B. UNE EXÉCUTION DES PEINES DE PLUS EN PLUS DÉCONNECTÉE DE LEUR PRONONCÉ
Il ressort des entretiens de vos rapporteurs avec les magistrats et fonctionnaires du ministère de la justice que le temps nécessaire à l'exécution d'une peine semble parfois plus long que le temps nécessaire à la constatation de l'infraction, à l'enquête, à l'audiencement et au jugement.
1. Le temps long de l'exécution des peines
L'ensemble des magistrats rencontrés dans les juridictions par vos rapporteurs ont regretté les délais de mise à exécution des peines , étant entendu que les statistiques du ministère de la justice mesurent les délais de mise à exécution « administrative » des peines, et non pas nécessairement la mise à exécution réelle des peines 37 ( * ) .
Ils identifient plusieurs causes à la longueur de la procédure de mise à exécution.
En premier lieu, ils regrettent le manque de moyens de la justice , et notamment le nombre très insuffisant de personnels de greffe dans les services d'exécution des peines , mais également le nombre des magistrats du parquet, des juges de l'application des peines et des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.
En deuxième lieu, la complexité du droit de l'exécution est régulièrement mentionnée comme une cause d'inefficacité de la procédure. Outre un important travail de vérification des pièces d'exécution requises, les modalités retenues pour la mise à exécution d'une peine d'emprisonnement dépendent de différents paramètres : le fait que le condamné soit détenu ou non, si cette détention résulte de la même affaire, si la personne est sans domicile fixe ou connu, etc .
Enfin, l'obligation d'examen des peines d'une durée inférieure ou égale à deux ans - ou un an en état de récidive légale - en vue d'un aménagement des peines, procédure définie à l'article 723-15 du code de procédure pénale, a accru le temps nécessaire à l'exécution d'une peine.
La procédure de l'article 723-15 du code de procédure pénale Cette procédure prévoit la saisine automatique du juge de l'application des peines avant toute exécution d'une peine d'emprisonnement d'une personne non incarcérée condamnée à une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à deux ans (un an pour les récidivistes) ou pour laquelle la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à deux ans (un an pour les récidivistes). Initialement prévue à l'article D. 49-1 du code de procédure pénale, cette procédure vise à éviter l'exécution des courtes peines, socialement coûteuses. Depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité , elle a été élevée au rang législatif pour imposer au parquet l'application de cette procédure. Depuis la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, le seuil des peines aménageables éligibles à cette procédure a été relevé d'un à deux ans et de six mois à un an en récidive. |
En l'absence de mandat de dépôt décerné à l'audience, la peine d'un condamné comparaissant libre ne pourra pas être exécutée avant plusieurs mois. Outre le temps nécessaire à l'évaluation de la personne par le SPIP, nombre de magistrats témoignent de la difficulté à mobiliser les personnes condamnées : plusieurs convocations sont ainsi nécessaires, ce qui retarde la mise à exécution d'une peine, même sous une autre forme.
L'impact de la saisine en application de l'article 723-15 du code de procédure pénale ne doit pas être sous-estimé : environ deux tiers des peines prononcées sont éligibles à la procédure.
Comme l'avait déjà dénoncé la mission de la commission des lois sur le redressement de la justice, il existe « une étanchéité entre l'application du principe constitutionnel d'individualisation de la peine par les magistrats de la juridiction de jugement et l'application qui en est faite par les magistrats des juridictions de l'aménagement des peines qui, au titre de l'aménagement de la peine, peuvent la transformer profondément, celle-ci n'ayant plus alors qu'une valeur indicative. »
2. Une politique d'aménagement des peines d'emprisonnement contrainte par l'inadaptation du parc carcéral
Nombre de magistrats rencontrés par vos rapporteurs ont pointé l'hypocrisie du système pénal qui repose essentiellement sur la peine d'emprisonnement alors même que l'institution pénitentiaire n'est pas en mesure d'incarcérer la totalité des personnes condamnées à une peine d'emprisonnement .
a) Un parc carcéral inadapté à la population pénale
Au 1 er juillet 2018, le nombre de personnes incarcérées en France a atteint un nouveau record : 70 710 détenus . Parmi eux, 21 007 détenus étaient des prévenus en attente de leur jugement et 49 703 étaient des condamnés exécutant leurs peines.
En raison d'une politique volontariste d'aménagement des peines, ce nombre est bien inférieur aux 130 000 38 ( * ) peines d'emprisonnement ferme prononcées, en moyenne, chaque année par les juridictions et pour lesquelles le quantum moyen prononcé est, pour les peines prononcées en 2016, de 8 mois et 6 jours pour les délits et de 14 années pour les crimes.
Pourtant, le parc carcéral n'est d'ores et déjà pas en capacité d'incarcérer dignement ces 70 710 détenus.
(1) Une situation chronique de surpopulation carcérale qui induit des conditions indignes de détention et remet en cause l'objectif de réinsertion
Au 1 er juillet 2018, le taux d'occupation moyen des établissements pénitentiaires, ou la « densité carcérale », qui rapporte le nombre de personnes détenues au nombre de places opérationnelles d'un établissement, était de 118,4 %. En maison d'arrêt, ce taux atteignait même 142,5 %. En tenant compte des places inoccupées dans les établissements pénitentiaires 39 ( * ) , la densité carcérale globale « corrigée » atteint 125 %.
Ce sont 42 373 personnes, soit près de 60 % des détenus , qui sont actuellement incarcérées dans des structures suroccupées .
Cette suroccupation carcérale s'explique principalement par l'augmentation du nombre des prévenus (57,6 % des entrées) alors que le nombre de détenus condamnés s'est stabilisé depuis 2013.
Cette surpopulation carcérale induit des conditions indignes de détention , accroît les passages à l'acte violent et exacerbe la concurrence entre personnes détenues pour accéder à l'emploi, aux formations, aux activités, aux parloirs et aux unités de vie familiale.
En 2016, seulement 19 000 détenus étaient inscrits à une offre de formation professionnelle (contre 28 144 en 2013). Au premier semestre 2017, seulement 19 650 détenus avaient travaillé, soit 28,3 % des détenus (contre 29,4 % en 2015).
Dans de telles conditions de détention, où des jeunes primo-délinquants ou des délinquants incarcérés pour la première fois peuvent côtoyer des multirécidivistes, des détenus radicalisés ou encore des accusés en attente de leur jugement, l'objectif de réinsertion semble compromis.
(2) Un nombre important de détenus insuffisamment pris en charge en détention
Au cours de visites dans plusieurs établissements pénitentiaires, vos rapporteurs ont pu à la fois constater l'engagement des surveillants pénitentiaires qui s'efforcent de gérer au mieux des quartiers suroccupés et leur frustration de ne plus avoir le temps nécessaire et les moyens humains adaptés pour leur mission de réinsertion : la prise en charge des détenus dans les établissements pénitentiaires apparaît aujourd'hui très lacunaire .
De plus, l'ensemble des acteurs de l'administration pénitentiaire rencontrés par vos rapporteurs ont souligné l'incapacité du système carcéral actuel à prendre en charge les personnes condamnées à des courtes peines .
Dans de nombreux d'établissements, aucun parcours d'exécution des peines ne peut être proposé. Les formations professionnelles fonctionnant par cycles non continus, les détenus qui arrivent après le début d'un cycle ou doivent exécuter une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure à six mois ne peuvent que rarement en bénéficier. De même, les activités et le travail en détention sont réservés en priorité aux personnes incarcérés, même en maison d'arrêt, pour des durées supérieures à six mois.
Nombre de personnels pénitentiaires déplorent le paradoxe suivant : les conditions d 'incarcération des prévenus - soit les personnes présumées innocentes - ou des condamnés à des courtes peines d'emprisonnement d'une durée inférieure à deux mois sont particulièrement difficiles , et, par comparaison, les intéressés bénéficient d'une prise en charge nettement inférieure aux condamnés à des longues peines, qu'ils soient incarcérés en centre de détention ou en maison centrale. Alors que la prise en charge, notamment éducative, devrait être particulièrement renforcée pour les personnes condamnées à des courtes peines, ce sont ces détenus qui bénéficient le moins d'un accompagnement tendant à leur réinsertion.
Les surveillants pénitentiaires comme les magistrats déplorent également le nombre important de détenus présentant des troubles psychotiques en détention : leur part est estimée entre 25 et 40 % de la population carcérale. Au sein de la maison d'arrêt de Lyon-Corbas visitée par vos rapporteurs, plus de 40 % des détenus sont traités pour troubles psychologiques.
Depuis les réformes de 2011, les prévenus et accusés présentant une altération de leur discernement au moment des faits sont susceptibles d'être poursuivis. En conséquence, ils ne relèvent plus du circuit psychiatrique mais sont incarcérés. Les structures spécialisées en matière de soins psychiatriques apparaissent très largement insuffisantes au regard des besoins identifiés par les personnels de l'administration pénitentiaire.
b) Une instrumentalisation des aménagements de peine aux fins de traitement de la surpopulation carcérale
Les aménagements des peines d'emprisonnement ont pour objectif principal de prévenir la récidive et faciliter la réinsertion des personnes condamnées en permettant leur retour progressif à la liberté, et non une « sortie sèche ». Lorsqu'ils sont prononcés avant l'incarcération, ils permettent également d'empêcher une courte incarcération aux effets potentiellement délétères.
En application de l'article 707 du code de procédure pénale, « toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie , chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire , dans le cadre d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de placement sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte, afin d'éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire . »
Néanmoins, au-delà de cet objectif de suivi en fin de peine d'incarcération, nombre d'universitaires et de magistrats dénoncent l'instrumentalisation des aménagements de peine aux fins de traitement de la surpopulation carcérale. Plusieurs réformes du droit de l'exécution des peines se sont ainsi fondées sur les difficultés de l'administration pénitentiaire à incarcérer l'ensemble des condamnés à des peines d'emprisonnement.
(1) Le seuil d'aménagement des peines d'emprisonnement
Prévu par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le relèvement d'un an à deux du plafond d'emprisonnement permettant le prononcé d'une mesure d'aménagement a été principalement motivé par l'objectif de réduction de la surpopulation carcérale. Ainsi, selon l'étude d'impact du projet de loi, ces dispositions « permettront par ailleurs, pour les reliquats de peine compris entre un et deux ans, un aménagement plus rapide de la peine d'emprisonnement, ce qui, en avançant le moment de ces aménagements, contribuera à diminuer la surpopulation carcérale. »
Ce seuil d'aménagement très élevé a été abondamment critiqué en raison de la perte de sens et de crédibilité qu'il induit pour les peines d'emprisonnement.
L'étude d'impact 40 ( * ) du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines , déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 9 octobre 2013, qui proposait de ramener de deux ans à un an le seuil d'aménagement pour les condamnés non incarcérés, relevait ainsi que « cette évolution, qui n'était pas véritablement demandée par les praticiens, apparaît toutefois avoir été essentiellement pensée dans une logique purement comptable de régulation des flux pénitentiaires , sans réflexion sur le sens de la peine de prison, dans l'unique fin de tenter de contrebalancer les effets de l'introduction des peines planchers par la loi du 10 août 2007 et de leurs conséquences en matière de surpopulation carcérale. »
L'étude d'impact soulignait également le caractère contradictoire des dispositions de la loi pénitentiaire de 2009 ainsi que les conséquences néfastes sur le processus d'exécution des peines : « En obligeant le parquet à présenter devant le juge de l'application des peines des personnes condamnées à des peines d'emprisonnement ferme de plus d'un an, pour l'inciter à ordonner un aménagement avant même la mise à exécution de ces peines, la loi pénitentiaire a en réalité dénaturé le sens de la peine de prison, le législateur adressant en outre des injonctions totalement contradictoires et par la même incohérentes aux juridictions . Enfin, cette extension du domaine des sanctions aménageables à des peines d'emprisonnement relativement lourdes a eu pour effet de ralentir le processus d'exécution de la peine puisque la décision éventuelle d'aménagement par le juge de l'application des peines peut prendre plusieurs mois durant lesquels la peine n'est d'aucune façon ramenée à exécution, même sous une forme aménagée. »
Pour autant, en raison des conséquences directes de l'abaissement du seuil d'aménagement des peines sur la surpopulation carcérale (au moins 3 500 détenus supplémentaires), le Parlement avait renoncé à une telle modification 41 ( * ) .
(2) Les dispositions visant à accélérer les sorties de détention
Selon le professeur Martine Herzog-Evans, cette instrumentalisation peut également s'illustrer au travers de trois réformes législatives emblématiques qui visaient à accélérer les sorties de détention .
Le premier exemple se retrouve avec le dispositif de « sas de sortie » ou « nouvelle procédure d'aménagement des peines (NPAP) pour les condamnés incarcérés proches de la libération, prévue par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004. Selon cette procédure, le directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation pouvait proposer une mesure d'aménagement, mise à exécution en l'absence de réponse du juge de l'application des peines dans un délai de trois semaines et en l'absence de recours du ministère public.
Avec la création de nouvelles procédures, la « surveillance électronique de fin de peine » et la « procédure simplifiée d'aménagement des peines (PSAP) » remplaçant la NPAP, la loi pénitentiaire de 2009 a poursuivi, comme en 2004, l'objectif de lutter contre les sorties sèches mais vise en priorité la réduction de la surpopulation carcérale .
Supprimées par la loi du 15 août 2014 précitée, ces procédures ont été remplacées par la procédure de la libération sous contrainte qui prévoit l'examen obligatoire par le juge de l'application des peines de la situation de toute personne détenue, condamnée à une peine d'une durée inférieure ou égale à cinq ans et ayant déjà purgé le double de la durée de la peine restant à subir.
(3) Le placement sous surveillance électronique privilégié au détriment du placement à l'extérieur ou du régime de semi-liberté
Le placement sous surveillance électronique , que le Gouvernement propose d'ériger en une peine autonome et non une modalité d'exécution de la peine d'emprisonnement 42 ( * ) , est une modalité économique d'exécution des peines (environ 11 euros par jour) mais dépourvue de tout contenu visant à la réinsertion du condamné et de tout dispositif de contrôle (éthylotest, etc .) nonobstant la vérification du respect des obligations d'assignation à domicile entre certaines heures.
En pratique, comme vos rapporteurs ont pu le constater, le nombre insuffisant des surveillants affectés à cette mission ne permet pas d'intervenir sur la majorité des « alarmes » nées du non-respect des obligations de présence à domicile : dans certains établissements, une moyenne de 900 alarmes par jour, pour 1 300 mesures en cours d'exécution, a pu être constatée.
Alors même que son contenu est unanimement décrié par les universitaires ou les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, le nombre de personnes soumises à cette mesure a augmenté de 5,9 % entre le 1 er août 2017 et le 1 er août 2018. Au cours de la même période, le nombre de condamnés en semi-liberté ou celui des condamnés bénéficiant d'un placement à l'extérieur tout en étant hébergés , mesures contraignantes qui permettent un réel suivi et un accompagnement du condamné, ont respectivement diminué de 6,4 % et de 25 %.
Vos rapporteurs regrettent cette instrumentalisation des aménagements de peine aux fins d'économies budgétaires , alors que devraient primer les objectifs d'une meilleure individualisation des peines et de la prévention de la réitération.
Ainsi, les juges de l'application des peines de Lyon ont déploré le faible nombre de placements à l'extérieur, notamment pour les placements de courte durée, alors même que cet outil permet, selon eux, une prise en charge soutenue des condamnés.
3. La problématique de l'exécution des peines en milieu ouvert
Il existe un large consensus sur l'intérêt d'éviter l'emprisonnement pour les auteurs de certains « petits » délits. Pour ces condamnés, la prison peut constituer une forme « d'école du vice », peu propice à la prévention de la réitération. L'emprisonnement peut aussi avoir pour effet de désocialiser ces condamnés, ce qui va à l'encontre de l'objectif de réinsertion.
Les peines exécutées en milieu ouvert présentent donc, de ce point de vue, un réel intérêt, qu'il s'agisse des mesures de probation (contrainte pénale ou sursis avec mise à l'épreuve), des travaux d'intérêt général 43 ( * ) ou des stages 44 ( * ) .
Cependant, les conditions de mise en oeuvre de ces peines demeurent souvent insatisfaisantes, en raison notamment de la faiblesse des moyens des services d'insertion et de probation (SPIP).
a) Un suivi qui mériterait d'être renforcé dans le cadre des mesures de probation
Les mesures de probation sont fréquemment décidées par les juridictions : au 1 er janvier 2017, on dénombrait ainsi près de 125 000 sursis avec mise à l'épreuve (SME) en cours d'exécution ; le recours à la contrainte pénale demeure beaucoup plus marginal puisqu'à la même date un peu plus de 2 500 contraintes pénales avaient été prononcées par les juridictions.
En dépit de leur utilité pour la prévention de la récidive, les mesures de probation n'apportent pas toujours les résultats escomptés. Trop souvent, le suivi assuré par les conseillers d'insertion et de probation (CPIP) se concentre sur le contrôle des obligations imposées par le magistrat au détriment d'un véritable suivi social. Pour reprendre les termes du professeur Martine Herzog-Evans, la probation en France est trop souvent vue comme « d'abord de la surveillance, du contrôle et de la vérification et non plus du soutien, de l'accompagnement et de la résolution des problèmes ».
Les organisations syndicales reconnaissent cette limite de leur action, qu'ils imputent notamment à un manque d'effectifs qui conduit chaque CPIP à suivre un nombre trop élevé de condamnés. Pour mémoire, on dénombrait en 2017 un peu moins de 2 900 CPIP.
Alors que les recommandations du Conseil de l'Europe indiquent que chaque conseiller devrait suivre une quarantaine de condamnés, le ministère de la justice estime que chaque CPIP suit 80 personnes en moyenne. Sur le terrain, il n'est pas rare qu'un conseiller suive une centaine de personnes, ce qui explique qu'il se concentre surtout sur le contrôle formel des obligations à la charge du condamné.
Un autre élément d'explication tient aux décisions rendues par les juridictions, qui, manquant d'informations suffisamment précises sur le profil du prévenu au moment où elles rendent leur décision, tendent à multiplier les obligations, pas toujours justifiées au regard de la situation de la personne.
Dans ce contexte, il s'écoule souvent un délai de plusieurs mois entre le prononcé de la peine et le début effectif du travail de suivi . En principe, les conseillers sont amenés à mettre en place des suivis différenciés, comme les y invitent les circulaires de l'administration pénitentiaire 45 ( * ) , avec, dans le meilleur des cas, une convocation hebdomadaire, mais le plus souvent mensuelle ou bimestrielle.
Or, les personnes condamnées cumulent généralement les difficultés qui font obstacle à leur insertion : faible qualification, problèmes de comportement, addictions... qui ne peuvent être surmontées qu'au prix d'un suivi intensif.
Ce suivi est d'autant plus efficace qu'il est mené en partenariat avec d'autres intervenants, les SPIP ne pouvant disposer en leur sein de toutes les compétences requises. Or la culture du travail en commun, interdisciplinaire, demeure insuffisamment répandue . Le travail avec les partenaires est le plus souvent appréhendé dans une perspective séquentielle, où il s'agit de faire entrer la personne suivie dans un dispositif de droit commun, une prise en charge par une mission locale par exemple, et non comme la conjugaison des savoir-faire de chacun.
b) Un nombre insuffisant de postes de travail d'intérêt général
Si la peine de TIG est insuffisamment prononcée par les juridictions - on dénombrait 16 284 TIG prononcés en 2016 ce qui correspond à 2,8 % des peines prononcées -, son développement est encouragé par la plupart des acteurs du monde judiciaire. Le rapport « sens et efficacité des peines » de M. Bruno Cotte et Me Julia Minkowski indique ainsi que, dans le cadre des chantiers de la justice, « une parfaite unanimité a pu être constatée sur l'intérêt que présente la peine de travail d'intérêt général ».
Vos rapporteurs partagent ce jugement positif sur les TIG, tout en précisant que l'efficacité de cette peine, en termes de réinsertion, dépend beaucoup de ses conditions d'exécution. Or nombre de magistrats rencontrés par vos rapporteurs ont déploré la faible qualité du contenu de certains TIG et leur brièveté, quelques dizaines d'heures, qui expliquent que leur effet sur le parcours du condamné soit faible.
L'accueil d'un condamné fait peser une responsabilité sur l'employeur, qui doit notamment désigner un référent ou un tuteur, interlocuteur du SPIP, et qui doit veiller à ce que le nombre d'heures de travail prescrit soit réalisé dans le délai imparti. L'intégration d'une personne condamnée dans le collectif de travail n'est pas toujours une opération aisée et elle peut susciter de légitimes inquiétudes chez les professionnels, ne serait-ce qu'en raison de la crainte de violences. Il en résulte un « manque d'investissement voire une réticence de nombreuses communes et collectivités publiques pour prendre en charge les personnes condamnées », comme l'a relevé le rapport de M. Bruno Cotte et Me Julia Minkowski. On pourrait ajouter une réticence de l'État qui est la seule personne publique à n'accueillir aucun TIG...
Le Gouvernement travaille actuellement à la mise en place d'une agence nationale du TIG , qui disposerait d'une plate-forme numérique permettant de recenser les offres existantes. Ce dispositif devrait permettre de renforcer la transparence sur l'offre de TIG, et favoriser ainsi une meilleure adéquation entre le TIG proposé et le profil du condamné, et pourrait encourager les employeurs à proposer des TIG grâce à un meilleur accompagnement et une meilleure information. Il est cependant peu probable que la création de cette agence suffise à faire changer d'échelle le recours aux TIG.
c) Les stages, une diversité de contenus difficile à appréhender
La multiplicité des régimes juridiques des stages se double de modalités très diverses de mise en oeuvre de ces stages. Dès lors, le recours aux stages fait l'objet d'appréciations contrastées.
Le professeur Herzog-Evans porte un jugement très sévère sur « l'industrie » des stages, jugeant « absurde » de croire que l'on puisse « traiter de problèmes aussi complexes que l'abus de substance, la conduite en état d'imprégnation alcoolique répétée, de comportements antisociaux réitérés et de violence domestique en deux jours de stage ».
Certains magistrats ont également fait part de leur perplexité quant à l'efficacité des stages pour résoudre des problèmes comportementaux ancrés chez l'individu.
Néanmoins, le cadre juridique actuel permet d'accorder une grande liberté aux juridictions et aux services d'insertion et de probation dans l'organisation du contenu des stages, ce qui permet de responsabiliser les acteurs de la peine.
* 37 Voir page 42.
* 38 131 342 en 2016.
* 39 La simple différence entre la capacité globale du parc immobilier carcéral et le nombre de personnes détenues ne permet pas de caractériser précisément la population carcérale en surnombre. Au 1 er juillet 2018, on dénombrait ainsi 14 923 détenus en surnombre , portant ainsi le taux réel de « surpopulation » carcérale à 125 % (25 détenus en surnombre pour 100 places).
* 40 L'étude d'impact est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl1413-ei.asp
* 41 Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.
* 42 Voir l'article 48 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice .
* 43 Alternative à l'incarcération, la peine de travail d'intérêt général (TIG) peut être prononcée dans différents cadres juridiques : peine principale alternative à l'emprisonnement, peine d'emprisonnement assortie d'un sursis comportant, notamment, l'obligation d'accomplir un TIG, conversion d'une peine d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à six mois ou encore obligation particulière prononcée dans le cadre d'une contrainte pénale.
* 44 Les stages peuvent être décidés comme une alternative à l'emprisonnement ou être imposés dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve.
* 45 Voir la circulaire de la DAP n° 113/PMJ1 du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d'intervention des services pénitentiaires d'insertion et de probatio n.