C. UNE DÉFAILLANCE SYSTÉMIQUE DANS L'ÉVALUATION DE L'EFFICACITÉ DES PEINES

Au cours de leur mission, vos rapporteurs ont pu constater les carences des juridictions, de l'administration pénitentiaire et plus généralement, du ministère de la justice, dans la production de statistiques fiables.

1. La carence de l'outil statistique opérationnelle

Alors que les politiques publiques en matière pénale ou d'exécution des peines sont très régulièrement réformées, il n'existe aucune véritable démarche systématique de mesure ou d'évaluation statistique , selon le constat critique mais objectif du rapport « Cinq ans pour sauver la justice ! » de la mission d'information sénatoriale sur le redressement de la justice.

Si vos rapporteurs saluent les efforts engagés par le ministère de la justice pour unifier la production de statistiques avec le système d'information décisionnel (SID), ces mesures du plan de transformation numérique du ministère de la justice apparaissent néanmoins peu ambitieuses au regard du retard accumulé.

L'exemple du taux de mise à exécution des peines d'emprisonnement est le plus significatif.

En réaction à de vives critiques quant à l'absence de statistiques sur le taux de mise à exécution des peines d'emprisonnement, de nouveaux outils ont été mis en place par le ministère de la justice à partir de 2004.

Ainsi, en 2016, les taux de peines d'emprisonnement ferme prononcés par les tribunaux correctionnels en attente d'exécution étaient estimés à 44 % à 6 mois, 39 % à 1 an et 16 % à 2 ans. 96 % des peines non aménageables ont été mises à exécution le jour du jugement (99 % l'étaient au bout de 2 ans). Les peines aménageables, qui représentent 70 % des peines d'emprisonnement ferme prononcées par les tribunaux correctionnels, constituent la quasi-totalité du stock de peines d'emprisonnement ferme en attente d'exécution .

Ces nouveaux outils ne sont néanmoins d'aucun intérêt opérationnel, comme l'ont déploré de nombreux parquets. Ce taux ne mesure que la réalisation ou non des mesures administratives : par exemple, en cas de condamné non localisé, l'inscription de la condamnation au fichier des personnes recherchées. Il s'agit en réalité d' un indicateur de traitement des pièces d'exécution. Outil administratif ou comptable, il ne peut donc pas être un outil de pilotage d'une politique pénale.

La refonte du système statistique du ministère empêche pour l'heure la mise à jour de ces données, ce qui explique ainsi l'absence de statistiques transmises au Parlement dans le cadre de l'adoption de la loi n° 2018-652 du 25 juillet 2018 de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2017 .

Extrait du rapport annuel de performance pour l'année 2017

Plus globalement, vos rapporteurs regrettent le manque de connaissances concernant la population pénale, tant sur plan national que local et l'absence d'informations fiables et précises sur l'exécution des peines, notamment le recouvrement des amendes .

2. Une efficacité des peines et des aménagements de peine insuffisamment évaluée

La majorité des statistiques produites par les juridictions visent en réalité à évaluer « la production judiciaire », et non pas l'efficacité des peines prononcées .

Or votre commission des lois dénonce régulièrement, notamment lors de ses avis sur les projets de loi de finances, singulièrement sur le programme budgétaire de l'administration pénitentiaire, l'absence de moyens dédiés à l'évaluation de l'efficacité des peines ou des aménagements de peine .

Les politiques actuelles d'aménagement des peines semblent continuer de se fonder sur des études anciennes de plus de 10 ans, sans prendre en compte les nouvelles réformes législatives.

Aucune étude, aucun indicateur ne mesure l'efficacité des mesures exécutées en milieu ouvert (contrainte pénale, suivi socio-judiciaire, etc .) De même, l'absence d'évaluation des coûts des mesures probatoires, par journée, est préjudiciable dans la définition d'une politique publique d'exécution des peines.

Les prises en charge en milieu carcéral, pourtant très différentes d'un établissement pénitentiaire à l'autre, ne sont pas évaluées : aucune étude ne permet de privilégier tel programme de prévention de la récidive (PPR) par rapport à un autre.

Contrairement à la plupart des pays européens, la France ne finance aucune étude de cohortes suivant les condamnés durant plusieurs années pendant et après l'exécution d'une peine, avec pour finalité d'évaluer la prise en charge des majeurs condamnés dans la prévention de la réitération.

Si des développements informatiques sont en cours afin de relier les données des trajectoires de certaines personnes avec les données du casier judiciaire, ce projet semble bien insuffisant.

Dans son premier rapport, remis en décembre 2017 à Mme la garde des sceaux, l'Observatoire de la récidive et de la désistance regrettait que les connaissances disponibles sur le phénomène de réitération soient principalement fondées sur l'exploitation du casier judiciaire national et sur le fichier national des détenus.

Toute étude sérieuse de prévention du risque de réitération devrait se fonder sur une évaluation post-sentencielle de l'ensemble des condamnés. De plus, l'absence d'exhaustivité des informations inscrites au casier judiciaire ne permet pas d'envisager une évaluation objective de l'efficacité des peines prononcées.

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