C. TAXE D'HABITATION ET DETTE DE SNCF RÉSEAU : JUSQU'À 60 MILLIARDS D'EUROS NON ENCORE INTÉGRÉS À LA TRAJECTOIRE ?

Au-delà des incertitudes sur la capacité du Gouvernement à respecter ses engagements en matière de maîtrise de la dépense publique, il doit être souligné que le présent projet de programme de stabilité ne tient aucunement compte de deux annonces récentes du Président de la République susceptibles de bouleverser la trajectoire budgétaire à l'horizon 2022 : la suppression totale de la taxe d'habitation, d'une part, la reprise d'une partie de la dette de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), d'autre part.

1. La suppression totale de la taxe d'habitation

Si le présent projet de programme de stabilité prend déjà en compte le coût pour l'État du dégrèvement de taxe d'habitation pour 80 % des ménages - initiative à laquelle le Sénat s'est opposé -, pour un montant estimé à 10,1 milliards d'euros, tel n'est pas le cas du surcoût lié à sa suppression totale, pourtant confirmée par le Président de la République.

Interrogé sur ce point, le Gouvernement a indiqué que « les travaux menés sur la suppression de la taxe d'habitation sont en cours » et que « dans l'attente de leur conclusion et des propositions de la mission Bur-Richard sur la refonte de la fiscalité locale, le programme de stabilité n'intègre pas cette mesure ».

Or, la suppression complète de la taxe d'habitation (TH) se traduirait par un montant à compenser très significatif, compris entre 10 milliards d'euros et 14 milliards d'euros selon si l'on prend en compte la dynamique de la taxe d'habitation jusqu'à sa suppression 47 ( * ) . Le coût de cette mesure pourrait éventuellement être réduit en cas de maintien de la taxe d'habitation au titre des résidences secondaires , dont le rendement s'élève à 2,3 milliards d'euros. De même, la mission Bur-Richard a évoqué 48 ( * ) la création d'un « impôt citoyen » , qui reposerait sur les résidents d'un logement, dont le montant représenterait 20 % à 25 % de celui de la taxe d'habitation, soit environ 5 milliards d'euros. Cette piste a cependant été définitivement écartée par le Président de la République : « Il n'y aura pas de création d'un nouvel impôt local, ni d'un nouvel impôt national » 49 ( * ) .

2. La reprise d'une partie de la dette de SNCF Réseau

En parallèle, le Président de la République a confirmé que l'État reprendra « progressivement » une partie de la dette du gestionnaire d'infrastructures SNCF Réseau « à partir du 1 er janvier 2020 » 50 ( * ) , date à laquelle l'article 1 er A ( nouveau ) du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire adopté en première lecture par l'Assemblée nationale prévoit de transformer SNCF Réseau en société nationale à capitaux publics soumise aux dispositions du code de commerce relative aux sociétés anonymes.

Il est vrai que la transformation implique la perte de la garantie implicite de l'État liée au statut d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) , qui permet aujourd'hui à SNCF Réseau d'obtenir des conditions d'emprunt quasiment équivalentes à celles de l'État. Dès lors, il est peu probable que les acteurs financiers continuent de prêter à SNCF Réseau dans des conditions de taux soutenables, une fois le changement de statut effectué, compte tenu de la situation financière actuelle de l'établissement. Ainsi que le résume le rapport de Jean-Cyril Spinetta sur l'avenir du transport ferroviaire, « seule une reprise au moins partielle de la dette semble pouvoir assurer à moyen terme l'équilibre du gestionnaire d'infrastructures » 51 ( * ) .

Une opération de reprise d'une partie de la dette de SNCF Réseau, qui atteint désormais 46,6 milliards d'euros , serait toutefois susceptible de peser lourdement sur la situation des finances publiques, par différents canaux :

- l'opération serait analysée comme une dépense et creuserait donc temporairement le solde public l'année de la reprise ;

- les intérêts payés par SNCF Réseau , qui s'élevaient à 1,2 milliard d'euros l'an passé, devraient à l'issue de l'opération être pris en charge par le budget de l'État et dégraderaient donc le solde public jusqu'à extinction de la dette ;

- l'opération pourrait également peser sur la dette publique , si le montant repris excède la part de la dette de SNCF Réseau déjà requalifiée en dette publique par l'Insee (10 milliards d'euros) ;

- de manière plus indirecte, l'opération pourrait avoir à moyen terme un impact négatif sur les conditions d'emprunt de l'État « en augmentant son programme d'émissions au fur et à mesure de l'arrivée à échéance de la dette reprise » 52 ( * ) .

Le surcoût temporaire lié à l'opération de reprise pourrait être particulièrement complexe à intégrer à la trajectoire budgétaire . En effet, « l'annonce d'une reprise de dette en plusieurs tranches constituerait une reconnaissance de dette en comptabilité nationale à hauteur de la totalité des tranches » 53 ( * ) . L'impact de l'opération sur le déficit public, quand bien même celle-ci serait réalisée en plusieurs tranches, doit donc en principe être comptabilisé en une seule fois.

Une solution consisterait à ce que les opérations de reprise de dette fassent l'objet d'une décision annuelle , à l'image de ce qui est parfois prévu pour les remises de dette en faveur des pays très endettés 54 ( * ) , afin de permettre une répartition de l'effort budgétaire sur plusieurs exercices et de conditionner les opérations de reprise à une amélioration effective de la situation financière de l'entreprise.

Si le montant et les modalités de la reprise d'une fraction de la dette de SNCF Réseau demeurent inconnus à ce jour, une marge de sécurité suffisante devra en tout état de cause être conservée par rapport au seuil de déficit de 3 % du PIB .


* 47 Voir le compte rendu de la réunion de la commission des finances du Sénat du mercredi 7 mars 2018 sur les pistes de réflexion du groupe de travail relatif à l'évolution de la fiscalité locale.

* 48 Audition devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 21 mars dernier.

* 49 Entretien du Président de la République du 15 avril 2018.

* 50 AFP, « SNCF : l'État reprendra progressivement la dette à partir du 1 er janvier 2020 », 15 avril 2018.

* 51 Jean-Cyril Spinetta, rapport au Premier ministre sur l'avenir du transport ferroviaire, 2018, p. 104.

* 52 Rapport du Gouvernement relatif à la trajectoire de la dette de SNCF Réseau et aux solutions qui pourraient être mises en oeuvre afin de traiter l'évolution de la dette historique du système ferroviaire, 2016, p. 17.

* 53 Ibid .

* 54 Voir pour un exemple : La Chambre des représentants de Belgique, « Bulletin n° : B095 - Question et réponse écrite n° : 0075 - Législature : 50 », 2001.

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