B. LA LÉGISLATION SUR LE CUMUL DES MANDATS ET LA RÉDUCTION ANNONCÉE DU NOMBRE DES ÉLUS LOCAUX
Deux réformes récentes et à venir risquent encore de modifier drastiquement les conditions d'exercice des mandats locaux : la législation sur l'interdiction du cumul des mandats et la réduction annoncée du nombre des élus locaux.
1. La législation sur l'interdiction du cumul des mandats
La question de l'interdiction du cumul des mandats a déjà été largement débattue. Les arguments sont connus : d'un côté, la connaissance du local et le respect de la démocratie plaident pour le cumul, de l'autre, l'idée d'un meilleur exercice de leur mandat électif par les élus va dans le sens du non-cumul.
L'interdiction du cumul vertical des mandats, d'abord entre un mandat exécutif local et un mandat parlementaire, est désormais pleinement effective.
Cette limitation a eu des incidences notables sur les conditions d'exercice d'un mandat exécutif local par les députés et les sénateurs. Ceux-ci ont dû, en effet, choisir entre le mandat national et la direction d'une collectivité. En choisissant le mandat local, ils ont dû renoncer à leur indemnité parlementaire, ce qui a posé la question du niveau de rémunération, parfois insuffisant, des fonctions exécutives dans les grandes collectivités. Avec le non-cumul, les élus locaux titulaires de fonctions exécutives seront donc à l'avenir en situation de se consacrer à plein temps à leurs mandats, ce qui appelle des conditions rénovées d'exercice de ceux-ci.
Cette nouvelle législation, en vigueur depuis 2017, a toutefois maintenu - c'était une revendication légitime portée par le Sénat - la possibilité du cumul d'un mandat parlementaire avec un mandat local non exécutif. Il apparaît logique que des élus nationaux, représentant des territoires, a fortiori au Sénat, soient élus de ces mêmes territoires et en connaissent parfaitement les réalités de terrain.
Votre délégation a bien pris acte de cette nouvelle donne, à laquelle les élus locaux, en grande majorité, se sont montrés plutôt favorables. D'ailleurs, ils sont 73,97 % des répondants à la consultation organisée en janvier 2018 à estimer que « les effets de la loi sur le non-cumul des mandats sont positifs ».
S'agissant ensuite de l'interdiction du cumul des mandats locaux dans le temps, la ministre Jacqueline Gourault déclarait, lors d'une table ronde au Sénat précitée : « l'interdiction du cumul dans le temps des mandats locaux n'est pas dans l'intention du Gouvernement ». Pourtant, depuis, le sujet a évolué.
L'article 5 du projet de loi pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, déposé à l'Assemblée nationale le 23 mai 2018 dispose : « Nul ne peut exercer plus de trois fois consécutivement les fonctions de chef de l'exécutif ou de président de l'assemblée délibérante d'une même collectivité territoriale ou d'un même établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre » . Sont ainsi visées, en métropole, les fonctions de maire, de maire d'arrondissement, de maire de Paris, de président de conseil départemental, de président de conseil régional, de président d'EPCI, de président du conseil de métropole de Lyon, de président du conseil exécutif et de l'assemblée de Corse. Sont prises en compte les périodes d'exercice complètes ou dont l'interruption est inférieure à un an.
Votre délégation prend bonne note au demeurant que la limitation envisagée ne soit pas applicable aux communes de moins de 9 000 habitants, ni aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de moins de 25 000 habitants à la date de l'élection. Elle a déjà eu l'occasion de souligner la crise des vocations, en particulier dans les petites communes, qui peinent parfois à trouver des volontaires pour exercer des responsabilités politiques.
Elle estime toutefois qu'il est nécessaire de bien réfléchir à l'impact d'une telle réforme afin d'anticiper ses conséquences pratiques sur l'exercice des mandats locaux par les élus.
En effet, le non-cumul des mandats locaux dans le temps entrainera une rotation plus rapide des mandats. Or, comme le relève Loïc Cauret, président délégué de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) : « les effets sociétaux d'une telle réforme doivent être anticipés, car les élus prendront le risque, après deux ou trois mandats, de se retrouver sans rien à l'âge de 55 ans ». Les effets sur la retraite et sur les rémunérations devront également être pris en compte, « autrement, ce sera une prime aux retraités, aux détachés ou à la nouvelle carrière des attachés parlementaires ou responsables de cabinet » poursuit-il.
2. Les effets de la réduction possible du nombre d'élus locaux doivent être bien mesurés
Le 17 juillet 2017, le Président de la République annonçait au Sénat, lors de la Conférence nationale des territoires, qu'il fallait « engager une réduction du nombre des élus locaux » .
Mais, selon la ministre Jacqueline Gourault, le projet de réduction du nombre d'élus locaux n'est pas acté. Devant votre délégation, elle affirmait : « lorsque le Président de la République a évoqué au Sénat le thème de la réduction du nombre d'élus, il pensait aux communes nouvelles qui entraînent de fait une diminution du nombre d'élus », reconnaissant également que « le Gouvernement n'a aucune intention de légiférer sur le nombre de conseillers régionaux », même si, sur ce dernier point, les régions ne semblent pas hostiles.
Depuis la loi 16 janvier 2015 portant délimitation des régions, les élus régionaux des 22 anciennes régions ont en effet été maintenus, aboutissant à un nombre relativement important d'élus régionaux, et conduisant Régions de France elle-même à s'accorder sur une limitation possible du nombre d'élus régionaux à 150 4 ( * ) .
Une éventuelle réduction du nombre d'élus locaux comporterait pourtant divers risques majeurs, notamment relatifs aux conditions d'exercice des mandats locaux. En diminuant la présence d'élus locaux dans certains territoires, elle pourrait, par exemple, porter préjudice aux toutes petites communes situées sur des territoires enclavés et isolés. Et justement, comme le fait observer le Président du Sénat : « La chance de la France, c'est sa trame de 500 000 élus locaux ». Pour le représentant de l'Association des maires de France (AMF), « on se trompe complètement de cible, ça ne fera aucune économie car 90 % d'entre eux sont bénévoles ».
Si le Gouvernement devait porter une telle réforme, quels que soient les moyens mis en oeuvre (fusion de communes avec diminution du nombre d'élus municipaux, fusion des départements et des métropoles, etc.), la réduction du nombre d'élus locaux se prolongerait nécessairement par la question des conditions d'exercice des mandats locaux.
À cette occasion, le renforcement des conditions actuelles d'exercice du mandat serait indispensable, car vouloir moins d'élus c'est faire reposer sur eux des missions et des responsabilités accrues. D'ailleurs il est intéressant de remarquer que les élus interrogés dans le cadre de la consultation se prononcent largement en défaveur d'une telle réforme (à 54,49%).
Enfin, la réduction du nombre d'élus locaux posera nécessairement la question de leur mobilité sur le territoire : être moins nombreux pour représenter et administrer les mêmes territoires requiert du temps et des moyens financiers, constat particulièrement vérifié pour les élus des territoires ruraux.
* 4 Audition de Jacqueline Gourault « Être élu local en 2018 - La nouvelle donne des mandats locaux », le 15 février 2018.