EXAMEN EN DÉLÉGATION
Réunie le 4 juillet 2019, la Délégation sénatoriale aux entreprises a examiné le rapport d'information de Mme Pascale Gruny sur l'accompagnement de la transition numérique des PME.
Mme Pascale Gruny, Rapporteur . - Mes chers collègues,
Se déplacer à Station F le 6 juin dernier, comme notre présidente en rendra compte tout à l'heure, sera un clin d'oeil au rapport que je vous présente et qui part du constat que, derrière le succès affiché des start-ups françaises, les PME traditionnelles sont à la peine en matière de numérisation. Le même constat est fait à Berlin ou Copenhague où la situation de ces dernières est cependant bien prise en compte.
Après avoir défini l'économie numérique et insisté sur le fait qu'elle n'est pas une partie de l'économie mais le mouvement de fond qui entraîne toute l'économie, y compris les très petites entreprises, mon propos sera centré sur l'action de l'État et sur l'ouverture à la concurrence des réseaux. Sans cette concurrence, pas de couverture et sans couverture, en haut débit, pas de numérisation de l'entreprise.
Que veut dire se numériser pour une entreprise ?
Une définition par la négative d'abord.
Une entreprise numérisée n'est pas seulement :
- une entreprise qui a un site e-commerce, car la transformation numérique ne peut être réduite à un support, à de la technique. Le changement est plus profond et concerne les modèles économiques de l'entreprise, son approche du marché, sa relation client ;
- une entreprise qui investit dans des start-ups, car la transformation numérique n'est pas qu'externe, elle est surtout interne. Elle concerne avant tout les processus et les mentalités ;
- une entreprise qui est présente sur les réseaux sociaux, car elle doit avant tout être à l'écoute de ses clients, de ses fournisseurs, de ses collaborateurs, de toutes les parties prenantes ;
- une entreprise qui s'est contentée de nommer un CDO (« Chief Digital Officer »), car la transformation numérique touche toutes les activités, toutes les directions, toutes les fonctions et tous les utilisateurs.
La numérisation d'une entreprise n'implique pas seulement l'utilisation de nouveaux outils informatiques, sans cesse plus nombreux, dont la vitesse de développement est exponentielle, mais aussi une remise en question profonde de son organisation interne et de sa relation avec le client, ce que détaille le rapport.
La gestion des données personnelles du client est au coeur du quotidien de l'entreprise. Récemment, la « une » du Monde « Intelligence artificielle : Big Brother au supermarché » racontait comment la reconnaissance faciale, les puces RFID dans les produits que nous achetons, permettaient de se passer de sa carte bleue, tout en étant automatiquement débité, en voyant ses achats scannés, enregistrés, ces données étant ensuite vendues, exploitées. C'est déjà une pratique courante du commerce en Chine.
La numérisation de notre économie est supposée apporter un surcroît de richesse sans précédent. On nous dit que l'absence de numérisation nous coûtera bientôt un point de croissance. Mais tout dépend de la capacité d'un pays à saisir les nouvelles opportunités que représente le numérique. C'est le pari tenu par le Danemark, dont les autorités ont réagi à une étude de McKinsey sur les pays du G8, selon laquelle pour chaque emploi perdu à cause de l'internet, ce sont 2,6 emplois nouveaux qui seront créés, mais pas nécessairement dans le même secteur ni dans le même pays. Il faut donc savoir adapter son tissu économique pour bien se trouver du côté de la création d'emplois. Ces créations découlant de la numérisation ne sont d'ailleurs pas toujours hautement qualifiées : ainsi, avec les plateformes de commerce en ligne, on assiste à un retour des emplois de livreur, que l'on croyait pourtant disparus !
D'ailleurs on assiste à un essor du commerce en ligne qui a doublé en 6 ans dans l'Union européenne et devrait atteindre 100 milliards d'euros cette année et 38,2 millions de français ont été des cyberacheteurs. Ces achats se déplacent déjà de l'ordinateur au mobile.
Donc nous devrions être à l'aise avec cette révolution économique. Pourtant, ce n'est pas le cas d'un point de vue macroéconomique, même si nous avons tous le sentiment que les choses évoluent très vite.
En effet, si beaucoup de PME françaises ont su remarquablement s'adapter et opérer une transformation digitale efficace, on observe malheureusement que selon le classement DESI de l'Europe, la France occupe un rang très moyen, le 15 ème . Elle « reste loin derrière les pays les plus performants de l'Union », notamment parce que son niveau de connectivité est inférieur à la moyenne européenne. Ceci « reste le principal point faible du pays en raison du caractère limité de la couverture à haut débit rapide et ultra-rapide », nous en reparlerons.
Ce décalage entre la maturité numérique des consommateurs et celui des PME est particulièrement préoccupant : 7 consommateurs sur 10 achètent et paient en ligne, alors que seule 1 PME sur 8 fait usage de solutions de vente en ligne.
La révolution numérique est encore trop subie, extérieure à l'entreprise et encore trop incomprise par la grande majorité des PME même si la France peut être fière de certaines de ses entreprises. Le retard des PME est net en matière de dématérialisation des processus d'entreprise. Un tiers des dirigeants n'est pas à l'aise avec les outils numériques de l'entreprise alors que beaucoup d'entre eux utilisent le numérique dans la sphère privée. Les rigidités organisationnelles internes, le déficit de compétences et le manque de marges de manoeuvres financières expliquent cette situation.
Comment accompagner les PME pour relever le défi du numérique ?
Il faut d'abord favoriser une culture du numérique chez les Français. On observe en France - comme dans d'autres pays- une pénurie de compétences en matière numérique (191 000 postes à pourvoir d'ici 2022 selon le ministère du Travail), et un « illectronisme » qui frappe 19 % des Français (selon le CSA).
Il est donc urgent de doter tous les actifs des compétences numériques minimales et de préparer les futures générations en inscrivant le numérique dans la logique du système éducatif dès l'école primaire, sur le modèle des pays nordiques. L'apprentissage des usages du numérique (« lectronique ») doit aller de pair avec celui de la lecture.
On pourrait ainsi rendre systématique tout au long du parcours éducatif, pour les enseignants et les élèves, l'évaluation PIX (qui permet d'évaluer, de développer et de certifier des compétences numériques) et créer un baccalauréat professionnel dédié aux services numériques, complétant celui qui existe pour les infrastructures numériques.
Pour accompagner les utilisateurs peu familiarisés avec ce nouvel outil, il faudrait proposer, au sein des maisons de service public, une information relative à la cybersécurité.
Par ailleurs, les dirigeants de PME, déroutés, voire désemparés, face aux enjeux technologiques du numérique, doivent être rassurés et convaincus par la mise en exergue de réussites concrètes. Un accompagnement « personnalisé » est donc nécessaire. Pourquoi ne pas instaurer un volontariat numérique en entreprise (VNE) réservé aux PME, sur le modèle du volontariat à l'international ou territorial en entreprise qui permettrait aux dirigeants d'être accompagnés dans ce parcours par de jeunes diplômés dans les technologies numériques ?
Il faut aussi aider les entreprises à s'entraider.
L'entraide professionnelle est assurée par le réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI) - bien que l'État réduise leurs moyens financiers, des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), du Mouvement des entreprises de France (Medef), de l'Union des entreprises de proximité (U2P) et par la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) qui propose un auto-diagnostic gratuit d'évaluation de la maturité numérique d'une entreprise. Par ailleurs, des associations promeuvent la numérisation des entreprises (Cap Digital, Afnic - Association pour le nommage Internet en coopération). Enfin la transformation digitale constitue un marché pour de nombreuses start-ups, lesquelles demeurent toutefois trop confinées dans leur éco-système urbain et ne vont pas assez à la rencontre des PME parfois isolées dans leurs territoires, notamment les commerçants et artisans. Il faut aller chercher les entreprises, y compris les artisans, sur le terrain. Nous vivons un paradoxe aujourd'hui : la communication est à portée de main d'un point de vue technologique, et pourtant nous n'avons jamais autant manqué de communication pour accompagner les PME.
Les initiatives en leur direction doivent être aidées financièrement notamment par un crédit d'impôt à la formation et à l'équipement au numérique des artisans et commerçants de détail que votre Délégation a proposé, avec la Délégation aux collectivités territoriales, dans le cadre de son « Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs ».
Les PME et GAFAM entretiennent des relations ambivalentes.
D'un côté, ces grands acteurs du numériques (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) offrent aux PME une visibilité inégalée, de l'autre elles créent une situation de dépendance et commercialisent les données des entreprises qu'elles hébergent, équipent ou dont elles gèrent les données.
En France, plusieurs actions tentent de rééquilibrer un rapport de force inégal. Alors que les entreprises du numérique supportent une charge fiscale 2,5 fois moins lourde que les entreprises traditionnelles, une taxe sur le chiffre d'affaires des services numériques vient d'être créée. Une charte de bonnes pratiques des acteurs du e-commerce a été signée le 26 mars 2019 afin de promouvoir des relations équilibrées, loyales et transparentes, avec une possibilité pour les PME de signaler les difficultés rencontrées avec les plateformes notamment en cas de déréférencement.
L'Union européenne s'est, quant à elle, dotée de règles visant l'équité et la transparence des services d'intermédiation en ligne avec le règlement « P2B ». Il manque toutefois une procédure de règlement des litiges, simple, rapide et accessible aux PME, en cas de déréférencement sur ces plateformes.
L'action de l'État est-elle à la hauteur ?
Certes plus de 3 millions d'entreprises sont concernées, ce qui ne facilite pas sa tâche.
Jusqu'à présent, la politique publique a toutefois délaissé les PME. Elle s'est excessivement concentrée soit sur la création de conditions favorables à la création de start-ups , soit sur le volet industriel de la numérisation de l'économie, délaissant trop longtemps les PME traditionnelles.
Cette politique publique a trois caractéristiques :
1/ le rôle de l'État est très subsidiaire, laissant aux régions le soin de construire l'offre d'accompagnement. Ces dernières ayant une connaissance fine du tissu industriel, cette politique industrielle décentralisée est positivement accueillie par les dirigeants de PME-ETI ;
2/ elle se contente de vouloir numériser l'industrie existante sans inventer l'industrie du futur ;
3/ elle est centrée sur les 30 000 PME industrielles à moderniser d'ici 2022, mais ignore les autres branches de l'économie et surtout laisse de côté 99 % des 3 millions de PME. Or, numériser celles-ci, c'est numériser l'économie française dans son ensemble.
L'État a multiplié les rapports et la France a produit un mille-feuille d'acteurs susceptibles d'intervenir pour la définition et la mise en oeuvre d'une politique publique de numérisation des entreprises : Agence du numérique, mission Société numérique, Conseil national du numérique, Conseil national de l'industrie numérique, association française pour le nommage d'internet en coopération, French Tech, qui fonctionnent « en silos »...
Afin de renforcer les synergies et la transversalité nécessaires au développement d'une politique publique cohérente de la transition numérique, des Rencontres du Numérique pourraient être organisées au niveau national et régional. La première édition de ces Rencontres pourrait se dérouler au Sénat, par exemple à l'occasion de l'édition 2020 de notre « Journée des entreprises ».
Que fait concrètement l'État en faveur des PME ?
Le Premier ministre a annoncé le 20 septembre 2018, un « accompagnement numérique de toutes les PME » afin de permettre à chacune d'entre elles d'effectuer leur premier pas numérique dans les trois prochaines années.
Le 15 octobre 2018, a été lancé l'initiative France Num qui référence un réseau d'accompagnateurs à la numérisation des PME, comptant 900 « activateurs » dans un premier temps.
Cependant, France Num semble avoir du mal à décoller. Elle reste tout d'abord très peu connue des PME-TPE. Alors que cette profession devait constituer le principal vivier, aucun expert-comptable n'aurait été réellement approché par une PME via cette plateforme depuis son lancement. En fait, elle ne permet qu'une localisation des « activateurs » censés aider les PME, sans permettre de noter leurs prestations, ce que je propose. Par ailleurs, le référencement fait apparaître certaines zones blanches, c'est-à-dire des territoires sur lesquels aucune société de service informatique n'est contactable.
Enfin, comme l'a souligné la CPME, France Num ne contribue nullement au financement de la transition numérique et le « milliard d'euros » promis dans ce but demeure encore virtuel.
Pour aider financièrement les PME à se numériser, pourquoi ne pas reprendre la proposition de votre Délégation aux entreprises et pérenniser le dispositif de suramortissement pour les investissements de robotisation et de transformation numérique qui n'est applicable que jusqu'au 31 décembre 2020 ? Sa pérennisation est indispensable pour la prévisibilité de tels investissements, surtout pour les PME et les TPE.
D'une manière plus générale, et comme votre Délégation aux entreprises l'a dénoncé à maintes reprises, les aides publiques aux entreprises représentent un véritable maquis qui nécessite, pour le dirigeant, un temps considérable pour « frapper à la bonne porte ».
De même, les aides à la transition numérique ne sont pas proposées dans toutes les régions et leurs modalités varient en fonction des régions, ce qui peut contribuer à créer des distorsions de concurrence. Il faudrait donc créer un chéquier numérique valable sur tout le territoire, unifiant les critères d'attributions des aides régionales à la transition numérique. Et puisque nous abordons le sujet des aides, il serait souhaitable que lorsque celles-ci s'appuient sur des appels à projets financés par l'Union européenne, l'État ou les collectivités mentionnent cette origine européenne, ce qu'ils oublient trop souvent de faire.
Par ailleurs, l'investissement dans la transition numérique est très souvent non monétaire et se traduit par un temps à y consacrer qui alourdit les coûts de travail de l'entreprise. L'investissement immatériel n'est pas pris en compte d'un point de vue comptable. Il doit être traité sur un pied d'égalité : l'ensemble des investissements matériels ou immatériels y compris les prestations de conseil doivent être inscrits à l'actif du bilan de l'entreprise.
L'enjeu de la numérisation des entreprises implique d'avoir recours à de nouvelles technologies qui rendent indispensable un accès à l'Internet très haut débit, qu'il s'agisse des applications numériques de logistique, de gestion des fichiers clients, de ressources humaines, ou de la présence et de la vente en ligne par exemple.
Or, comme le montre le classement de la Commission européenne, la connectivité est notre plus grand point faible. Nous sommes derniers de la classe européenne en matière de couverture en haut débit rapide, avec seulement 58 % des ménages disposant d'une couverture de ce type, c'est-à-dire offrant un débit d'au moins 30 mégabits par seconde (Mbps). Et nous sommes 25 ème sur 28 en matière de couverture en haut débit ultra rapide.
La question de la connectivité pèse sur tout notre pays car nous avons laissé les pays nordiques se positionner en leaders européens de l'économie numérique, attirant les entreprises les plus dynamiques de demain. Elle est également une source de fracture numérique territoriale car les PME se situant dans des territoires isolés et mal connectés ressentent une situation de décrochage, où la transition numérique est vécue comme une menace.
Et je ne parle même pas de l'impact des zones blanches où l'on ne capte même pas avec son téléphone mobile, ce qui apparaît pourtant comme le b.a.-ba de tout dirigeant d'entreprise aussi petite soit-elle.
Pour rattraper son retard la France a adopté des stratégies volontaristes, tant pour le déploiement de la 4G avec le New Deal Mobile , qu'en matière d'Internet avec le Plan France Très Haut Débit.
Parallèlement, les pouvoirs publics ont identifié le déploiement de la fibre FttH ( Fiber to the Home ) comme principal enjeu pour la numérisation de masse des PME. En mutualisant les coûts du déploiement opéré pour la fibre résidentielle, elle est beaucoup plus accessible que la fibre dédiée aux entreprises FttO ( Fiber to the Office) qui est, elle, plus performante. Or, le déploiement de la FttH n'est pas assez rapide pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale.
Mais le problème n'est pas seulement celui de la vitesse de déploiement. Les analyses des décisions de l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) et de l'Autorité de la concurrence montrent que :
- la concurrence ne s'organise pas naturellement sur le marché des télécoms ;
- les stratégies des grands opérateurs historiques sont parfois contraires à l'intérêt des utilisateurs finals que sont les PME. Ainsi Orange et SFR ont-ils délaissé des portions de territoires de moindre densité, et « oublié » de raccorder des immeubles accueillant des entreprises ou commerce même au sein de zones où les immeubles résidentiels étaient, eux, raccordés. Et récemment, Orange a été mis en demeure de respecter ses obligations d'opérateur universel alors que la qualité de service s'était considérablement dégradée ;
- Par conséquent il est essentiel d'avoir, pour ce secteur, des autorités administratives indépendantes capables de réagir efficacement et de sanctionner de façon dissuasive les manquements constatés.
Parfois démunies dans des situations complexes à saisir techniquement, les PME doivent recevoir une meilleure information sur les outils en ligne mis à leur disposition pour connaître les obligations des opérateurs et signaler un dysfonctionnement à l'Arcep. Les collectivités territoriales mais aussi les chambres consulaires et la CPME ont un rôle important à jouer dans ce sens.
En outre, il faut donner à l'Arcep les moyens de traiter des demandes qui seraient croissantes.
Mais cela ne suffirait pas. En effet, l'analyse de la situation du marché de gros de la fibre dite « pro » montre que l'instruction des dossiers par l'Autorité de la concurrence n'est pas satisfaisante.
En effet, le troisième opérateur de ce marché de gros, dont l'arrivée récente a été saluée par les sociétés proposant des offres de service numérique aux PME, se trouve dans une situation délicate et ne pourra peut-être pas survivre en attendant une décision de l'Autorité de la concurrence. Pourtant c'est une décision de cette dernière qui lui a permis de voir le jour, lors du rachat d'Alcatel par Altice en 2014, en imposant à SFR de céder le réseau DSL de Completel afin de garantir une concurrence effective.
L'Autorité s'est auto-saisie en mars 2018 du dossier qui oppose ce nouvel opérateur de taille modeste, Kosc, à l'opérateur historique SFR. D'après toutes les informations que nous avons reçues, la question serait celle du respect des engagements de cession que je viens d'évoquer. Et la décision se fait toujours attendre...
Pourquoi ce dossier est-il important ? Sur le fond nous nous garderions bien de nous prononcer évidemment, cela n'est pas notre rôle et l'instruction est en cours.
Mais sur la forme nous nous interrogeons, comme la Cour des comptes récemment, sur les délais de traitement des dossiers. Nous notons que la décision qui sera rendue pourra peut-être avoir un impact sur la survie du premier opérateur dont l'activité a enfin permis de faire baisser les tarifs à destination des PME sur le marché de gros. Or, un délai trop long pourrait empêcher tout simplement ce nouveau concurrent de survivre, compte tenu de la charge que représente pour lui le contentieux en cours.
Seules des entreprises de grande taille, telles Orange et SFR, peuvent se permettre d'amortir le coût de tels contentieux. Cette asymétrie peut conduire d'ailleurs les gros opérateurs à respecter tardivement leurs obligations, profitant de tels délais pour capter la clientèle et accroître leurs parts de marché. Mais de telles stratégies ne sont pas favorables à la numérisation des PME car elles ne garantissent pas les meilleures conditions de coût, de délai et d'adaptation à leurs besoins.
C'est pourquoi nous demandons que soit renforcée l'efficacité de l'Autorité de la concurrence.
Cela passe par la transposition rapide de la directive dite « ECN+ » adoptée en décembre 2018 qui renforce les pouvoirs des autorités nationales de concurrence et leur permet de réagir plus rapidement. Une disposition de la loi PACTE prévoyait cette transposition par voie d'ordonnance mais elle a été censurée par le Conseil constitutionnel.
Cela passe également par une amélioration des procédures d'instruction afin d'adapter la vitesse de décision et de sanction au temps des PME.
Je vous remercie de votre attention.
Mme Élisabeth Lamure , Présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises . - Je vous remercie pour votre très intéressant travail. Ce rapport a demandé des déplacements chez des voisins européens qui nous ont fourni un panorama de la situation des PME face à leur numérisation. Il est bien dommage de constater que, malgré les efforts qui ont été fait récemment, la France se trouve au quinzième rang dans le classement DESI. Au vu de la multiplication des initiatives, nous nous sommes rendu compte que les entreprises ne savaient plus à qui s'adresser pour leur numérisation. Les propositions contenues dans le rapport appelleront un suivi.
M. Michel Forissier . - Ce rapport cerne entièrement bien la situation que l'on trouve dans les territoires. Certains territoires, comme le mien, ont eu les moyens de rentrer dans le développement de la fibre, lorsque d'autres, n'en ont pas eu la chance. Il faut dire que certains élus départementaux et régionaux ont eu tendance à raccorder à la fibre leurs électeurs, habitant dans des lotissements, au détriment des zones industrielles ...
Le développement numérique existe pour le meilleur et pour le pire. Certaines sociétés de distribution équipent gratuitement certaines entreprises pour les rendre dépendantes : cela constitue un danger pour ces entreprises de taille modeste. Les lois afférentes ne doivent pas uniquement traiter du numérique à proprement parler mais aussi des questions sociales, de travail et de transport. Elles doivent s'adapter aux nouvelles technologies car il existe encore des zones de « non-droit » : nombre d'entreprises se trouvent aujourd'hui impuissantes face aux géants. Les nouveaux acteurs ne doivent pas échapper à une réglementation et aux garanties réciproques des différents acteurs au sein d'une profession.
Mme Élisabeth Lamure . - Il est vrai que le département du Rhône a lancé le plan Câble au début des années 1990 afin d'équiper le département en fibre. Je me souviens qu'un certain nombre de maires avaient contesté la méthode en disant que le satellite était la technologie à adopter. On se rend compte aujourd'hui que le choix de la fibre était le bon mais qu'il existe, en dépit de l'objectif de l'époque de 80 % de taux de couverture, des zones blanches. Nous devons donc encore avancer sur cette question.
Mme Pascale Gruny , Rapporteur . - Nous avons pu nous rendre au Danemark et en Allemagne dans le cadre de nos déplacements. Le Danemark est au premier rang du classement DESI, mais il est bien difficile de comparer ce pays à la France au vu de sa taille. En revanche, l'Allemagne, qui est classée au douzième rang, s'est dotée d'ambitieux programmes qui lui permettront de progresser lorsqu'elle aura défini une stratégie concertée entre le niveau fédéral et les Länder, ce qui lui prend un temps certain. On trouve à Berlin de nombreuses entreprises innovantes qui se sont installées grâce au faible prix du foncier, ce qui en fait l'un des premiers écosystèmes de start ups.
La couverture numérique peut être un handicap et dissuade des entreprises : en cas de panne, que faire ? La question de la cybersécurité freine également les velléités de numérisation. Certaines entreprises se dotent de deux réseaux, fibre et hertzien, afin de continuer à fonctionner en cas de panne, mais le prix d'une double installation est trop élevé pour la plupart des entreprises.
Nous faisons également face à un manque d'accompagnement. En Suède, les grandes entreprises accompagnent les petites entreprises dans leur numérisation. Les GAFAM le font également, mais leur accompagnement entraîne un lien de subordination. À ce titre, le déréférencement soulève des difficultés : une entreprise peut développer son activité grâce aux plateformes de vente en ligne dont elle peut également se retrouver déréférencée sans préavis, ce qui déstabilise fortement son activité. Ces nouveaux systèmes créent de la fragilité dans les entreprises, que ce soit pour celles qui n'intègrent pas les plateformes numériques et qui se retrouvent marginalisées ou pour celles qui y évoluent et qui doivent batailler pour y demeurer.
De nombreux organismes ont été créés, de nombreuses initiatives ont été lancées mais il faut clarifier ces dispositifs afin de les rendre plus lisibles par les PME. Les chambres consulaires ont un rôle majeur dans l'accompagnement des PME vers ces dispositifs et vers la numérisation. Aussi, tâchons de garder un oeil attentif aux nouvelles concurrences déloyales qui se créent à l'ère numérique.
Mme Élisabeth Lamure . - Il ne faut pas perdre de temps pour la numérisation des PME. Il est bien dommage que les dernières initiatives mises en place n'aient pas eu le succès attendu. Heureusement que les chambres consulaires aident nos entreprises dans ce chantier.
Mme Pascale Gruny . - En effet, lors des voeux de la Chambre de Métiers et de l'Artisanat de l'Aisne à Saint-Quentin, des artisans qui ont lancé des initiatives numériques, notamment à l'aide des réseaux sociaux, ont été mis en valeur. Il faut procéder ainsi, par l'exemplarité. Les artisans et entrepreneurs présents, à l'issue de la présentation à laquelle j'ai assisté étaient très enthousiastes à l'idée de se lancer eux aussi dans ces projets. Je pense que ce type de témoignages peut encourager la numérisation des PME.
M. Michel Forissier . - On constate l'ouverture récente d'établissements de formation pour les nouveaux métiers du numérique. Je pense qu'avec l'évolution technologique, le contenu académique des formations doit être revu. Le numérique ne doit plus être traité à part et doit être pleinement intégré aux métiers. Il existe de nombreux emplois, requérant un niveau de qualification BTS intégrant le numérique, qui ne seront pas pourvus.
M. Martial Bourquin . - Nous nous focalisons aujourd'hui sur les réseaux mais pas assez sur les usages. Il faut réussir à créer des métiers, à transformer les pratiques et à attirer des entreprises innovantes. Les managers du commerce dans les villes travaillent auprès des commerçants pour qu'ils compléter leur activité physique par une présence numérique afin de développer leur commerce. Cela n'est pas évident, mais il est essentiel de développer les usages, chose difficile pour certaines générations.
Mme Élisabeth Lamure . - À ce titre, le rapport propose de débuter l'apprentissage du numérique dès l'école primaire.
Mme Pascale Gruny . - Il débute même à la maternelle au Danemark. Des études montrent que l'immersion au numérique chez les jeunes, notamment par le codage, peut changer leur manière de réfléchir. Dans ma ville, l'apprentissage débute à l'école primaire. Nous n'avons pas d'université propre au département de l'Aisne mais nous avons mis en place des IUT avec l'université d'Amiens afin de former aux nouveaux métiers. En revanche, cela peut être plus difficile dans une entreprise car il ne faut pas uniquement former les employés mais aussi bouleverser les modèles d'activité et les fonctions supports. Nous devons amener les commerçants et les artisans à se lancer sur internet. Cela permettra de relancer une activité qui, à terme, recréera du lien social et palliera le problème de désertification des centres villes. On remarque ainsi que certains consommateurs achètent chez des commerçants de leur région d'origine grâce à internet.