II. LES PROPOSITIONS : ACHEVER LA FUSION DES OPÉRATEURS, PROMOUVOIR UN RAPPROCHEMENT CRÉATEUR DE VALEUR AVEC L'AFD
Les constats effectués par vos rapporteurs au cours de leurs travaux les conduisent à formuler des propositions selon deux axes : achever la réforme commencée en 2014 d'une part, améliorer les relations entre Expertise France et l'AFD d'autre part.
A. ACHEVER LA FUSION DES OPÉRATEURS
Vos rapporteurs estiment qu'il est nécessaire d'achever le regroupement des opérateurs d'expertise .
Il n'est pas acceptable que des opérateurs concurrents continuent à se porter candidats en ordre dispersé à des appels d'offre internationaux ou qu'ils doivent s'engager dans des consortiums dont le fonctionnement suppose des négociations longues et complexes sur la répartition des missions et sur le partage des marges.
Il est ainsi au contraire nécessaire de promouvoir un opérateur totalement intégré , car seul un tel opérateur est à même de répondre à des demandes de plus en plus caractérisées par leur dimension multisectorielle, notamment dans le domaine sécurité-développement. Le décloisonnement des interventions apparaît en effet de manière croissante comme la condition de l'efficacité dès lors que les pays concernés sont caractérisés par une administration insuffisamment développée ou sinistrée à la suite d'une crise.
Ceci correspond plus profondément à la nécessité de concevoir l'expertise internationale comme allant bien au-delà du seul champ de l'influence de chacun des ministères . Certes, grâce à l'existence de cet opérateur unifié, ceux-ci peuvent se voir offrir des possibilités nouvelles, à une échelle plus vaste, leur permettant de rayonner plus largement avec une enveloppe financière stable. Mais le décloisonnement va aussi de pair avec une vision plus large de l'influence française , c'est-à-dire en somme avec la réaffirmation d'une diplomatie globale qui s'exerce à la fois dans les champs public et privé et qui passe par l'affirmation de « champions nationaux » aptes à rivaliser avec les champions des autres puissances qui se cessent de s'affirmer davantage dans des régions du monde naguère délaissées mais aujourd'hui considérées comme stratégiques.
Enfin, la consolidation d'un opérateur de coopération dotée d'une taille suffisante constituera indéniablement un atout supplémentaire pour atteindre l'objectif fixé par le président de la République de consacrer 0,55% du RNB à l'aide publique au développement en 2022 . En effet, la mise en oeuvre directe, qui constitue l'essence même des interventions d'Expertise France, permet un décaissement rapide des financements, quelques semaines seulement après la décision d'engagement, tandis que la mise en oeuvre indirecte, mode d'intervention classique de l'AFD, suppose en général des décaissements qui s'étalent sur plusieurs années.
1. Le périmètre du rassemblement
Le périmètre identifié par le rapport d'audit précité comprend, pour la deuxième vague du regroupement des opérateurs d'expertise, les organismes suivants : Civipol, JCI, ADECIA, FVI, CIEP, SFERE, CFI.
Un consensus s'est aujourd'hui dégagé pour considérer que le Centre international d'études pédagogiques (CIEP), la Société française d'exportation des ressources éducatives (SFERE) et CFI n'ont pas vocation à être intégrées à Expertise France à court terme.
En effet, le CIEP, opérateur de l'éducation nationale, ne consacre qu'une part réduite de son activité à la coopération internationale. En outre, la convention qu'il a signée en février 2016 avec Expertise France permet d'assurer une coexistence harmonieuse entre les deux opérateurs. Ceci n'épuise cependant pas le sujet du développement de l'expertise internationale en matière d'éducation : comme l'ont montré à plusieurs reprises les rapports de votre commission consacrés à l'aide au développement, il y a là un domaine à réinvestir de manière prioritaire pour notre politique de coopération dans les pays d'Afrique francophone. Le développement d'une offre complète de coopération internationale par une collaboration étroite entre les ministères chargés de l'éducation et de l'enseignement supérieur et Expertise France constitue par conséquent un enjeu important pour les années à venir.
SFERE, l'autre opérateur associé au ministère de l'éducation nationale, est une société privée sous forme de SA qui intervient essentiellement en réponse à des appels d'offres et dont l'intégration au sein d'Expertise France ne créerait pas de valeur ajoutée.
S'agissant enfin de CFI, SA majoritairement financée par le MEAE et récemment rachetée par France Média Monde (FMM), elle entretient des relations de confiance avec Expertise France et une convention tripartite entre EF, CFI et FMM est en cours de négociation afin d'entériner cette collaboration. Un rapprochement organique ne paraît pas nécessaire aujourd'hui.
Restent donc l'opérateur du ministère de la justice, JCI, celui de l'intérieur, Civipol, et les deux de l'agriculture, ADECIA et FVI.
2. Le rassemblement des opérateurs adossés au ministère de l'agriculture
Les opérateurs adossés au ministère de l'agriculture, ADECIA et FVI, sont des GIP sans capital, dont les effectifs sont peu nombreux. Ils doivent donc, selon vos rapporteurs, être intégrés directement au sein d'Expertise France , soit par une décision de leur Conseil d'administration, soit par la loi.
Il ne s'agira là toutefois que de la première étape d'une réforme ambitieuse , qui devra s'appuyer sur une coopération étroite avec le ministère de l'agriculture. La détermination des principales modalités de cette coopération devrait d'ailleurs commencer immédiatement et précéder ainsi les opérations de fusion. Sortir d'une logique d'influence pure pour aller vers une logique de développement, élargir le champ géographique, aujourd'hui très centré sur le Maghreb, intégrer explicitement les grands enjeux de sécurité alimentaire et de développement durable : tels sont les chantiers qui attendent Expertise France dans ce secteur agricole.
3. Le cas de JCI
On sait que les bailleurs privilégient désormais souvent les projets multisectoriels, dont la dimension justice n'est que l'un des volets. En outre, la demande dans le domaine de l'expertise judiciaire mais aussi juridique est croissante et justifie un changement d'échelle de la projection de l'expertise française dans ce domaine.
Vos rapporteurs préconisent donc également une fusion de JCI avec Expertise France . Celle-ci doit être préparée par un travail approfondi d'identification des priorités mené en coopération avec le ministère de la justice, et elle devra s'accompagner d'un renforcement de la présence du ministère au sein du CA d'Expertise France ainsi que de la signature d'une convention. Par ailleurs, Expertise France devra accomplir un important travail pour être à même de mobiliser efficacement le réseau d'experts de la justice, c'est-à-dire les magistrats compétents dans ce secteur.
4. Les modalités d'un rapprochement avec Civipol
À l'issue de son contrôle, la Cour des comptes a préconisé un rapprochement de Civipol et Expertise France. Vos rapporteurs partagent cette analyse . Reste à déterminer les modalités, qui sont nécessairement plus complexes que pour les autres opérateurs.
D'abord, Civipol est une SA détenue à seulement 40% par l'Etat, le reste étant détenu par des actionnaires privés. Ensuite, Civipol a effectué en 2015 une opération de croissance externe en rachetant Transtec, une SA belge de coopération internationale. Enfin, elle gère Milipol, organisme qui organise des salons internationaux de sécurité intérieure et qui génère une part prédominante de ses recettes.
Ces deux dernières activités n'ont pas vocation à être intégrées à Expertise France. Dès lors, en première analyse, l'alternative semble être la suivante :
-la création d'une filiale commune aux deux entités, dont celles-ci seraient toutes deux actionnaires et qui serait seule compétente en matière de sécurité. Cette solution présenterait l'inconvénient majeur d'extraire l'activité « sécurité » des compétences d'Expertise France alors que toute l'intérêt de la réforme de 2014 réside précisément dans la possibilité pour l'agence de mettre en oeuvre des projets multisectoriels ;
-deuxième hypothèse, que vos rapporteurs privilégient, une cession partielle d'activité de Civipol à Expertise France , portant uniquement sur la part « expertise internationale » de Civipol, tandis que celle-ci continuerait à exister sous forme de SA avec ses autres activités.
Parallèlement à ce regroupement avec Civipol, Expertise France devra construire une relation solide et confiante avec le ministère de l'intérieur . L'audition d'un représentant de la direction de la coopération internationale du ministère de l'intérieur a en effet permis à vos rapporteurs de constater qu'il demeurait au sein du ministère une certaine inquiétude sur la capacité d'un organisme tel qu'Expertise France à concilier croissance du chiffre d'affaires et prise en compte adéquate des intérêts français en matière de coopération technique de sécurité. Cette construction des relations passe par un renforcement de la participation du ministère au conseil d'administration de l'agence ainsi que par la signature d'une convention prévoyant la prise en compte par EF de la stratégie et des priorités ministérielles, à la suite d'un processus de réflexion qui doit être mené en commun. Cette convention devra également définir précisément les modalités de mise à disposition de ses experts par le ministère.