B. UN BESOIN DE TEMPS
La proposition de loi de l'Assemblée nationale propose deux modifications majeures dans ce domaine :
- une décharge totale pour tous les directeurs d'école de huit classes et plus ;
- une décharge totale des aménagements pédagogiques complémentaires pour tous les directeurs.
L'élargissement de la décharge totale proposée par le texte de l'Assemblée nationale a un coût budgétaire important. L'exemple de la Ville de Paris montre le coût important d'une telle mesure budgétaire.
La situation particulière des directeurs des écoles publiques primaires de Paris
Les directeurs d'école de la Ville de Paris bénéficient de longue date d'un dispositif spécifique de décharge d'enseignement. Ceux exerçant dans des écoles de plus de 5 classes, soit 98 % des écoles publiques parisiennes, disposent d'une décharge complète. La Ville de Paris rembourse à l'État les rémunérations versées aux enseignants remplaçant les directeurs dans les classes. Ce choix municipal a un coût important. Il a été estimé par la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France en 2016 à 372 postes en ETP, soit 18,7 millions d'euros.
En outre, une telle mesure ne prend que partiellement en compte la diversité des situations des 44 000 écoles primaires publiques françaises, notamment en termes de situation géographique ou de leur organisation : 37 % des écoles n'ont pas toutes leurs classes dans le même bâtiment, 14 % des écoles sont parties prenantes d'un regroupement pédagogique intercommunal.
En ce qui concerne les aménagements pédagogiques complémentaires, dont l'exemption pour les directeurs d'école est une demande de plusieurs syndicats, les rapporteurs notent que cet allégement resterait faible en termes de temps et tâches de travail : il est déjà total pour les directeurs de 5 classes et plus - soit plus de la moitié des directeurs d'école. Parmi les 21 200 directeurs d'école de moins de 5 classes, 57 % bénéficient d'une décharge de la moitié de ces heures, soit 18 sur les 36 heures annuelles.
Les propositions des rapporteurs, issues des auditions et des échanges avec les directeurs d'école, diffèrent de celles de l'Assemblée nationale. Elles visent à répondre aux besoins de temps des directeurs d'école, y compris pour les écoles les plus petites.
1. Revoir les temps de décharge accordés
La question de la décharge est un point récurrent des demandes des directeurs d'école. Tant chez les syndicats que les directeurs d'école rencontrés, a été exprimée l'envie de conserver un lien entre le directeur d'école et l'enseignement . Les rapporteurs proposent une modification des temps de décharge, avec la fusion de plusieurs catégories de taille d'école.
Système actuel
École maternelle |
École élémentaire, ou école comprenant des classes de maternelle et d'élémentaires |
Décharge d'enseignement |
1 classe |
4 jours fractionnables : 2 à 3 jours mobilisables avant les vacances de la Toussaint et 1 à 2 jours mobilisables en mai et juin |
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2 et 3 classes |
10 jours fractionnables (1 journée par mois) - au titre des décharges de rentrée et de fin d'année |
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4 à 7 classes |
Quart de décharge |
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8 classes |
8 et 9 classes |
Tiers de décharge |
9 à 12 classes |
10 à 13 classes |
Demi-décharge |
13 et au-delà |
14 et au-delà |
Décharge totale |
Proposition des rapporteurs
Nombre de classes dans l'école (fin de la distinction entre école maternelle et école primaire) |
Décharge d'enseignement |
1 à 3 classes |
10 jours fractionnables (1 journée par mois) auquel s'ajouterait un jour supplémentaire placé à une période de l'année particulièrement chargée (cf ci-après) |
4 à 7 classes |
Tiers de décharge auquel s'ajouterait un jour supplémentaire placé à une période de l'année particulièrement chargée (cf ci-après) |
8 à 12 classes |
Demi-décharge pensée sur l'année scolaire |
13 classes et au-delà |
Décharge totale |
Préconisation
Revoir les temps de décharge accordés, en créant une strate commune aux écoles de 1 à 3 classes, et en accordant un temps de décharge supplémentaire aux écoles de 4 à 7 classes.
2. Limiter les effets de seuils
Pour les rapporteurs, il faut mettre fin à cette épée de Damoclès pesant au-dessus de la tête des directeurs chaque année, liée à la diminution drastique des heures de décharge en raison de quelques enfants en moins dans l'école entraînant la fermeture d'une classe. A minima , les effets de seuils doivent être adoucis en prévoyant une période de transition , d'un an minimum. Cette pratique existe déjà dans les faits dans certains territoires, puisque les annonces de fermeture de classes arrivent souvent en fin d'année scolaire, après le tour de mobilité des enseignants. Une sécurisation et une harmonisation des pratiques sur l'ensemble du territoire sont nécessaires.
Préconisation
Limiter les effets de seuils d'une baisse brutale du temps de décharge du fait de la fermeture d'une classe, en prévoyant une période de transition d'un an minimum.
3. Sanctuariser les jours de décharge pour les écoles de taille plus petite
Les écoles de deux et trois classes bénéficient de dix jours fractionnables sur l'ensemble de l'année scolaire, soit en théorie un jour par mois. Toutefois, les rapporteurs ont pu constater des pratiques différentes en fonction des académies. Les témoignages de deux directrices d'une école de trois classes participant à la table ronde organisée par votre commission sont d'ailleurs particulièrement représentatifs des différences de pratiques. Alors que dans un cas, ces jours sont déterminés à l'avance et « sanctuarisés » par l'académie, dans l'autre cas, ils dépendent de la disponibilité d'un remplaçant dans la circonscription et ne peuvent donc être prévus à l'avance.
Témoignages de directrices d'école - extraits de la table ronde du 26 février
Mélanie Guichaoua, directrice d'école à Bazoges-en Pareds : « J'ai dix jours de décharge par an, soit un jour par mois. [...] Pour moi, ces jours sont fixés en début d'année. Ce n'est donc pas nous qui en faisons le choix. Mon jour de décharge est le premier mardi de chaque mois. À présent, c'est la même personne qui me remplace, mais uniquement parce que je me suis manifestée. Auparavant, la personne qui me remplaçait était nommée la veille. Je devais donc préparer sa classe au dernier moment. Avec la même personne nommée pour toute l'année, nous avons pu nous organiser, sur le travail qu'elle prépare avant de venir devant ma classe ».
Caroline Pirrochi, directrice d'école au Havre : « Les jours de décharge ne sont pas fixés. Sur cette année, je n'ai pas encore eu mes journées de janvier et février. J'espère que je pourrai les rattraper en mars. C'est donc une organisation de dernière minute. Après, la secrétaire de circonscription essaie de nous appeler une semaine à l'avance pour nous demander si tel ou tel jour nous convient - il y a donc un petit arrangement en interne. De plus, ce n'est jamais la même personne qui me remplace ».
Il semble primordial aux rapporteurs que ces jours soient déterminés à l'avance, d'un commun accord entre le directeur d'école et la circonscription académique et que les remplacements nécessaires à la réalisation de ces jours de décharge soient prioritaires sur les autres demandes de la circonscription. Une brigade dédiée au remplacement des directeurs d'école pourrait ainsi voir le jour au niveau de la circonscription académique.
Une même priorité doit s'exercer pour les demandes de remplacement , y compris de courte durée émanant de la même école et portant sur le même jour. Dans le cas contraire, comme c'est le cas actuellement, le directeur d'école utilisera son jour de décharge pour remplacer son collègue absent et éviter que les élèves de la classe ne soient répartis entre les autres classes de l'école, perturbant ainsi le déroulement normal de ces classes.
Préconisation
Sanctuariser les jours de décharge pour les écoles de petite taille, en les prévoyant à l'avance, en concertation avec le DASEN, et en assurant de manière prioritaire le remplacement de tout enseignant absent le même jour dans l'école en question.
4. Permettre de disposer d'un temps de décharge supplémentaire aux moments les plus chargés pour les directeurs d'école
Comme indiqué précédemment, la charge de travail des directeurs fluctue au cours de l'année scolaire , avec une forte concentration en septembre-octobre (à l'occasion de la rentrée scolaire), et en mai-juin (pour préparer la prochaine année).
Périodes de l'année les plus chronophages
et fatigantes
pour les directeurs d'école
Source : le moral des directeurs d'école, novembre 2018
De nombreux syndicats et associations représentant les directeurs d'école ont regretté que la journée supplémentaire de décharge annoncée en novembre 2019 devait être prise au mois de novembre ou décembre, période parmi les moins chargées de l'année. Les rapporteurs souhaitent qu'un à deux jours supplémentaires soient accordés aux directeurs d'école de moins de huit classes mais que ceux-ci puissent être pris à un moment choisi par les directeurs d'école, en concertation avec leurs DASEN.
Préconisation
Disposer d'un temps de décharge supplémentaire aux périodes les plus chargées de l'année, pris en concertation entre le directeur d'école et le DASEN.
5. Penser la demi-décharge non plus sur la semaine mais sur l'année scolaire
Actuellement, la demi-décharge est pensée de manière hebdomadaire. L'enseignant est ainsi libéré de deux jours de classe par semaine pour se consacrer aux tâches de direction. Les rapporteurs proposent que pour les directeurs d'école en demi-décharge, soit pour ceux des écoles de 8 à 12 classes, ces derniers ne soient plus chargés d'une classe, mais d'enseignement , et que le calcul des heures dues se fasse sur l'année scolaire. Ces heures d'enseignement pourraient être mises à profit pour prendre en charge des groupes d'élèves ou organiser des ateliers transversaux. Les rapporteurs plaident ainsi pour une inversion de la conception de la décharge à partir de 8 classes : on serait en présence d'un directeur d'école avec des fonctions d'enseignement et n'ont plus d'un enseignant avec des fonctions de direction.
Une telle organisation présente l'avantage de prendre en compte l'inégale répartition de la charge de travail dans l'année scolaire du directeur d'école. Il pourrait ainsi consacrer plus de temps, aux périodes les plus chargées, à ses tâches de direction - par exemple en assurant en début et fin d'année l'équivalent d'un seul jour d'enseignement, et à l'inverse, plus de temps à ses tâches d'enseignement lors de périodes moins chargées.
Ce système faciliterait le remplacement des absences. Les rapporteurs rappellent ainsi que pour l'année 2018-2019, une absence sur six n'était pas remplacée dans le premier degré . Le taux de remplacement des absences de courte durée est particulièrement faible. À certaines périodes de l'année coïncide le même jour un nombre important d'absences. Leur ancien et regretté collègue Jean-Claude Carle, notait d'ailleurs que « l'hiver voit un pic d'absence et le remplacement constitue, à cette période de l'année, un défi particulier » 16 ( * ) , chiffres de 2016 de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) à l'appui : « le département du Loiret a enregistré cent classes non remplacées au cours de la même demi-journée en janvier. À Paris, chaque jour en janvier 2016, entre 50 et 140 enseignants n'ont pas été remplacés » 17 ( * ) . À cet égard, les rapporteurs rappellent que de nombreux directeurs d'école prennent déjà en charge lors de leurs jours de décharge les classes sans professeur pour cause d'absence non remplacée, et perdent de facto le bénéfice de ce jour pour s'occuper de leurs tâches de direction.
Préconisation
Penser la demi-décharge sur l'année scolaire plutôt que sur la semaine et inverser la notion de décharge pour les écoles de grande taille, avec un directeur d'école en charge d'enseignement à partir de 8 classes, et non plus un enseignant chargé de tâches de direction.
* 16 Avis budgétaire n° 112 « mission Enseignement scolaire » de MM. Jean-Claude Carle et Antoine Karam sur le projet de loi de finances pour 2018, (2017-2018).
* 17 IGAENR, Synthèse des notes des correspondants académiques de l'IGAENR, rapport n° 2016-098, décembre 2016.