précis, qu'elles devaient restituer en rentrant. En fait, le télétravail ne s'est pas répandu autant que je le craignais, car il génère un sentiment d'exclusion du service et n'est pas sans effet sur la cohésion des équipes.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Certes, il ne faut pas de télétravail à temps plein. Le texte crée un droit à la déconnexion, qui entrera en vigueur en 2017 pour tous. En Lozère, des expériences de télétravail ont été conduites pour des secrétaires, qui habitaient loin de leur bureau. Celles-ci ont fini par demander à être regroupées, pour éviter l'isolement. Dans les Deux-Sèvres ou en Vendée, nous avons un large tissu d'entreprises textiles. Des études ont montré que le travail à façon à domicile était un véritable esclavage. Cela dit, au cours de la vie, on peut avoir besoin de rythmes différents de travail.
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous souhaitons tous accroître la sécurisation des parcours, et cela implique d'éviter absolument le chômage et la précarité.
Anne Emery-Dumas . - Méfions-nous : interdire le télétravail peut conduire au développement d'un auto-entreprenariat de façade.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - La loi Aubry 2 créait une obligation de négociation sur la qualité de vie au travail. Un salarié qui est mieux dans sa vie personnelle est plus performant au travail. Je suis très opposée au présentéisme à la française. Au Canada, si vous n'êtes pas parti à 17h, c'est que vous n'êtes pas efficace. Chez nous, les pères ne prennent pas leurs congés de paternité !
Maryvonne Blondin . - Nous devrions nous inspirer de ce que font les pays scandinaves.
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Il y a l'inverse. Nous avons visité les bureaux en open space de Facebook et Google, qui sont très confortables et sympathiques - il y a même une salle de sieste - mais vous êtes astreints à un rendement élevé.
Maryvonne Blondin . - Madame la présidente, avez-vous évoqué l'égalité salariale ?
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - La base est la négociation dans l'entreprise ; c'est pourquoi nous avons demandé un expert, au-delà du seuil de cinquante salariés, qui fournisse des éléments de négociation. Un grand nombre de salariés ne perçoit pas l'existence d'inégalités salariales, qui apparaissent notamment lors de l'étude des primes. On ne peut négocier que lorsqu'on a une vision précise de la situation. Or sans données sexuées, pas de preuve de ces inégalités. La négociation a été notre cheval de bataille.
Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Qu'en est-il des familles de métiers ? Les femmes sont concentrées dans douze familles.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Nous avons travaillé sur la classification. Le Défenseur des droits a publié un rapport très intéressant intitulé Un salaire égal pour un travail de valeur égale . Suivant la loi du 4 août 2014, les partenaires sociaux devront remettre un rapport sur la révision des catégories professionnelles et des classifications. L'économiste Rachel Silvera a évoqué les discriminations véhiculées par les classifications professionnelles.
Maryvonne Blondin . - Nous avions inscrit des quotas favorisant la présence des femmes dans les postes de direction.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Nous avons récemment dressé un bilan sur la haute fonction publique. Les réseaux de femmes font évoluer la situation.
Maryvonne Blondin . - Beaucoup reste à faire dans le secteur de la culture. Je tente d'y sensibiliser la présidente de la commission de la culture. Un autre secteur concerné, sur lequel je travaille dans le cadre du Conseil de l'Europe, est l'armée. Le plafond de verre y est très présent.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - L'armée française, avec 15 % de femmes, est l'une des plus féminisées. L'explication que nous donne la hiérarchie pour expliquer qu'elles n'y exercent encore que peu de responsabilités est qu'elles y sont entrées récemment.
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Qu'en est-il de la médecine du travail ?
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Nous avons travaillé sur ce sujet dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé. Les accidents du travail, s'ils restent moins courants chez les femmes, augmentent davantage actuellement, comme je l'ai dit tout à l'heure. Nous l'expliquons entre autres par l'importance du temps partiel, et donc des trajets.
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Qu'en est-il des dispositions concernant la visite médicale ?
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Ce point rejoint la classification des métiers féminins, qui sont des métiers pénibles, mais dont la pénibilité n'est pas reconnue.
Éliane Giraud . - Certains métiers qui ne sont pas classés en pénibilité permanente comportent des tâches pénibles, comme, pour une infirmière, soulever une personne de 130 kilos... J'ai eu à me pencher sur le cas de dames de service dans une école. J'ai résolu le problème en demandant à leur chef, un homme, d'effectuer leur travail pour qu'il constate par lui-même sa pénibilité. Au bout de quinze jours, il m'a dit que c'était un travail impossible. Quand des femmes sont confrontées à des tâches difficiles, elles se sentent en échec. Cette question sournoise a un impact fort sur les femmes.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - Les éviers des cantines sont très creux et très bas. Les femmes qui font la vaisselle ont mal au dos. L'ergonomie au travail est essentielle.
Maryvonne Blondin . - Des améliorations sont apportées, dans les collectivités territoriales.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - J'ai visité une chaîne de montage de compteurs Linky . L'ergonomie au travail a été pensée. Il ne suffit pas de regarder quelqu'un réaliser une tâche, il faut en faire l'expérience.
Les femmes sont arrivées, dans les années 1970, dans un monde du travail pensé par des hommes pour des hommes.
Maryvonne Blondin . - Le monde militaire a été conçu par et pour des hommes.
Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale . - On constate que la donne change au-delà de 30 % de présence féminine dans un secteur, notamment en matière d'agissements sexistes.
Anne Emery-Dumas . - Le plus difficile est que tous les préjugés à l'encontre des femmes ne sont pas nécessairement conscients et que la perception claire des inégalités professionnelles s'en ressent.
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Merci.
Audition de Brigitte Grésy, secrétaire
générale du Conseil supérieur
de
l'égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes
(2 juin 2016)
Présidence de Chantal Jouanno, présidente
Chantal Jouanno, présidente . - Mes chers collègues, dans la continuité de l'audition de Catherine Coutelle le 19 mai dernier, qui nous a présenté les travaux de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s, nous entendons ce matin Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP).
Je remercie Brigitte Grésy d'avoir accepté notre invitation.
Le CSEP a en effet rendu, début mars, un avis sur ce projet de loi. Nous aimerions savoir quelles étaient les principales remarques et préoccupations du conseil en matière d'égalité professionnelle au regard de ce texte. Nous aimerions aussi profiter de cette audition pour recueillir votre avis sur le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Quels ont été les apports du texte voté à l'Assemblée nationale, au regard de l'avis rendu par le conseil ?
Enfin, nous souhaiterions que vous nous indiquiez les perspectives d'amélioration du texte en vue de son examen par le Sénat.
Vous avez la parole.
Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) . - Je souhaite tout d'abord remercier les sénatrices et les sénateurs car c'est grâce à vous que la disposition nouvelle concernant l'agissement sexiste a été intégrée dans le code du travail à l'article L. 1142-2-1. Dans la lignée du rapport du CSEP sur le sexisme dans les relations de travail, il est très satisfaisant que soit enfin identifiée la notion de sexisme dans le code du travail pour couvrir tout ce qui n'était pas déjà visé par notre droit, comme le harcèlement sexuel et l'agression sexuelle.
Des amendements importants ont déjà été adoptés lors de la première lecture du texte à l'Assemblée nationale. La lutte contre les agissements sexistes est ainsi confortée puisque leur prise en compte est maintenant intégrée dans le règlement intérieur de l'entreprise, mais aussi dans le plan de prévention de l'employeur. De plus, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a désormais la possibilité de proposer des actions de prévention en matière d'agissements sexistes. L'enrichissement apporté par ces dispositions est central pour le CSEP. Toutefois, nous souhaitons approfondir encore cette notion car les conditions du débat à l'Assemblée nationale n'ont pas permis que soient retenues toutes les dispositions concernant l'égalité professionnelle. De plus, il reste à mon avis à rendre plus cohérente la procédure de négociation sur l'égalité professionnelle.
Parce que c'est un élément essentiel, je voudrais commencer par l'agissement sexiste. Le travail juridique sur cette notion, en effet, n'est pas terminé, notamment au regard d'une disposition centrale consistant à l'extension à l'agissement sexiste du régime de preuve applicable à tous les motifs de discrimination. Aujourd'hui, l'article 20 de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi 81 ( * ) , dite loi Rebsamen, a intégré au code du travail la notion d'agissement sexiste, qui existait déjà à l'article 1 er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations 82 ( * ) .
Il est important de mentionner cette dernière, car elle contient un certain nombre de dispositions qui, de facto , peuvent s'appliquer à l'agissement sexiste. Encore faudrait-il cependant bien en repréciser certains points. Dans le cadre actuel, la victime ne doit présenter que des éléments de fait et non pas faire la preuve qu'il y a eu atteinte à sa dignité. Le projet de loi Travail harmonise, dans son article 1 er bis (nouveau), la rédaction du régime de l'aménagement de la preuve entre la discrimination, pour laquelle la victime doit « présenter des éléments de fait », et le harcèlement sexuel et moral, pour lequel la victime « doit établir des faits qui permettent de présumer ».
Nous souhaiterions très précisément que le code du travail, dans son article L. 1144-1, poursuive cette harmonisation en l'étendant à l'agissement sexiste, qui devrait lui aussi relever de la nécessité de « présenter des éléments de fait ».
Je propose aussi d'étendre la protection des salariés contre des mesures de représailles, qui existe dans le code du travail en matière de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, à travers des dispositions visant à protéger les personnes contre les mesures de rétorsion dont elles pourraient faire l'objet pour avoir subi, refusé de subir ou pour avoir témoigné ou relaté des faits de harcèlement sexuel, de discrimination ou de harcèlement moral. Il est souhaitable d'élargir cette protection à l'agissement sexiste pour que personne ne puisse être sanctionné pour avoir subi ou refusé de subir des agissements sexistes ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, y compris lorsque l'agissement sexiste n'est pas répété. Il s'agirait de transposer à l'agissement sexiste ce qui existe déjà en matière de harcèlement.
Ma troisième proposition porte sur la nullité des actes contraires aux dispositions relatives à l'interdiction de tout agissement sexiste. Il faudrait par exemple qu'une action disciplinaire prise par un employeur à l'égard d'un salarié ayant témoigné d'agissements sexistes, si elle est contestée devant une juridiction et jugée discriminatoire, puisse être considérée comme n'ayant jamais existé.
À notre sens, il manque donc aujourd'hui dans le projet de loi trois dispositions concernant les agissements sexistes : l'une sur le régime de preuves, l'autre sur l'impossibilité d'organiser des représailles contre les personnes qui ont témoigné contre des agissements sexistes, et la dernière sur la nullité des actes contraires à l'interdiction de tout agissement sexiste.
Reste à étudier le régime de la sanction et de la réparation. En entreprise, la sanction peut être d'abord disciplinaire de la part de l'employeur à l'encontre de l'auteur des actes sexistes. La réparation, quant à elle, passe par la mise en cause de la responsabilité civile de l'employeur. Aucune sanction pénale n'est prévue puisque l'agissement sexiste n'existe pas dans le code pénal. De facto , s'appliquent le régime de la sanction disciplinaire qui peut aller jusqu'au licenciement de la personne qui commet des actes sexistes, et la réparation qui met en jeu la responsabilité civile de l'employeur.
L'employeur se doit de conduire une politique de prévention des faits qui peuvent être commis à l'encontre de ses salariés, et c'est à ce titre que sa responsabilité civile est engagée, sachant que l'affaire est alors portée devant les prud'hommes. Il existe donc aujourd'hui un régime de sanctions ad hoc , lié à la sanction des salariés et à la réparation due par l'employeur.
En matière de harcèlement sexuel, il faut savoir que très peu de condamnations sont prononcées au pénal. Il faut noter que le sexisme couvre un champ très large allant de l'agissement sexiste jusqu'au viol, sachant que 5 % des viols sont perpétrés dans l'entreprise elle-même. Très souvent, les faits de harcèlement sexuel sont requalifiés en faits de harcèlement moral ou sont plaidés comme tel par la victime, tant il est complexe pour elle, ensuite, de revenir sur son lieu de travail et de poursuivre son activité dans de bonnes conditions.
Toujours sur la question de l'agissement sexiste, je pense que le Sénat a vraiment ouvert une porte essentielle dans le cadre de l'examen de la loi relative au dialogue social et à l'emploi. Mais il faut poursuivre dans cette voie pour étendre la protection contre l'agissement sexiste aux fonctionnaires. Il faudrait donc compléter l'article 6 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dite loi Le Pors 83 ( * ) , de façon à interdire tout agissement sexiste. Le chapitre 2 de cette loi pose un certain nombre de garanties visant à protéger les fonctionnaires contre les discriminations, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel. L'idée est de faire figurer la notion d'agissement sexiste dans ce texte puisque la loi du 27 mai 2008, qui transpose plusieurs dispositions communautaires, et dont est tirée la notion d'agissement sexiste, s'applique à toute personne publique, et donc de facto aux fonctionnaires. Par conséquent, l'agissement sexiste pourrait être inscrit dans la loi de 1983 en reprenant la même formulation que celle utilisée dans le code du travail, c'est-à-dire en ces termes : « Aucun fonctionnaire ne doit subir d'agissement sexiste défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
Telles sont les propositions que nous faisons sur la question des agissements sexistes.
Je souhaiterais par ailleurs profiter de cette audition pour revenir brièvement sur des améliorations à apporter à des dispositions du code du travail issues de la loi Rebsamen. En effet, cette loi a profondément transformé tous les dispositifs relatifs à l'information des travailleurs, à la consultation et à la négociation et a donc eu des conséquences sur l'égalité professionnelle. Il faut savoir que la loi Rebsamen a retiré la notion de rapport de situation comparée (RSC) entre les hommes et les femmes et qu'un projet de décret relatif à l'information des instances représentatives du personnel (IRP) sera examiné au Conseil d'État très prochainement. Ce texte retient toute une série de dispositions issues de la loi Rebsamen et propose des avancées pour récupérer ce qui constituait la deuxième partie du rapport de situation comparée.
Ce dernier, tel qu'il existait, concernait les entreprises de plus de 300 salariés et se structurait autour de deux parties : d'une part, des données chiffrées, d'autre part, un plan d'action très important pour mettre en mouvement ces données chiffrées. Or la loi Rebsamen a supprimé le rapport de situation comparée. En soi, cette suppression n'est pas problématique puisqu'il y avait une forte confusion entre le plan d'action du rapport de situation comparée et le plan d'action unilatéral de l'employeur que ce dernier doit impérativement élaborer en cas d'échec de l'accord.
Je rappelle que la procédure de négociation sur l'égalité professionnelle s'articule autour de quatre phases : la construction des données chiffrées à faire figurer dans la base de données économiques et sociales (BDES) conformément à l'article L. 2323-8 du code du travail, la consultation du comité d'entreprise (CE), la négociation, et la sanction.
Cependant, le texte relatif à la phase de consultation est actuellement incompréhensible car il y est indiqué que la consultation doit s'opérer sur la base des données incluses dans la BDES mais également sur l'accord ou le plan d'action de la phase 3. Autrement dit, la consultation porte sur un document qui n'existe pas encore puisqu'il est issu de la négociation à venir.
Nous proposons donc de réintroduire la notion de stratégie d'action, plutôt que de plan d'action, à cet endroit du code du travail, tout en retirant la référence au plan d'action ou à l'accord, source de confusion. Il faudrait donc, pour que le dispositif prévu par le code du travail soit clair, que les quatre étapes, même l'étape de la sanction, fassent référence à la notion de stratégie d'action qui figurerait désormais à l'étape 2 de la consultation.
Il faudrait également que soit corrigée une référence erronée relative à la commission supérieure de l'égalité professionnelle, puisque le texte actuel fait référence à l'article L. 2323-57 qui correspond à l'ancien article relatif au rapport de situation comparée (RSC).
Ensuite, autre sujet très important : aujourd'hui, les PME ne négocient pas sur l'égalité professionnelle. En moyenne, 36 % des entreprises ayant déclaré un délégué syndical apte à négocier ont signé un accord. Ce taux atteint 85 % pour les entreprises de plus de 1 000 salariés et 63 % pour les entreprises employant entre 250 et 1 000 salariés. Il n'est que de 33 % pour les entreprises plus modestes. En outre, 80 % des mises en demeure et 80 % des pénalités visent les PME. Force est de reconnaître que ces entreprises n'arrivent pas aujourd'hui à négocier sur l'égalité professionnelle faute d'informations, et surtout en raison d'une complexité extrême des obligations qui leur sont demandées.
L'article L. 2325-38 du code du travail prévoit la possibilité, pour les entreprises d'au moins 300 salariés, de recourir à un expert en matière d'égalité professionnelle pour rédiger les données, les indicateurs, l'accord et le plan d'action en vue de préparer la négociation. Pour cela, il faut un accord entre l'employeur et la majorité des membres du comité d'entreprise. Le tribunal de grande instance est saisi en cas de désaccord. Nous souhaiterions que soit étendue aux PME la possibilité de recourir à un expert en matière d'égalité professionnelle, ce qui impliquerait de modifier l'article L. 2325-38 du code du travail pour que le seuil passe de trois cents salariés à cinquante salariés.
En outre, l'article 18 du projet de loi Travail ouvre de nouvelles possibilités de formation aux négociateurs. À ce même article, dans une logique d'approche intégrée de l'égalité professionnelle, il faudrait que soit ajoutée une disposition précisant que les formations communes dont sont susceptibles de bénéficier les salariés et les employeurs puissent comporter une formation spécifique à l'égalité professionnelle.
Cette modification me paraît vraiment très importante. Le CSEP mène actuellement un travail sur les formations à l'égalité. Or, on se rend compte que le marché de l'offre de formation est extrêmement éclaté, hétérogène et repose sur des fondements qui posent problème. En effet, certains organismes de formation véhiculent l'idée que femmes et hommes sont complémentaires, raison pour laquelle il convient de promouvoir la mixité. Il semble donc indispensable de travailler sur les valeurs essentielles et les principes clés sur lesquels fonder les formations à l'égalité professionnelle. De plus, il nous semble très important que non seulement les salariés, mais également les négociateurs eux-mêmes, soient formés aux enjeux de l'égalité professionnelle. C'est pourquoi je plaide pour que soit ajoutée cette précision de façon à ce qu'une formation spécifique à l'égalité professionnelle soit mentionnée, dans le cadre de la démarche intégrée de l'égalité.
Nous arrivons au chapitre relatif aux temps partiel, qui cristallise des oppositions fortes entre les organisations patronales et les organisations syndicales. Sur ce point, le CSEP n'a pas de mandat de ses membres. Dans leur ensemble, les organisations patronales - sauf la CGPME, qui estime que certaines dispositions sont trop complexes, notamment sur le compte personnel d'activité et la notion de référendum - sont plutôt favorables au projet de loi, après avoir regretté la présence du préambule et demandé son retrait, au motif qu'il pourrait induire une confusion des normes. Cela a été fait. Le MEDEF, de son côté, se prononce en faveur d'une flexi-sécurité à la française qui aménage à la fois la négociation et les accords au niveau de l'entreprise, tout en offrant des garanties de sécurité supplémentaires pour les salariés. La partie syndicale, de son côté, y est opposée. Leur objection tient à ce que les femmes sont certes entrées en masse sur le marché du travail (83 % des femmes âgées de 25 à 49 ans travaillent), mais que 80 % des salariés à temps partiel sont des femmes et que 30 % des femmes qui travaillent sont à temps partiel (contre 6 % des hommes). De plus, malgré le taux d'activité très important des femmes en France, il faut garder en mémoire que les deux tiers des salariés à bas salaires sont des femmes, et que ces dernières sont deux fois plus souvent au SMIC que les hommes.
Le marché du travail présente donc un paysage toujours plus contrasté, avec un essor des femmes cadres qui jouent le jeu de la mixité, mais un écart croissant entre les femmes cadres et les femmes non-cadres qui, elles, s'enfoncent dans la précarité. Je rappelle que la montée des femmes cadres est l'un des grands éléments de ce siècle. Ainsi, au cours des vingt dernières années, le nombre de femmes cadres a augmenté de 149 %, contre 49 % pour les hommes. Les avancées sont réelles concernant la prise de responsabilité des femmes.
Mais parallèlement à cette avancée indiscutable, la question qui se pose, au-delà de la question du chômage des femmes, est celle des travailleuses pauvres, puisque beaucoup d'entre elles se trouvent en situation de sous-emploi. Le temps partiel apparaît d'ailleurs comme le carrefour des inégalités entre hommes et femmes car il pose, d'une part, la question de l'articulation de la vie familiale avec la vie professionnelle, qui est encore loin d'être bien pensée, notamment dans les organisations de travail, mais aussi, d'autre part, la question de l'évolution du système productif, avec un changement profond de la structure des emplois et des formes d'emploi.
Ainsi, dans un certain nombre de branches, et notamment dans la restauration et dans le nettoyage, le temps partiel constitue un mode de gestion des emplois. « Faire des heures » devient la norme. J'insiste ici sur un message essentiel de l'avis du CSEP : le travail des femmes est très différent de celui des hommes, et on observe une absence de mixité sur le marché du travail. La mixité y est en fait un leurre. Aujourd'hui, seulement 12 % des emplois, qui représentent 17 % des salariés, sont mixtes, c'est-à-dire comprennent environ 40 % d'un sexe donné. On constate une stabilité très forte dans cette ségrégation des emplois. Concrètement, les femmes et les hommes n'occupent pas les mêmes emplois (fonctions « support » d'un côté, fonctions techniques de l'autre), avec des différences très fortes entre les métiers dits majoritairement féminins et ceux dits majoritairement masculins.
Fait très préoccupant, le seul secteur où l'on observe un glissement d'un secteur majoritairement féminin vers un secteur relativement mixte, est celui du numérique. Il y a encore vingt ans, il était majoritairement occupé par les femmes qui y exerçaient des postes d'opérateurs informatiques. À l'époque, faire du codage était considéré comme « faire de la dentelle » et assimilé à un métier féminin. Cela s'explique notamment par le fait que ce métier n'était pas lié aux mathématiques. 89 % des codeurs étaient alors des femmes. Avec l'avènement de la culture geek et l'essor de l'informatique comme domaine strictement masculin, nous avons assisté à l'éviction des femmes de ce secteur, parallèlement à une évolution des modes d'organisation dans un sens défavorable aux femmes. Celles-ci représentent aujourd'hui moins de 50 % des opérateurs informatiques. C'est l'un des rares métiers qui a évolué dans ce sens alors qu'il s'agit d'une branche porteuse d'emplois pour l'avenir. Dans la population des ingénieurs informatiques, les femmes sont très minoritaires et occupent 20 à 25 % des emplois.
On parle souvent du « plafond de verre », mais il convient également de parler des « murs de verre ». Les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes tiennent certes au temps partiel mais aussi aux différences de nature du statut (CDD versus CDI) et aux différences de secteurs. Je rappelle qu'il y a encore aujourd'hui une différence de salaire de 9 % qui reste inexpliquée. Il y a aussi la discrimination systémique, qui fait qu'un diplôme de femme vaut moins qu'un diplôme d'homme sur le marché du travail. C'est ce que l'on appelle le rendement différentiel des facteurs, suivant que l'on est un homme ou une femme.
Ces différences tiennent également à la classification des emplois. Force est de constater que les métiers majoritairement féminins sont moins valorisés que les métiers majoritairement occupés par des hommes. Les compétences portées majoritairement par des femmes valent moins que les compétences majoritairement exercées par des hommes. Le CSEP s'attelle aujourd'hui au chantier des classifications. Les organisations patronales ont récemment publié un document de méthodologie sur les classifications sur lequel nous nous appuyons pour essayer de dénicher les biais sexistes dans les grilles de classification actuelles, biais sexistes qui existent toujours au détriment des femmes. Vous connaissez cet exemple par coeur : porter une personne âgée dépendante n'est pas aussi fortement valorisé que porter un sac de ciment. Cela n'est pas considéré comme un signe de pénibilité. Pourtant, nous savons combien il est difficile et lourd de porter une personne qui ne peut pas se tenir, et nous connaissons l'impact sur la santé physique des travailleurs du secteur des services à la personne, qui sont à 90 % des femmes. Nous sommes ici face à un faisceau d'inégalités liées simplement à l'occupation du marché du travail. Donc, tout ce qui concerne le temps de travail affecte inégalement les femmes et les hommes.
Quatre amendements portés par l'Assemblée nationale concernent le temps partiel. Je rappelle à ce sujet qu'il existe une inégalité dans la mesure où les heures complémentaires ne sont pas payées dès la première heure au même niveau que les heures supplémentaires (taux de 10 % pour le dixième du temps de travail pour le temps partiel, contre un paiement dès la première heure pour le temps plein). À travers l'accord, le projet de loi risque d'induire une sorte d'étirement des possibilités de recourir à un moindre temps partiel que celui autrefois défini par la loi à raison de 24 heures. Donc, sur ce point, je suis très favorable à l'amendement de l'Assemblée nationale sur la question du taux de majoration des heures complémentaires. Je le dit néanmoins à titre personnel, n'ayant pas de mandat du CSEP pour le faire. Je fais la même remarque sur l'amendement relatif à la question de la limitation du nombre de crédit d'heures pour l'exercice du mandat d'un salarié à temps partiel. Enfin, concernant le délai de prévenance dans le cadre de la modification de la répartition de la durée du travail (trois jours au lieu de sept), il faut savoir que les femmes en feront les frais, car elles sont plus nombreuses à devoir jouer avec une organisation tendue de leur emploi du temps. Il faut donc en revenir à un délai de sept jours.
Ces dispositions doivent être soutenues d'un point de vue juridique, et pas seulement au regard de l'analyse économique qui consiste à dire que les femmes sont à 80 % à temps partiel. C'est aussi une analyse juridique, car il est clair que la notion de discrimination indirecte pourrait s'appliquer à l'ensemble d'entre elles. Le concept de discrimination indirecte vise des règles et des pratiques qui apparaissent neutres, mais qui produisent des effets plus défavorables sur un groupe que sur un autre. Globalement, les effets de ces mesures auront un impact plus fort sur les femmes que sur les hommes puisqu'elles sont plus nombreuses à travailler à temps partiel. Or, s'il est possible de recourir à un traitement différentiel si l'objectif recherché est légitime et s'il est mis en oeuvre de façon proportionnée, il n'est pas certain qu'il soit possible de faire la démonstration que les dispositions mentionnées sur le temps partiel sont effectivement légitimes et proportionnées.
La question de l'abondement du compte personnel de formation (CPF) pour les salariés à temps partiel, qui porte sur le volet sécurisation des salariés, nous semble aussi essentielle. En effet, l'article 21 du projet de loi prévoit la création du compte personnel d'activité (CPA) qui sera constitué du compte personnel de formation (CPF), du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et du compte d'engagement citoyen. Aujourd'hui, la mesure qui prévoit l'alimentation du compte personnel de formation en fonction des heures travaillées pour les salariés à temps partiel à l'article L. 6323-11 du code du travail conduit à une proratisation des heures de formation. Là encore, il nous semble que cet article pourrait constituer une discrimination indirecte à l'égard des femmes en matière d'accès à la formation, d'autant plus que les formations éligibles au CPF sont des formations qualifiantes qui nécessitent un nombre d'heures important. Cette disposition semble exclure de manière disproportionnée les travailleurs à temps partiel du bénéfice du droit au CPF. Pour dire que cette mesure prorata temporis poursuit un motif légitime, il faudrait savoir si la limitation du bénéfice d'un avantage en fonction des heures travaillées pourrait être objectivement justifiée par un coût financier très fort pour l'employeur. En tout état de cause, cette pratique semble quelque peu disproportionnée par rapport à l'objectif recherché. Nous souhaitons en conséquence que deux possibilités soient laissées au choix pour corriger cette inégalité, en prévoyant que les salariés à temps partiel bénéficient : soit des mêmes droits que les personnes à temps complet (24 heures par an), soit d'une majoration de 30 % du crédit d'heures annuel pour le porter à 15,6 heures.
Une telle mesure paraît d'autant plus nécessaire que nous n'avons aucune assurance que les entreprises ne demanderont pas à leurs salariés d'accepter des temps partiels portant sur un faible nombre d'heures travaillées. Dans certains accords, le temps de travail est même fixé à deux heures. Certes, il était déjà possible de déroger à la règle du contrat de 24 heures à la condition de prévoir des contreparties, mais force est de reconnaître que ces contreparties ne sont pas toujours réelles. La ministre a d'ailleurs demandé à la Direction générale du travail (DGT) de dresser un bilan des dérogations aux 24 heures pour le temps partiel. Ce bilan sera restitué début juillet dans le cadre du bilan annuel sur les accords réalisé par la DGT dans le cadre de la Commission nationale de la négociation collective. Nous pourrons en tirer des enseignements, mais disposer de ces informations dès aujourd'hui aurait permis de posséder des éléments factuels en vue de démontrer comment le temps partiel est fragilisé par ces mesures.
Je souhaite terminer mon exposé par deux éléments.
Il y a deux mois, le CSEP a présenté, avec le Haut conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh), un rapport d'évaluation de la loi Copé-Zimmermann 84 ( * ) . Il y est établi que les entreprises du CAC 40 et du SBF 120 parviendront à atteindre un ratio de 40 % du sexe sous-représenté dans leurs instances de gouvernance en 2017. Rappelons que toutes les entreprises de plus de 500 salariés ou réalisant un chiffre d'affaires ou un total de bilan supérieur à 50 millions d'euros sont soumises à cette loi, que ces entreprises soient cotées ou non. Si l'on atteint plus de 34 % de femmes dans les instances de gouvernance des sociétés du CAC 40, le taux de représentation du sexe sous-représenté se situe seulement autour de 13 % dans les sociétés non cotées. Cependant, je rappelle que la loi prévoit que, dans les conseils d'administration de huit membres et moins, la règle est différente : l'écart ne doit pas être supérieur à deux, ce qui offre une latitude puisqu'un conseil d'administration de quatre membres peut ne compter qu'une femme. Cela facilite les choses, et c'est aussi pour cette raison que beaucoup d'entreprises ont pris la décision de réduire la composition de leur conseil.
Ainsi, il faudrait compléter l'article L. 2323-8 du code du travail portant sur l'égalité professionnelle de façon à ajouter une donnée chiffrée concernant le pourcentage des hommes et des femmes dans les conseils d'administration, dans la base de données économiques et sociales (BDES).
En effet, il est aujourd'hui impossible d'obtenir cette donnée nulle part, sauf à passer en revue tous les rapports annuels de l'ensemble des entreprises, travail titanesque. En conséquence, nous ne pouvons pas plus appliquer la loi Copé-Zimmermann que la loi Sauvadet qui concerne les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) et les établissements publics administratifs (EPA). En l'état actuel, nous ne pouvons raisonner que sur la base d'un échantillonnage.
Je précise toutefois que cette nouvelle donnée ne serait pas soumise à la négociation puisque l'article L. 2242-8, qui en précise les domaines, ne vise pas celui de la gouvernance des entreprises au sens des conseils d'administration et de surveillance. Le décret d'application précisant les indicateurs retenus en fonction de la taille de l'entreprise ne devra pas non plus faire référence à cette donnée, d'autant que l'obligation imposée par la loi de janvier 2011 fait l'objet d'une sanction autonome qui a donc un statut juridique particulier. Mais la question de la gouvernance des entreprises dans les conseils fait partie des enjeux de l'égalité professionnelle et le lien avec les autres données est important à faire figurer dans la BDES.
Nous soutenons aussi un amendement très important de l'Assemblée nationale visant à faire relever le CSEP de la loi. Rappelons que notre conseil a été créé par la loi Roudy 85 ( * ) (article 17 de la loi du 13 juillet 1983). Cependant, en 2008, une ordonnance a déclassé le CSEP pour le placer au niveau du décret. Aussi, presque tous les ans, le Secrétariat général du Gouvernement pose la question de la pertinence du maintien du CSEP, comme d'ailleurs du maintien de toutes les instances dont l'existence relève d'un décret. Considérant qu'il est essentiel de maintenir une approche spécifique de l'égalité professionnelle, nous souhaiterions que le CSEP soit placé au niveau législatif, tout comme le sont, par exemple, la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) et le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CNEFOP). Pour cela, le CSEP devrait être cité dans le livre I de la première partie du code du travail, au titre IV relatif à l'égalité professionnelle, et dans le chapitre V dédié aux instances concourant à l'égalité professionnelle.
Voilà, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, une série de propositions concernant le projet de loi qui nous réunit ce matin. La lutte contre le sexisme étant aujourd'hui essentielle, je vous informe que le CSEP va lancer ce mois-ci une grande étude en direction des PME et des grandes entreprises sur les ressentis du sexisme auprès de la population non-cadre. Il faut absolument renforcer notre connaissance de ce phénomène. C'est un travail essentiel pour que les juges puissent à bon escient travailler sur les cas qu'ils auront à examiner et constituer une jurisprudence, comme ils l'ont fait pour le harcèlement moral. Il est également essentiel que les PME s'emparent du sujet de l'égalité professionnelle et que la négociation soit comprise de tous. Sur l'enjeu du temps partiel, nous allons également lancer une réflexion sur le droit communautaire, la discrimination indirecte et le temps partiel, qui examinera les mesures du projet de loi que je vous ai présentées.
Chantal Jouanno, présidente . - Merci infiniment. Je propose d'ouvrir le débat.
Corinne Bouchoux . - Avez-vous été entendue par la commission des affaires sociales du Sénat sur le projet de loi Travail ?
Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) . - Non. C'est la première fois que j'interviens au Sénat sur cette loi.
Corinne Bouchoux . - Il serait utile que les informations que nous avons entendues ce matin puissent être relayées auprès de toutes les familles politiques. Il serait essentiel de reprendre ces informations comme un fil conducteur de nos travaux à venir car nous nous situons ici au coeur de la problématique de notre délégation. Si ce constat d'inégalité professionnelle et de non-mixité du travail était connu et mieux partagé, par exemple parmi les sénateurs, je suis convaincue que nous avancerions plus vite. Certains se cantonnent dans un refus idéologique mais la majorité ignore de bonne foi ces inégalités. Or ils seraient sans doute disposés à travailler sur ces questions s'ils étaient mieux éclairés.
Marie-Pierre Monier . - Je vous remercie pour la qualité de votre intervention. Votre exposé a mis en lumière la mutation du secteur numérique mais ce sont en fait tous les métiers scientifiques qui sont touchés de plein fouet par la sous-représentation des femmes. Je voudrais ajouter un élément en tant qu'ancienne professeur de mathématiques. Dès le collège et le lycée, nous constatons un déficit de femmes dans les filières scientifiques. Il faudrait agir le plus tôt possible, dès la formation, afin que nous puissions attirer davantage de femmes vers ces métiers.
Chantal Jouanno, présidente . - En 2013, la délégation a présenté un rapport très complet sur l'égalité professionnelle, intitulé Femmes et travail : agir pour un nouvel âge de l'émancipation . Brigitte Gonthier-Maurin y avait soulevé notamment la question de la formation à l'égalité professionnelle, et la problématique des travailleuses pauvres. Il serait aussi intéressant d'étudier les différences de législations et réglementations entre les agents publics au sens large du terme, et les salariés du secteur privé. Nous partons du principe que les deux populations sont couvertes par les mêmes législations et réglementations mais je constate que ce n'est pas toujours le cas. Par exemple, en matière de harcèlement sexuel, le site du ministère donne des informations très précises et complètes pour ce qui concerne l'entreprise et les salariés de droit privé, mais ne dit rien sur le secteur public.
Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) . - De même, alors que la loi Copé-Zimmermann fixe un taux de 40 % du sexe sous-représenté dans les instances privées, ce taux de 40 % ne s'applique qu'aux flux dans les entreprises publiques, c'est-à-dire qu'il ne s'applique qu'aux primo-administrateurs sans s'appliquer au stock. Il conviendrait sans doute que les entreprises publiques soient davantage encouragées et que la sanction possible suscite l'intérêt à agir.
Chantal Jouanno, présidente . - Ayant dirigé un Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), je ne suis pas certaine que cette question soit suivie et que la sanction soit appliquée...
Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) . - De manière générale, nous constatons un réel déficit d'information concernant toutes les dispositions relatives à l'égalité professionnelle et à la protection des salariés, notamment dans les EPIC. De même, les PME sont en dehors des circuits d'information. Nous avons pourtant un site qui contient de nombreuses informations, mais elles ne le connaissent pas.
Concernant la mixité, ce qu'il faut présenter, ce sont des chiffres en synergie les uns avec les autres. C'est ce lien qui fait sens. Il faut démontrer les avancées réelles mais aussi les poches de résistance et les régressions dues à des causes bien identifiées. Ces situations tiennent à la structure même du marché du travail. Au niveau macroéconomique, la segmentation des secteurs et des emplois joue sur les inégalités. Au niveau microéconomique de l'entreprise, également, les conditions de travail, l'organisation du travail et la gestion du temps de travail portent totalement atteinte au principe d'égalité professionnelle, qu'elles rendent impossible. Au-delà, il convient aussi de traiter le sujet de la porosité entre la sphère publique et la sphère privée. Pour traiter pleinement le sujet, il nous faut donc adopter une approche systémique. Lorsque l'on sait que, à la naissance d'un enfant, 40 % des femmes modifient leur trajectoire professionnelle contre 6 % des hommes, on a tout compris de la question des inégalités. Pour parvenir à interpeller les consciences - nous sommes tous sujets aux stéréotypes -, c'est d'abord par les chiffres que l'on pourra créer le choc, ensuite par les histoires vécues, et enfin par le droit et par l'économie.
Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie infiniment.
Audition de Laurence Rossignol, ministre des
Familles,
de l'enfance et des droits des femmes
(27 octobre 2016)
Présidence de Chantal Jouanno, présidente
Chantal Jouanno, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes.
Cette audition a deux objectifs, madame la ministre.
Premier objectif : faire le point sur les crédits destinés à l'action du ministère dans le projet de budget pour 2017. À la lecture du projet annuel de performances de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », on constate une hausse assez substantielle des crédits (+ 8 %) du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » dont vous avez plus particulièrement la charge. Pour autant, on se souvient que, l'an dernier, la hausse constatée était en quelque sorte « optique », puisqu'elle résultait en fait de transferts de crédits. Qu'en est-il cette année et quelles sont les actions destinées à être financées par le surcroît de crédits dont bénéficie le programme 137 ?
Au-delà des questions budgétaires, nous souhaiterions savoir si le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 contiennent, à ce stade, des mesures fiscales propres à favoriser les droits des femmes ou, au contraire, à susciter des interrogations.
Enfin, s'agissant des questions financières, un récent rapport réalisé par plusieurs organismes, dont le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh), intitulé Où est l'argent pour les droits des femmes ?, a soulevé la problématique de l'insuffisance des moyens. Pourriez-vous nous faire part de votre réaction face aux constats, aux chiffres et aux propositions avancés par ce rapport ? Je précise que Danielle Bousquet, présidente du HCE|fh, viendra le présenter devant la délégation le 3 novembre.
Deuxième objectif : faire le tour des sujets d'actualité de votre département ministériel. Quels ont été les grands chantiers du ministère en 2016 qui ont abouti, et ceux qui sont encore en cours ? Quels seront, aussi, les grands chantiers de votre ministère d'ici la fin de la mandature, notamment s'agissant de la lutte contre le sexisme et de l'égalité professionnelle ?
Avant de vous donner la parole, j'ajoute que se tiendra dans notre assemblée, le 22 novembre prochain, un débat en séance publique sur les conclusions du rapport que la délégation a publié en mars 2016 sur les violences conjugales, intitulé 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales . Ce débat sera sans doute l'occasion pour le Gouvernement de présenter le 5 ème plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
Madame la ministre, vous avez la parole, puis nous vous poserons des questions.
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Cette audition est un moment particulier, puisqu'il s'agit très certainement de la dernière audition portant, de façon globale, sur la politique menée par ce gouvernement en faveur des droits des femmes.
Le budget qui vous sera présenté pour ce nouveau projet de loi de finances prévoit une hausse de 8 % du programme 137 dédié à l'égalité entre les femmes et les hommes. Cette nouvelle hausse s'inscrit dans la dynamique engagée depuis quatre ans, puisque, au total, sur cette période, le budget consacré aux droits des femmes a augmenté de 50 %.
En 2012, la loi de finances initiale prévoyait 20 millions d'euros de crédits ; en 2017, ce sont 30 millions d'euros qui sont désormais budgétés.
L'année dernière, déjà, de nouveaux crédits étaient venus abonder le programme 137. Ce n'était en aucun cas une opération « cosmétique ». Le Gouvernement avait fait le choix, dès 2016, de redéployer des crédits provenant des ministères de la Santé, de l'Intérieur et de la Justice vers le ministère des Droits des femmes pour créer le fonds dédié à l'accompagnement des personnes prostituées, prévu par la loi contre le système prostitutionnel 86 ( * ) .
La hausse continue de ce programme est remarquable et traduit la détermination du Gouvernement à développer cette culture de l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Cette ambition se traduit directement sur le terrain : 80 % des crédits du programme 137 sont directement versés aux associations, qui sont les chevilles ouvrières de la politique en faveur des droits des femmes dans les territoires, qu'il s'agisse d'accès aux droits, de lutte contre les violences, d'égalité professionnelle ou encore de lutte contre les stéréotypes. Depuis 2012, plus d'une dizaine de conventions pluriannuelles d'objectifs ont été signées entre l'État et de grandes associations, permettant ainsi de mieux sécuriser leur activité.
En outre, le budget consacré aux droits des femmes ne se concentre pas sur le seul programme 137. D'autres programmes budgétaires contribuent ainsi à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ils sont recensés dans un document de politique transversale (DPT) 87 ( * ) , qui affiche pour 2017 un budget de près de 310 millions d'euros.
À cela, nous pourrions ajouter d'autres crédits. Je tiens à souligner à quel point la politique familiale française est un puissant levier d'autonomisation des femmes. En développant et en diversifiant les modes d'accueil du jeune enfant, ainsi que les dispositifs spécifiques pour les familles monoparentales - des mères, pour plus de 80 % -, nous mettons la politique familiale au service de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Pour répondre à la question « Où est l'argent pour les droits des femmes ? », il est nécessaire d'adopter la démarche globale et transversale de gender budgeting de l'ensemble des politiques publiques et de prendre en compte, outre les fonds publics, l'argent privé, lequel bénéficie beaucoup moins aux femmes qu'aux hommes.
L'ensemble des ministères sont mobilisés et concourent à la politique en faveur des droits des femmes. Nous avons ainsi développé une architecture institutionnelle et des instances interministérielles. Cela est rendu possible, notamment, grâce à la nomination de hauts et de hautes fonctionnaires à l'égalité dans chaque ministère, à la désignation d'un ou d'une référent(e) « égalité » au sein de chaque cabinet et à la préparation d'études d'impact annexées aux projets de loi.
Nous menons d'ailleurs actuellement les conférences annuelles de l'égalité. Dans ce cadre, le ministère des Droits des femmes auditionne chaque année l'ensemble des ministères afin de faire le bilan et d'identifier les ambitions de chacun d'entre eux en termes de politiques publiques et de ressources humaines. Nous avons encore du travail, mais nous voyons, d'ores et déjà, le chemin parcouru. Je vous livre quelques-unes de ces actions : en 2017, les premières femmes militaires rejoindront nos sous-marins militaires ; depuis quelques semaines, nous comptons 50 % de femmes parmi les recteurs et les rectrices d'académie ; pour limiter les effets du temps partiel sur les revenus de ses agents, le ministère de l'économie expérimente depuis peu « le temps compressé », une organisation du travail qui permet aux agents auparavant à 90 %, soit essentiellement des femmes, de reprendre un temps plein en concentrant leur temps de travail sur quatre jours et demi.
Vous le voyez, les ministères avancent et s'engagent véritablement.
Le Premier ministre a aussi très clairement rappelé l'objectif, pour chaque ministère, d'obtenir avant la fin 2017 le label « égalité », qui exige le déploiement au sein des administrations d'une politique exigeante d'égalité entre les femmes et les hommes passant par la lutte contre les stéréotypes de genre, ou encore par l'articulation des temps de vie personnelle et professionnelle. La question de la nomination de femmes parmi les hauts fonctionnaires dans les ministères fait l'objet d'une vigilance constante car, dès que l'on relâche la pression, les mauvaises habitudes reprennent.
Nous avons aussi pour ambition de ne pas considérer différemment le secteur public et le secteur privé, car ils rencontrent les mêmes problèmes. L'inégalité entre les femmes et les hommes existe tout autant, et parfois même plus, dans le public, et la ministre de la fonction publique, Annick Girardin, s'attelle à ce sujet avec détermination. C'est pour cette raison que le plan interministériel en faveur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes traite des deux secteurs.
Pour la même raison, le Premier ministre a confié à la députée Françoise Descamps-Crosnier une mission relative aux évolutions de carrières et aux écarts de rémunération entre hommes et femmes au sein de la fonction publique. Nous voulons en effet comprendre quand se produisent les basculements et se creusent les écarts.
S'agissant des pistes d'évolution pour le budget consacré aux droits des femmes, nous avons encore à progresser sur de nombreux points. Il nous faut ainsi évaluer avec davantage de précision l'ensemble des crédits qui contribuent à cette politique. Par exemple, quand Ernestine Ronai, coordinatrice nationale de la lutte contre les violences faites aux femmes au sein de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), et responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, intervient pour dispenser des formations à l'École nationale de la magistrature (ENM) au sujet des violences faites aux femmes, nous mobilisons des crédits de mon ministère, mais aussi du ministère de la Justice.
Dans le cadre des conférences de l'égalité, nous rappelons la nécessité d'identifier le plus finement possible les crédits dédiés à la politique en faveur des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes au sein des différentes politiques publiques.
Par ailleurs, comme le souligne le rapport Où est l'argent pour les droits des femmes ? , nous devons continuer de travailler sur la conditionnalité des financements publics au respect de l'égalité entre les femmes et les hommes.
La loi du 4 août 2014 88 ( * ) a marqué une première étape à cet égard, en conditionnant l'accès des entreprises aux marchés publics et aux partenariats public-privé au respect de leurs obligations en matière d'égalité professionnelle. C'est en effet en imposant des critères d'exemplarité que les pouvoirs publics incitent leurs interlocuteurs à s'impliquer concrètement dans la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes.
La prise en compte du genre dans les financements attribués par les pouvoirs publics est une dimension essentielle que nous continuons à déployer.
C'est pourquoi je me félicite que votre assemblée ait adopté un amendement au projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté (PLEC) visant à instaurer la parité dans les commissions des établissements publics placés sous la tutelle du ministère de la culture. Cette disposition prévoit de fixer à 40 % le seuil de représentants de chaque sexe, à partir du 1 er janvier 2018, au sein des commissions qui « attribuent des subventions ou aides financières, sélectionnent, acquièrent ou commandent des oeuvres, attribuent des agréments, ou procèdent à des sélections en vue de compétitions internationales ». Dans tous les domaines artistiques, les femmes sont trop souvent évincées des programmations et des procédures de sélection.
Maryvonne Blondin . - 92 % d'hommes sont à la tête des structures culturelles...
Catherine Génisson . - Lors des comités de sélection aux postes de responsabilité, il faut veiller à disposer de « creusets » paritaires.
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - En renforçant la présence des femmes dans les comités de sélection, nous souhaitons voir augmenter la part des subventions et des sélections en faveur des femmes. Nous misons, dans tous les domaines, sur l'effet d'entraînement.
Enfin, nous devons trouver de nouveaux leviers de financement. C'est ce que nous nous sommes attachés à faire dans le cadre du plan interministériel en faveur de l'égalité professionnelle, sur lequel j'aurai l'occasion de revenir plus en détail.
Dans le cadre de ce plan, nous travaillons à la mise en place d'un dispositif qui permettra d'utiliser les pénalités, prévues par la loi Sauvadet, dues par les administrations ne respectant par leurs obligations en matière de nomination paritaire. Ces ressources serviront à la mise en place d'actions de sensibilisation et de formation en faveur de l'égalité professionnelle. Je souhaiterais que les mêmes pénalités soient appliquées aux partis politiques qui ne respectent pas leurs obligations paritaires, et bénéficient à la même cause, mais le ministère des finances ne semble pas soutenir cette proposition innovante. Il me semblerait pourtant tout à fait cohérent que ces pénalités servent à corriger les manquements qui les ont occasionnées.
Le plan prévoit également d'activer les crédits du Fonds social européen (FSE) pour financer des projets régionaux. Un appel à projets, en cours de préparation, permettra d'engager des actions en faveur de l'insertion professionnelle des femmes, de la mixité professionnelle et de l'accompagnement des actrices et acteurs du dialogue social. Pour cela, une instruction spécifique sera transmise aux préfètes et préfets.
Une fois la partie recettes discutée, se pose bien évidemment la question de la façon dont elles vont pouvoir être dépensées. Avec ce budget, le Gouvernement nourrit une action déterminée sur tous les fronts. Permettez-moi de vous présenter ceux qui me semblent particulièrement prioritaires.
France Stratégie a récemment rendu public un rapport sur le coût économique des discriminations. Je dois ici souligner que le ministère des Droits des femmes n'était pas à l'initiative de cette commande. Les conclusions sont sans appel : être une femme constitue le premier facteur discriminant dans l'environnement professionnel et supprimer ces discriminations constituerait un formidable levier de croissance.
Ce constat et cette perspective nous ont d'autant plus confortés dans la nécessité d'agir qu'à l'occasion de la 4 ème édition de la semaine de l'égalité professionnelle, nous avons lancé le premier plan interministériel en faveur de l'égalité professionnelle. Ce plan rassemble toutes les mesures qui participent à faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes dans le milieu professionnel : lutte contre les stéréotypes, accompagnement du dialogue social, mise en oeuvre de la loi, insertion professionnelle ou encore lutte contre les discriminations et les violences.
Grâce ce plan, nous ancrons durablement la politique en faveur de l'égalité professionnelle dans le paysage institutionnel. Nous lui apportons aussi la cohérence et la lisibilité nécessaires pour que chacune et chacun s'approprient l'ensemble des dispositifs qui existent aujourd'hui, et sur lesquels il s'agit de communiquer. Nous créons également un cadre dans lequel les nombreux acteurs partagent et nourrissent leur réflexion, afin de proposer une politique toujours plus efficace.
Dans les prochains mois, nous allons nous attacher à la bonne mise en oeuvre de ce plan. L'activation des crédits FSE, la signature du plan mixité dans les métiers du numérique, la sensibilisation des professionnels de la petite enfance à l'implication des deux parents ou encore le lancement d'une réflexion sur le télétravail feront partie des actions prioritaires.
Les entreprises et les administrations sont également parties prenantes de la mobilisation contre le sexisme. Le Conseil supérieur à l'égalité professionnelle (CSEP) révèlera le 24 novembre prochain les résultats de son enquête sur la perception du sexisme parmi les salariés non cadres. La publication de cette étude sera assortie d'un « kit » d'outils à destination des employeurs et du collectif de travail pour les aider à mettre en place des actions concrètes de prévention et de lutte contre le sexisme au sein de l'entreprise.
Les femmes perçoivent le lieu de travail comme un environnement particulièrement propice à l'expression du sexisme. Il est d'autant plus important que nous accompagnions les entreprises dans la mise en place des actions nécessaires que la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels 89 ( * ) renforce leurs obligations en la matière. En effet, elle intègre la prévention des agissements sexistes dans le règlement intérieur de l'entreprise ainsi que parmi les missions du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et introduit une obligation d'agir pour les employeurs en matière de lutte contre le sexisme.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler, également, l'urgence et la nécessité d'agir pour lutter contre les violences faites aux femmes. Je connais, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, votre engagement sur ce sujet. Le débat que vous organisez le 22 novembre prochain en témoigne et j'y serai présente. Parmi les grandes échéances à venir, je lancerai le 25 novembre le 5 ème plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, que vous avez évoqué. La formation des professionnels, l'ordonnance de protection, le « téléphone grave danger » (TGD), la création de places d'hébergement d'urgence sont autant de dispositifs qui ont fait leurs preuves et qui ont donc vocation à être prolongés et renforcés. Sur l'hébergement d'urgence, nous mettons tout en oeuvre pour remplir les objectifs fixés par le Président de la République, soit la création de 1 650 places d'ici à 2017. Nous avons réalisé pratiquement 90 % de cet objectif.
Je tiens également à ce que ce 5 ème plan soit l'occasion d'aller plus loin en développant l'action publique autour de trois enjeux.
D'abord, la lutte contre les violences sexuelles : il y a urgence à se saisir du sujet. L'avis sur le viol remis par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) 90 ( * ) a récemment souligné à quel point le viol fait encore l'objet de tabous et de comportements culpabilisateurs à l'égard des femmes. Il n'est ainsi jamais fait mention du viol dans le discours politique relatif à la violence et à la sécurité ; c'est pourtant le crime le plus répandu en France.
Les premiers résultats de l'enquête VIRAGE, qui seront présentés le 25 novembre prochain, concerneront les violences sexuelles, et viendront étayer nos connaissances sur ce sujet. Sur cette base, nous pourrons renforcer la formation des professionnels et poursuivre la sensibilisation de la société à ce sujet.
Une autre priorité du plan sera la protection des enfants victimes des violences conjugales. Le périmètre de mon ministère et l'expérience que j'ai acquise lorsque j'étais secrétaire d'État chargée de la protection de l'enfance - je pense au travail réalisé à partir de la proposition de loi des sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini - m'ont permis de faire le lien avec le sujet des violences faites aux femmes. Nous avons constaté, avec les associations, qu'il s'agissait de « violences à bas bruit » et que l'omerta était bien plus grande à l'égard des enfants.
Depuis la loi relative à la protection de l'enfant 91 ( * ) , je m'efforce de mettre au jour l'incidence des violences faites aux femmes sur les enfants. Je suis convaincue que les enfants qui en sont témoins en sont eux-mêmes des victimes. Deux fois sur trois, ils sont spectateurs des violences commises sur leur mère. Nous devons nous atteler à casser le mythe, qui a notamment cours parmi certains juges aux affaires familiales, selon lequel un mauvais mari peut être un bon père. Les juges privilégient ainsi souvent le maintien du lien père-enfant, sans considérer que l'enfant est aussi victime des violences à l'égard de la mère. Il ne s'agit pas de deux sujets parallèles ! Voilà pourquoi j'ai voulu inclure cette question des enfants dans le plan de lutte contre les violences faites aux femmes.
Enfin, nous avons identifié des situations spécifiques de violences cumulées. Je pense aux femmes en situation de handicap, qui subissent une double discrimination et une double exposition à la violence, aux femmes migrantes, à celles qui résident dans les territoires ruraux, où le tissu associatif est plus lâche qu'en ville, et dans les territoires d'outre-mer. Je me rendrai d'ailleurs à La Réunion le 25 novembre pour rappeler que l'action de l'État existe aussi dans ces territoires.
Je suis également préoccupée par la situation des jeunes filles de moins de 25 ans. Les associations nous font part de nombreux cas de jeunes filles victimes de violences familiales. Il y aurait aussi, à leur égard, une augmentation des violences sexuelles de couple et dans les relations amoureuses. Il s'agit là de remontées du terrain ; ces jeunes filles ne se considérant pas comme des victimes de violences conjugales, ce problème est encore mal identifié. On relève également une exposition spécifique au sexisme chez les moins de 20 ans qui mérité d'être approfondie.
Désormais reconnue comme une violence par la loi depuis le 13 avril 2016, la prostitution a évidemment vocation à intégrer ce 5 ème plan.
Ce sont d'ores et déjà 250 clients qui ont été condamnés depuis mai. Ce chiffre démontre que cette loi est bel et bien applicable.
Le dispositif du parcours de sortie sera opérationnel dès janvier prochain. Un premier décret qui permettra aux préfectures d'agréer les associations et de mettre en place les commissions départementales paraîtra dans les prochains jours. Pour 2017, le budget dédié à ce parcours a presque triplé et s'élève désormais à 6,6 millions d'euros, auxquels s'ajouteront les recettes provenant de la confiscation des biens et des produits des proxénètes et des réseaux de traite des êtres humains.
En parallèle, nous poursuivons le travail de sensibilisation et de conviction auprès du grand public, tout particulièrement à l'attention des clients. Le ministère a participé à une première campagne de sensibilisation à l'occasion de l'Euro 2016, avec pour message - diffusé notamment dans les fans zones - « le prix d'une passe n'est pas celui que tu crois », pour rappeler que le prix d'une passe, c'est aussi le prix de l'amende. Puis nous avons lancé une nouvelle campagne sur les réseaux sociaux à l'occasion de la Journée européenne contre la traite des êtres humains , rappelant que l'achat d'actes sexuels était désormais interdit et passible d'une amende.
Je souhaiterais mentionner deux autres travaux d'envergure actuellement en cours.
Le premier est lié à la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse aux sites anti-IVG. Les activistes anti-IVG se déplacent au fur et à mesure que nous les délogeons. Lorsque nous avons créé le délit d'entrave, ils ont cessé de s'enchaîner aux portes des hôpitaux, mais ils sont entrés dans les salles d'attente des services hospitaliers. Un amendement que j'ai proposé en 2014 et qui a été adopté au Sénat a élargi le délit d'entrave pour intégrer ce type d'agissement. Ils agissent désormais sur Internet. Soyons clairs, l'hostilité à l'IVG est une opinion que chacun est libre d'exprimer. Mais se dissimuler derrière de pseudo-sites d'information pour attirer des femmes en recherche d'informations, notamment pratiques, et les faire douter de leur choix, c'est un irrespect absolu de la liberté de décision des femmes. Sur l'un de ces sites, par exemple, un garçon et une fille en classe de seconde sont glorifiés et présentés comme des rebelles parce qu'ils veulent garder leur enfant !...
J'ai donc proposé l'extension du délit d'entrave à ces sites anti-IVG et déposé un amendement en ce sens au projet de loi relatif à l'égalité et la citoyenneté. Or la commission spéciale du Sénat a rejeté cet amendement au motif qu'il n'avait pas de rapport avec ce texte, analyse pour le moins surprenante, si l'on considère que c'est une décision de procédure qui concerne le fond...
Françoise Laborde . - Beaucoup de nos amendements ont connu ce sort.
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - S'agissant d'amendements du Gouvernement, dont deux ont été jugés irrecevables, c'est inédit. De plus, cet amendement était rattaché à un article relatif à l'information des jeunes en matière de santé...
Françoise Laborde . - N'ayant pas été prévenues en amont, nous avons été prises au dépourvu et n'avons pu défendre notre position en commission. C'était en effet une première ! Si nous avions été au courant, nous aurions protesté.
Maryvonne Blondin . - Nous avons eu l'occasion de nous faire entendre en séance sur le procédé...
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Je ne formule aucune critique à l'encontre des membres de votre délégation. Les députés ont donc décidé de présenter une proposition de loi autonome, qui sera examinée fin novembre à l'Assemblée nationale, puis viendra devant le Sénat dans le cadre d'une « niche » parlementaire. Je sollicite, à cet égard, le soutien de la délégation aux droits des femmes.
L'autre chantier commencé au mois de septembre 2016 et que je mène avec détermination est celui de la lutte contre les stéréotypes de genre dans la communication, qui visent à déprécier les femmes et servent de faire-valoir aux comportements sexistes.
Les ministères sociaux s'engageront le 2 novembre prochain à suivre les recommandations du HCE|fh pour une communication non sexiste. Pour ma part, j'ai souhaité lancer la campagne « Sexisme, pas notre genre ! ». Nous faisons en effet le constat que notre corpus législatif, pourtant robuste, ne permet pas de faire avancer suffisamment les choses. Peut-être le consensus en la matière n'est-il pas aussi réel qu'on le croit ?
Nous nous attaquons au sexisme, car 40 % des femmes affirment avoir été dernièrement victimes d'une injustice ou d'une humiliation parce qu'elles sont des femmes. Plus de 60 % des femmes adoptent une stratégie d'évitement, en ne portant pas certaines tenues vestimentaires ou en ne fréquentant plus certains lieux publics, par exemple.
La campagne que nous lançons, aux côtés des réseaux, des associations et des personnalités vise à mobiliser encore davantage la société sur cette question et à débusquer le sexisme partout où il se trouve, de façon concomitante. Le sexisme, en effet, est systémique. Tout est relié ! Nous soutenons donc celles et ceux qui ont commencé à s'organiser en réseau pour résister au sexisme, notamment en milieu professionnel. Nous collaborons avec les femmes ingénieurs, celles qui travaillent dans le numérique, les grandes écoles. Il faut en effet changer les milieux de l'intérieur. L'objectif est aussi de mettre ces réseaux en relation.
Cette campagne labellise des initiatives dans les territoires ; nous avons décerné plus de 200 labels. Pas une semaine ne passe sans que le sujet de la place des femmes, de la discrimination et du sexisme soit porté sur la place publique.
Notre objectif était de faire du « bruit », de saturer l'espace public et médiatique avec ces questions. De ce point de vue, la campagne est un succès. Il faut reconnaître que c'est un mouvement international ; je vous renvoie aux débats relatifs au sexisme dans la campagne électorale américaine. Je pense aussi au récent mouvement des femmes islandaises qui ont cessé de travailler à l'heure où elles cessent de gagner autant que les hommes. Tous les indicateurs montrent que les questions de genre font l'objet d'une grande attention.
J'attache beaucoup d'importance, également, à la diplomatie des droits des femmes, à la dimension internationale du combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Je vais d'ailleurs rejoindre, après notre réunion, les ministres sociaux-démocrates européens chargés de ces questions. Ce qui s'est passé en Pologne autour de l'IVG doit nous alerter. J'ai ainsi fait part à mon homologue polonais de notre inquiétude et de notre intention de ne pas relâcher la pression.
Je suis également intervenue à l'ONU sur les questions de laïcité. Il s'agit de savoir si les droits des femmes sont, ou non, relatifs et soumis à des accommodements en fonction des cultures et des traditions respectives des pays. La bataille de l'universalité des droits des femmes se mène à l'ONU, mais aussi en France et partout dans le monde.
Chantal Jouanno, présidente . - Sur ce point, je précise que nous adopterons définitivement notre rapport sur « Femmes et laïcité » le 3 novembre prochain, et que celui-ci porte seulement sur la France.
Madame la ministre, je commencerai par faire une remarque sur les délais de prescription en matière de crimes sexuels sur mineurs. La situation est dramatique, car les délais sont identiques pour les mineurs et les majeurs et les débats en séance n'ont pas permis de définir des délais spécifiques pour les mineurs. Il faut savoir que, dans 60 % des cas, les victimes ont été violées avant l'âge de 18 ans. Nous devons nous saisir de cette question collectivement, car on ne saurait traiter séparément les problématiques des violences faites aux enfants de celles faites aux femmes. À cet égard, je soutiens la position adoptée dans le rapport de nos collègues Michelle Meunier et Muguette Dini.
J'en viens à nos questions.
S'agissant de la loi visant à lutter contre le système prostitutionnel, qu'en est-il de l'octroi des titres de séjour, question centrale au regard du parcours de sortie de la prostitution ? Le ministère de l'Intérieur applique-t-il ce dispositif ?
De plus, le rapport annuel de performances de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » indique que le financement des mesures liées au parcours de sortie de la prostitution « pourra être complété par un apport issu des avoirs saisis et confisqués par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) ». Les documents budgétaires annexés au budget 2016 indiquaient déjà que cette agence était censée contribuer au financement du Fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et personnel des personnes prostituées. Un tel financement a-t-il été effectif en 2016 ? S'agissant du budget 2017, des critères et montants précis de financement par l'AGRASC sont-ils définis ?
Vous avez évoqué une proposition de loi autonome relative au délit d'entrave à l'IVG. Nous souhaitons, quant à nous, trouver un véhicule législatif pour créer une infraction autonome réprimant les mariages forcés et faire de la traite une circonstance aggravante par rapport à cette infraction autonome de mariage forcé. Nos amendements sur ces sujets, qui reprennent les recommandations du rapport de la délégation sur les femmes victimes de la traite des êtres humains, ont, eux aussi, été jugés irrecevables dans le cadre du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté. Pourrions-nous les présenter de nouveau lors de l'examen de cette proposition de loi ?
Enfin, une agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (ARIPA), qui permettra d'éviter les contacts directs entre ex-conjoints notamment dans un précédent contexte de violences conjugales, doit voir le jour au 1 er janvier 2017. Pourriez-vous nous préciser les missions et le statut de l'agence ? Quel sera son financement ?
Maryvonne Blondin . - Madame la ministre, je tenais à préciser qu'il y aurait trois femmes dans les sous-marins militaires Barracuda, qui ont été aménagés en conséquence : un médecin, une atomicienne et un officier de maintenance. Et ce n'est qu'un début. À la gendarmerie de Santenay, qui compte 100 gendarmes mobiles, dix femmes ont été intégrées dans le cadre d'une expérimentation qui devrait être étendue.
Je souhaite par ailleurs noter que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), dont je suis membre, prépare un rapport sur la place des femmes dans l'espace public.
Enfin, les amendes prévues par la loi visant à lutter contre le système prostitutionnel abonderont-elles le fonds de soutien dédié à la sortie de la prostitution ?
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Pour ce qui est de la disposition relative à l'octroi des titres de séjour aux personnes prostituées dans le cadre de la loi visant à lutter contre le système prostitutionnel, le décret du ministère de l'Intérieur sortira le 2 novembre.
S'agissant de l'AGRASC, qui a vocation à encaisser le produit des saisines des biens des proxénètes et des réseaux de traite - mais pas les amendes des clients -, le dispositif sera opérationnel début 2017.
Vous m'interrogez, madame la présidente, sur les délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs. Une proposition de loi est en cours de navette parlementaire. J'attire votre attention sur le fait qu'il faudra, à un moment donné, un vote conforme. À défaut, on n'obtiendra rien. La Chancellerie, qui soutient cette proposition de loi en l'état, est très hostile à ce que l'on s'écarte des prescriptions spécifiques pour certains crimes et délits. Pour les crimes sur mineurs, une prescription spécifique existe déjà : vingt ans à partir de la majorité de la victime.
Cette question fait débat. Des psychiatres accompagnant des femmes victimes de violences mettent en avant le fait que, plus le délai est long, plus il est difficile d'apporter des preuves, plus les cas de non-lieu sont nombreux, et plus la déception des victimes peut être grande.
Il est certain, en revanche, que le délai est trop court en cas de non-dénonciation de crimes sur mineurs, trois ans actuellement.
Il faut donc, d'abord, que cette proposition de loi soit adoptée, car elle prévoit un doublement de tous les délais, puis nous confronterons plusieurs approches bienveillantes. En cas de changement de majorité à l'Assemblée nationale en mai prochain, les propositions de loi en cours d'examen ne seront sans doute pas examinées en priorité...
Pour ce qui concerne les mariages forcés, dans les faits, la justice parvient à condamner ces pratiques de façon détournée. En revanche, une difficulté se pose lorsque les faits sont commis hors du territoire français. Il faudrait donc surtout travailler sur la possibilité de poursuivre de tels faits lorsqu'ils ne sont pas commis sur le territoire français, ce qui est souvent le cas. Mais nous n'avons pas de véhicule législatif qui pourrait être utilisé à court terme.
Sur la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'IVG, je plaide, là encore, pour un vote conforme, car le calendrier sera ensuite très court. Le mieux, c'est-à-dire l'ajout d'amendements, est parfois l'ennemi du bien !
Chantal Jouanno, présidente . - Ce n'est donc plus la peine de préparer des amendements d'ici à l'élection présidentielle ?...
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - J'ai conscience que c'est frustrant, mais il nous faut un véhicule législatif qui parvienne à son terme !
Maryvonne Blondin . - Nous avons eu ce débat en séance, hier, sur la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont relative à la mastérisation 92 ( * ) .
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Certes, mais le rôle du Parlement est aussi de voter des textes qui soient promulgués. Il faut que chaque groupe parlementaire « assume sa niche » !
La création de l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires, qui sera adossée aux caisses d'allocations familiales (CAF) et aux caisses de mutualité sociale agricole, en raison de leur expérience et de leurs compétences en ces domaines, sera effective en janvier 2017 et prévoit une extension des moyens mis en place avec les garanties contre les impayés de pension alimentaire (GIPA). Elle permettra le recouvrement plus rapide de toutes les procédures. Nous y reviendrons lors de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Claudine Lepage . - J'ai interrogé le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger, Matthias Feckl, sur la mise en place dans les consulats d'un référent pour les violences faites aux femmes, mais je n'ai pas reçu de réponse. Je compte sur vous, madame la ministre, pour lui en parler. Il s'agirait de former un agent dans chaque consulat pour informer les femmes sur les procédures existantes.
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Cette question a été posée au ministre des Affaires étrangères au cours de la Conférence de l'égalité. Cette proposition sera aussi intégrée dans le 5 ème plan de lutte contre les violences faites aux femmes.
Marie-Pierre Monier . - Les clients des prostituées qui ont été verbalisés l'ont-ils été sur la voie publique ? J'ai en effet entendu dire qu'un problème se posait lorsque le client était en voiture.
Pourriez-vous nous informer sur un éventuel déplacement de la prostitution, qui serait désormais « cachée » ?
S'agissant de la lutte contre les violences, des actions spécifiques sont-elles prévues pour les femmes qui résident dans les territoires ruraux ?
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Sur la verbalisation des clients de prostituées, je précise que la loi a été promulguée un mercredi et que, dès le dimanche, un premier contrevenant a été verbalisé par un gendarme de Fontainebleau. En outre, je peux vous dire que, dans l'Aude, où le parquet s'est saisi du dispositif, celui-ci est très efficace pour la prostitution de route. Mais son utilisation par la police et la gendarmerie n'est pas égale sur l'ensemble du territoire.
Dans le contexte actuel, j'hésite à dire au ministre de l'Intérieur qu'il serait temps de former les policiers à la lutte contre la prostitution... Cette loi n'est pas d'application immédiate, sa mise en oeuvre pleine et effective sur l'ensemble du territoire prendra du temps. Rappelons qu'il a fallu dix années en Suède pour que la loi pénalisant les clients soit pleinement appliquée.
En zone rurale, on ne peut déployer le tissu associatif spécifique aux violences faites aux femmes dans tous les cantons. Le mieux est de demander aux associations spécialisées de former les travailleurs sociaux et personnels socio-éducatifs au repérage des violences faites aux femmes et à leur accompagnement.
Marie-Pierre Monier . - Je vais justement organiser, le 25 novembre prochain, une réunion sur le sujet en zone très rurale, dans mon département de la Drôme.
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - On ne couvrira pas tout le territoire avec des spécialistes, d'où ma proposition de former au repérage des violences pour assurer le meilleur maillage territorial possible à ce type d'action.
Marc Laménie . - Les moyens financiers ne sont pas tout ; il faut également des moyens humains. Il y a aussi un problème de communication : il n'est pas simple de faire passer des messages, et la difficulté est variable d'un département à l'autre.
Il faudrait aussi sensibiliser et former les personnels de la police et de la gendarmerie pour prévenir les violences.
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Développer une culture collective dans toutes les administrations est en effet un sujet central.
L'article 61 de la loi du 4 août 2014 dispose que les collectivités territoriales de plus de 20 000 habitants doivent établir un rapport sur les politiques conduites en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, et que ce document est préparatoire à l'adoption des budgets. Cet article, qui s'applique cette année pour la première fois, est le bon outil. Le travail que vous évoquez peut être mis sur la table au moment de l'élaboration de ce document. Il s'agit là de démocratie participative. Sur cette base, les collectivités peuvent ensuite développer la formation et la culture partagée.
Il faut se saisir de cet article 61 qui constitue un bon outil pour donner de la visibilité aux politiques d'égalité entre les femmes et les hommes, et pour y impliquer les citoyens.
Chantal Jouanno, présidente . - Merci, madame la ministre, pour tous ces éclaircissements.
Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Merci pour votre travail, la qualité de vos rapports et l'audace des sujets que vous choisissez.
Audition de Danielle Bousquet, présidente
du
Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes
(HCE|fh), accompagnée de Romain Sabathier, secrétaire
général
(3 novembre 2016)
Présidence de Chantal Jouanno, présidente
Chantal Jouanno, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh), accompagnée de Romain Sabathier, secrétaire général, pour nous présenter le rapport Où est l'argent pour les droits des femmes ? Une sonnette d'alarme .
Ce document présente la spécificité d'être issu d'une collaboration entre six organisations : le HCE|fh, bien sûr, mais aussi le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le Comité ONU Femmes France, la Fondation des femmes, le Fonds pour les femmes en Méditerranée et l'association Women's Worldwide Web (W4).
Le rapport dresse un état des lieux des financements publics et privés en faveur des initiatives pour l'égalité entre les femmes et les hommes en France, et insiste sur leur sous-financement - on peut néanmoins se féliciter de la hausse de 8 % des crédits du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » dans le projet de loi de finances pour 2017, dont nous avons parlé la semaine dernière avec la ministre.
Les constats établis par votre rapport appellent diverses questions.
Tout d'abord, comment expliquez-vous le sous-financement constaté, et quelles en sont les conséquences ?
Ensuite, comment se situe la France par rapport à ses principaux voisins européens ?
Enfin, quelles pistes de solutions propose le rapport pour améliorer la situation ?
Je vous remercie tous les deux d'être venus jusqu'à nous et je laisse sans plus tarder la parole à Danielle Bousquet pour nous présenter en détail le contenu du rapport. Peut-être pourriez-vous commencer par nous dire comment est né ce projet entre les six organisations et comment vous avez travaillé ensemble ?
À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions ou poseront des questions.
Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) . - Madame la présidente, mesdames, messieurs, je vous remercie de m'avoir invitée pour échanger avec vous et présenter les travaux du HCE|fh. Votre délégation leur a toujours témoigné un intérêt auquel nous sommes sensibles. L'une de nos missions consiste à apporter nos analyses à la puissance publique, aux parlementaires et au Gouvernement. Notre travail commun a permis à la question du droit des femmes de progresser et d'être évoquée en tous lieux et à tous les niveaux.
Ainsi, beaucoup d'entre vous, lors de la dernière discussion du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, ont déposé des amendements ayant pour objectif de soutenir cette jeune institution qu'est le HCE|fh. Sa vocation est de porter une voix indépendante : il est extrêmement important de témoigner de la réalité de la situation des femmes en France, aujourd'hui. Les amendements que vous avez déposés n'ont pas été retenus par le Sénat, mais ils pourront néanmoins être repris lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale et je vous remercie d'en avoir pris l'initiative.
Le soutien que vous avez ainsi apporté au rapport du HCE|fh sur le sexisme a pour moi un intérêt essentiel.
De même qu'il existe depuis des décennies un rapport annuel sur le racisme, il est important qu'un rapport sur le sexisme soit, lui aussi, publié régulièrement pour faire le point sur cette question centrale. Il s'agit de faire reculer le sexisme ambiant en proposant des pistes d'intervention aux politiques publiques. Le HCE|fh vous remercie d'avoir fait en sorte que si la rédaction de ce rapport nous était in fine attribuée, nous pourrions alors le présenter devant les deux délégations aux droits des femmes réunies. Cette faculté, qui existe dans la loi de 1999 qui a créé ces délégations, me semble parfaitement adaptée à cette circonstance et je trouve intéressant que vos amendements aient suggéré d'en faire usage.
Votre dernier rapport consacré aux femmes et à l'automobile est passionnant et très novateur. Nous avions déjà abordé le thème de l'accès aux transports dans notre rapport de 2014 consacré aux femmes dans les territoires oubliés de la République (rapport Combattre maintenant les inégalités sexuées, sociales et territoriales dans les quartiers de la politique de la ville et les territoires ruraux fragilisés ), mais sans pouvoir l'approfondir, comme vous l'avez fait avec des recommandations à mon avis très novatrices. J'ai été surprise de découvrir que des sociétés de construction automobile ou du secteur automobile sont engagées dans des politiques de mixité et veillent à nommer des femmes dans leurs comités de direction. Il s'agit d'éclairages précieux pour toute analyse de l'équilibre entre les femmes et les hommes dans l'entreprise.
Je souhaite que vos propositions ne soient pas seulement écoutées, mais aussi entendues, notamment par les pouvoirs publics. Je pense en particulier à ce qui concerne les femmes en situation de grande précarité, qui accèdent difficilement au permis de conduire, notamment pour des raisons de coût et dont la précarité est aggravée par un accès aux transports souvent extrêmement complexe.
Par ailleurs, le rapport que vous préparez sur le thème « femmes et laïcité » procède d'une idée extrêmement courageuse alors que les droits des femmes sont menacés, y compris dans notre pays.
J'espère que votre rapport permettra une prise de conscience indispensable sur les sujets si sensibles que vous abordez.
J'en reviens au thème du rapport Où est l'argent pour les droits des femmes ? Une sonnette d'alarme . Bien que le secrétaire général du HCE|fh et moi-même souhaitions traiter depuis longtemps ce sujet, nous n'avions pu encore être en mesure de le faire.
J'ai longtemps privilégié l'action plutôt que la négociation, considérant qu'en prouvant que nous étions utiles, que nous posions et traitions les bonnes questions, tout naturellement nous obtiendrions des moyens supplémentaires. C'est sans doute une conviction d'une grande naïveté. Elle repose sur l'idée que l'argent n'est pas un obstacle et que, au fond, par la force de notre seule volonté, nous pouvons réaliser pratiquement tout. Cette conviction n'est pas totalement infondée, car pendant des décennies, par leur engagement et leur militantisme, les femmes ont réussi à faire beaucoup de choses. Pourtant, l'histoire a montré que la rémunération du travail des femmes n'est jamais allée de soi. N'oublions pas que le travail social et le travail domestique sont toujours délégués aux femmes, le plus souvent à titre gratuit. On compte toujours, s'agissant des femmes, sur le bénévolat : celui-ci est si largement partagé ! Dans cette logique, leur militantisme est toujours bénévole.
Comme beaucoup d'entre vous, j'ai milité pendant des années au Planning familial . J'ai même été chargée de mission départementale aux droits des femmes à mi-temps. J'avais un bureau à la préfecture, au cabinet du préfet, et pourtant j'exerçais cette activité à titre bénévole ! Le reste de la semaine, j'exerçais mon activité professionnelle rémunérée.
Il est quand même invraisemblable de constater qu'en 1985, une femme pouvait exercer bénévolement un poste officiel ! On observe malheureusement encore aujourd'hui des situations comparables. Même si, trente ans plus tard, nous avons fait nos preuves, et même si les politiques d'égalité femmes-hommes se sont développées et institutionnalisées, cette mission de service public reste encore souvent dévolue à de nombreuses associations où le salariat est minoritaire face au militantisme bénévole. Pour quelle raison ? Parce que les moyens qui leur sont affectés sont encore largement insuffisants et inadaptés aux besoins.
Aussi, lorsque la responsable de la Fondation des femmes a proposé au HCE|fh, début 2016, un partenariat pour travailler sur ce sujet, nous avons tout de suite accepté et nous avons souhaité y associer des institutions comme le CESE, le Fonds pour les femmes en Méditerranée ainsi que l'association Women's Worldwide Web (W4), sans oublier le Comité ONU Femmes France. Notre objectif était de traiter à la fois des financements public et privé en France et d'avoir une approche comparative par rapport à d'autres pays. Ce travail n'aurait sans doute pas pu être accompli par une seule organisation.
L'idée, pour ce premier rapport, était d'établir un diagnostic, ce qui n'avait jamais été fait, afin d'interpeller les acteurs et les actrices du secteur associatif ainsi que l'opinion publique et à travers elle, par l'intermédiaire des médias, les pouvoirs publics. Interpeller les acteurs et actrices du secteur associatif apparaît nécessaire car pour beaucoup de femmes, l'argent est un sujet que l'on n'ose pas aborder. Notre dévouement de femme est tellement naturel ! Quelle femme s'occupant de ses vieux parents ou de ses beaux-parents va oser dire qu'elle pourrait être rétribuée pour cela ? Pourtant, il faut aussi se poser la question en ces termes en ce qui concerne les engagements individuels de nombreuses femmes vis-à-vis de leur famille.
Si l'on considère maintenant les engagements vis-à-vis du public, dans le cadre des droits des femmes et de l'égalité, il faut des moyens pour rendre des services de qualité à la population et assurer l'efficacité des politiques publiques. C'est aussi une question de principe et de dignité, car pourquoi serions-nous les seules à faire du travail bénévole, sauf à considérer que nos actes sont sans valeur, alors même que nous nous battons pour que soit reconnue la valeur de ce que font les femmes ?
Nous nous battons pour obtenir des financements pour les droits des femmes, mais nous ne nous battons pas pour faire reconnaître la valeur du travail réalisé par les femmes : c'est paradoxal.
Une fois ce constat posé, quelles conséquences faut-il tirer du sous-financement de ces politiques publiques d'égalité entre femmes et hommes ?
Les inégalités massives entre les femmes et les hommes et dans tous les domaines sont un problème structurel qui mine la société française et qui est largement dénoncé.
Même si l'opinion publique considère que la situation des femmes a beaucoup progressé en France et que l'objectif d'égalité entre les femmes et les hommes est fondamental, que tous les responsables politiques soutiennent, les inégalités demeurent néanmoins très nombreuses et ne reculent que très faiblement. Cet attachement aux principes d'égalité entre les femmes et les hommes est partagé par une large majorité de Françaises et de Français, comme l'indique la dernière étude menée pour le ministère des droits des femmes par le CSA research 93 ( * ) , rendue publique en septembre 2016 : 57 % des Français se sentent féministes et pour près de huit Français sur dix, le féminisme est un combat d'actualité, utile pour fonder une société d'égalité entre les femmes et les hommes.
On pourrait donc penser que des moyens financiers suffisants seraient affectés aux politiques publiques d'égalité. Mais on constate malheureusement que cette affirmation et cette volonté n'ont pas de traduction financière, ni de la part des pouvoirs publics, ni de la part des entreprises, au travers des donations qu'elles pourraient faire, ni de la part des particuliers. Même si le financement par les pouvoirs publics du budget des droits des femmes a augmenté de manière très significative, pour autant le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » reste de loin le plus petit budget de l'État, puisqu'il ne représente que 0,0066 % du budget général.
Je me souviens qu'un ministre disait que le budget de la culture devait s'élever au moins à 1 % du budget général, ce qui est déjà très peu : que dire alors des 0,0066 % du budget affecté aux droits des femmes ! Nous sommes donc loin du compte.
L'Espagne promeut une politique centrale très importante pour les droits des femmes, et plus particulièrement pour la lutte contre les violences, axe structurant du combat pour l'égalité. Le budget affecté par Français à la lutte contre les violences n'est que de 0,33 euro par an, deux fois plus faible qu'en Espagne où il est de 0,54 euro par an.
La France subventionne ONU Femmes à hauteur d'un million de dollars par an (cette participation a d'ailleurs fortement augmenté il y a quatre ans), alors que le financement de la Suède s'élève à 33 millions et celui du Royaume-Uni à 22 millions.
Autre préoccupation : les collectivités territoriales se sont récemment très largement désengagées financièrement de certaines associations, en particulier la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont nous parviennent des informations extrêmement inquiétantes, rapportées par France 3 Rhône-Alpes . Ainsi, le Centre d'information sur les droits des femmes (CIDFF) de l'Isère, à Grenoble, a dû cesser ses activités après que le tribunal de grande instance a prononcé sa liquidation au mois de septembre 2016, en raison d'une baisse de ses subventions. L'association CIDFF avait perdu 35 % de son budget, les subventions du département qui s'élevaient à 55 000 euros étant supprimées, tandis que les subventions du conseil régional avaient baissé de 80 %. Le CIDFF ne restait soutenu que par la ville de Grenoble, à hauteur de 30 000 euros, et par l'État à hauteur de 72 000 euros.
Ce cas n'est pas isolé, d'autres régions ayant aussi diminué leurs subventions. Même si des associations aussi importantes que les CIDFF disposent de financements croisés, la diminution de l'un de ces financements peut éventuellement avoir un effet sur certains financements liés.
Les particuliers affectent une très faible part de leurs financements vers les droits des femmes et l'égalité des sexes, la première plateforme de dons en ligne, Hello Asso , indiquant que moins de 1 % des dons y sont généralement affectés.
Quant aux entreprises, leur contribution s'élève à environ 10 millions d'euros par an, si l'on considère les fondations qui publient dans leur rapport d'activité les chiffres de ce qu'elles investissent pour les droits des femmes. Cette somme représente un pourcentage extrêmement modeste de l'argent des entreprises qui transite par les fondations.
Quelles raisons expliquent la faiblesse de ces financements dans le secteur de l'égalité entre les femmes et les hommes et des droits des femmes ?
Celle qui vient d'emblée à l'esprit, de manière un peu caricaturale peut-être - je force volontiers le trait - est que l'essentiel du pouvoir politique et financier est détenu par les hommes ; or, les enquêtes montrent qu'ils sont généralement moins sensibles à la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes que ne le sont les femmes.
La deuxième raison est que l'égalité entre les sexes est une idée qui remet en cause l'organisation de la société telle qu'elle existe, ce qui peut être dérangeant pour les partisans de l'ordre établi.
Un autre motif est, comme je l'ai déjà dit, que le travail non rémunéré des femmes est très ancien et perdure encore aujourd'hui. Cet héritage peut justifier que la situation actuelle puisse être perçue comme normale, aussi bien par les femmes que par les hommes.
Enfin, la dernière raison, très importante, tient au manque de chiffrage des besoins. À cet égard, nous devons acquérir des compétences dans le domaine budgétaire et mobiliser de l'expertise financière. Nous devons par exemple être en mesure d'évaluer le coût d'une place d'hébergement spécialisé pour des femmes victimes de violences, tant en fonctionnement qu'en investissement. Or, aujourd'hui, alors que nous faisons l'évaluation du 4 ème plan de lutte contre les violences faites aux femmes, nous ne réussissons pas à obtenir de tels chiffres. Ces compétences techniques en termes de chiffrage des besoins de financement nous font donc aujourd'hui défaut, alors qu'elles sont indispensables.
Aujourd'hui, une heure d'éducation à la sexualité auprès des jeunes est payée par l'État huit euros aux associations, soit moins que le SMIC. Ce chiffre n'a pas augmenté depuis une dizaine d'années. Bien entendu, le coût réel d'une heure de ces formations est bien supérieur ! Le chiffrage de la politique d'éducation à l'égalité doit donc être établi sur des bases scientifiques.
J'en viens aux conséquences de ces sous-financements chroniques.
Première conséquence : les structures associatives auxquelles sont sous-traitées l'essentiel des activités en matière d'égalité femmes-hommes demeurent de petite taille et vivent dans l'inquiétude permanente que cause l'absence de financement pérenne. Elles peinent donc à se professionnaliser et à se développer.
Seconde conséquence : les organisations de femmes en Europe ont un budget médian de 70 000 euros par an. La plupart des associations oeuvrant dans le domaine de l'égalité en France se situent bien en-deçà de ce chiffre et sont donc de taille très limitée. À titre de comparaison, il faut savoir que le budget total de Greenpeace - certes, il s'agit là d'une exception, j'en conviens - s'élevait en 2013 à 304 millions d'euros ; celui de la SPA à 49 millions d'euros.
Annick Billon . - Combien la SPA perçoit-elle en subventions ? Il me semble qu'elle emploie beaucoup de monde.
Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) . - Je ne connais pas le montant des subventions reçues par la SPA mais vous avez raison, elle emploie de nombreux collaborateurs. Je voudrais rappeler une nouvelle fois que moins de 1 % des dons sur Hello Asso sont destinés aux associations en charge des droits de femmes.
J'en conviens, les comparaisons sont parfois complexes, mais les ordres de grandeur sont frappants. Cause et conséquence : il est difficile aux petites associations d'obtenir des financements, en particulier européens, mais c'est aussi parce qu'elles ne peuvent pas obtenir ces financements européens qu'elles ne peuvent se développer.
Il ne faut pas oublier le coût faramineux pour la société des violences conjugales : une étude de juillet 2016 évaluait le seul coût des violences au sein du couple à 3,6 milliards d'euros. L'OCDE indique par ailleurs que si l'égalité était parfaite entre les sexes, la France connaîtrait un gain de croissance de 9,4 % d'ici 2020. Autrement dit, ne pas financer tout ce qui concerne l'égalité pénalise notre pays en termes de croissance et de dépenses publiques.
Je formulerai maintenant quelques propositions pour obtenir une mobilisation plus importante des fonds.
Il faudrait augmenter très significativement les dépenses en faveur de l'égalité femmes-hommes, en prenant en compte la distorsion entre l'immensité des missions qui sont fixées et les moyens qui leur sont affectés. Le point de non-retour, à mon avis, est aujourd'hui atteint. Les associations sont en grandes difficultés, parce qu'elles ont dû recruter du personnel, mais ne sont pas certaines de pouvoir le conserver et qu'elles doivent tenir compte du coût des éventuels licenciements auxquels elles doivent procéder en fonction de la baisse des financements qui leur sont attribués.
J'estime que l'équivalent des sommes (5 millions d'euros) versées à titre de pénalités par les partis politiques qui ne remplissent pas leurs obligations de parité pourrait être affecté à l'égalité entre les femmes et les hommes.
Il faudrait aussi qu'il y ait une véritable volonté politique qui permette de conditionner l'octroi de financements publics au respect de critères d'égalité entre les femmes et les hommes. La commande publique doit aller dans le sens de la construction d'une société d'égalité : le concept d'éga-conditionnalité a été inventé par Romain Sabathier, secrétaire général du HCE|fh ici présent, au même titre qu'existe l'éco-conditionnalité. Les acteurs qui reçoivent des financements publics devraient s'engager à ce qu'aucune de leurs actions, promotions, publicités, ne puisse renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes. Ce serait un puissant levier pour avancer, entre autres progrès, vers davantage d'égalité dans les entreprises, vers une programmation artistique qui fasse davantage de place aux femmes artistes. Il y encore beaucoup de chemin à parcourir, mais on peut imaginer aussi promouvoir l'égalité entre les filles et les garçons dans les pratiques sportives et dans les activités culturelles, si le versement de chaque euro d'argent public était conditionné par l'engagement des clubs et des associations à travailler dans le sens de cette égalité.
C'est une idée que nous essayons de promouvoir. Une note présentant l'éga-conditionnalité est d'ailleurs disponible sur le site du HCE|fh. Je pense que cette notion va dans le sens de la transparence dans l'affectation des moyens publics. Une des recommandations finales de notre rapport porte sur le soutien et l'accompagnement aux associations dans la recherche de financements publics ou privés, à l'image de ce que peut faire le centre Hubertine Auclert de la région Ile-de-France. Voilà un bel exemple d'investissement d'argent public, qui renforce les capacités des associations pour lever des fonds privés ou être en mesure de solliciter des fonds structurels européens.
Bien évidemment, l'obtention de financements n'est pas une fin en soi : cet argent doit être utilisé pour que les politiques publiques d'égalité puissent changer la vie de millions de femmes, notamment celles qui sont victimes de violences. Nous devons partager le diagnostic selon lequel investir dans l'égalité entre les femmes et les hommes rapportera à long terme. L'heure n'est plus à la charité, au travail invisible des femmes et aux seules récompenses honorifiques. On ne peut plus aujourd'hui se payer de mots. Obtenir des moyens est la condition indispensable pour accélérer et amplifier le mouvement en faveur de l'égalité. Le Conseil de l'Europe et l'ONU précisent que tout ce qui concerne le droit des femmes doit recevoir un soutien politique et financier permanent. Imaginez ce qui pourrait être réalisé avec des moyens plus importants !
Corinne Bouchoux . - Merci beaucoup pour ce rapport et cet exposé très minutieux. Le problème est clairement énoncé et les données sont politiquement sur la table.
Que peut-on faire au Sénat pour faire rapidement et significativement avancer ce sujet alors que l'année prochaine, année électorale, permettra d'en débattre ?
Dans une petite fédération politique qui compte très peu d'élus, nous avons développé une solution qui ne coûte rien, et qui consiste à convaincre massivement les femmes de s'impliquer dans l'élaboration et le vote du budget.
Nous pourrions donner l'exemple au Sénat en nous impliquant davantage dans l'adoption du budget. Or la commission des Finances ne compte que 10 % de sénatrices, ce qui est très peu.
Nous pourrions y travailler pendant la suspension des travaux du Sénat en séance publique. Nous, petite famille politique, l'avons fait pour les élus en convaincant les femmes de ne pas se destiner systématiquement aux affaires sociales ou à la culture. Si l'on sensibilisait les sénatrices, de tous les groupes politiques, à l'importance des discussions budgétaires, notre avis pèserait bien davantage ! C'est la seule solution que je suis en mesure de proposer. Cela pourrait être très efficace, comme l'a montré l'année dernière l'engagement de notre présidente, Chantal Jouanno, lors de la discussion sur la « taxe tampon ».
Annick Billon . - Je reviens sur le CIDDF de la région Auvergne-Rhône-Alpes dont vous avez parlé tout à l'heure : y a-t-il beaucoup d'autres exemples similaires depuis les dernières élections régionales ? Est-ce uniquement dû à des problèmes budgétaires ? Est-ce en lien avec les nouvelles équipes, qui accorderaient une moindre place aux droits des femmes et à l'égalité ? Cette diminution des subventions aux associations en charge des droits des femmes et de l'égalité, qui sont actives également dans le domaine des droits sexuels et reproductifs, concerne-t-elle plus particulièrement les régions dont les majorités ont basculé à droite lors des dernières élections ?
Brigitte Gonthier-Maurin . - Ce rapport du HCE|fh nous indique des pistes stimulantes pour orienter nos réflexions et nos propositions.
Vous révélez des chiffres incontestables, qui démontrent que nos politiques publiques, au lieu de faire reculer les inégalités femmes-hommes, contribuent au contraire à les faire progresser, car quand une association disparaît, cela se traduit par une réduction de la capacité des femmes à réagir aux inégalités qui les frappent. Vos recommandations sont très novatrices. Comment les faire progresser au Sénat : par un débat public, par une proposition de résolution ?
Je reviens sur le budget de la SPA, même si vous ne l'avez cité que pour illustrer des ordres de grandeur : qu'un chien suscite plus d'empathie qu'une femme est inquiétant...
Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) . - Je trouve superbe l'idée de Corinne Bouchoux et je pense qu'il faut en effet débuter par les lieux où s'exerce le pouvoir de décision, et le débat budgétaire est le meilleur exemple qui soit.
Ces sujets devront impérativement être débattus pendant la prochaine campagne présidentielle. Les associations souhaitent que les partis politiques les prennent en compte, mais encore faudrait-il obtenir un engagement de tous les candidats !
L'un des problèmes majeurs aujourd'hui consiste à pouvoir chiffrer les besoins en matière de financement des droits des femmes, que j'estime à cinq ou six fois le budget actuel pour que les associations puissent faire leur travail. Des experts peuvent-ils en quelques semaines préciser le nombre de places d'hébergement nécessaires et chiffrer leur coût, ainsi que celui de la mise en oeuvre des dispositions législatives sur l'éducation à la sexualité dans toutes les classes ?
Pour répondre à Annick Billon, nous n'avons pas aujourd'hui d'état des lieux complet de la situation des associations au regard de la baisse des subventions des collectivités territoriales. Le CIDFF et le Planning familial font remonter des informations et l'on espère en avoir une vision d'ensemble assez rapidement. En revanche, nous avons des remontées de certaines régions. Dans les Hauts-de-France, il y a quelques mois, une association de formation n'avait aucune réponse sur la reconduction de sa subvention de fonctionnement. Elle l'a finalement obtenue : ce sont sûrement des sujets qui apparaissent comme secondaires à des équipes nouvelles et, en conséquence, des subventions sont parfois supprimées. Or, ce sont des sujets d'intérêt général et une association ne devrait pas avoir à pâtir d'une alternance politique, notamment lorsque des programmes de formation sont cofinancés par l'Europe.
Je suis totalement d'accord avec Brigitte Gonthier-Maurin, les politiques publiques ne jouent pas leur rôle. Que l'absence de financement pérenne conduise les associations effectuant une mission d'intérêt général et remplissant une mission de service public à disparaître, comme le CIDFF de Grenoble, c'est insupportable car des centaines, voire des milliers de femmes en subissent les conséquences.
Françoise Laborde . - L'anormalité du bénévolat et du travail non rémunéré des femmes, ainsi que la dénonciation des sous-financements chroniques sont en effet des idées à creuser.
Un grand progrès résulterait de l'obtention de financements triennaux pour les associations, car nous savons bien que les associations ne peuvent pas se développer sans visibilité sur leurs financements à moyen terme.
Le problème du financement des centres de Planning familial existe aussi dans nos départements et n'est pas particulier à la région Rhône-Alpes. En Haute-Garonne, il nous a été objecté qu'il y aurait trop d'emplois rémunérés au Planning familial : il faut l'entendre pour le croire ! Comme les personnes qui y travaillent sont des militantes, elles se déplacent beaucoup dans le cadre de leurs activités et comme nos départements sont très vastes, s'étendant jusqu'à l'Espagne, le Comminges, elles doivent payer l'essence, en plus du travail bénévole qu'elles accomplissent déjà pour le Planning ... De ce fait, certaines régions ne sont plus du tout couvertes par ces associations.
Maryvonne Blondin . - J'adhère à l'ensemble des remarques formulées. J'observe que le Fonds social européen (FSE) peut être activé par la région. Les conseils régionaux pourraient donc apporter leurs conseils aux associations pour les aider à remplir un dossier de demande de fonds européen, ce qui n'est pas aisé pour les petites structures.
Il semblerait que des fonds européens de toutes natures repartent à la région car ils sont sous-consommés !
Concernant le manque d'expertise pour chiffrer le coût de l'hébergement des femmes victimes de violences, les départements ont bien réussi à chiffrer le coût de l'hébergement d'un mineur isolé étranger. Ce chiffrage concerne d'ailleurs non seulement le volet hébergement mais aussi l'accompagnement social et le travail éducatif. Il y a là une capacité qui devrait pouvoir être mise en oeuvre lorsqu'il s'agit des femmes, tout comme doit être chiffré aussi leur travail domestique ou social.
Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) . - Concernant les fonds européens et l'aide que pourrait apporter la région, la région Ile-de-France pratique déjà cette assistance à travers le centre Hubertine Auclert, qui est un centre de ressources pour les associations. Sa présidente me disait que cette aide pourrait être proposée aux autres régions à partir d'une décentralisation du centre Hubertine Auclert. C'est une excellente idée ! J'ai donc suggéré au centre Hubertine Auclert d'écrire à tous les présidents de région pour leur faire part de ce projet de décentralisation de ses capacités en région.
Brigitte Gonthier-Maurin . - Les financements du centre Hubertine Auclert sont-ils stabilisés ?
Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) . - Il semble que ce soit le cas.
Bien que je confirme que les conseils départementaux sont en mesure d'évaluer le coût de la prise en charge des mineurs, je ne suis pas certaine que quiconque procède à la même évaluation pour le coût de l'hébergement des femmes victimes de violences, car à l'heure où le 4 ème plan est évalué, personne n'est en mesure de dire avec précision combien de places dédiées aux femmes ont été ouvertes, ni globalement, ni par département, ce qui vous montre la difficulté à laquelle nous sommes confrontées.
Pour en revenir aux chargées de mission aux droits des femmes dans les départements, elles sont présentes à toutes les réunions et n'ont pas forcément de secrétariat. Il faudrait qu'elles disposent toutes des moyens de remplir dans de bonnes conditions les missions qui leur sont confiées. Il s'agit là d'une charge très importante.
Chantal Jouanno , présidente . - Je vous remercie, madame la présidente, le débat a passionné et appelle de nouveaux travaux sur l'estimation du chiffrage des besoins que vous avez évoqués.
Audition d'Édouard Durand, magistrat
(17 novembre 2016)
Présidence de Françoise Laborde, vice-présidente
Françoise Laborde , présidente . - Chers collègues, je vous prie d'excuser Mme Jouanno, que j'ai l'honneur de remplacer ce matin. Nous accueillons M. Édouard Durand, magistrat, membre du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh) et du conseil scientifique de l'Observatoire national pour la protection de l'enfance, qui nous parlera des violences conjugales. L'audition de M. Durand, connu pour son expertise sur le sujet, joue un rôle de piqûre de rappel avant le débat en séance publique, mardi 22 novembre à 17h45, sur les conclusions du rapport de notre délégation intitulé 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales . J'indique à l'attention de M. Durand que ce rapport émane d'un groupe de travail constitué d'un co-rapporteur par groupe politique - j'en étais membre pour le groupe RDSE. Ce choix témoigne de l'importance cruciale que notre délégation attache à ce sujet particulièrement grave.
En France, en moyenne, une femme meurt tous les trois jours de violences conjugales. Tous les deux jours et demi, un homicide est commis au sein des couples. En 2014, 143 personnes sont décédées, victimes de leur conjoint ou ex-conjoint. Face à ces chiffres plus que préoccupants, notre rapport constate que si la lutte contre les violences au sein des couples est désormais une politique publique à part entière, assise sur plusieurs plans interministériels successifs et sur un dispositif législatif solide, des lacunes persistent, notamment dans la prise en charge des victimes - les femmes, mais aussi les enfants.
Nous avons plus particulièrement souhaité insister sur la nécessité de renforcer la cohérence de la réponse judiciaire, sur l'opportunité d'améliorer la gouvernance à partir d'un maillage territorial renforcé, sur le besoin de prendre systématiquement en compte les conséquences des violences conjugales sur les enfants, et sur la nécessité de renforcer la prise en charge des conséquences psychotraumatiques de ces violences sur les victimes.
Nous souhaiterions donc que vous nous fassiez part de votre expérience de magistrat confronté aux violences conjugales, que vous réagissiez aux propositions de notre rapport et que vous nous donniez votre point de vue sur la politique actuelle de lutte contre les violences conjugales, en insistant sur ce qui vous paraît devoir impérativement être amélioré à l'occasion de l'élaboration du 5 ème plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
M. Édouard Durand, magistrat . - Merci. Je suis très honoré de l'invitation à participer à vos travaux. Je parlerai du point de vue particulier du juge des enfants, du juge aux affaires familiales et du juge pénal de tribunal correctionnel ou de cour d'assises. L'essentiel de ma compréhension du problème vient du traitement de la parentalité. Il m'est difficile de distinguer la conjugalité et la parentalité, qui sont présentes indissociablement dans les violences conjugales, et de m'éloigner du cadre du droit de la famille.
J'ai pris conscience du problème des violences conjugales au cours de ma première année d'exercice des fonctions de magistrat. En tant que juge, j'ai très souvent été confronté à des femmes victimes, des hommes agresseurs et des enfants victimes ou co-victimes. Or je ne traitais pas la question de la même façon selon que j'étais juge du tribunal correctionnel, juge aux affaires familiales ou juge des enfants. Dans le premier cas, je voyais l'agresseur comme quelqu'un qui a transgressé la loi, qui est déclaré coupable et condamné. Dans le deuxième cas, si les violences conjugales étaient établies, le divorce était prononcé aux torts partagés. Dans le troisième cas, j'étais en-deçà de la loi, édulcorant les violences au nom des dynamiques familiales, ce qui pouvait parfois mettre les familles et les professionnels de la protection de l'enfance en difficulté.
Ces propos illustrent les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes victimes de violences conjugales dès lors qu'elles les dénoncent. Les professionnels vont d'abord se pencher sur l'agresseur, les motifs de son passage à l'acte et son impact sur les victimes, et par un mécanisme de diversion, déplacer leur regard vers le couple, adopter une approche de pathologie du lien - l'agresseur et la victime sont envisagés comme « coresponsables » des violences -, puis focaliser leurs compétences sur la victime. Dès que l'on entre dans le champ de la parentalité, on passe de la femme victime à la mère que l'on considère comme incapable de protéger ses enfants, et on cesse de considérer les violences conjugales en tant que telles. Vous avez d'ailleurs mis en avant ces mécanismes dans votre rapport. Je ne suis en désaccord ni avec vos constats ni avec vos recommandations.
Plus la législation évolue pour protéger les victimes de violences conjugales, plus les mécanismes de défense, voire de déni, et de la société, et des professionnels, deviennent saillants. Les résistances, qui demeurent très importantes, relèvent de la législation mais aussi des pratiques professionnelles. Malgré tout, collectivement et individuellement, quoi qu'on dise, nous tolérons les violences conjugales ; il y a une tolérance sociale aux violences conjugales. Il faut commencer par tordre le cou au déni.
À Marseille, un tiers des dossiers que je traitais en tant que juge des enfants concernait des violences conjugales. Je n'avais pas, à côté, un tiers de dossiers d'enfants fugueurs, ou de parents toxicomanes ou atteints de pathologies psychiatriques.
Votre rapport fait référence au Dr Maurice Berger, selon lequel les enfants les plus violents sont dans un grand nombre de cas des enfants victimes des violences conjugales. Pourtant, on a du mal à repérer ces violences. Dans bien des situations, on ne nommera pas ces faits « violences conjugales », mais « conflit conjugal », ou l'on dira que « l'enfant assiste aux disputes de ses parents ». On ne dira pas que la mère est sous emprise, mais qu'elle est ambivalente.
Charles Péguy dit : « le plus difficile est de voir ce que l'on voit ». Les mécanismes de déni ont pour objectif de nous aider à ne plus voir ce que nous voyons ; nous éloignons le sujet qui nous fait peur, y compris comme professionnel.
Je crois de plus en plus que la question est transversale. Les violences conjugales font partie de ces problèmes qui viennent mettre en question nos compétences - de l'ordre de l'intime, elles nous gênent -, mais aussi nos représentations collectives et personnelles de la famille et de la virilité, ainsi que les principes structurants sur lesquels s'appuient nos compétences professionnelles. Avec Karine Sadlier et Ernestine Ronai, nous avons intitulé notre livre Violences conjugales : un défi pour la parentalité , mais c'est aussi un défi pour tous les professionnels.
C'est vrai pour moi comme magistrat ; les violences conjugales mettent en question les grands principes de l'activité juridictionnelle. Il faut parvenir à les mettre en oeuvre dans une stratégie de protection des victimes, pas en soutien de la stratégie de l'agresseur. Cela est vrai pour le principe de la charge de la preuve : comment prouver ce qui se passe dans le secret des maisons, fermées aux regards extérieurs ? L'ordonnance de protection est, à l'inverse, un coup de génie du législateur : le juge peut la délivrer en cas de « vraisemblance » des violences et du danger auxquels les victimes sont confrontées.
Autre grand principe, celui de l'impartialité qui, entendu de la façon la plus large, va jusqu'à envisager l'équidistance entre les parties : c'est ce qu'on appelle la « neutralité bienveillante » dans le champ social. « Je ne dois pas me prononcer en faveur de l'un ou de l'autre », disent les professionnels. Pourtant, le psychothérapeute Pierre Lassus dit « qu'entre le loup et l'agneau, être neutre c'est être du côté du loup ».
Quant au principe du contradictoire, il conduit à mettre en présence, lors d'une audience du juge des enfants, l'agresseur et la victime. Au tribunal correctionnel ou à la cour d'assises, on peut mettre une distance entre l'agresseur et la victime et ils peuvent même être séparés. Mais dans le bureau du juge, de l'assistante sociale ou d'autres professionnels, agresseur et victime sont assis côte à côte, tout particulièrement quand on sort du champ de la conjugalité pour entrer dans celui de la parentalité. J'ai moi-même fait asseoir côte à côte une victime de viol et son agresseur, parce que je pensais avoir en face de moi un père et une mère - comme si, avec la parentalité venaient la symétrie et le respect mutuel. Karine Sadlier appelle cela la « séparation prématurée du parental et du conjugal ». C'est pourquoi il ne faut surtout pas séparer les deux champs.
Les violences conjugales peuvent survenir dans des couples sans enfant, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels, mais, très souvent, les couples ont des enfants et la parentalité devient le prétexte de l'agresseur pour pérenniser son emprise, même après la séparation. Sur ce point, votre responsabilité de législateur est immense. Il faut veiller à la cohérence de notre législation. Permettez au magistrat que je suis, très respectueux du législateur, de vous appeler à ne pas déconstruire le droit de la famille au moment où vous construisez une législation très protectrice des enfants.
Nous abordons le droit de la famille avec un principe exclusif, celui de la coparentalité. Or il me semble que la société n'a que deux attentes vis-à-vis des parents : qu'ils nous prémunissent de tout dérapage de l'enfant dans l'espace public et qu'ils s'entendent. On ne peut pas protéger les victimes de violences conjugales si l'on attend cela d'elles.
Le risque est grand pour les victimes, lors de la dénonciation des faits, qu'on leur dise qu'elles sont des mères « aliénantes » et qu'elles doivent s'entendre avec leur agresseur, en tant que coparent. J'y vois le reflet d'une tendance à confondre conflit et violence.
Il existe quatre modèles de séparation : l'entente - c'est plutôt rare, au moins dans les premiers temps de la séparation ; le conflit - les parents, en désaccord, se respectent ; l'absence - de l'un des parents ; la violence - plus spécifiquement conjugale. Les outils utiles au règlement du conflit, tels que la médiation, ne sont pas utilisables dans les autres cas. La médiation familiale est encore plus inadaptée aux violences conjugales que la médiation pénale, puisqu'on déplace le champ du débat de la violence à la parentalité. Il est primordial de différencier la violence du conflit. En qualifiant de conflit conjugal ou parental des violences conjugales, nous mettons en danger les victimes.
Les violences mettent en présence deux personnes dans un rapport asymétrique de domination. Dans les violences conjugales, contrairement à la plupart des autres formes de violences, les victimes sont confrontées à la permanence de la présence de l'agresseur et à la répétition du fait traumatique.
Notre défi, c'est d'arriver à tracer une frontière pour que le lieu de protection que doit être la maison familiale ne soit pas le lieu du danger. Je coordonne avec Ernestine Ronai un diplôme universitaire sur les violences familiales à l'Université de Paris VIII. Le sujet de mémoire de l'une de nos étudiantes au cours d'une précédente session portait sur « la maison, lieu de tous les dangers ». Une femme est davantage susceptible d'être victime de violences dans un lieu privé et de la part d'un homme qu'elle connaît ; c'est l'inverse pour un homme, qui est plus susceptible de faire l'objet de violences dans l'espace public, de la part d'un autre homme inconnu. Nous devons donc garantir que la maison familiale redevienne un lieu de protection.
Connaître la stratégie de l'agresseur et y répondre par des mesures de protection réfléchies en commun par les professionnels, améliorer la législation et la formation de tous les intervenants, ne pas séparer le conjugal du parental : telles sont les pistes de travail pour la cohérence du dispositif et pour que la chaîne de traitement des violences conjugales ne soit pas défaillante.
Françoise Laborde, présidente . - Vous avez répondu dans votre exposé à la plupart des questions que je me posais. Votre réflexion aurait pu enrichir le rapport sur les violences conjugales que nous avons publié. Je vous remercie de l'honnêteté dont vous avez fait preuve, notamment sur la question du déni et de l'attitude des magistrats. Pour en revenir à la résidence alternée, j'y ai été favorable mais je n'avais pas en tête les différents cas que vous nous avez exposés. Bien évidemment, cette solution doit être absolument écartée en cas de violences conjugales. Croyez-vous qu'en l'état actuel, nous disposons d'une réponse judiciaire efficace contre les violences conjugales ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière d'apprécier au plus juste la prise en charge des auteurs de violences conjugales ?
Roland Courteau . - Je regrette aussi que vous n'ayez pas été entendu dans le cadre de l'élaboration de notre rapport. Les traumatismes que les enfants subissent en cas de violences conjugales sont reconnus comme un préjudice. Qu'en est-il lorsque la violence est portée contre une femme enceinte, avec les séquelles qui s'ensuivent pour l'enfant à venir ? Autre question : la loi permet le retrait total de l'autorité parentale en cas de meurtre du conjoint. Faut-il selon vous le systématiser dans ce cas-là ?
La mémoire traumatique peut ressurgir dans des situations qui rappellent le passé de sorte que les enfants peuvent être les victimes indirectes des violences conjugales. Troubles du sommeil, cauchemars, les soins sont indispensables ! Cet impératif est-il suffisamment pris en compte ? On manque de centres de soins en France. Si on ne les soigne pas, les femmes et les enfants traîneront cette terrible souffrance toute leur vie.
Danielle Michel . - De quels moyens disposons-nous pour garantir que le domicile familial soit un lieu de sécurité ?
M. Édouard Durand, magistrat . - Merci de ces questions qui mettent l'accent sur des points cruciaux et auxquelles il est difficile de répondre. Je me garderai de toute appréciation sur le travail de mes collègues. Ce n'est pas parce que j'ai enseigné à l'École nationale de la magistrature que je suis en droit de juger de l'efficacité de la réponse judiciaire ou des procédures mises en oeuvre par les procureurs de la République. En revanche, j'interroge mes propres pratiques.
Si la loi est la même pour tous dans l'ensemble du territoire, les victimes ne sont pas toutes protégées de la même manière. J'ai pu le constater au cours de mes déplacements. Les politiques publiques sont plus efficaces dans certains territoires que dans d'autres. La Seine-Saint-Denis et Paris sont des territoires emblématiques d'une jurisprudence déterminée à protéger les victimes. Les professionnels ont su y développer dans la durée des partenariats efficaces pour créer des dispositifs comme le téléphone d'alerte en cas de grave danger (TGD). Du fait de leur culture et de leur fonction, les parquets sont plus réceptifs à la notion de partenariat, alors que les juges travaillent généralement dans une logique plus individualiste et jurisprudentielle. Leur décision intervient a posteriori , après l'audience. La cohérence est donc plus rétrospective que prospective. Cela ne devrait pas empêcher le développement de pratiques collectives, car elles sont des garanties d'efficacité dans le champ civil et dans celui de la parentalité.
Le procureur de la République est le seul acteur judiciaire qui se trouve au carrefour de toutes les procédures pénales et civiles. Son rôle très évident dans le champ pénal ou dans celui de la protection des enfants reste encore insuffisant dans le champ des affaires familiales. L'article 373-2-8 du Code civil 94 ( * ) autorise le procureur à saisir le juge aux affaires familiales. Il faudrait à mon avis élargir cet article pour renforcer les possibilités d'intervention du procureur de la République dans les situations de violences conjugales. Il arrive que des femmes victimes de violences conjugales soient prêtes à sacrifier les conditions de leur divorce - convention inégalitaire, renonciation à l'exercice exclusif de l'autorité parentale, etc. - pour être sûres de pouvoir échapper à leur agresseur. Leur priorité est juste de partir... On pourrait concevoir que le procureur de la République puisse intervenir dans de telles situations. Mes collègues ne partageront peut-être pas cet avis. Pourtant, je pense que cela irait dans le bon sens.
La parentalité et la protection des enfants dans le cadre des violences conjugales sont des sujets qui mériteraient d'être mieux traités qu'ils ne le sont. Même si je suis un ardent défenseur de la coparentalité, très importante pour l'enfant, il doit y avoir des exceptions, car il est dangereux d'offrir à l'agresseur les moyens de pérenniser l'emprise qu'il exerce sur sa victime. Vous avez auditionné des experts. Dans l'exercice conjoint de l'autorité parentale, l'agresseur a toute latitude pour s'opposer aux soins. Les professionnels engagent même leur responsabilité s'ils maintiennent les soins. Karen Sadlier cite plusieurs études dans l'ouvrage qu'elle a dirigé : dans 40 % des cas, l'enfant qui vit au sein d'une famille en proie aux violences conjugales est directement victime de ces violences. Dans près d'un cas sur deux, le mari violent est un père violent. Dans tous les cas, la violence conjugale est une maltraitance pour l'enfant. D'où la nécessité d'introduire des exceptions à la coparentalité.
Une piste de réflexion consiste à penser la parentalité à partir de ce que révèle la violence dans la conjugalité. Et lorsqu'un juriste dit « révèle », c'est qu'il utilise un mécanisme que vous connaissez bien, celui de la présomption. Il faut présumer qu'un mari violent est un père dangereux. Cela ne constitue pas forcément une atteinte portée à la paternité.
Roland Courteau . - Une présomption peut-elle être vérifiée par une expertise médicale ?
M. Édouard Durand, magistrat . - À une présomption simple il est possible d'apporter la preuve contraire, notamment par le biais d'une expertise. À une présomption irréfragable, il n'est pas possible d'apporter la preuve contraire. « Tant que l'enfant n'a pas de bleus, on ne peut rien faire », c'est ce que l'on peut entendre. Ce que je propose, c'est de renverser le raisonnement selon lequel il faut constater des traces de coups sur l'enfant avant d'intervenir. Pour cela, il faut partir du principe qu'un mari violent est un père dangereux.
J'ai entendu comme vous l'avis des psychiatres, des psychologues et des médecins sur la gravité traumatique des violences conjugales pour les enfants. Le docteur Maurice Berger indique notamment que plus l'enfant est jeune, plus la mémoire traumatique est ancrée. D'où la nécessité de proposer des soins aux victimes. Cependant, il faut considérer que les violences conjugales ne sont pas une pathologie et prendre en compte qu'elles sont unilatérales et asymétriques. Cette asymétrie qui vaut dans les compétences parentales doit se retrouver dans l'offre de soins, car il ne faut pas renvoyer le même message à l'agresseur et à la victime. Ils ne sont pas dans la même position. On risquerait sinon de reproduire sans le vouloir le discours humiliant que l'agresseur a pu tenir à sa victime : « Tu devrais aller te faire soigner ». Les soins ne doivent pas renvoyer la responsabilité sur la victime (« Qu'est-ce qui s'est passé dans votre vie pour que vous soyez victime de violences ? »). Développer les unités de prise en charge pour traiter le psychotraumatisme dont souffrent les femmes et les enfants victimes de violences conjugales, telle doit être notre priorité. Quant aux agresseurs, ils doivent être impérativement soumis à une injonction de soins.
Linda Tromeleue, une psychologue qui travaille sur ces sujets, analyse très justement que l'agresseur « remplace l'interdit de la violence par l'interdit du langage ». Les professionnels ne doivent pas se laisser « infiltrer » par cette « stratégie de l'agresseur ». En tant que juge exerçant dans le champ parental, je considère qu'il faut avancer au rythme des victimes, en prenant en compte la mémoire traumatique et le psychotrauma, plutôt qu'au rythme des agresseurs. Je reste circonspect sur l'idée qu'il suffirait de trois ou quatre séances pour que l'agresseur soit guéri de toute tentation de violence.
D'où la question du retrait de l'autorité parentale. Certes, le retrait de l'autorité parentale pose un risque d'inconstitutionnalité ou d'inconventionnalité ; vous vous prononcez dans votre rapport d'information pour le fait que l'on doive systématiquement se poser la question plutôt qu'en faveur d'un retrait systématique. Les juridictions ont souvent à se prononcer sur cette question, et des progrès importants restent à faire.
Il faut en effet se poser plusieurs questions. Tout d'abord, est-il légitime que l'auteur d'un féminicide soit celui qui va autoriser ou refuser les soins spécialisés dont son enfant a besoin ? La société doit envoyer un autre message. Il convient de penser différemment les champs de la filiation, de l'autorité parentale, du lien, de la rencontre. Je n'ai pas de jugement de valeur à porter sur les personnes, même les auteurs de violences conjugales. Mais en réponse à la question sur la nécessité de visites des enfants à leur père emprisonné pour violences, on entend parfois qu'il faut imposer à l'enfant des visites à son père en prison au nom du lien filial. Je ne nie pas l'importance de ce lien, mais distinguons-le de la rencontre, qu'il ne convient pas d'imposer : encore une fois, il faut aller au rythme des victimes, et non des agresseurs.
En ce qui concerne le logement, il est indispensable, naturellement, de garantir la sécurité du logement familial. Il y a deux manières de le faire : soit en déplaçant la ou les victimes - femme et enfants - dans une autre maison, soit en en évinçant l'agresseur. Encore faut-il que ces deux possibilités soient offertes aux victimes... L'enjeu est que, d'objet de violence, la victime doit devenir sujet de protection d'elle-même et de ses enfants. En d'autres termes, quand la stratégie de l'agresseur est de dévaloriser la victime, la stratégie de protection doit être de la valoriser, notamment à travers les choix qui doivent lui être proposés : quitter la maison ou y rester.
On peut, pour penser cette situation, distinguer deux moments : l'urgence et le temps plus long. Je me réfère ici à Ernestine Ronai. L'urgence est celui de la mise à l'abri ; puis, une fois prises des dispositions protectrices - par exemple une ordonnance de protection - la mère et les enfants peuvent réintégrer la maison familiale après éviction de l'agresseur, matérialisée par une interdiction de se présenter au domicile et d'entrer en contact avec les victimes.
Mais il faut avoir conscience que l'on envoie aux femmes des injonctions contradictoires : on demande aux victimes de se séparer de l'agresseur, sous peine de mettre en danger les enfants, mais une fois séparées, on leur demande de maintenir des contacts avec le père sous prétexte que l'autorité parentale doit être conjointe !
Il existe plusieurs dispositifs pour garantir la sécurité du domicile : éviction, téléphone portable grand danger (TGD), mesure d'accompagnement protégé (MAP), espace de rencontre protégé ou encore droit de visite médiatisé. Ils ont en commun de garantir une frontière face à la violence : c'est la responsabilité qui nous incombe, à vous en tant que législateur et à moi en tant que juge.
Pour autant, l'effectivité des décisions rendues par les juges aux affaires familiales n'est pas toujours garantie. Lorsqu'une victime se plaint que le mari choisit lui-même ses horaires de visite ou passe toujours par les enfants pour communiquer avec elle, il y a de grands risques que la réponse sociale et judiciaire soit la suivante : « Vous n'allez pas nous embêter pour une demi-heure de retard, vous allez bien vous entendre... ».
Faut-il une violence conjugale alléguée, établie - si une juridiction a statué sur la réalité des faits - ou condamnée pour faire échec à la médiation ? À mon avis, il doit suffire pour la victime d'alléguer les violences conjugales pour récuser la médiation.
Annick Billon . - Pour vous, la difficulté d'arriver à des décisions de justice claires et précises vient-elle de la difficulté à définir les violences conjugales ? Même autour de cette table, nous pouvons avoir une idée différente de ces violences. Elles peuvent être physiques ou psychologiques.
Nous avons été sensibles à l'importance que vous avez attachée, dans votre exposé, à votre propre ressenti de magistrat face aux violences. Est-ce répandu dans la magistrature ? Est-ce une question de méconnaissance du sujet, auquel cas la formation de magistrats semble être la solution aux difficultés que vous évoquez ?
Ces violences sont-elles mieux traitées en Seine-Saint-Denis et à Paris parce que la magistrature y est mieux formée ? Ou alors peut-être ces cas sont-ils mieux traités en raison d'un nombre d'affaires plus important ? Les différences s'expliquent-elles par un meilleur accompagnement des victimes grâce au tissu associatif ? On peut penser qu'il est plus difficile de dénoncer des violences conjugales dans les territoires ruraux isolés que dans les grandes agglomérations. Y a-t-il une corrélation entre l'accompagnement des victimes et le nombre d'affaires jugées ? Si les jugements sont plus nombreux et mieux rendus en région parisienne, cela doit se savoir dans le milieu associatif et au-delà : une victime sera plus incitée à dénoncer des faits que dans les territoires où les magistrats, mais aussi la police ou la gendarmerie, sont moins bien formés.
Françoise Laborde, présidente . - On nous reproche souvent de ne pas parler des hommes victimes de violences. Que met-on dans le mot « conjugales » ?
M. Édouard Durand, magistrat . - Les hommes victimes de violences conjugales sont une réalité, mais dans des proportions radicalement différentes. On me reproche parfois, comme à vous, d'identifier l'homme comme agresseur et la femme comme victime ; mais c'est indispensable. À l'évocation de violences conjugales, il faut se représenter un homme qui exerce des violences physiques contre sa femme ; sinon, on passe à côté. Que le couple soit hétérosexuel ou homosexuel, ceux qui protègent le plus les hommes victimes de violences conjugales sont ceux qui désignent d'abord la femme comme la victime ; ceux qui affirment que les hommes aussi sont victimes le font en général pour que l'on passe les violences sous silence.
Les féministes sont celles qui protègent le mieux les hommes victimes de violences conjugales ; en témoigne l'investissement d'Ernestine Ronai en Seine-Saint-Denis pour la mise en oeuvre de l'ordonnance de protection - cet outil inventé par des citoyennes, citoyens et professionnels qui ont pensé les violences conjugales comme une grave atteinte à l'intégrité des femmes. Des hommes aussi, chaque année, en bénéficient. Le Conseil de l'Europe ne dit pas autre chose dans sa Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique : « la violence domestique affecte les femmes de manière disproportionnée ». Les travaux de Christelle Hamel à l'Institut national d'études démographiques (INED) montrent également que le risque de violence n'est pas du tout le même selon qu'on est un homme ou une femme.
Au bout du compte, le juge se posera toujours la question : « Suis-je face à une situation de violence conjugale » ? Il est important de voir mentalement la scène, d'identifier ce qui est souvent de l'ordre du déni. En effet, les situations où la violence est difficile à définir sont moins problématiques que celles où la violence a été établie sans que l'on en tienne aucun compte, les soins et l'indemnisation n'étant pas à la hauteur.
Roland Courteau . - Certes, la violence exercée sur des hommes existe, mais j'en ai rencontré très peu d'exemples.
La loi du 4 mars 2002 95 ( * ) précise que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale ». Or la coparentalité repose sur la capacité des deux parents à communiquer ; et dans l'un de vos ouvrages, vous soulignez qu'une mère victime de violences conjugales aura toutes les peines du monde à communiquer avec son conjoint...
Pouvez-vous nous éclairer sur les trois formes de violence que vous distinguez : localisante, raptive et autotélique ? Il serait également utile d'aborder la question de l'enfant à naître, qui peut subir des dommages en cas de violences conjugales contre une femme enceinte. Peut-on envisager une réparation dans de tels cas ?
M. Édouard Durand, magistrat . - Il convient surtout de tirer des conséquences sur la parentalité des violences exercées dans la conjugalité. Voir la violence physique permet de penser les autres types de violence - économique, sexuelle, psychologique ou administrative. Les violences psychologiques sont la « colonne vertébrale de toutes les violences », selon l'expression de Karen Sadlier : intimidation, dévalorisation, rapport de domination. Au bout du compte, c'est toujours le même qui décide. La violence sert à cela : montrer qui a le pouvoir. C'est également vrai des violences sexuelles contre les enfants. On n'a pas assez à l'esprit la volonté de puissance ; il faut voir l'asymétrie, trouver les indices, connaître la stratégie de l'agresseur et identifier la peur, point commun de toutes les formes de violence.
Sur la question de la violence, je me suis inspiré des travaux du philosophe allemand Jan Philipp Reemtsma dans son ouvrage Confiance et violence . Il y remarque que la violence - même sa menace, même la violence psychologique - renvoie toujours au corps. Le juriste Jean Carbonnier, inspirateur de la loi de 1970 qui a remplacé la puissance paternelle par l'autorité parentale, observait que la puissance paternelle relevait en quelque sorte d'un « droit sur le corps et la personne » .
Jan Philipp Reemtsma distingue trois formes de violence. La violence localisante consiste à assigner une place au corps de l'autre : elle est aussi dé-localisante, lorsque l'agresseur bouscule la victime, ou qu'il lui ordonne de disparaître de sa vue. L'idée est d'isoler l'autre, en imposant un déménagement qui va l'éloigner de ses amis, de sa famille. « À quoi ça sert que tu travailles ? » « Personne n'a le droit de voir ton corps dans l'espace public ». Etc.
Roland Courteau . - « Le lustre, la table, l'armoire, la femme qui se trouvent dans cette pièce m'appartiennent et j'en fais ce que je veux. » J'ai, un jour, été happé dans une cage d'escalier par une femme en pleurs, le visage tuméfié, qui m'a entraîné dans son appartement. Dans un coin, deux enfants terrorisés : ils venaient d'assister à une scène de violence conjugale. Le mari m'a dit cette phrase qui m'a marqué pour toujours. Sa femme était sa chose, et il m'a tenu ces propos que je vous rapporte avant de m'ordonner : « Toi, dehors ».
M. Édouard Durand, magistrat . - Le droit doit garantir qu'un être humain ne doit pas être la propriété d'un autre. Pour Reemtsma, le modèle de la violence raptive, autre forme de violence, est la violence sexuelle : j'ai besoin du corps de l'autre non consentant pour obtenir une jouissance.
Françoise Laborde, présidente . - Qu'en est-il de la violence psychologique exercée par les pervers narcissiques ?
M. Édouard Durand, magistrat . - Le diagnostic ne m'appartient pas. On me reproche souvent d'en voir partout ; et comme on parle beaucoup des pervers narcissiques, le mot a été galvaudé. Or ces pervers, manipulateurs et paranoïaques sont bien réels et nombreux. Je vous renvoie aux travaux de Dominique Barbier, auteur de La fabrique de l'homme pervers , de Paul-Claude Racamier ou de Marie-France Hirigoyen.
Roland Courteau . - Cela se soigne-t-il ?
M. Édouard Durand, magistrat . - Je ne voudrais pas me prononcer sur un domaine de compétence qui n'est pas le mien ; mais, répétons-le, il faut d'abord avancer au rythme des victimes.
J'en viens à la troisième forme de violence, la violence autotélique, qui est sa propre fin et se traduit par une volonté de destruction du corps jusqu'à la mort. Ces trois catégories - localisante, raptive, autotélique - sont utiles pour voir la violence conjugale et la comprendre ; car une grande tentation consiste au contraire à allumer des contrefeux pour ne pas la voir...
Je n'ai jamais été en poste à Paris ou à Bobigny ; mais c'est là, même si beaucoup a été fait ailleurs, qu'a été trouvé le meilleur équilibre entre la connaissance du problème et le partenariat effectif avec les associations. Il faut des repères pour comprendre et des outils pour régler un problème ; a contrario , si l'on connaît le problème sans avoir d'outils à sa disposition pour le régler, on finira par préférer ne plus le voir.
À Paris et surtout en Seine-Saint-Denis, un équilibre a été trouvé entre la compréhension du problème et le partenariat, à travers l'investissement des personnes : Ernestine Ronai, que vous connaissez bien, le président du Conseil départemental, les procureurs, les présidents successifs du tribunal de grande instance de Bobigny... Tous ont formalisé leur engagement personnel dans des protocoles et des partenariats qui ont été conçus de manière à survivre aux changements de personnes et aux mutations, qui sont fréquentes dans la magistrature.
La formation est essentielle. J'interviens à l'ENM en formation initiale et continue. Il est impératif que tous les professionnels bénéficient d'une formation cohérente, car un maillon faible altère l'efficacité de tout un dispositif. Il est inutile de former des policiers si les magistrats ne le sont pas ou de former les magistrats si les assistantes sociales ne le sont pas. Il faut porter attention à l'effectivité de la formation, mais aussi à son contenu. Il est par exemple indispensable de parler du psychotrauma. Dans le contenu, il y a toujours un engagement, un choix.
Roland Courteau . - Notre rapport propose d'organiser des formations dans les régions plutôt qu'à Paris, où les magistrats n'ont pas toujours le temps de se rendre.
Édouard Durand, magistrat . - Il convient d'articuler les formations continues concentrées à l'ENM et les formations déconcentrées. Ainsi la formation continue pourrait s'organiser en grandes sessions de trois jours réunissant diverses professions et destinées à mettre en place les fondamentaux, tandis que la formation déconcentrée s'inscrirait dans la durée, à raison par exemple d'une journée par trimestre. Ce serait l'occasion d'approfondir des thèmes entre professionnels de la justice. Ces sessions seraient assurées par des groupes d'experts en mission. Ernestine Ronai met l'accent sur la formation des formateurs : c'est très important aussi.
On peut également imaginer des dispositifs plus incitatifs. Quoi qu'il en soit, tous les professionnels doivent être formés.
Roland Courteau . - Y compris les policiers et les gendarmes.
Édouard Durand, magistrat . - Tous.
Françoise Laborde, présidente . - La police et la gendarmerie ont fait des progrès dans l'accueil des victimes. Certes, le saupoudrage de la formation continue existe, hélas, dans toutes les catégories professionnelles. Mais en général, on estime que c'est mieux que rien...
Édouard Durand, magistrat . - Vous le notiez dans votre rapport d'information sur les violences conjugales : un travail intense de formation a été mené depuis 2013. Il reste à mettre en place l'incitation, la cohérence et le choix du contenu de la formation. Peut-être n'appartient-il pas à l'État de définir ce contenu ; mais, j'y insiste, il n'y a pas de position neutre.
Stricto sensu , l'enfant n'est pas considéré comme victime de violences conjugales au sens pénal, mais il subit un préjudice indemnisable au plan civil. Dans l'ouvrage que j'ai publié avec Ernestine Ronai et Karen Sadlier, Violences conjugales : un défi pour la parentalité , nous avons envisagé deux pistes : considérer la présence d'un enfant comme une circonstance aggravante ou, solution qui a ma préférence, le cumul idéal des qualifications. Les violences conjugales portent atteinte à une pluralité d'intérêts et de victimes. Exercer des violences contre sa femme est une infraction contre celle-ci et une infraction distincte contre l'enfant.
Françoise Laborde, présidente . - Je vous remercie. Tous les ans, nous sommes amenés à revenir à ce sujet, à faire le point sur les évolutions, les interprétations législatives, la prise en charge des victimes femmes et des agresseurs.
Roland Courteau . - Chaque année, une remise à niveau s'impose.
Françoise Laborde, présidente . - Nous rencontrons nous aussi des situations où notre propre affect entre en jeu. Il est essentiel de construire une législation familiale conforme à nos ambitions de lutte contre les violences conjugales.
Édouard Durand, magistrat . - La puissance maritale a disparu en 1938, la puissance paternelle en 1970. Mais ces acquis sont très fragiles : de puissants mouvements cherchent à les remettre en cause. La différence entre la puissance et l'autorité réside dans l'interdiction de la violence. En son temps, la disparition de la puissance paternelle a été déplorée dans des rapports publics. Jean Carbonnier disait que l'Histoire avait ses à-coups.
Les violences conjugales sont un fait majeur ; les éradiquer serait un bon moyen de faire diminuer la délinquance des enfants. Merci de votre attention et du temps que vous m'avez accordé.
Françoise Laborde, présidente . - Merci à vous de vous être rendu disponible pour nous.
Audition de Marlène Schiappa, secrétaire
d'État chargée de l'Égalité
entre les femmes et
les hommes
(20 juillet 2017)
Présidence de Chantal Jouanno, présidente
Chantal Jouanno , présidente . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, que je remercie pour sa présence. Nous lui adressons toutes nos félicitations et nos encouragements pour la mission qui l'attend. Elle pourra compter sur notre soutien pour l'aider dans son action.
Je précise que notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo.
Madame la ministre, cette prise de contact est tout à fait bienvenue avant la nouvelle législature qui s'ouvrira début octobre 2017, après le renouvellement sénatorial du 24 septembre, et j'imagine que vous reviendrez rencontrer la nouvelle délégation.
Nous souhaiterions que vous veniez nous exposer au moins une fois par an vos priorités et chantiers à venir, notamment dans le cadre du rendez-vous budgétaire annuel, qui est toujours un temps fort de nos activités. Nous voudrions aussi pouvoir vous rencontrer à chaque fois que l'actualité de votre ministère - ou d'autres ministères - touchera l'évolution des droits des femmes ou tous les sujets qui leur sont connexes. Nous espérons également pouvoir compter sur votre mobilisation à chaque fois que des textes législatifs seront susceptibles d'affecter les droits des femmes.
Enfin, nous attachons une grande importance à votre présence, dans le cadre des débats en séance publique que nous organisons sur des rapports emblématiques de la délégation, pour réagir à nos propositions.
En 2016, nous avons eu ainsi l'occasion de tenir deux débats dans l'hémicycle, en présence de la ministre des Droits des femmes : l'un sur les femmes victimes de la traite des êtres humains, au mois de mai, l'autre sur les violences conjugales, au mois de novembre, deux sujets qui tiennent à coeur de nos sénatrices et sénateurs.
Je vous annonce que nous ambitionnons d'ores et déjà d'organiser à la rentrée un tel débat sur le rapport Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires 96 ( * ) , le tout dernier rapport adopté par la délégation. Il reste encore à caler la date de ce débat public, ce qui ne sera pas des plus simples entre les élections sénatoriales de septembre prochain et l'installation de la nouvelle délégation...
Au regard des attentes de la délégation, il me paraît important de vous présenter rapidement ses travaux et son bilan au cours des trois dernières années (2014-2017), mais aussi l'esprit dans lequel nous travaillons, même si nous avons déjà eu l'occasion, lors d'une précédente rencontre, d'échanger sur les orientations de la délégation.
Au cours de la période 2014-2017, nous avons mené trois types de travaux.
En premier lieu, des activités événementielles, notamment à l'occasion du 8 mars, mais aussi un colloque annuel portant sur des thèmes variés : « Femmes citoyennes » en 2015, organisé à l'occasion de la célébration du 70 ème anniversaire du premier vote des femmes ; « Associations : les femmes s'engagent ! » en 2016, destiné à rendre hommage à l'engagement associatif des femmes ; « Être agricultrice en 2017 », un thème qui parle particulièrement au Sénat, en tant qu'assemblée représentative des territoires. Organisé à l'occasion du Salon international de l'agriculture, ce colloque a abordé trois thématiques : les défis opposés aux agricultrices, les innovations qu'elles portent dans le domaine agricole et leurs engagements politique, associatif et syndical.
Je voudrais mentionner aussi, parmi les événements que nous avons organisés, le récent hommage à notre ancien collègue Lucien Neuwirth, dans le cadre de la commémoration (par anticipation) de l'adoption de la loi du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances 97 ( * ) . Plusieurs sénateurs et sénatrices ont participé à cet hommage, aux côtés de la présidente du Planning familial et de Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. La cérémonie a donné lieu à la publication d'un recueil de tous les discours prononcés à cette occasion.
Le soutien sans concession des droits sexuels et reproductifs est une préoccupation constante de la délégation. La libre disposition du corps des femmes est un débat récurrent et il est important de ne jamais baisser la garde sur ces sujets : on ne peut pas dire qu'il y ait forcément une évolution naturelle vers plus de droits des femmes. On peut en effet observer des tentatives de retour en arrière, dans les discours ou dans les faits, dans certains pays.
En second lieu, la délégation a publié 12 rapports d'information au cours de la période écoulée, portant sur des thèmes d'actualité ou sur des thèmes de fond récurrents intimement liés aux droits des femmes dans leurs différents aspects. Le temps étant compté ce matin, je n'en citerai que deux, qui me paraissent représentatifs de l'esprit dans lequel nous travaillons.
Le rapport Des femmes engagées au service de la défense de notre pays 98 ( * ) , tout d'abord, qui rend compte d'une rencontre passionnante avec des femmes militaires, ouverte par le ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian. En effet, à l'occasion du 8 mars 2015, la délégation a souhaité mettre à l'honneur, conjointement avec le ministre de la Défense, les femmes militaires et les accueillir, toutes armées et générations confondues, pour leur permettre de témoigner devant nous de leur vocation.
Nous avons valorisé non seulement les femmes militaires, avec toutes les difficultés qu'elles peuvent rencontrer, mais aussi la politique du ministère de la Défense, qui mène une action assez engagée dans ce domaine, et nous avons voulu que ce rapport soit porté par l'ensemble des groupes politiques. Il a ainsi été co-signé par une co-rapporteure par groupe politique représenté au Sénat ; c'est d'ailleurs une « marque de fabrique » des travaux de la délégation de faire en sorte que l'ensemble des rapports ou des prises de position engagent les membres de la délégation, par-delà leurs convictions politiques. Notre objectif est de trouver des points de consensus et de compromis autour des droits des femmes. Le cadre institutionnel que constituent les délégations le permet peut-être plus facilement que les commissions législatives, où les débats sont plus politisés.
J'évoquerai aussi le rapport L'égalité entre hommes et femmes pour la justice climatique 99 ( * ) , qui s'inscrivait dans les travaux menés par le Sénat dans le cadre de la COP 21. À cette occasion, la délégation a adopté, ainsi qu'elle y avait été invitée, une contribution à la résolution du Sénat qui, en application de l'article 34-1 de la Constitution, visait à affirmer le rôle déterminant des territoires pour la réussite d'un accord mondial ambitieux pour le climat. Cette contribution de la délégation, prise en compte dans le texte de la résolution adoptée par le Sénat, mettait en évidence le fait que les femmes sont plus exposées aux conséquences du changement climatique du fait de leur plus grande pauvreté et de leur situation d'exclusion, mais aussi qu'elles pouvaient être les premières porteuses de solutions par leur rôle dans l'agriculture et la gestion de l'eau. Dans cette logique, la résolution du Sénat formait le voeu que l'Accord de Paris reconnaisse l'égalité entre femmes et hommes comme une dimension fondamentale de la lutte contre les conséquences des changements climatiques et associe davantage les femmes aux négociations climatiques internationales.
J'en viens maintenant à l'activité législative de la délégation, dont je citerai trois initiatives représentatives de notre mode de travail.
- Des membres de la délégation ont été à l'origine de l'article 87 de la loi de modernisation de notre système de santé 100 ( * ) , introduit en première lecture au Sénat pour prévoir dans le code du travail un régime d'autorisation d'absence pour les salariées engagées dans un parcours de procréation médicale assistée (PMA). Ce parcours est souvent long et difficile et la délégation, par la recommandation n° 17 du rapport Femmes et santé : les enjeux d'aujourd'hui 101 ( * ) , dont les co-rapporteures étaient Françoise Laborde et Annick Billon, a souhaité que le code du travail prenne en compte les contraintes liées, pour les femmes concernées, à la difficulté de concilier leur travail avec des rendez-vous médicaux souvent très éloignés de leur domicile et de leur activité professionnelle.
- Des membres de la délégation ont également été à l'origine de l'introduction de l'interdiction de l'agissement sexiste, dans le code du travail et dans le statut des fonctionnaires. La création, dans le code du travail, de l'article L. 1142-2-1 définissant l'agissement sexiste est en effet due à trois initiatives conjointes de membres de la délégation dans le cadre de la loi dite Rebsamen 102 ( * ) . De même, deux amendements identiques de membres de la délégation ont par la suite permis d'aligner le statut des fonctionnaires sur le code du travail en ce domaine 103 ( * ) . Ces dispositions sont extrêmement importantes, mais il y a encore du chemin et l'on pourrait sans doute en élargir le champ d'application.
- Enfin, plusieurs sénateurs issus de tous les groupes, et pour la plupart membres de la délégation, ont co-signé une proposition de loi constitutionnelle déposée le 8 mars 2017. Ce texte vise à inscrire l'égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution, en modifiant le premier alinéa de son article premier. C'est à l'occasion de notre rapport sur le thème « femmes et laïcité » que nous nous sommes rendu compte que ce n'était pas le cas aujourd'hui. Cela paraît incroyable, puisque dans cet article premier il est inscrit que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale . Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Il nous semble important de rajouter la mention explicite « sans distinction de sexe », pour inscrire clairement le principe d'égalité entre les femmes et les hommes dans notre loi fondamentale de manière plus satisfaisante que la rédaction du préambule de 1946 104 ( * ) .
Voilà, madame la ministre, une présentation sans doute trop rapide de nos travaux. On aurait pu vous en dire beaucoup plus. Je n'ai pas cité les noms des membres de la délégation qui assistent à cette réunion. Je voudrais avoir un mot pour Brigitte Gonthier-Maurin, ma prédécesseure, particulièrement assidue à la délégation. Je voudrais aussi saluer Laurence Rossignol, qui vous a précédée, qui revient parmi nous ce matin.
Mes chers collègues, avant de céder la parole à madame la ministre, je vous propose de procéder à l'adoption du rapport présentant le bilan de l'activité de la délégation en 2014-2017, dont une version provisoire figure dans vos dossiers. Il me semble qu'il n'y a pas d'opposition ? Je n'en vois pas : le rapport est donc adopté.
Madame la ministre, je vous remercie à nouveau d'avoir accepté notre invitation et je vous laisse sans plus tarder la parole. À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation poseront des questions ou feront part de leurs réactions.
Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes . - Bonjour à tous et à toutes. Madame la présidente, je vous remercie et rends hommage au travail que vous avez mené, alors qu'aujourd'hui vous présidez cette réunion de la délégation, qui devrait être la dernière, me semble-t-il, avant le prochain renouvellement du Sénat.
Je salue Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes du précédent Gouvernement et remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat de me recevoir, en espérant que cette audition sera la première d'une longue série.
En tant qu'élue locale, j'ai assisté à certains des évènements organisés par votre délégation (notamment le colloque « Femmes citoyennes » de 2015) et je me suis appuyée sur vos travaux dont j'ai pu apprécier la qualité et le caractère consensuel. La recherche du compromis qui fait partie de vos méthodes me paraît importante pour défendre au mieux les droits des femmes dans l'ensemble de la société ; vos rapports font aussi oeuvre de pédagogie et permettent à chaque responsable de s'en saisir pour développer ses propres politiques publiques.
Vous avez notamment travaillé sur la place des femmes dans l'agriculture, travail qui doit être salué et m'a été fort utile pour préparer un déplacement en fin de semaine, co-organisé avec mon collègue ministre de l'Agriculture sur ce thème ; nous nous sommes aussi aperçues, en travaillant avec ma collègue ministre des Solidarités et de la Santé sur l'harmonisation des droits au congé maternité, que les dispositions qui régissent le droit à congé maternité des femmes agricultrices sont les moins généreuses d'entre toutes ; c'est donc un chantier que nous allons ouvrir en nous inspirant de vos travaux.
Je suis très attachée à l'institution sénatoriale, j'ai d'ailleurs commencé ma vie politique sous l'impulsion d'un sénateur, et avant-hier encore j'exerçais les fonctions de maire adjointe ; je suis par ailleurs conseillère communautaire et attachée à cette institution. J'apprécie de pouvoir débattre avec vous, vous rendre compte de mes actions et aussi enrichir mes travaux de vos recommandations et vos orientations.
Je vais brosser une perspective globale de mon action et des grands axes de ma « feuille de route », puis je poursuivrai par des échanges afin de répondre à vos interrogations.
Si, grâce au travail des parlementaires et des précédentes ministres et secrétaires d'État, d'importantes avancées ont été obtenues en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, nous posons cependant le constat que l'enjeu majeur des prochaines années sera de transformer ce travail législatif pour faire exister ces nouveaux acquis dans la vie réelle.
Un de nos enjeux sera aussi de faire sortir de nos cercles d'initié-e-s ce sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes pour le faire rayonner dans toute la société. En effet, à l'heure actuelle, nous devons combattre le « mythe de l'égalité déjà là » ainsi que le dénomme Christine Delphy 105 ( * ) : tous les jours, je constate en effet que ceux qui ne sont pas sensibilisés comme nous le sommes à ces inégalités entre les femmes et les hommes et à la remise en question des droits des femmes sont persuadés que les femmes ont acquis suffisamment de droits et sont désormais les égales des hommes, qu'elles peuvent diriger des entreprises, se présenter à des élections, que très peu de femmes souffrent de violences...
Or, ces quelques chiffres vont tous vous parler : 27, 80, 98, 100, 3, 83 000. Voici à quoi ils correspondent :
- 27 %, c'est la proportion que peuvent atteindre les écarts de salaire entre les femmes et les hommes ;
- 80 % des tâches ménagères sont encore accomplies par les femmes ;
- 98 % représente la proportion de mères qui s'arrêtent de travailler dans les couples hétérosexuels (seuls 2 % des pères le font) ;
- 100 % des femmes déclarent avoir déjà été agressées dans les transports en commun ;
- tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint en France ;
- enfin, 83 000 : c'est le nombre annuel de viols en France, chiffre sous-estimé d'après certaines associations.
Je pense que la majorité de la population ignore ces chiffres et nous devons donc effectuer un travail pédagogique pour les faire connaître et faire comprendre à quel point les inégalités entre les femmes et les hommes perdurent.
Pour ces raisons, l'inégalité entre les femmes et les hommes sera la grande cause du quinquennat du Président de la République qui l'incarnera, la portera et la pilotera politiquement, tandis qu'elle sera mise en oeuvre par le Premier ministre et moi-même ; le rattachement du secrétariat d'État à Matignon sur ces sujets, à cet égard inédit, permettra de mener dans ce domaine un travail interministériel. Au cours de la campagne présidentielle, j'ai rencontré et entendu associations, réseaux et structures : s'ils sont satisfaits de leur relation de travail avec les instances gouvernementales, tous indiquent cependant qu'il faut développer le travail en réseau, en améliorant le travail interministériel sous l'autorité du Premier ministre, pour que l'ensemble des politiques publiques que nous menons irriguent tous les secteurs ministériels. À cet égard, il est important de noter que les feuilles de route de tous les membres du Gouvernement comportent un volet sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
J'ai trouvé passionnant et très complet le rapport de la délégation s'interrogeant pour savoir si la laïcité garantit l'égalité entre les femmes et les hommes. Pour ma part, j'en suis convaincue, mais j'ai bien compris que la délégation défend une position plus subtile et estime que si la laïcité ne garantit pas stricto sensu et à elle seule l'égalité entre les femmes et les hommes, elle en demeure un préalable.
Laïcité et droits des femmes sont intimement liés, ma feuille de route précise que la République française ne reconnaît pas de relativisme culturel : il n'en a jamais été, et il n'en sera jamais question. Des premières campagnes d'informations, dans la continuité de ce qui a été fait précédemment, ont d'ailleurs réaffirmé que l'excision n'est pas une coutume mais une mutilation, que le mariage forcé n'est pas une tradition mais un viol de la loi, que la burqa n'est pas une mode vestimentaire mais une tenue oppressive et illégale, et que les droits des femmes ne sont pas négociables dans notre République.
Cependant, je suis convaincue qu'il faut adapter nos politiques publiques aux spécificités de nos territoires, sans compromission ni soumission, selon le principe de la décentralisation. Le fil rouge de ce Gouvernement, affirmé dans le discours de politique générale du Premier ministre, mais aussi dans les discours des ministres des Sports, de la Santé ou de l'Éducation nationale, sera ainsi d'adapter les politiques publiques aux réalités des régions et des départements.
Par exemple, vous avez rappelé, madame la présidente, combien le droit à l'IVG est menacé tant dans les faits à l'étranger ou, en France, dans les discours et parfois les actes. Or si on veut garantir l'accès à l'IVG à toutes les femmes sur l'ensemble du territoire de la République française, les mêmes dispositifs ne peuvent être mis en oeuvre dans des zones de désertification médicale nécessitant des trajets de plus d'une heure pour se voir délivrer ne serait-ce qu'une information sur l'IVG, et dans les zones comportant un tissu associatif dense et des hôpitaux pas trop éloignés.
Nos politiques publiques ne peuvent pas être efficaces si on les uniformise, les inégalités entre les femmes et les hommes n'étant pas homogènes en France : par exemple, les statistiques des violences sur la voie publique indiquent que beaucoup de violences sexuelles sur la voie publique sont exercées dans le nord de la France - il y en a aussi dans le sud, mais en Corse, seul un viol sur la voie publique a été comptabilisé l'année dernière. La campagne initiée par Pascale Boistard sur la lutte contre le harcèlement sexuel dans les transports en commun concerne ainsi beaucoup les métropoles, mais moins la Corse. Je pense donc qu'il faut adapter nos communications et nos politiques publiques aux réalités des régions et, pour cela, s'appuyer sur la connaissance fine que peuvent nous en apporter les réseaux associatifs, mais aussi les déléguées territoriales aux droits des femmes.
J'ai expérimenté le téléphone grave danger (TGD) au niveau local en tant que maire-adjointe, dans le département de la Sarthe où je suis élue. Comme il y existe des zones peu, voire pas du tout couvertes par certains opérateurs, le téléphone grave danger n'y est pas opérationnel ; on doit donc vraiment prendre en compte la spécificité de chaque territoire et ne pas considérer qu'une politique publique doive être déclinée uniformément sur l'ensemble du territoire, tout en gardant le même objectif pour toute la République française : l'égalité absolue, parfaite, totale, non négociable entre les femmes et les hommes.
Parmi les chantiers prioritaires de mon ministère figure le travail des femmes : celles-ci ont un moindre accès au travail, les inégalités salariales persistent par rapport aux hommes, le plafond de verre demeure une réalité et une seule femme dirige une entreprise du CAC 40. De plus, au-delà du plafond de verre existent les murs de verre, qui témoignent d'une non-mixité de certains métiers : des métiers féminisés, souvent peu valorisés et peu payés, coexistent avec des métiers majoritairement masculinisés et mieux rétribués. Cet axe de travail est primordial car, ainsi que le disait Simone de Beauvoir : « C'est par le travail seul que les femmes pourront franchir la distance qui les séparent des hommes, c'est le travail qui garantit l'autonomie financière et qui garantit l'émancipation réelle des femmes. »
Une quinzaine de lois sur l'égalité professionnelle ont été votées. Elles sécurisent le parcours des femmes et ont déjà porté leurs premiers fruits en matière de droits des femmes au travail en permettant des avancées absolument considérables en ce domaine. Ces acquis doivent se poursuivre en favorisant une meilleure articulation des temps de vie. Il faut aussi renforcer le recouvrement des pénalités dues par les entreprises, celles-ci ne s'en acquittant que rarement pour leur non-respect de dispositions relatives à l'égalité professionnelle ; aussi, avec mon collègue Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des comptes publics, nous avons commencé à définir un dispositif qui permettra de prélever directement les pénalités que doivent ces entreprises privées ou parapubliques.
Par ailleurs, l'égalité professionnelle pose un vrai problème dans les PME car, si l'on sait comment influencer sur ce point les grandes entreprises, c'est plus difficile avec les petites structures qui disposent de peu d'informations, de moyens et de ressources humaines à y consacrer ; aussi ai-je missionné un organisme pour faire des propositions quant à la création d'un numéro court, à disposition des PME, pour renseigner celles-ci. Je travaille conjointement avec mes collègues Muriel Pénicaud, ministre du Travail et Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé, à la création de dispositifs pédagogiques très clairs sur les droits fondamentaux des femmes, notamment des femmes enceintes au travail, celles-ci méconnaissant grandement leurs droits. À cet égard, j'ai été frappée par la récente affaire de la jeune femme caissière de supermarché qui avait perdu son bébé sur son lieu de travail ; au-delà du drame humain se pose une question de société puisque cette femme, en état de grossesse à risque médicalement constaté, ne savait pas qu'elle avait le droit de demander et d'obtenir un aménagement de poste : ni son employeur, ni son médecin, ni son syndicat ne l'en avait d'ailleurs avertie. Il y a donc eu un défaut d'information le long de toute la chaîne.
Au-delà de cet exemple particulièrement illustratif, je me suis aperçue de la grande méconnaissance des femmes de leurs droits pendant mes dix années de présidence du réseau Maman travaille , mais aussi pendant la campagne présidentielle, lorsque j'animais des ateliers. Bien souvent, quand je demandais aux femmes quel serait le droit supplémentaire qu'elles désireraient obtenir, elles mentionnaient des droits qui existent déjà !
Beaucoup de femmes m'ont ainsi dit qu'elles souhaitaient être protégées du licenciement ou bénéficier d'une augmentation de salaire en revenant de congé maternité, autant de dispositions déjà reconnues par la loi, laquelle prévoit notamment une augmentation de salaire égale à la moyenne des augmentations du service à poste équivalent. Nous constatons donc que ces droits sont méconnus par les femmes elles-mêmes et que notre devoir est de les diffuser pour permettre aux femmes de les faire valoir. Nous travaillons avec les caisses d'allocations familiales (CAF), les partenaires sociaux et la Sécurité sociale pour créer un outil dont la forme n'est pas encore définie - plaquette, site d'information ou application -, l'idée étant de réaliser un support de communication intelligible par tous.
Par ailleurs, l'un des engagements de campagne du Président de la République était de créer le Name and Shame pour les entreprises ne respectant pas l'égalité professionnelle. Nous allons adapter cette mesure avec une très légère modification, on passe au Name and Shape . Pour cela, nous avons demandé au baromètre Ethic and Boards, qui mesure l'égalité professionnelle, de nous indiquer les dix entreprises les plus mal classées. Nous les avons contactées et allons les inviter à participer à une formation qui aura lieu au secrétariat à l'Égalité entre les femmes et les hommes, avec le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, l'Observatoire de l'équilibre des temps de vie en entreprise et une formatrice en innovation sociale, ainsi qu'un certain nombre d'autres partenaires. Dans ce cadre, les directeurs et directrices des ressources humaines (DRH) seront formé-es pendant une journée à l'égalité professionnelle. Nous avons l'ambition de les transformer en acteurs positifs de l'égalité professionnelle. Dans six mois, nous mesurerons l'effet de notre formation à cet égard.
Nous partons du principe que si des entreprises sont mal classées, ce n'est pas nécessairement en raison de comportements misogynes, mais plutôt par manque de moyens, de temps, d'intérêt ou de leviers pour réellement mettre en place les dispositifs existants. Bien évidemment, les entreprises qui refuseraient de se rendre à nos formations, qui leur sont gracieusement offertes, ou ne pourraient pas y assister, seraient en revanche nommées et dénoncées.
Les inégalités professionnelles sont l'aboutissement d'un certain nombre d'autres inégalités dont résultent plafond de verre et « plafond de mère » : je pense notamment à la maternité, qui est un point de décrochage dans les parcours professionnels des femmes, toutes les études l'indiquent. Aussi, nous travaillons à l'harmonisation des droits au congé maternité avec ma collègue ministre des Solidarités et de la santé. Je l'évoquais tout à l'heure rapidement pour les femmes agricultrices : nous constatons qu'il existe des congés maternité différents selon que l'on soit salariée, auto-entrepreneure ou exerçant une profession libérale, l'idée étant de pouvoir permettre à toutes ces femmes de disposer d'un congé maternité de même durée, aligné sur le régime le plus avantageux, qui est pour l'instant celui des salariées, à la fois en durée et en rémunération. C'est un chantier à long terme, qui s'inscrira dans la durée du quinquennat. Une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a été lancée pour une évaluation fine de son coût et pour délivrer une information précise à l'égard de ces femmes. Par ailleurs, la prise de ce congé maternité demeurera facultative et nous veillerons à ce que certains régimes spéciaux ne perdent pas des avantages que leurs assurées auraient acquis.
Au nom de ma collègue Muriel Pénicaud, ministre du Travail, en charge des ordonnances sur la réforme du code du travail, je vous assure que toutes les mesures qui concernent les dispositifs de parité et d'égalité professionnelle ne seront négociées ni branche par branche, ni entreprise par entreprise.
Par ailleurs, le défaut de mode de garde est une cause très forte de retrait des femmes du marché du travail. D'après les derniers chiffres dont on dispose, 90 % des mères et aucun père - dans les couples hétérosexuels - arrêtent de travailler pour garder les enfants, souvent par défaut de solution de garde. Nous allons donc aider les collectivités à la création de modes d'accueil, mais aussi instituer un pacte « transparence crèches », car trouver une place en crèche demeure une épreuve. Une étude effectuée par mon réseau auprès de bénéficiaires de places en crèche a ainsi montré que l'obtention d'une place résultait, dans l'esprit des familles, soit de la chance soit du piston ! Même si ce n'est pas le cas et que l'obtention d'une place ne résulte que de la concordance de la situation des familles avec les critères d'attribution, ces idées reçues subsistent néanmoins. Nous avons donc à mener un travail sur la transparence : nous allons demander aux collectivités de rendre publics les critères d'attribution des places en crèche, les barèmes de cotation, la composition des commissions. Ce sujet sera abordé en lien étroit avec la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) qui finance en grande partie les crèches et intégrera cet objectif à sa prochaine convention. Ce travail fera aussi l'objet de discussions avec l'association des maires de France (AMF).
De plus, un projet innovant concernera l'insertion professionnelle des mères, notamment celles, nombreuses dans certains quartiers ou dans les zones rurales, qui ont eu des enfants jeunes et sont en situation précaire à 25 ans, 30 ou 35 ans. Elles abordent ainsi le marché du travail avec une page blanche pour tout CV. Le fait qu'elles aient élevé leurs enfants se révèle hélas un argument peu efficace lors des entretiens d'embauche.
En collaboration avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, nous travaillons donc à un dispositif de validation des acquis de l'expérience (VAE) pour les parents. Il ne s'agit pas d'encourager les femmes à retourner au foyer ni de développer un salaire maternel mais, en partant du très pragmatique constat que l'on pourrait valoriser les compétences de ces jeunes femmes en matière d'éducation des enfants dans les métiers de la petite enfance, où existe une pénurie de candidates au recrutement, nous travaillons à un dispositif diplômant qui permettrait d'obtenir un CAP petite enfance, un diplôme d'État ou un brevet d'État d'éducatrice de jeunes enfants. Le dispositif est en cours de définition, notamment les diplômes et leurs modalités exactes d'obtention, mais l'objectif est, lui, parfaitement clair : faire en sorte de valider ces acquis de l'expérience pour favoriser l'insertion de cette population majoritairement féminine sur le marché du travail.
En outre, il n'est pas possible de lutter contre le plafond de verre ou l'autocensure si on ne garantit pas aux femmes l'accès au monde du travail. Or, cela suppose que les pouvoirs publics mettent à leur disposition des infrastructures et des conditions d'exercice serein de leur activité professionnelle. Je pense qu'il n'est pas possible pour des femmes de négocier leur trajectoire professionnelle, leur augmentation, leur promotion, si elles doivent systématiquement partir pour garder leurs enfants quand ceux-ci sont malades ; il n'est pas possible de demander aux femmes d'être sûres d'elles, d'être des conquérantes, des wonderwomen au travail si par ailleurs elles doivent craindre pour leur intégrité physique dans l'espace public ou à leur domicile lorsqu'elles sont victimes de violences intrafamiliales. Je précise cela, car lutter contre les violences sexistes et sexuelles n'est pas faire de la victimisation, mais c'est aussi agir indirectement sur d'autres sujets sociétaux tels que l'égalité professionnelle ou la protection de l'enfance, qui est de la responsabilité de ma collègue Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé.
Je pense primordial de rappeler que le corps des femmes n'est pas un bien public : ceci est le fil rouge de notre programme de lutte contre les violences physiques et sexuelles. Nous en sommes toutes et tous ici convaincues, mais les statistiques nous forcent à penser le contraire, quand on réalise que 71 % des viols sont prémédités et que, selon Amnesty International , 90 % des violeurs ne souffrent d'aucune pathologie mentale. Cela signifie que nous devons mener un combat culturel pour lutter contre la culture du viol présente dans nos sociétés, en cessant de culpabiliser les victimes et en responsabilisant les auteurs et les agresseurs. Le viol n'est jamais le choix de la victime, mais bien le choix conscient du violeur.
Dans ce cadre, nous poursuivons le 5 ème plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes et la formation accrue des professionnels. Nous allons calquer notre action sur l'idée de la grande cause nationale annuelle qui avait été menée sous Jacques Chirac dans le cadre de la sécurité routière. On avait alors constaté que la mortalité routière avait considérablement diminué, une importante campagne de communication ayant convaincu les automobilistes de boucler leur ceinture de sécurité.
La méthode sera reprise, mais sur une période quinquennale. Il s'agit du début d'un chantier qui va s'étaler sur dix à quinze ans, avec pour objectif d'obtenir des résultats le plus rapidement possible, sans pour autant nous engager sur des données chiffrées. Car il s'agit d'abord d'un combat culturel. De la même façon, on peut agir pour changer les habitudes et donc modifier le consensus social tacite de notre société sur ce sujet.
Notre action en ce domaine comportera donc une vaste campagne de communication, l'instauration d'une mesure coercitive de répression du harcèlement de rue et sa verbalisation, en collaboration avec mes collègues Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur, et Nicole Belloubet, ministre de la Justice, ainsi que la formation des 10 000 policiers de proximité qui seront recrutés au cours du quinquennat. Certes, nous sommes conscients qu'il n'y aura pas un policier derrière chaque harceleur de rue, mais l'idée est de dire le droit, de dire ce que la République française ne tolère pas et de caractériser le harcèlement de rue, actuellement trop souvent situé dans une zone grise. On nous objecte souvent qu'il relève de la séduction, de la simple discussion, qu'il est anodin ; or, ce n'est ni flatteur ni amusant d'être harcelée, c'est grave, et nous voulons le caractériser pour que plus aucun homme ne puisse harceler les femmes dans la rue. C'est un message que nous adressons aux harceleurs, mais aussi aux femmes, pour leur dire qu'elles ont raison de refuser le harcèlement et sont dans leur bon droit, et que la République et l'État les soutiennent.
Nous lançons parallèlement une grande action de formation au sein des établissements scolaires, car si les textes prévoient déjà trois journées d'interventions sur l'égalité entre filles et garçons en milieu scolaire (IMS), ces dernières sont en réalité menées de façon très inégale sur le territoire ; un programme d'audit sera donc programmé par Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, pour les évaluer, d'autant que j'ai déjà été saisie par des associations de parents d'élèves me signalant que certaines associations intervenant dans les établissements dans le cadre des IMS sur la déconstruction des stéréotypes propageaient en réalité un certain nombre de stéréotypes de genre en disant que les filles étaient fragiles, pleuraient plus...
Au-delà de ces trois journées organisées pendant le parcours scolaire, nous travaillons à la définition d'un programme d'une journée, pendant le service militaire et civil en cours de création, et qui portera sur l'égalité femmes/hommes, la déconstruction des stéréotypes de genre, l'égalité professionnelle, le respect et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et la culture du viol.
Là encore, les femmes méconnaissent leurs droits. La plupart des gens ne savent pas ce qu'est une agression sexuelle, beaucoup l'ignorent et tombent des nues quand on leur précise que poser une main sur les fesses constitue une agression sexuelle qui peut valoir à son auteur jusqu'à 75 000 euros d'amende et de la prison. Nous devons rappeler que la loi l'interdit.
Nous allons aussi mener un travail sur l'allongement des délais de prescription et mettrons en oeuvre les conclusions et les recommandations du rapport de la mission de consensus mandatée par la ministre Laurence Rossignol. Nous avons déjà reçu les personnes ayant piloté ce rapport, qui préconise notamment l'allongement à trente années des délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineur-e-s : nous ouvrirons prochainement ce débat avec la Garde des Sceaux.
De surcroît, j'ai commandé un rapport au Haut Conseil à l'Égalité (HCE) sur les violences obstétricales, telles que les pratiques non consenties, particulièrement sur des femmes étrangères, très jeunes ou handicapées. Le taux d'épisiotomie s'élève en France à 75 %, alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise un plafond de 20 à 25%. Sur ce point, le dernier rapport du HCE examine le sujet de l'accès des femmes précaires à la santé, lié de façon plus générale à l'acceptation et à l'évocation de la douleur par les femmes, la société nous ayant conditionnées à la douleur en usant de poncifs tels que « Il faut souffrir pour être belle » ou « Tu enfanteras dans la douleur ». C'est un autre combat culturel à mener, car de nombreuses femmes, par exemple, ne parlent pas des douleurs qu'elles ressentent pendant leurs règles, convaincues qu'elles sont qu'il est normal de souffrir alors que ça ne l'est pas. Pourtant, en parler favoriserait la détection de l'endométriose, maladie aux graves conséquences encore sous-diagnostiquée.
Concernant l'IVG, j'ai reçu le Planning familial et il m'a été indiqué que les médecins eux-mêmes sont parfois peu informés que le délai de sept jours de réflexion n'avait plus cours, aussi travaillons-nous avec Agnès Buzyn sur une plus vaste information des professionnels du secteur. De surcroît, la ministre des Solidarités et de la santé lancera le chantier de l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes et j'accompagnerai ce débat, car je suis en charge de la lutte contre l'homophobie et la haine contre les personnes LGBT.
Notre troisième axe de travail concerne l'exemplarité de l'État, dont la marge de progression est importante. Nous allons lancer, avec mon collègue ministre de l'Action et des comptes publics, pour la première fois, un gender budgeting de l'État, avec pour pilote le ministère de l'Agriculture, tout comme le font déjà les collectivités, afin de déterminer comment l'argent est utilisé, s'il l'est plus pour les femmes ou pour les hommes. Par exemple, on s'est aperçu dans un certain nombre de collectivités locales que le financement d'associations a priori neutres telles que des clubs de foot, des infrastructures de skate park ou de terrains de basket dans les parcs publics profitait principalement aux hommes, car les femmes les utilisent peu.
Conditionner le financement public au respect de l'égalité professionnelle est un levier reconnu, mais la France est peu coercitive en la matière et dispose encore de marges d'amélioration sur ce point. Par exemple, en Australie, les entreprises qui ne respectent pas la mixité dans leur gouvernance n'ont pas le droit d'être cotées en bourse.
Rappelons que, quels que soient les débats sur les quotas, il n'y a parfois pas de mixité en leur absence, et nous devons en particulier travailler sur la parité dans les communautés de communes.
Le fil rouge de notre méthode sera d'adapter nos politiques publiques à la spécificité des départements, des villes, des villages, des régions : c'est pourquoi nous allons créer le « tour de France de l'égalité » entre les femmes et les hommes selon une périodicité annuelle. Le thème de cette année sera consacré au travail, axe premier de notre feuille de route. Il sera lancé par le Président de la République. Dix-huit ambassadrices seront nommées dans les régions de métropole et d'Outre-mer pour piloter ces débats. L'idée est de faire sortir ces thèmes de notre zone de confort, du cercle des seules personnes qui sont déjà convaincues dans ce domaine pour aller recueillir la parole de toutes les femmes sur l'ensemble du territoire de la République française et d'obtenir, à l'issue de cette consultation, un « cahier de doléances » ou un « livre blanc » témoignant de la réalité du travail quotidien des femmes en matière de chômage, d'accès à l'emploi, d'insertion, d'égalité professionnelle, de protection des femmes enceintes, de plafond de verre, dans tous les domaines, y compris ceux qui sont réservés aux zones les plus rurales ou périphériques. Des propositions concrètes en seront tirées.
Au 20 ème siècle, la France a été le berceau du féminisme philosophique, mais il est maintenant temps de passer de ce combat philosophique à la pratique. Ce qui a été entrepris lors du dernier quinquennat doit être poursuivi, ma conviction étant que la France peut devenir un leader de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde, mais que pour cela nous devons mettre en cohérence nos actes avec nos intentions, travail que nous allons mener pendant ce quinquennat. La dernière condition à cette grande ambition pour les femmes sera d'impliquer toute la société, y compris des structures, des institutions ou des personnes qui peuvent sembler éloignées de nos combats.
Je suis à votre disposition pour toutes vos questions, remarques et interventions.
Chantal Jouanno , présidente . - Je vous remercie de cette intervention très précise quant à vos axes de travail. Je voudrais mentionner qu'hier matin a eu lieu une conférence de presse très instructive, organisée par Françoise Laborde pour présenter un travail de droit comparé sur l'accès à l'IVG.
Par ailleurs, je trouve que l'initiative Name and Shame est intéressante, mais pourquoi ne s'arrêter qu'aux seules entreprises, alors que les institutions publiques mériteraient, elles aussi, d'être passées à la loupe ?
Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes . - J'en prends bonne note.
Chantal Jouanno , présidente . - J'ai reçu beaucoup de demandes d'interventions, que nous allons entendre par série de trois avant que vous n'y répondiez. Nous commençons avec Hélène Conway Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam et Françoise Laborde.
Hélène Conway-Mouret . - Madame la ministre, je salue votre volonté de vous emparer de tous les thèmes qui nous sont chers. On ne peut qu'approuver les trois axes de travail que vous avez énoncés : c'est un projet ambitieux et sachez que toute cette délégation souhaite que vous réussissiez, l'égalité entre les hommes et les femmes étant un sujet très important. Comme vous l'avez rappelé au cours de votre présentation, nous avons besoin d'une évolution culturelle au-delà de l'arsenal législatif qui existe déjà, et qu'il faut mettre en oeuvre.
Cependant, votre présentation me laisse un peu sur ma faim puisque vous n'avez pas abordé la question centrale, celle qui fâche, la question des moyens... Vous avez très justement souligné que votre ambition était de traduire le travail législatif dans la vie réelle : or cela passe pour beaucoup par le travail des associations qui opèrent sur le terrain et qui sont aujourd'hui, vous le savez, inquiètes. Votre ministère, comme tous les autres, et cela n'est malheureusement pas nouveau, est soumis à une diète assez sévère comportant d'importantes coupes budgétaires. L'inquiétude est donc assez forte chez les associations, et je crois qu'il serait bon de les rassurer sur ce point plutôt que de parler de travail interministériel, d'autant que si vous avez indiqué que d'autres ministères s'occuperaient également de sujets concernant les droits des femmes, leurs budgets sont aussi contraints, et je ne pense pas qu'ils disposent d'un surplus d'argent pour faire une priorité de l'égalité entre les hommes et les femmes...
Il faudra donc, les objectifs et l'impulsion politique émanant de vous, que vous puissiez énoncer assez clairement et rapidement aux associations quelles sont vos priorités, quelles associations vous entendez continuer à aider, et apaiser leur angoisse tout à fait justifiée... Cette angoisse s'exprimera tant qu'il n'y aura pas de clarification sur cette question de l'affectation des moyens, qu'ils dépendent de votre secrétariat d'État ou d'autres ministères. Il est essentiel de clarifier ce point plutôt que de rester dans le flou et d'aborder d'autres sujets.
Joëlle Garriaud-Maylam . - Je serai brève et aborderai deux points assez concrets.
Tout d'abord, un sujet très important sur lequel je me bats depuis longtemps concerne l'agence de recouvrement des pensions alimentaires, et je voudrais ici remercier Laurence Rossignol qui s'en est saisie. Je souhaiterais vraiment que son bénéfice soit aussi étendu aux familles binationales et aux Françaises résidant à l'étranger, car nous rencontrons là un épineux problème et nous devons collaborer avec les autres gouvernements ; j'avais travaillé sur ce sujet avec des partenaires tout à fait disposés à nous aider.
Ensuite, concernant l'aide au développement, nous devons favoriser un fléchage des moyens destinés aux femmes et aux organisations de femmes, car pendant des années on n'a jamais parlé des femmes, ni même mentionné le mot de genre dans les rapports de l'aide au développement, alors que, nous le savons très bien, le développement passe en grande partie par les femmes.
Françoise Laborde . - Les actions que vous nous avez exposées, madame la ministre, reprennent aussi des mesures mises en oeuvre par de précédentes titulaires de votre ministère. Or parmi vos axes de travail, certains appellent depuis toujours un engagement constant : je citerai par exemple l'excision et le mariage forcé, qui ont fait partie des sujets de préoccupation du précédent Gouvernement. Il était important de procéder à cette mise en contexte pour saluer les avancées réalisées, tout en insistant sur le chemin qui reste à parcourir dans tous ces domaines.
Pour compléter les propos d'Hélène Conway-Mouret sur les baisses du budget des ministères, notons que la suppression de la réserve parlementaire, que nous avions l'habitude d'attribuer aux associations - Planning familial, CIDF (je ne les citerai pas toutes car la liste serait trop longue) - les pénalisera financièrement. Une compensation est-elle envisagée ?
Par ailleurs, l'idée d'adapter les politiques publiques de l'égalité en fonction des territoires est pour moi difficile à admettre car il faut au contraire tendre, à mon avis, à une application uniforme des lois de la République.
Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes . - Ce n'est pas ce que j'ai dit !
Françoise Laborde . - Je vais donc vous préciser très clairement ma question : faut-il accepter l'exclusion des femmes de l'espace public ? Elles subissent des pressions très importantes dans certains quartiers et zones socialement moins favorisées, je ne stigmatiserai pas mais je constate que des évènements choquants s'y sont récemment produits. Dans ces territoires, il faut que la présence des femmes dans la rue ne soit pas contestée.
Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes . - Je vous remercie de ces questions précises. Je partage votre constat sur la suppression de la réserve parlementaire, d'autant plus qu'en qualité de maire-adjointe, élue de la région des Pays de la Loire où le financement des actions en faveur des droits des femmes est réduit par choix politique à la portion congrue, j'ai dû boucler des budgets d'associations, du CIDF, des plannings familiaux, en considérant l'apport et la marge d'ajustement que représentaient les versements des parlementaires sur leur quote-part de réserve. Il faudrait alors peut-être envisager la création d'un fond pour compenser ces précédents versements d'origine parlementaire, à charge ensuite aux communes de les répartir.
Je vais relayer votre inquiétude sur ce point, ainsi que sur le sujet de l'inscription de l'égalité femmes-hommes dans la Constitution, auprès de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale que je rencontre tout à l'heure.
Madame Laborde, je choisis à dessein les mots que j'emploie et il ne faut pas leur donner un sens différent de ceux qu'ils ont : adapter nos politiques publiques d'égalité ne signifie pas qu'il faut adapter l'égalité, je l'ai très clairement dit tout à l'heure et à de nombreuses reprises : l'égalité n'est pas négociable, quel que soit le sujet ou le territoire, en zone rurale, urbaine, dans les banlieues. Pour vous convaincre de ma position sur ce sujet, je vous invite à lire mon livre Où sont les violeurs, essai sur la culture du viol , recueil d'écrits et de tribunes sur les évènements de Cologne. J'étais à l'époque l'une des rares féministes à prendre parti contre les viols de masse et les agressions sexuelles qui y sont survenus et j'avais indiqué qu'il était inadmissible, au nom de l'antiracisme, de tolérer, d'excuser, de minimiser ou de faire silence sur ces agressions sexuelles.
Il est bien évidemment intolérable que les femmes soient exclues de certains quartiers ou cafés ; en qualité de maire-adjointe, j'étais référente pour les écoles et j'ai constaté que, dès l'école primaire, des parents interdisent aux petites filles de donner la main à des petits garçons ; je suis donc parfaitement consciente de cette réalité et les politiques publiques que j'ai définies la combattent.
La verbalisation du harcèlement de rue vaut pour tous les quartiers, notamment dans ces rues où les femmes ne peuvent se déplacer sans être interpellées par des groupes d'hommes qui accaparent l'espace public et en excluent les femmes.
En collaboration avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, l'action sur les enfants dans le cadre des IMS se prolongera auprès des parents par l'inclusion, dans la mallette qui leur est destinée, de fiches « égalité » précisant quelles sont les valeurs de la République française, dont celle, non négociable, de l'égalité entre les femmes et les hommes. C'est un fil rouge de nos politiques publiques. D'ailleurs, ma première visite ministérielle s'est déroulée dans un collège à Saint-Denis pour y rencontrer l'enseignant Iannis Roder, coauteur du livre Les territoires perdus de la République , pour m'entretenir de racisme, de sexisme, d'antisémitisme, d'homophobie dans les quartiers et examiner les projets qu'y mettent en place les enseignants pour permettre aux femmes de reconquérir l'espace public.
Madame Garriaud-Maylam, vos questions concernant l'agence de recouvrement des pensions alimentaires et les familles binationales sont du ressort de la ministre en charge de la famille, Agnès Buzyn, mais le sujet du recouvrement des pensions alimentaires comprend aussi une dimension d'égalité femmes-hommes Je vais demander au Premier ministre de me donner une responsabilité conjointe sur ces sujets, pour les intégrer à ma feuille de route, sous réserve de l'accord de ma collègue Agnès Buzyn, de sorte que je puisse continuer à suivre ce dossier ouvert par Laurence Rossignol. Le fléchage de l'aide au développement ne fait pas non plus partie de ma feuille de route, mais nous allons voir comment je pourrais m'en saisir pour formuler des propositions.
Je n'ai pas évoqué le sujet du budget dans mon exposé car je savais que des questions allaient m'être posées et je voulais vous permettre de les formuler pour pouvoir y répondre très précisément. Vous indiquez que je gagnerais à clarifier ma position à cet égard mais je pense l'avoir déjà clarifiée dans des courriers, des appels, des SMS, des mails, des prises de position dans les médias, écrits et télévision. Je répète donc, bis repetita ad libitum , que les subventions du secrétariat d'État en direction des associations sont maintenues et ne baissent pas d'un seul euro. Le budget est encore en cours de construction et si mon ministère, comme tous les autres, connaîtra une baisse des frais structurels et de fonctionnement, avec notamment une suppression des notes de frais et l'arrêt du concours de prestataires, aucun arbitrage budgétaire n'a encore été rendu à ce jour concernant le secrétariat d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes. Par conséquent, tous les chiffres qui circulent actuellement sont soit erronés, soit extraits de notes internes qui n'ont pas été validées.
Cette baisse structurelle des frais de fonctionnement ne sera pas répercutée sur les associations qui luttent contre les violences sexistes et sexuelles, je l'ai assuré à chacune, au Planning familial, à l'association qui gère le 3919, je ne vais pas toutes les citer mais leurs subventions seront conservées, donc il n'y a pas d'inquiétude à avoir sur ce point. Je profite de cette audition pour préciser que les associations qui me demandent des comptes sont dans leur bon droit car elles font un travail exceptionnel, en première ligne, et cela me permet de les rassurer. Je n'apprécie en revanche que modérément l'instrumentalisation médiatique par certaines personnes, ni parlementaires, ni représentants d'associations, qui s'autosaisissent de ces dossiers pour parler en leur nom sans avoir été missionnées. Des telles pratiques, peu constructives, ne servent pas les arbitrages budgétaires.
Le périmètre interministériel sera réel dans le cadre de la grande cause nationale du quinquennat et j'ai obtenu du Premier ministre que les services d'information du Gouvernement prennent en charge toutes nos actions liées à cette grande cause nationale. Le budget de l'Élysée prendra quant à lui en charge les questions relatives au « tour de France de l'égalité » entre les femmes et les hommes ; la plupart des mesures que je vous ai présentées ne seront donc pas prises en charge par les crédits de mon ministère. De la même façon, l'harmonisation du congé maternité relève en réalité du budget de la solidarité, de la santé et de la Sécurité sociale, l'information des femmes au travail du budget des CAF et les interventions en milieu scolaire du budget de l'éducation nationale.
Je vous confirme, madame Conway-Mouret, que les autres ministres prendront bien en charge des dépenses concernant les droits des femmes dans leur budget, non pas à travers un surplus de crédits mais dans le cadre de la masse budgétaire ; ainsi, Gérald Darmanin prendra-t-il en charge le financement des questions liées au gender budgeting , le ministère de l'Agriculture celui de nos travaux sur les femmes agricultrices, le budget du ministère de l'Éducation nationale les frais de la nouvelle plaquette sur l'égalité destinée à la mallette des parents. Ces budgets s'additionnent en réalité et la baisse de leur partie structurelle n'aura pas d'impact sur nos subventions, je m'y suis engagée, afin que toutes ces associations que vous avez citées puissent voir leurs moyens maintenus pour continuer à accomplir leurs missions.
Chantal Jouanno , présidente . - 90 % des membres de la délégation ont réagi publiquement et pris position sur les évènements de Cologne qui nous avaient tout particulièrement choqués.
Laurence Rossignol . - Madame la ministre, je salue un certain nombre de vos annonces, notamment le travail que vous avez commandé au HCE sur les violences obstétricales, qui méritent d'être explorées. En matière de droits des femmes, la visibilité des discriminations et des inégalités est déterminante pour les faire reculer.
Par ailleurs, l'objectif d'égalité professionnelle ne doit pas faire oublier celui de l'égalité salariale, essentielle, et parmi les leviers pour l'atteindre, il faut poursuivre le difficile travail engagé sur les grilles de classification, bien que le MEDEF y soit très réticent. Or une grande partie des inégalités entre les femmes et les hommes en matière salariale et professionnelle se jouant dans ces grilles de classification. Je constate que la même tâche, effectuée dans des métiers à dominante féminine ou masculine, n'est pas référencée de la même façon et ne donne pas lieu à la même rémunération : ainsi, porter un sac de 50 kg de ciment rapporte « plus » que de soulever des enfants ou des personnes malades...
Ce travail sur les classifications est primordial parce que les questions d'égalité professionnelle se jouent certes à la tête des entreprises, au sein des conseils d'administration, chez les cadres ou dans le top management , mais surtout, pour l'immense majorité des femmes, dans les métiers plus communs. Je connais davantage de femmes aides à domicile que membres de comité exécutif de sociétés du CAC40.
Je me félicite également que vous poursuiviez le travail sur la visibilité. À cet égard, la ministre chargée de l'égalité femmes-hommes peut s'appuyer sur un tissu associatif extrêmement fort, actif, réactif et militant, qui présente la spécificité par rapport à d'autres ministères d'être aussi l'opérateur des politiques publiques que nous conduisons.
Vos services extérieurs, vos services déconcentrés sont avant tout constitués par les associations, car avec les déléguées régionales et les déléguées départementales aux droits des femmes - et encore je ne crois pas que tous les postes soient pourvus -, votre ministère possède peu de services déconcentrés. C'est pour cela qu'il faut considérer les associations comme les partenaires privilégiés de votre ministère et non pas comme des lobbies revendicatifs. C'est d'elles que l'on a besoin pour conduire non seulement les politiques publiques, mais aussi tout le travail de révolution culturelle de la société. Mon ministère avait lancé le plan d'actions et de mobilisation « Sexisme, pas notre genre » avec un groupe d'associations qui a constitué un formidable socle d'appui.
Je compatis avec vous sur les arbitrages budgétaires pour les avoir endurés, et même si au cours du précédent quinquennat, mes prédécesseures et moi-même avons obtenu une augmentation de 50 % des crédits alloués aux droits des femmes, inutile de vous dire que cela n'a jamais été suffisant. D'ailleurs je rappelle qu'Yvette Roudy disait déjà la même chose en 1983 ! Je comprends donc bien qu'il soit prématuré de donner des indications budgétaires chiffrées, puisque vous n'êtes encore qu'en phase d'arbitrage, pour autant et j'en suis désolée, des chiffres circulent et génèrent une bien légitime inquiétude. Je souhaite que vous puissiez préserver votre budget que le Parlement pourra examiner à l'automne.
Michelle Meunier . - Je vous remercie, madame la ministre, de ce tour d'horizon, et vous pourrez toujours compter sur les membres de cette délégation pour vous soutenir dans votre action.
Le Sénat a travaillé sur la lutte contre le système prostitutionnel dans le cadre d'une commission spéciale composée de membres représentant toute notre assemblée, et pas seulement la sensibilité de notre délégation. Ses travaux ont été très longs et difficiles, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, mais un texte très important a finalement été voté, même si dans les débats la question de la pénalisation du client a souvent été l'arbre qui cache la forêt. Ce texte prévoit un volet d'accompagnement des personnes prostituées et de leur suivi pour la sortie de la prostitution, essentiellement délégué à des associations de terrain et pris en charge financièrement par l'action n° 15 du programme 137 des crédits alloués aux droits des femmes.
Pouvez-vous déjà rassurer les associations sur les moyens qui seront affectés à ce volet d'accompagnement et de suivi, dans l'intérêt de la lutte contre les violences faites aux femmes ?
En effet, bien que ces sorties de la prostitution ne soient pas massives, dans le département de la Loire-Atlantique dont je suis élue, cinq réseaux de proxénétisme ont été démantelés dans les six derniers mois, dont quatre pour le seul mois de juin. Cette loi a donc des effets importants et il serait dommage que les moyens affectés à la mise en oeuvre de ses dispositions ne soient pas maintenus.
Laurence Cohen . - Je vous remercie, madame la ministre, pour ce très dynamique exposé. Je voudrais pour ma part insister sur trois points.
Tout d'abord, préserver votre budget est essentiel pour nos combats communs ; si l'égalité a progressé, c'est grâce à l'implication législative depuis des années des parlementaires et des gouvernements de toutes les sensibilités politiques, mais aussi en raison de l'engagement des mouvements féministes. La loi Veil, par exemple, est l'aboutissement de combats menés dans la rue par des femmes et des associations. Les alertes émises par les associations féministes, émues par certaines informations - certaines n'ont d'ailleurs pas encore touché de subventions cette année et sont en grande difficulté - constituent un point d'appui à faire valoir dans votre combat pour que les crédits affectés aux droits des femmes ne soient pas rognés car, ainsi que l'a rappelé Laurence Rossignol, son budget était déjà insuffisant, ne représentant, après augmentation, que 0,006 % du budget de l'État alors que le coût des violences faites aux femmes s'élève à 38 euros/an/habitant. Vous devez vous appuyer sur les parlementaires et les associations féministes pour obtenir plus de moyens.
Par ailleurs, je suis extrêmement sensible au sujet de l'accueil des jeunes enfants. Si la transparence dans l'attribution des places est importante, j'attire d'abord votre attention sur l'insuffisance de l'offre en mode de garde collectif. Il faut donc soutenir les collectivités qui mènent une vraie politique en la matière. Le département dont je suis élue, le Val-de-Marne, est à ce titre exemplaire mais contraint financièrement comme toutes les collectivités ; des choix devront donc être faits et nous devons compter sur votre soutien sur ce sujet.
Enfin, un regard féministe doit être posé sur la santé des femmes, notamment s'agissant des violences obstétricales, mais la gynécologie médicale doit aussi être préservée. Nous sommes toutes autour de cette table confrontées à d'importantes difficultés quand nous voulons un suivi gynécologique. Aussi, nous nous émouvons que seulement 74 postes aient été attribués en gynécologie : c'est totalement insuffisant et je vous invite donc à mener une action transversale sur ce sujet.
Alain Gournac . - Madame la ministre, je vous ai entendue avec beaucoup d'attention. Nous venons d'achever un travail consacré aux agricultrices et je pense que le tour de France que vous évoquez doit s'étendre à l'ensemble du territoire.
Depuis le terrain, qui mène un combat difficile et permanent, votre budget est perçu en baisse, alors que des publicités présentent la femme de manière dégradante, que des femmes subissent des injures dans les quartiers et doivent baisser la tête et que, victimes de violences conjugales, elles n'osent pas déposer une plainte au commissariat ou à la gendarmerie par peur des conséquences sur leur famille. Dans d'autres pays, les femmes se sont vraiment libérées dans ce domaine mais malheureusement chez nous il y a encore des progrès à accomplir.
Je vous souhaite bonne chance car il est facile de critiquer, vous aurez notre soutien si votre combat permet de faire progresser les droits des femmes.
Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes . - Madame la ministre Laurence Rossignol, le travail et les études que vous aviez engagés sur les grilles de classification avec l'Observatoire de l'égalité doivent effectivement être poursuivis, j'ai d'ailleurs déjà reçu des partenaires sociaux, la CGT qui m'avait sollicitée en premier et, prochainement, le MEDEF.
Votre initiative « Sexisme, pas notre genre » dont j'avais le plaisir d'être l'une des marraines - j'ai d'ailleurs toujours l'autocollant sur mon téléphone - sera aussi bien évidemment poursuivie en collaboration avec un réseau de formidables associations engagées.
J'ai créé l'association féministe dénommée Maman travaille , développée en réseau, dont j'ai assuré la présidence pendant une dizaine d'années, et comme bénévole dans de nombreuses associations féministes ou en qualité de maire-adjointe, j'ai soutenu et défendu des budgets en obtenant même 600 % d'augmentation dans des collectivités ! Il s'agissait d'ailleurs d'un véritable travail de diplomatie...
Les discussions budgétaires sont en cours et le budget se construit ; certains disent que le budget baisse mais je demande à être jugée sur les actes, à l'issue des derniers arbitrages avec mes interlocuteurs sensibilisés sur les droits des femmes. Notre objectif est qu'il soit maintenu et que globalement il augmente, avec un concours de moyens interministériels, mais je compromettrais mes négociations si je faisais d'ores et déjà comme si elles avaient été suivies d'effets, alors que tel n'est pas le cas. La seule demande que je formule, et je l'ai indiqué aux associations, je veux être très claire là-dessus, c'est de nous laisser mener cette négociation. Des garanties leur ont été données quant au maintien des subventions versées par le secrétariat d'État et des documents en ce sens leur ont été adressés.
Nous devons tenir les engagements souscrits dans le cadre de la campagne vis-à-vis de nos concitoyens, notamment en termes d'impôts, mais j'ai aussi le plus grand respect pour le travail des associations et je ne veux pas laisser dire que j'entretiens un rapport de force avec elles ; nous maintenons un contact permanent avec les associations subventionnées par notre secrétariat d'État. J'entends parfaitement leurs inquiétudes de ne pas encore avoir reçu leurs subventions depuis le début de l'année, ce qui suscite des craintes quant à la poursuite des actions qui leur tiennent à coeur et quant au maintien de leurs emplois. Nous travaillons à y remédier avec mes services et les administrations.
J'ai pour l'instant rassuré en paroles les associations qui sont dans leur rôle en faisant part de leurs inquiétudes dans le débat public : c'est ce que j'ai fait pendant des années en tant que lobbyiste ou présidente de réseau.
Je partage absolument ce qui a été dit sur l'accompagnement et le suivi des personnes prostituées, c'est pour moi une priorité, ainsi que je l'ai rappelé lors de mes réunions avec l'ensemble du réseau déconcentré. J'ai prévu aussi de rencontrer le Mouvement du Nid à ce sujet ; les dispositifs d'accompagnement et de sortie de la prostitution des personnes prostituées n'ont pas encore été mis en oeuvre parce que la loi est récente et que nous attendons qu'un décret en Conseil d'État soit pris pour pouvoir agir administrativement selon la volonté politique qui est la nôtre et que je réaffirme.
Concernant l'intervention de Laurence Cohen, je porte au crédit de la CGT d'avoir contribué à diffuser l'accouchement sans douleur en France, on le sait trop peu. Cependant, sans refaire le débat qui a déjà eu lieu au HCE, je ne pense pas que la progression des droits ne s'obtienne nécessairement qu'à l'issue de mouvements sociaux.
Je partage d'autant plus votre inquiétude sur la gynécologie médicale qu'en 2001, à 18 ans, j'étais candidate sur une liste associative dont le mot d'ordre était la sauvegarde de la gynécologie médicale à Paris, liste qui n'a obtenu que moins de 2 % des suffrages. Ce n'était donc pas un franc succès, mais c'est un combat que je partage !
J'entends ce que vous me dites sur le nombre de places en crèche dans les collectivités et nous allons les soutenir, la difficulté étant de définir avec chacune comment satisfaire les demandes. Certaines sont très faciles à contenter : à Paris, la maire-adjointe à la petite enfance est animée par une volonté politique de créer des places Elle en a d'ailleurs déjà créé beaucoup, mais le coût très élevé du foncier rend difficile le bouclage d'un budget équilibré. A l'inverse, dans les zones rurales, il est souvent hasardeux pour les maires de créer des places et d'embaucher du personnel en l'absence de visibilité sur la natalité à deux, trois ou cinq ans. L'État ne doit pas se substituer aux élus locaux en arbitrant à leur place des politiques publiques, mais venir en soutien, comme vous l'avez indiqué. Je suis donc bien évidemment preneuse de vos préconisations sur ce sujet.
Monsieur le sénateur Gournac, je vous remercie de votre soutien et partage ce qui vous avez dit sur la publicité : quelqu'un arrivant en France qui n'aurait une image des femmes que par la télévision pourrait penser qu'elles sont passionnées par la lessive, la dégustation de yaourts à 0 %, vivent dans leur cuisine et ne sortent que pour se mettre en maillot de bains devant une voiture de luxe !
Marie-Pierre Monier . - Madame la présidente, madame la ministre, je vous remercie. Je serai très brève : le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est dit favorable à l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes ainsi qu'aux femmes célibataires. J'aimerais connaître votre position sur ce sujet et, surtout, avoir des éléments de calendrier.
Maryvonne Blondin . - Lors de l'harmonisation du congé maternité, n'oubliez pas, madame la ministre, les « matermittentes », ces femmes intermittentes du spectacle qui n'avaient absolument aucun droit.
Au Sénat, l'AGAS, l'Association de gestion des assistants de sénateurs, a travaillé sur la question du harcèlement sexuel et moral, notamment à l'encontre des collaborateurs, à la suite d'une récente affaire. Ce travail est abordé dans une logique de prévention : une information sera délivrée aux nouveaux collaborateurs et sénateurs, et complétée par voie d'affichage.
Par ailleurs, je vous invite à consulter les travaux de l'Assemblée permanente du Conseil de l'Europe et de sa commission de lutte contre les discriminations : vous y trouverez de très intéressants rapports sur l'espace public et sur ce qui s'est passé à Cologne. Ces références pourront vous donner des éléments de comparaison internationale de la question.
Roland Courteau . - La délégation aux droits des femmes a publié un rapport d'information sur le bilan de l'application des lois de 2006, 2010 et 2014 concernant les violences faites aux femmes. L'une des conclusions invitait à une pause législative sans pour autant nous dispenser d'une application scrupuleuse des mesures prévues par ces lois ou par les différents plans de lutte successifs contre ces violences. C'est d'ailleurs ce qu'a fait Laurence Rossignol, que nous remercions.
La délégation a aussi formulé des recommandations dont l'une concerne les femmes victimes de violences conjugales et les enfants qui y sont exposés et donc aussi victimes ; le dispositif actuel comporte encore des lacunes, notamment une sous-estimation des conséquences psycho-traumatiques et leur insuffisante prise en charge. La délégation a donc recommandé de créer un centre de psycho-trauma par département.
Notre délégation a aussi démontré que des stéréotypes sexistes existaient dans les manuels scolaires, les médias et la publicité, mais également dans le monde des jouets. Les garçons et les filles y sont confrontés dès la petite enfance, et nous avons formulé un certain nombre de propositions pour combattre ces stéréotypes sexistes.
Or, on assiste actuellement à une offensive idéologique visant à enfermer les femmes dans leur mission dite « naturelle», c'est-à-dire de femme au foyer ; comme tout commence sur les bancs de l'école, les ABCD de l'égalité avaient été lancés pour lutter contre ces préjugés mais ce projet a été dénaturé, déformé, bafoué. Comment entendez-vous lutter à l'école contre ces stéréotypes sexistes, ces clichés qui enferment et limitent les perspectives des femmes ?
Dominique Estrosi Sassone . - Sénatrice du département des Alpes-Maritimes, qui fait malheureusement trop souvent partie du trio de tête des départements en nombre de femmes victimes de violences, je voudrais vous interroger sur l'accueil et l'hébergement d'urgence des femmes victimes de violences car, malgré les efforts considérables que nos collectivités ont pu faire localement, on constate que l'ordonnance de protection reste extrêmement difficile à utiliser. Les femmes victimes de violences conjugales sont donc obligées de quitter leur domicile, elles partent alors en accueil d'urgence. Généralement, d'après les moyennes constatées dans le département des Alpes-Maritimes, elles y demeurent douze jours puis retournent au domicile conjugal pour 55 % d'entre elles. Quelques-unes trouvent des solutions alternatives, mais 35 % n'ont pas de solution à l'issue de leur placement en accueil d'urgence, y compris avec leur enfant. Je tenais donc vraiment à vous sensibiliser à cette problématique.
Claudine Lepage . - Le congé maternité unique me paraît une excellente idée. Cela permettra de protéger les femmes les plus fragiles économiquement ; je ne suis cependant pas certaine que des femmes médecins, avocates ou chercheures seront intéressées par ce congé maternité unique, parce qu'elles ne peuvent pas vraiment se permettre d'interrompre leur carrière. Vous indiquiez dans l'émission La maison des maternelles que ce congé maternité serait bien rémunéré par la CAF et la Sécurité sociale : je garde cette annonce à l'esprit.
Aujourd'hui, les jeunes hommes ont quand même bien évolué et si comme vous l'avez mentionné, les hommes prennent toujours moins un congé parental que les femmes, c'est surtout lié à l'inégalité des salaires, le mari gagnant dans une famille bien souvent plus que son épouse. C'est donc un frein important, mais ce n'est pas le seul.
Dernière remarque sous forme de clin d'oeil : la francophonie m'intéresse tout particulièrement et j'ai constaté que les interventions d'aujourd'hui ont été émaillées de beaucoup de termes anglo-saxons. Y substituer des équivalents en français serait bienvenu...
Corinne Bouchoux . - Madame la ministre, je vous souhaite bonne chance dans votre action. Si on a beaucoup parlé de budget, ma question ne coûte rien : que comptez-vous faire pour lutter contre la lesbophobie ?
En effet, après le renouvellement à l'Assemblée nationale, où sont entrées de nombreuses personnes formidables, des journalistes ont essayé de monter un débat sur le coming out en politique mais aucune femme politique française n'a alors été trouvée ; seule Françoise Gaspard est venue, à 72 ans !
Quant à moi, j'arrête la politique en septembre prochain. Que comptez-vous donc faire pour que les femmes politiques lesbiennes ne soient pas marginalisées ? J'ai du mal à croire qu'il n'y en ait aucune parmi toutes les parlementaires !
Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes . - La visibilité des femmes lesbiennes est un vrai sujet qui a fait l'objet d'un spectacle d'Océane Rose Marie, La Lesbienne invisible , également réalisatrice de la première comédie romantique mettant en scène deux femmes ; soutenir ce type d'action culturelle contribue à la visibilité des femmes lesbiennes. Je ne me suis pas encore penchée sur la spécificité des femmes politiques lesbiennes mais je vais l'examiner, car cette question des rôles modèles est centrale.
Récemment, une entreprise qui désirait promouvoir la visibilité des femmes lesbiennes et des personnes transsexuelles célèbres en France n'en a pas trouvé, je vais donc envisager ce que l'on peut proposer sur cet important sujet.
Je suis favorable à la PMA. C'est un engagement de campagne du Président de la République : il faut ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, c'est une question de justice sociale ; le calendrier est encore à l'étude.
Quant à l'inéligibilité des candidats qui auraient été condamnés pour harcèlement sexuel, c'est un sujet sur lequel nous travaillons. J'en profite pour expliciter la position du Gouvernement qui avait donné un avis négatif au Sénat sur l'amendement de Laurence Rossignol sur ce sujet. Le Sénat s'y est en tout cas prononcé favorablement et le Gouvernement, qui l'a très bien entendu, n'y est pas opposé. Un amendement du Gouvernement, en cours d'arbitrage, sera rédigé par la Chancellerie afin de rendre inéligibles des candidats coupables de harcèlement sexuel.
Pour lutter contre les stéréotypes dès l'enfance, nous relançons les IMS et l'on prépare avec mon collègue ministre de l'Éducation nationale une mallette destinée aux parents avec des fiches « égalité ».
Monsieur Roland Courteau, vous avez mentionné la question du traitement réservé aux ABCD de l'égalité, c'est un débat de société que nous avons déjà connu et qui se reproduira avec la PMA. Le problème - c'est un avis personnel - est que les forces de réaction et rétrogrades sont plus bruyantes et mieux organisées que les forces de progrès et qu'elles sont donc plus présentes et se font mieux entendre dans le débat public. Les forces progressistes doivent en conséquence se mobiliser pour défendre ces sujets liés à l'égalité.
L'accueil d'urgence des femmes victimes de violences est un sujet crucial, qui doit être discuté avec les conseils départementaux et les collectivités. Je vais l'examiner et nous en reparlerons plus en détail si vous le voulez.
Pour en terminer sur le congé maternité unique, je voudrais indiquer qu'il s'inscrit dans la volonté du Gouvernement d'harmoniser l'ensemble des régimes sociaux et de verser une indemnisation unique, avec notamment la disparition programmée du Régime social des indépendants (RSI). Je ne partage pas tout-à-fait ce qui a été dit sur les professions libérales car je reçois beaucoup de courriers d'avocates enceintes qui me demandent si elles peuvent désormais prendre ce congé maternité ; certes, un biais existe, celles-ci ayant plus l'habitude d'écrire que les autres professions, mais cela témoigne néanmoins d'une attente très forte de la part des professions libérales sans oublier les intermittentes du spectacle.
Le plafond de verre et l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale des femmes et des hommes sont parmi les domaines que j'ai plus particulièrement travaillés et pour m'être beaucoup intéressée pendant dix ans à ces questions, je puis dire qu'il existe effectivement un biais salarial dans la prise du congé parental, l'arrêt de travail de la femme grevant généralement moins le budget familial. Pour autant, il faut aussi tenir compte des normes masculines du pouvoir, notamment l'esprit de compétition, le refus de l'émotion, un certain nombre de stéréotypes de genre qui sont induits chez les hommes et parfois chez les femmes ; beaucoup de femmes dans mon réseau voulaient prendre ce congé parental mais ne voulaient pas que leur compagnon le prenne. D'ailleurs, dans le monde de l'entreprise, il est encore très mal perçu pour les hommes de prendre ce congé parental dont beaucoup d'hommes ignorent même l'existence.
J'ai demandé au directeur de la CNAF de réfléchir à la diffusion, à l'attention des hommes, d'une communication plus soutenue pour les informer de leurs droits au congé parental et de sa rémunération afin qu'en conscience ils le prennent s'ils le souhaitent. Plus généralement, une grande confusion règne dans l'opinion entre le congé maternité, le congé paternité de 11 jours et le congé parental, y compris sur la répartition entre les hommes et les femmes du congé parental.
Chantal Jouanno , présidente . - Merci beaucoup, madame la ministre, je vous souhaite beaucoup de courage, il reste beaucoup de travail, y compris au Sénat sur le harcèlement !
3. Colloques et manifestations : supports de communication
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4. Rapports de la délégation
5. Texte de la proposition de loi constitutionnelle du 8 mars 2017
N° 454
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 mars 2017 |
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
modifiant l' article premier de la Constitution pour y inscrire le principe d' égalité devant la loi sans distinction de sexe ,
PRÉSENTÉE
Par Mmes Chantal JOUANNO, Annick BILLON, Corinne BOUCHOUX, Françoise LABORDE, Laurence COHEN, Brigitte GONTHIER-MAURIN, Catherine GÉNISSON, MM. Alain FOUCHÉ, Marc LAMÉNIE, Patrick CHAIZE, Didier MANDELLI, Mmes Mireille JOUVE, Catherine MORIN-DESAILLY, Nathalie GOULET, MM. Olivier CIGOLOTTI, Gérard ROCHE, Olivier CADIC, Yves DÉTRAIGNE, Jean-François LONGEOT, Mmes Valérie LÉTARD, Françoise FÉRAT, MM. Loïc HERVÉ, Claude KERN, Mme Élisabeth DOINEAU, MM. Christian NAMY, Bernard DELCROS, Pierre MÉDEVIELLE, Michel RAISON, Mme Brigitte MICOULEAU, M. Bernard LALANDE, Mme Vivette LOPEZ, MM. Francis DELATTRE, Yves DAUDIGNY, Mmes Évelyne YONNET, Frédérique GERBAUD, MM. Ronan DANTEC, Jean-François RAPIN, Mme Évelyne DIDIER, M. Jérôme BIGNON, Mmes Hélène CONWAY-MOURET, Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Claudine LEPAGE et Corinne FÉRET,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'égalité entre femmes et hommes n'est pas affirmée en tant que telle dans le texte de la Constitution de 1958, qui renvoie sur ce point au Préambule de la Constitution de 1946. De ce fait, l'égalité entre femmes et hommes constitue dans une certaine mesure une notion implicite.
Certes, le Préambule de la Constitution de 1946 dispose : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. »
Toutefois, ce texte inscrit l'égalité des droits entre femmes et hommes non pas parmi les « droits inaliénables et sacrés » que possède « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance », mais parmi les « principes politiques, économiques et sociaux » « particulièrement nécessaires à notre temps ».
Il semble ainsi n'encourager finalement qu'un rattrapage, au profit des femmes, de droits qui ont été donnés en premier lieu, de manière naturelle, aux hommes. Il garantit aux femmes des droits qui, tel qu'il est rédigé, semblent donc ne pas aller de soi.
On peut voir dans cette rédaction le reflet d'une logique comparable à celle qui a fait des femmes le « deuxième sexe » alors qu'elles constituent la moitié de l'humanité. Or ce qui était un indéniable progrès au lendemain de la seconde guerre mondiale apparaît aujourd'hui comme une formulation perfectible.
Renvoyer au Préambule de 1946 s'agissant de l'égalité entre femmes et hommes ne suffit donc plus.
Par ailleurs, le second alinéa de l'article premier de la Constitution de 1958 pose le principe selon lequel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ». Mais il s'agit davantage d'une obligation de moyens que d'une obligation de résultats.
Cette disposition n'empêche pas la France, en effet, d'occuper aujourd'hui le 63 ème rang mondial 1 ( * ) pour la féminisation de son Parlement, rang indigne d'un pays qui a placé l'égalité au coeur de ses valeurs.
« Le degré de civilisation d'une société se mesure d'abord à la place qu'y occupent les femmes » : ainsi s'exprimait Jacques CHIRAC, président de la République, le 17 décembre 2003, après la remise du rapport de la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité.
En 2017, les femmes occupent-elles dans notre pays une place digne de cette phrase magnifique ?
En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon.
Les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes persistent dans notre pays : inégalités de salaires, surreprésentation des femmes parmi les travailleurs pauvres, insuffisante prise en compte de la pénibilité des métiers exercés par des femmes...
Actuellement se répandent sur notre territoire des comportements qui, fondés sur un prétendu retour à la tradition, font disparaître petit à petit les femmes de l'espace public, compromettent leur accès aux soins, mettent en cause la mixité de certains lieux de travail et l'autorité qu'y exercent des femmes. Des femmes subissent régulièrement des humiliations liées à des gestes quotidiens, aussi anodins - en apparence - que le refus de leur serrer la main...
Les comportements et discours qui mettent en cause les droits et libertés des femmes reviennent à détruire le pacte social français. Ils mettent en péril les valeurs de notre République et doivent être combattus par tous les moyens.
Bien évidemment, ces comportements inacceptables ne cesseront pas dès lors que l'article premier de la Constitution de 1958 se réfèrerait explicitement au principe d'égalité entre femmes et hommes.
Mais le constituant s'honorerait en donnant à l'égalité entre femmes et hommes la place qui lui revient dans notre loi fondamentale. Il n'en rendrait que plus légitime le travail du législateur pour continuer à faire progresser l'égalité entre femmes et hommes dans notre corpus juridique.
Le moment est donc venu d'inscrire l'égalité entre femmes et hommes au coeur du texte de notre Constitution et d'y affirmer clairement l'attachement de la France à ce principe ainsi que son engagement à reconnaître les droits de la moitié de l'humanité.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi constitutionnelle.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
ARTICLE UNIQUE
Dans la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution, après le mot : « distinction », sont insérés les mots : « de sexe, ».
6. Communiqués de presse
Réaffirmation de l'engagement de la
délégation
pour dénoncer les viols de
guerre
Nécessité absolue de protéger les
femmes
contre le terrorisme et l'obscurantisme religieux,
dont elles sont
les premières victimes
Réaffirmation de l'attachement de la
délégation aux droits sexuels
et reproductifs, et plus
particulièrement au droit à l'IVG
Indignation de la délégation devant l'image dégradante des femmes véhiculée par certaines campagnes publicitaires
7. Présentation par Françoise Laborde, vice-présidente, d'une étude de droit comparé sur l'IVG (conférence de presse du 19 juillet 2017)
Monsieur le président du groupe RDSE, cher Gilbert Barbier,
Mes chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
L'accès à l'IVG fait partie de ces sujets difficiles qui font régulièrement aujourd'hui l'objet de controverses . La récente disparition de Simone Veil nous a rappelé combien la loi qui porte son nom lui a demandé de courage face à des attaques toujours excessives et, trop souvent, extrêmement cruelles .
Cette remarque vaut aussi, d'ailleurs, dans une certaine mesure, pour la contraception : lors d'un hommage rendu par notre délégation à Lucien Neuwirth , le 9 février dernier, à l'occasion de l'inauguration d'un timbre commémorant la loi de 1967 autorisant la pilule, nous nous sommes penchés sur les débats parlementaires de l'époque et avons constaté la virulence des attaques dont notre collègue avait alors fait l'objet 106 ( * ) .
Quelques mots, d'abord, sur le contexte dans lequel je me suis adressée, à l'automne dernier, à la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations (DIPED) du Sénat pour que soit élaborée une étude de droit comparé sur l'IVG 107 ( * ) .
Ce contexte était caractérisé par des remises en cause du droit à l'IVG dans certains pays (Russie, Turquie, Pologne, Irlande et depuis quelques mois États-Unis) et par des alertes adressées à notre délégation sur la difficulté d'aborder ce que l'on appelle les « droits sexuels et reproductifs » dans les instances internationales .
Les tentatives de remise en cause du droit à l'IVG existent aussi dans notre pays. À la fin de 2016, ces tentatives ont affecté notre actualité législative avec la discussion d'un texte visant à étendre le délit d'entrave à ses dimensions numériques .
La proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale en octobre 2016, avait, je le rappelle, pour objet de sanctionner les sites Internet qui, sous couvert d'une présentation neutre et objective de l'IVG , tentent de dissuader les femmes de recourir à une IVG. Cette proposition de loi est devenue la loi n° 2017-347 du 20 mars 2017.
Signe des temps, le droit à l'IVG s'est aussi invité dans la campagne présidentielle , ce qui souligne probablement la relative fragilité , y compris dans notre pays, d'un droit que l'on a longtemps considéré comme acquis .
Pour la délégation aux droits des femmes , toute remise en cause du droit à l'IVG, et plus généralement de l'ensemble des « droits sexuels et reproductifs », menace l'autonomie des femmes et leurs libertés . Car partout où ces droits sont remis en question, c'est en réalité la place des femmes dans la société et l'étendue de leurs droits qui sont en jeu .
Notre délégation a récemment eu l'occasion de rappeler son attachement à ce droit.
Dans le cadre de la discussion de la loi du 4 août 2014 , notre délégation a appuyé la suppression de la condition de détresse subordonnant l'accès à l'IVG, jugeant que c'est à la femme elle-même d'apprécier si sa situation justifie une demande d'IVG.
En juillet 2015, dans le cadre de la discussion de la loi de modernisation de notre système de santé, notre délégation, à travers un rapport sur la santé des femmes , dont j'étais co-rapporteure 108 ( * ) , s'est déclarée favorable :
- au principe selon lequel toute femme a le droit d'être informée sur les méthodes abortives et d'en choisir une librement ;
- au fait que la première demande d'IVG ne soit pas obligatoirement recueillie par un médecin ;
- à la suppression du délai de réflexion d'une semaine entre la première et la seconde consultation conditionnant l'accès à l'IVG (ce délai de réflexion a du reste été supprimé par cette loi, promulguée en janvier 2016) ;
- à l'amélioration de la procédure de prise en charge de tous les actes liés à l'IVG pour les mineures .
En octobre 2016, notre délégation a manifesté par un communiqué de presse sa solidarité à l'égard de la mobilisation citoyenne qui a permis en Pologne d'empêcher une limitation de l'accès à l'avortement. La délégation y réaffirmait sa préoccupation face à toute remise en cause des droits sexuels et reproductifs, qu'elle considère comme une régression des droits des femmes.
En novembre 2016, notre délégation, à l'occasion de l'adoption d'un rapport sur le thème « Femmes et laïcité » 109 ( * ) , a invité les autorités françaises à la plus grande vigilance dans les instances diplomatiques internationales pour que la politique étrangère française continue à défendre les droits sexuels et reproductifs et combatte avec détermination toute tentative de mettre en cause ces droits, de quelque pays qu'elle vienne, au nom du relativisme culturel.
En décembre 2016 , nous avons manifesté notre appui aux finalités de la proposition de loi étendant le délit d'entrave à l'IVG à Internet. Nous avons considéré que les femmes s'interrogeant sur un éventuel recours à une IVG devaient pouvoir accéder à une information objective et dénuée de toute pression. Nous avons considéré que des sites tels que, par exemple, ivg.net , n'offraient pas cette garantie, et que de surcroît ils prenaient des apparences officielles d'une manière susceptible de tromper des internautes potentiellement fragiles.
Notre délégation s'est donc prononcée sur la nécessité de mieux référencer sur Internet les sites médicaux officiels et de faire en sorte que ces sites soit disant objectifs affichent clairement leurs convictions hostiles à l'IVG.
J'en viens donc aux conclusions de cette étude de droit comparé, qui vous a été distribuée en avant-première et qui sera publiée prochainement sur le site du Sénat.
En guise d'avant-propos, je voudrais préciser que les études réalisées par la division de la législation comparée du Sénat, à partir des documents rédigés en langue originale, sont des documents techniques , factuels, dépourvus de tout caractère partisan ou polémique . Ce sont des « photographies » d'une situation juridique donnée, qui diffère assez sensiblement selon les pays.
L'étude présente la situation dans huit États : Allemagne, Belgique, Texas, Irlande, Italie, Pologne, Suède et Suisse. Ils ont été choisis pour leur approche juridique de l'IVG, soit parce qu'elle illustre des choix comparables à ceux qui caractérisent la législation française, soit parce que cette approche illustre une attitude restrictive à l'égard de l'IVG, comme par exemple en Pologne où l'IVG a pourtant été autorisée jusqu'en 1997.
Je vais d'abord vous indiquer les principales orientations de cette étude à partir des cinq points suivants, qui dans toutes les législations encadrent le recours à l'IVG :
- les motifs de l'interruption de grossesse ;
- la procédure d'information préalable et l'existence d'un délai de réflexion , qui conditionnent l'accès à l'intervention ;
- l'existence d'une clause de conscience pour les professionnels ;
- et la prise en charge financière de l'intervention.
Premier point : pour quels motifs l'interruption de grossesse est-elle admise ?
• Dans certaines législations, la
décision est laissée à l'appréciation de la
femme.
Le pays qui se trouve dans la situation la plus proche de la France est la Suède , où la femme peut exercer le droit de demander l'interruption de grossesse avant la fin de la 18 ème semaine de grossesse, sauf si l'intervention peut occasionner un danger pour sa vie ou sa santé.
Dans les autres États, la latitude de la femme est limitée par la nécessité de :
- participer à un « entretien » : c'est le cas en Allemagne pendant les douze premières semaines ;
- se trouver dans une « situation de détresse » : c'est le cas en Suisse ou en Belgique, pays dans lequel l'état de la femme est apprécié par le médecin ;
- se trouver dans une « situation économique, sociale ou familiale » particulière en Italie, où l'IVG est possible dans les 90 jours d'aménorrhée.
Je reviendrai sur les conditions posées par la législation du Texas.
J'observe que l'IVG reposant sur la seule volonté de la femme, jugée capable d'apprécier elle-même sa situation et sa décision, n'est possible ni en Pologne ni en Irlande.
En Irlande toutefois, la Constitution et la loi reconnaissent explicitement à la femme le droit de se rendre à l'étranger pour subir une interruption de grossesse. Mais la loi irlandaise ne permet pas à une femme de solliciter une IVG sur la base de sa seule décision.
Je vous invite à consulter la note sur un cas particulier : l'affaire Attorney general de 1992, qui rappelle que ces questions ont donné lieu à des controverses juridiques. L'Irlande a du reste été condamnée pour ce fait par la Cour européenne des droits de l'Homme, une femme atteinte d'un cancer étant décédée faute d'avoir pu subir une IVG.
• Deuxième cas : la
préservation de la vie de la femme. Dans cette situation exceptionnelle,
l'IVG est autorisée au-delà des délais habituels
.
C'est le cas de
l'Allemagne, de la Suède, de l'Italie
et de la Belgique.
En Irlande, la décision est subordonnée à l'agrément de deux médecins.
En Pologne, l'interruption de grossesse requiert deux exigences : la menace pour la santé de la femme enceinte et la non viabilité du foetus.
En Suisse, le danger pour la mère fait que l'interruption de grossesse n'est pas punissable, « le danger devant être d'autant plus grave que la grossesse est avancée ».
Le Texas prévoit aussi des dérogations dans cette situation.
• Troisième cas : la maladie
incurable du foetus : cette situation, elle aussi, permet
généralement de déroger aux délais légaux
habituels
.
En Suède, l'accord de la direction générale de la Santé est requis si le foetus n'est pas viable.
En Pologne, la faculté de mettre fin à la grossesse existe lorsque les examens médicaux montrent l'existence d'une forte probabilité de handicaps lourds et irréversibles du foetus, ou d'une maladie incurable menaçant sa vie.
Au Texas existe aussi cette possibilité, en cas d'anomalie foetale sévère.
• Quatrième cas : lorsque la
grossesse survient à la suite d'un crime sexuel, les législations
admettent l'IVG
en Allemagne et en Italie, pendant les délais
légaux.
En Pologne, cette faculté est subordonnée au fait que le foetus ne soit pas viable.
• Cinquième et dernière
hypothèse : le risque de suicide de la femme, prévu par la
législation irlandaise :
l'interruption de grossesse est
alors possible si trois médecins confirment le risque de suicide.
On notera que 26 femmes auraient subi une IVG en Irlande en 2014, alors même que 5 000 environ ont eu recours à une IVG à l'étranger, dont semble-t-il 3 700 au seul Royaume-Uni.
Deuxième point : arrêtons-nous sur la procédure d'information préalable de la femme enceinte.
En Suède , la loi dispose que l'on propose, avant l'intervention, un « entretien de soutien » à la femme qui subit une interruption de grossesse.
En Allemagne , un entretien de conseil dans un centre agréé doit servir la protection de la « vie non [encore] née » ( sic ), aider la femme enceinte à prendre sa décision en conscience, « lui ouvrir des perspectives de vie avec son enfant », l'informer que le « non [encore] né » a également un droit à la vie et que l'interruption volontaire n'est, en vertu de l'ordre juridique, envisageable que dans des situations exceptionnelles [...]».
En Belgique , le service d'information de l'établissement où se déroule l'intervention « accueille la femme enceinte et lui donne des informations [...] sur les droits, aides et avantages garantis [...] aux mères célibataires ou non, et à leurs enfants, ainsi que sur les possibilités offertes par l'adoption ».
En Italie , la loi prévoit l'information de la femme sur ses droits et sur les aides sociales auxquelles elle peut avoir recours, « spécialement quand la demande d'IVG est motivée par l'effet de la situation économique, sociale ou familiale ».
En Suisse , le médecin est tenu avant l'intervention « de s'entretenir lui-même de manière approfondie avec la femme enceinte, de la conseiller et de l'informer sur les risques médicaux de l'intervention ainsi que de lui remettre contre signature un dossier comportant : la liste des centres de consultation qui offrent gratuitement leurs services, une liste d'associations et organismes susceptibles de lui apporter une aide morale ou matérielle [et] des informations sur les possibilités de faire adopter l'enfant ».
La législation du Texas prévoit que le praticien doit, au moins 24 heures avant l'intervention :
- effectuer une échographie ;
- exposer l'image en qualité suffisante et de façon que la femme puisse la voir ;
- expliquer oralement et de façon compréhensible les résultats de cet examen, y compris les dimensions de l'embryon ou du foetus, l'existence d'une activité cardiaque, de membres externes et d'organes internes ;
- rendre audibles les battements du coeur pour que la femme puisse les entendre ;
- lui faire remplir et signer une attestation relative au consentement volontaire et informé.
La femme enceinte peut refuser de regarder les images de l'échographie et d'écouter l'auscultation cardiaque. Elle peut également choisir de ne pas recevoir l'explication orale des résultats de l'échographie si :
- sa grossesse est la conséquence d'une agression sexuelle, d'un inceste ;
- elle est mineure et a obtenu le droit d'interrompre sa grossesse au terme d'une procédure judiciaire qui la soustrait à l'autorisation parentale ;
- ou si le foetus souffre d'une anomalie médicale irréversible.
Troisième point : quel est le délai de réflexion à compter de l'entretien ?
Le délai de réflexion consécutif à la délivrance d'une information à la femme susceptible de subir une IVG est variable :
- 7 jours en Italie ;
- 6 jours en Belgique ;
- 3 jours en Allemagne ;
- et 24 heures au Texas.
Mon quatrième point concerne l'existence d'une clause de conscience à l'attention des professionnels.
Des développements sont consacrés, dans la note, à la question de la clause de conscience que les professionnels de santé peuvent invoquer pour refuser de réaliser une IVG. De telles clauses existent en Allemagne, en Belgique, en Irlande, en Italie, en Pologne et en Suisse et, bien sûr, en France.
En Suède , la loi ne comporte pas de dispositions spécifiques permettant à un médecin ou à un membre du personnel de santé d'invoquer une clause de conscience. On considère en Suède qu'une personne qui choisit de devenir sage-femme ou obstétricien(ne) doit s'attendre à pratiquer des IVG. Les professionnels de santé semblent du reste s'accorder sur ce point, considérant que si l'on ne veut pas pratiquer d'IVG, on ne doit pas exercer ce métier...
Pourtant, une sage-femme a entrepris - sans succès pour le moment puisque les tribunaux l'ont déboutée - de faire reconnaître une « clause de conscience » en droit suédois.
L'avenir dira ce qu'il advient de cette affaire, mais ce que l'on peut en tirer d'ores et déjà, c'est que le camp anti-IVG milite pour rendre l'IVG plus difficile .
Le cinquième point que j'aimerais développer est la prise en charge du coût de l'interruption de grossesse.
Il s'agit évidemment d'une question incontournable.
En la matière, on constate que cette prise en charge est assurée :
- en Belgique, sous réserve du versement d'un ticket modérateur ;
- en Italie, en Pologne, en Suède et en Suisse.
En Allemagne , où l'IVG est considérée comme une infraction pénale « non punissable », elle n'est prise en charge intégralement que lorsqu'elle résulte d'un motif thérapeutique ou qu'elle est réalisée à la suite d'un crime sexuel.
L'IVG est donc à la charge financière de la femme :
- en Allemagne, lorsqu'elle résulte de sa décision dans les douze semaines de la conception, chaque Land pouvant cependant accorder une aide aux personnes dépourvues de revenus ;
- en Irlande ;
- et au Texas.
Je n'insiste pas sur les difficultés que pose la question du remboursement.
Avant de conclure mon propos, je souhaite souligner l'importance de la question de la contraception d'urgence , qui est aussi évoquée dans la note. En la matière, on a constaté, en Italie, que l'introduction de ces médicaments avait fait diminuer considérablement le nombre d'IVG.
En Pologne, il a été décidé de soumettre cette forme de contraception à prescription médicale, ce qui est cohérent avec la législation polonaise sur l'IVG.
Cette analyse confirme toutefois que l'avortement n'est pas considéré comme un droit dans tous les pays, loin s'en faut, et qu'il existe d'importantes différences d'approche juridique de l'IVG selon les pays, différences sur lesquelles il ne nous appartient pas de nous prononcer.
Si l'accès à l'IVG relève des compétences de chaque État membre de l'Union européenne, il faut rappeler que le Parlement européen a adopté en 2011, à une large majorité, deux résolutions invitant les États à légaliser l'avortement, et qu'en 2008, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dont, par exemple, la Pologne est membre, a adopté une résolution demandant aux 47 États parties de dépénaliser l'avortement et de garantir aux femmes l'accès à un avortement légal et sans risques.
* 79 Loi n° 2015-994.
* 80 Le code du travail est régi par la loi. Les accords collectifs (de branche/secteur d'activité ou d'entreprise) ne peuvent pas être moins favorables aux salariés que ce que la loi dispose. L'accord d'entreprise ne peut pas être « moins disant » pour les salariés que l'accord de branche (sauf exception). Enfin, le contrat de travail ne peut pas être moins favorable que ce que prévoit l'accord d'entreprise. Le projet de loi prévoit que des accords négociés au niveau de l'entreprise pourront être moins favorables par rapport aux dispositions négociées au niveau de la branche d'activité (note du secrétariat).
* 81 Loi n° 2015-994.
* 82 Loi n° 2008-496.
* 83 Loi n° 83-634.
* 84 Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle.
* 85 Loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 portant modification du code du travail et du code pénal en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
* 86 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
* 87 Document de politique transversale « Politique de l'égalité entre les femmes et les hommes », annexé au projet de loi de finances pour 2017.
* 88 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
* 89 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.
* 90 Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles, octobre 2016.
* 91 Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.
* 92 Proposition de loi portant adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat.
* 93 Perceptions de l'égalité entre les femmes et les hommes en France - Regards croisés (Étude n° 1600603 - septembre 2016)
* 94 Le juge peut également être saisi par l'un des parents ou le ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non, à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et sur la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.
* 95 Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.
* 96 N° 615 (2016-2017).
* 97 Loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L. 648 et L. 649 du Code de la santé publique.
* 98 N° 373 (2014-2015).
* 99 N° 45 (2015-2016).
* 100 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
* 101 N° 592, 2014-2015.
* 102 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.
* 103 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
* 104 « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».
* 105 Sociologue française née en 1941. Chercheure au CNRS depuis 1966 dans le domaine des études féministes ou études de genre, elle est l'une des cofondatrices de la revue Nouvelles questions féministes (Note du secrétariat).
* 106 Cet hommage a donné lieu à la publication d'un recueil des discours prononcés à cette occasion : http://www.senat.fr/rap/r16-487/r16-487_mono.html
* 107 Le texte de cette étude est accessible sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/notice-rapport/2016/lc280-notice.html
* 108 Femmes et santé : les enjeux d'aujourd'hui , rapport d'information n° 592 (2014-2015) d'Annick Billon et Françoise Laborde, fait au nom de la délégation aux droits des femmes.
* 109 La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ?, rapport d'information n° 101 (2016-2017) de Chantal Jouanno, fait au nom de la Délégation aux droits des femmes.