II. PREMIÈRE SÉQUENCE : LA PAROLE DES ÉLUS LOCAUX SUR LA QUESTION DES ARRÊTÉS MUNICIPAUX ANTI-PESTICIDES
A. M. DANIEL CUEFF, MAIRE DE LANGOUËT
M. Daniel Cueff, maire de Langouët . - Ma commune, située entre Rennes et Saint-Malo, compte 602 habitants. Nous sommes engagés depuis vingt ans dans la transition écologique : toutes les décisions municipales sont examinées à l'aune de cette question. La commune produit 100 % de son électricité pour les besoins communaux, construit du logement social très écologique, récupère les eaux de pluie pour les sanitaires, et nous avons appliqué -- dix-huit ans avant la « loi Labbé » -- l'interdiction des pesticides dans l'entretien des espaces communaux, y compris le cimetière et le terrain de foot. Nous avons été la première cantine 100 % bio de France, il y a seize ans ; nous voulons éviter que les enfants ne consomment des pesticides et souhaitons soutenir une agriculture moins polluante pour les sols et l'eau.
La population est donc très sensibilisée aux questions des pesticides et elle a été abasourdie par la démission de Nicolas Hulot, parti en déplorant de ne pas obtenir les arbitrages qu'il voulait pour la transition écologique. Et c'est dans ce contexte que l'on a constaté, à partir d'une analyse d'urine, des taux de glyphosate 30 fois supérieurs à la norme pour une petite fille, dont les parents consomment bio, qui mange à la cantine. Cela a fait événement dans la commune, les gens sont venus me demander de faire quelque chose. Or, j'avais déjà pris en 2016 un arrêté pour protéger les ruches contre les pesticides tueurs d'abeilles dans un rayon de 3 kilomètres. Le préfet n'y avait rien trouvé à redire et personne n'en avait entendu parler... J'essaie alors de convaincre les agriculteurs que les conversions bio sont profitables dans le territoire, à proximité de Rennes, mais ils me répondent que ce n'est guère possible pour eux, qu'ils ont déjà engagé bien des investissements pour l'agriculture raisonnée.
C'est alors que j'ai pris un arrêté, non pas d'interdiction des pesticides, mais imposant une distance d'éloignement des pesticides de 150 mètres, distance que nous avons trouvée dans une étude sur des terrains de sports en Allemagne. Des solutions techniques existent pour cultiver dans ces 150 mètres, nous y avons travaillé et la configuration du village s'y prête. Malheureusement, madame la préfète de la République, qui n'avait manifestement pas pris la mesure de là où elle venait d'arriver en tant que fonctionnaire, a adressé un communiqué de presse à Ouest-France - journal le plus lu en France et seul journal vraiment très lu en Bretagne - disant qu'elle me traduirait en justice si je ne retirais pas mon arrêté... Cette réaction a déclenché une avalanche de soutiens venus de partout, y compris de l'étranger. Les gens se mobilisent pour des raisons personnelles, contre les pesticides, parce qu'ils pensent que les pesticides sont néfastes, mais aussi pour des raisons institutionnelles, ils ne comprennent pas pourquoi un maire ne pourrait pas protéger la population. Le Président de la République, d'ailleurs, a déclaré que mes intentions étaient bonnes, mais que j'avais tort sur la forme... ce qui n'est guère compréhensible, en particulier vu de New York ou de Suisse...
Quelque 130 maires ont pris un arrêté similaire au nôtre, y compris en ville ; c'est très important, parce que notre message n'a rien contre les agriculteurs. Nous sommes contre des produits, contre l'usage de produits dont on n'évalue pas précisément les effets sur la santé humaine. Je vous invite à regarder une émission diffusée hier sur France 5, où l'on voit le ministre Didier Guillaume assurer que le Gouvernement fondera sa décision sur les études de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et un directeur-adjoint de l'Anses affirmer de but en blanc que l'Agence ne dispose pas d'étude sur le sujet : c'est un retournement spectaculaire, en direct...
En réalité, les effets des épandages de pesticides ne sont pas étudiés d'assez près. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) nous dit que les agriculteurs respectent les indications, en particulier les procédés anti-dérives, mais il faut tenir compte du temps pendant lequel il ne faut pas pénétrer sur les surfaces traitées, et l'effet des vents pendant cette période -- pour le colza, dans ma commune, c'est 48 heures... pendant lesquelles de véritables cocktails se forment.
En outre, des mesures ont été faites par les agences de l'air, à la demande de Nicolas Hulot quand il était ministre, mais n'ont pas été rendues publiques. Pourquoi ? C'est incompréhensible, inacceptable. Enfin, il faut savoir que 96 % de nos compatriotes, selon un sondage de l'Ifop, approuvent les arrêtés que nous avons pris.