EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 8 juillet 2020, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux, sur la lutte contre les violences faites aux femmes.
M. Vincent Éblé , président . - Nous entendons maintenant une communication des rapporteurs spéciaux de la mission « solidarité, insertion et égalité des chances ».
M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial. - Avant d'évoquer devant vous les conclusions de notre contrôle, nous souhaitions remercier nos collègues de la délégation aux droits des femmes et leurs équipes pour leur expertise et nous féliciter de nos échanges fructueux. Par ailleurs, nous souhaitions remercier toutes les personnes auditionnées, notamment les associations et le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE), qui ont contribué à ce contrôle, y compris pendant la période difficile et chargée pour eux de confinement.
Dans le cadre du large périmètre de la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances », nous avons donc décidé de conduire des travaux de contrôle sur le sujet du financement de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes. Nous avons fait ce choix après avoir, lors du dernier projet de loi de finances, pointé le tour de « passe-passe » du Gouvernement s'agissant du financement de la politique d'égalité entre les femmes et les hommes.
Pour mémoire, alors que la ministre Marlène Schiappa annonçait l'ouverture d'un milliard d'euros pour cette politique publique, une lecture attentive du document de politique transversale nous avait conduits à relever qu'on était loin du compte. Ce montant de 1,116 milliard d'euros correspondait, en réalité, non pas à des crédits de paiement, mais à des autorisations d'engagement et était constitué aux trois quarts de fonds destinés aux programmes d'aide publique au développement.
Nous avons donc souhaité aller plus loin sur ce sujet, en nous intéressant plus particulièrement aux crédits prévus pour la lutte contre les violences faites aux femmes, et notamment contre les violences conjugales.
Un Grenelle de lutte contre les violences conjugales s'est en effet tenu en fin d'année 2019 regroupant toutes les parties prenantes, au niveau national et local. Il a conduit à la présentation, par le Gouvernement, de quarante mesures visant à prévenir les violences, mieux accompagner les victimes et les enfants ainsi qu'à développer le suivi des auteurs. Par ailleurs, des dispositifs législatifs sont venus s'ajouter récemment, visant notamment à traduire ce Grenelle dans la loi.
Dans le document de clôture du Grenelle, le Gouvernement affirmait mettre en oeuvre « des moyens à la hauteur des enjeux » mentionnant une enveloppe de 360 millions d'euros pour 2020. Mais qu'en est-il vraiment ? L'objectif du présent contrôle était de comprendre la réalité des chiffres derrière des annonces gouvernementales. Plus largement, nous avons tenté, dans ce rapport, d'identifier les crédits mobilisés pour cette politique publique et d'examiner son pilotage institutionnel.
M. Éric Bocquet , rapporteur spécial. - Érigée comme grande cause du quinquennat, cette politique publique n'est pourtant pas nouvelle, mais elle a fait l'objet d'une prise de conscience progressive, sur le plan politique et de l'opinion publique.
Le constat est glaçant : 121 femmes tuées et 213 000 victimes de violences physiques et sexuelles en 2018, selon la lettre de l'observatoire national des violences faites aux femmes. Les conséquences sont dramatiques sur l'entourage familial, et notamment les enfants , avec toutefois moins d'une victime sur 5 déclarant avoir déposé plainte et plus de la moitié des victimes n'ayant fait aucune démarche auprès de professionnels ou d'associations.
Nous avons découvert, lors de ce contrôle, le phénomène d'emprise, dont souffrent les femmes victimes, qui est au coeur d'un « cycle » identifié de violence correspondant à un processus de dégradation des relations dans un couple.
Cette question des violences a fait l'objet d'une prise de conscience progressive, dont une étape a été franchie avec le mouvement « me too », l'activité des associations l'attestant, comme nous l'évoquerons plus tard. Érigée en grande cause du quinquennat, le Gouvernement a souvent la tentation de s'approprier des mesures pourtant déjà existantes. Bien que nous reconnaissions ses efforts en la matière, il convient de souligner que cette politique publique n'est pas nouvelle. Pour preuve, les commissions départementales contre les violences faites aux femmes datent de 1989 ...mises en place par une ministre bien connue de notre commission, Mme Michèle André, alors secrétaire d'État aux droits des femmes.
La politique d'égalité entre les femmes et les hommes, et notamment celle de lutte contre les violences faites aux femmes, est budgétairement inscrite sur le programme 137 de la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances ». On observe ainsi, depuis 2010, une relative augmentation de ces crédits qui masque néanmoins des sous-exécutions importantes jusqu'en 2018, et des opérations discrètes de redéploiements internes, permettant de dégager des crédits, dont la communication gouvernementale laisse souvent à penser, à tort, qu'il s'agit de crédits nouveaux.
Par ailleurs, depuis le projet de loi de finances pour 2019, ce programme 137 dispose d'une nouvelle maquette budgétaire, ne permettant plus d'identifier clairement les crédits spécifiques à la lutte contre les violences et la prostitution. Une opération de simplification pour le Gouvernement qui a conduit à obscurcir l'information du Parlement. Nous le regrettons.
Toutefois, ce programme ne représente qu'une partie du financement de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, qui se caractérise, en effet, par un fort morcellement des crédits, puisqu'à la croisée de plusieurs politiques publiques.
Malheureusement, le document de politique transversale de la politique d'égalité entre les femmes et les hommes ne permet pas d'identifier de façon satisfaisante ces différentes sources de financement. Il se révèle être un outil insuffisamment fiable et développé. Nous avons été surpris par les auditions réalisées qui ont révélé le caractère assez « artisanal » de son élaboration. L'absence de méthodologie claire de la part de la direction du budget, le peu de volonté des ministères d'y contribuer conduisent à un document au périmètre instable et très loin d'être exhaustif. L'augmentation des crédits d'une année sur l'autre n'est pas forcément liée à des crédits supplémentaires, mais à des choix méthodologiques de rattachement.
M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - Dans ce morcellement des crédits difficilement lisibles, nous avons tenté d'identifier les 360 millions d'euros annoncés par le Gouvernement pour financer le Grenelle. À l'analyse et sous toutes réserves méthodologiques, liées à l'indisponibilité de certaines données, il semblerait que la majeure partie de ce montant constitue des crédits déjà existants en 2019.
Cette comparaison, dont vous pouvez voir le tableau récapitulatif dans le document distribué, nous conduit à formuler plusieurs séries d'observations.
D'abord, nous constatons la quasi-absence de mesures nouvelles : les intervenants sociaux en commissariat et gendarmeries, les psychologues, ou encore les correspondants locaux de lutte contre les violences intrafamiliales existaient déjà.
Ensuite, il faut relever le peu d'augmentation des crédits entre 2019 et 2020 pour les mesures déjà existantes, voire une diminution des crédits s'agissant des moyens humains de l'administration centrale et déconcentrée.
Enfin, concernant la contribution des programmes « gendarmerie » et « police », la valorisation financière des personnels est quelque peu sujette à caution, d'autant qu'il s'agit de dispositifs comptabilisés dans la politique de lutte contre les violences de façon un peu extensive.
Toutefois, il convient de signaler qu'au-delà de ces 360 millions d'euros identifiés, 4 millions d'euros supplémentaires ont été ouverts dans le troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020 et d'autres devraient l'être en 2021 avec des mesures nouvelles, ce que nous saluons.
Afin d'y voir plus clair, nous avons ainsi tenté de dresser un état des lieux des financements. Nous sommes cependant loin du milliard demandé par les associations, même si des efforts financiers ont été réalisés par l'État, comme vous pouvez le voir sur le tableau synthétisant les financements mobilisés dans le cadre d'un parcours type de prise en charge des victimes et des auteurs.
Ce tableau ne tient, cependant, pas compte des financements des collectivités locales, souvent en première ligne, et qui apportent un soutien financier très important à cette politique publique, mêmes si des disparités peuvent exister selon les territoires. Nous avons eu des données de l'Association des départements de France (ADF), de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCASS) et de l'Association des maires de France (AMF) extrêmement intéressantes qui figureront dans le rapport. Les collectivités constituent, par ailleurs, souvent des laboratoires d'expérimentation, comme vous le savez : l'observatoire des violences de Seine-Saint-Denis, présidé par une figure militante, Ernestine Ronai, fut, par exemple, préfigurateur de nombreux dispositifs, comme le Téléphone Grave Danger. Il en est de même pour la communauté urbaine d'Arras, avec la mise en place du premier centre de prise en charge des auteurs de violence, que le Gouvernement veut généraliser, dans le cadre du Grenelle.
Autre source de financement, cette fois-ci, très peu exploitée : celle en provenance de l'Union européenne. Lors des auditions que nous avons réalisées, les associations n'ont fait que très peu de référence à ces financements, qui restent sous-utilisés.
Enfin, nous souhaitions mentionner les aidées privées (dons des particuliers et mécénat) qui restent également une source peu développée, même si cela commence à changer à la faveur de la communication engendrée par le mouvement « me too », et en raison de la période de confinement. Une des rares études sur le sujet datant de 2016 indiquait que les actions des fondations en faveur des droits des femmes représentaient un budget de 3 millions d'euros.
Ce faible recours aux dons et au mécénat s'explique par le manque de visibilité de la cause et un personnel non formé à cette recherche de financement dans les associations. Par ailleurs, il est intéressant de noter que le dispositif voté dans le dernier PLF, concernant la hausse du plafond de défiscalisation des dons à hauteur de 75 % n'est que très peu connu par les structures qui sollicitent des dons, et par les particuliers.
M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Cette question de la générosité publique nous conduit à faire un point sur la période de confinement, qui a marqué un tournant en la matière. Ainsi la Fondation des femmes, à la faveur d'une communication et d'une visibilité du sujet pendant cette période, a réalisé une collecte record : 2,7 millions d'euros dont environ 500 000 euros de dons de particuliers, avec une moyenne d'environ 100 euros par personne.
Ce faible recours aux dons et au mécénat s'explique par le manque de visibilité de la cause et un personnel non formé à cette recherche de financement dans les associations. Par ailleurs, il est intéressant de noter que le dispositif voté dans le dernier PLF, concernant la hausse du plafond de défiscalisation des dons à hauteur de 75 % n'est que très peu connu par les structures qui sollicitent des dons, et par les particuliers.
Parmi ces acteurs, il faut citer le Service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE) tout d'abord, rattaché à la direction générale de la cohésion sociale, composé de 25 ETP dont les moyens humains n'ont pas cessé de diminuer depuis sa création. Malheureusement il ne bénéficie pas d'un poids suffisant pour assurer une forte mobilisation des autres directions ministérielles concernées par la question des violences, et n'est surtout pas outillé pour répondre à toutes les missions croissantes demandées par le ministère. Il en est de même pour le réseau déconcentré qu'il anime.
Ce réseau repose, au niveau régional, sur une directrice régionale, avec une équipe restreinte de deux personnes, rattachée au SGAR et au niveau départemental sur une déléguée, placée au sein des délégations départementales à la cohésion sociale. Seules trois déléguées sont directement rattachées au préfet. Ces effectifs très minces - qui connaissent des vacances régulières - sont indéniablement un facteur de fragilisation de cette politique. Ces déléguées se trouvent souvent au coeur d'« injonctions contradictoires », les demandes du ministère sur ces sujets d'égalité et des violences sont croissantes et leurs moyens désuets.
C'est le cas pour le SDFE déjà cité, mais également pour la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), créée en 2012. Pour remplir ces missions, elle dispose d'un effectif réduit : cinq agents mis à disposition et un budget de fonctionnement de 20 000 euros par an. Nous avons été étonnés d'entendre comment étaient réalisés les outils de formation, sans équipements ou logiciels informatiques adéquats. Là encore, cette politique repose sur l'engagement de personnalités, comme sa secrétaire générale.
M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - À côté de ces acteurs étatiques, se trouvent les associations, qui sont les véritables « bras armés » de cette politique. Souvent des petites structures, elles jouent un rôle essentiel dans la prévention et la parcours de sortie des femmes victimes de violences, en offrant un service de conseil, d'accès à l'information, de mise à l'abri notamment.
Elles ont néanmoins été fragilisées, par l'afflux de demandes, à la suite du mouvement « me too », qui n'a pas été entièrement compensé par des ressources budgétaires correspondantes. L'association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AFVT) a ainsi dû fermer sa permanence téléphonique, l'année dernière, alors qu'elle était la seule association oeuvrant sur le champ des violences au travail.
Les associations ont également souffert de la perte de la réserve parlementaire, et surtout d'un manque de visibilité budgétaire. Leur financement repose, pour beaucoup d'entre elles, sur des subventions annuelles, versées parfois tardivement dans l'année.
Cette fragilisation des acteurs et du pilotage conduit à une inégalité d'application des dispositifs sur le territoire, préjudiciable à la pris en charge des femmes victimes de violence.
Comme nous avons pu le voir au fur et à mesure de nos auditions, la bonne mise en oeuvre de cette politique dépend des initiatives et de la bonne volonté et coordination des différents acteurs sur les territoires : directrices régionales, déléguées départementales, préfecture, parquet/procureur gendarmerie/police, associations. La réussite de cette politique repose ainsi souvent sur l'engagement de personnalités (procureur, préfet...), qui, quand elles partent peuvent mettre en péril l'exécution de cette politique publique sur les territoires.
Par ailleurs, cette politique publique est souvent « fondue » dans des dispositifs de droit commun. L'exemple du 39.19 est éclairant, cette ligne téléphonique « qui a explosé » durant le confinement repose sur la fédération nationale Solidarité Femmes et des écoutantes formées. Avec le lancement d'un marché public pour sa généralisation 7j/7 et 24h/24, prévue dans le cadre du Grenelle, le risque est grand, selon les associations, que les prestataires ne soient pas spécialisés et formés à la question de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Ces constats dressés pour la politique de lutte contre les violences conjugales, se retrouvent pour celle de lutte contre la prostitution, mise en oeuvre dans la loi de 2016, qui a institué un parcours de sortie de la prostitution et une allocation financière. La mise en place des comités départementaux et des parcours prévus a été freinée par un pilotage national défaillant, et une mise en oeuvre hétérogène sur le territoire reposant sur des volontés individuelles.
M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - Au vu des observations que nous avons pu faire, nos recommandations s'articulent autour de deux axes, afin de traduire concrètement cette priorité politique qu'est la lutte contre les violences conjugales, sur le plan budgétaire et institutionnel.
Premier axe, rendre les financements plus lisibles et à la hauteur des enjeux.
Cela passe d'abord par une meilleure transparence budgétaire, gage d'une meilleure visibilité de la politique publique et d'une bonne information du Parlement. Cela pourrait passer a minima , par la refonte du programme 137, voire l'ajout d'actions ou indicateurs sur d'autres programmes pour suivre la mise en oeuvre de ces crédits. A maxima , la lutte contre les violences étant à la croisée de plusieurs politiques publiques et pour lutter contre ce morcellement des crédits, la création d'un fonds interministériel et pluriannuel sur le modèle du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) pourrait être envisagée.
En tout état de cause, le document de politique transversale doit être revu, en lien avec la direction du budget afin de remédier aux dysfonctionnements identifiés. Il s'agit d'un préalable avant toute généralisation d'un budget intégrant l'égalité, qui semblerait précoce au vu des conclusions de l'expérimentation menée l'année dernière.
Outre une meilleure transparence, les financements doivent être à la hauteur des enjeux et des mesures annoncées.
Un préalable est sans doute d'appréhender la dépense comme un coût évité pour l'avenir. Un chiffre est éclairant : 40 à 60 % d'enfants délinquants sont des enfants qui ont vécu des violences conjugales, selon le juge Édouard Durand.
Il nous semble ainsi nécessaire d'octroyer aux associations un niveau de financement public leur permettant de répondre à leurs missions tout en encourageant les cofinancements multi-acteurs publics et privés. Simplifier les réponses aux appels à projet et la généralisation des conventions pluriannuelles font partie de nos recommandations, dont le détail sera explicité dans le rapport.
Le développement des financements privés doit également être une piste à explorer. L'enjeu est de rendre attractive la donation en faveur de cette politique de lutte contre les violences, comme cela a déjà été amorcé. Les associations doivent rendre visibles leurs actions et les pouvoirs publics doivent les accompagner dans leur modernisation, pour encourager les partenariats avec des fondations.
M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . -Notre deuxième axe de recommandation concerne l'architecture institutionnelle de cette politique. Il y a nécessité de sortir des formes actuelles d'organisation conjoncturelle, qui reposent sur des coordinations d'acteurs de bonne volonté pour ancrer cette politique publique dans le dur. Le pilotage institutionnel est un impensé du Grenelle, en raison probablement des groupes de travail thématiques pilotés par les ministères, qui ont empêché cette vision transversale, pourtant nécessaire.
Cette refonte de l'architecture institutionnelle, doit d'abord passer, au niveau central, par un renforcement du pilotage interministériel et du suivi de cette politique.
Les moyens et le positionnement du SDFE et de la MIPROF doivent être revus en dotant cette politique publique d'une vraie administration centrale et interministérielle. Un de ces deux services pourrait prendre le titre de délégation interministérielle à la lutte contre les violences faites aux femmes, rattachée directement au Premier ministre.
Par ailleurs, le suivi de cette politique et du Grenelle, en particulier, doit être renforcé. Le suivi du Grenelle nécessiterait la mise en place d'un comité interministériel réunissant tous les ministres concernés, doublé d'un comité réunissant toutes les parties prenantes (y compris les associations et élus locaux), en pérennisant et institutionnalisant, par exemple, les groupes de travail du Grenelle.
Le Parlement et notamment le Sénat a un rôle clé à jouer dans le suivi et l'évaluation de cette politique publique. À cet égard, à l'image de ce travail de contrôle, il nous semble que les synergies entre les commissions et délégation du Sénat doivent être encouragées.
Au niveau local, la refonte de l'architecture institutionnelle doit passer par un renforcement de la coordination des acteurs et du pilotage départemental.
Il faut que les bonnes pratiques d'un territoire dues aux initiatives d'un réseau d'acteurs deviennent pérennes et puissent se retrouver sur tout le territoire. Le guide des bonnes pratiques géré par la MIPROF doit être enrichi.
Le pilotage départemental doit ainsi être renforcé et homogénéisé sur le territoire, en veillant à la mise en oeuvre de la déclinaison locale de cette politique publique et notamment du Grenelle sur tout le territoire. Cette exécution locale peut passer par des outils déjà existants ou par la réinstauration d'une commission départementale de lutte contre les violences et de la prostitution. Le but est d'avoir, sur chaque territoire, une structure dédiée aux violences faites aux femmes et identifiée par les acteurs, qui institutionnalise ce travail partenarial entre forces de sécurité, de justice, de santé, associations... et qui se réunisse régulièrement.
L'important est de « laisser faire ce qui se fait sur les territoires, des choses formidables s'y passent », comme a pu nous dire la secrétaire générale de la MIPROF, mais nous y ajouterions, tout en veillant à ce que l'État ne se désengage pas de cette politique publique essentielle.
M. Jean-François Rapin . - Je souhaitais revenir sur deux points. J'ai été un peu surpris dans le tableau de répartition des crédits du document de synthèse, de voir qu'il n'y avait pas de montant chiffré pour la contribution de l'Éducation nationale, qui est à mon sens essentielle dans cette lutte contre les violences faites aux femmes et les violences familiales en général. Je reste convaincu, peut-être en raison de ma profession, que le rôle de l'éducation est indispensable dans la prévention de ces violences. Vous avez d'ailleurs souligné qu'une forte proportion des jeunes délinquants sont des enfants ayant vécu des violences conjugales. Il serait donc essentiel de savoir, quelle part est donnée, dans la politique du Gouvernement, à l'Éducation nationale pour l'information et la prévention sur ces questions de violences faites aux femmes.
Le deuxième point, que je souhaitais évoquer, concerne les difficultés liées à la disparition de la réserve parlementaire, notamment pour le secteur associatif. À l'époque de sa suppression, avait été annoncée une augmentation des crédits d'investissement dans les départements mais aussi la création du fonds départemental d'aide à la vie associative (FDVA). J'aimerais savoir si la suppression des crédits issus de la réserve parlementaire, qui contribuaient au financement des différentes associations sur tout le territoire, sont aujourd'hui compensées par le FDVA.
M. Marc Laménie . - Merci aux deux rapporteurs pour ce travail de fond qui révèle aussi un volet humain important et un sujet malheureusement d'actualité. Le confinement a accru les risques de violences, comme je peux en témoigner en tant que membre de la délégation au droit des femmes.
J'ai également remarqué qu'il existe des décalages entre les mesures annoncées et la réalité du terrain. Pendant la période de confinement, des réunions étaient animées par les préfets, auxquelles nous étions conviés, mais nous n'avions malheureusement que peu d'informations. Sur le volet financier, cette politique de lutte contre les violences faites aux femmes est certes financée par le programme 137, qui dispose d'assez peu de moyens financiers, mais également par plusieurs autres ministères. Comme l'a rappelé Jean-François Rapin le premier budget sur ce sujet est celui de l'Éducation nationale. Il faut également noter le rôle essentiel des associations, comme nos deux rapporteurs l'ont indiqué. Mais j'aimerais aussi aborder la question de l'implication de nos collectivités territoriales, les communes et intercommunalités en particulier mais aussi les départements qui assument une mission sociale et déploient ainsi des moyens humains sur le terrain. Une meilleure organisation sur les territoires de cette politique est-elle possible ? En discutant avec les forces de l'ordre et les pompiers qui interviennent, mais aussi la justice, on est largement dans le flou... Comment renforcer le rôle des délégués aux droits des femmes sur le terrain ?
M. Arnaud Bazin , rapporteur spécial . - Concernant l'observation de Jean-François Rapin sur le chiffrage des crédits de l'Éducation nationale, nous regrettons de ne pas avoir eu communication de montants plus précis. Cependant, le Gouvernement n'hésite pas à faire figurer, dans le document de politique transversale, des montants très importants au titre des heures d'enseignement des professeurs d'histoire-géographie qui interviennent sur la question de l'égalité entre les femmes et les hommes à différents moments du cursus des élèves. Nous avions ainsi démontré, à l'occasion du projet de loi de finances pour 2020, qu'en retranchant ces montants et ceux versés au titre de l'aide aux pays en développement au milliard d'euros annoncé par le Gouvernement, il restait moins du quart de la somme annoncée. Et parmi ce faible montant restant, l'essentiel des crédits concernait l'hébergement, alors que le programme 137 ne représentait qu'environ 30 millions d'euros.
Concernant la réserve parlementaire, nous ne disposons pas de l'ensemble des données permettant de vérifier si le FDVA a compensé les crédits versés au titre de cette réserve. Toutefois, nous mettons en évidence dans le rapport que, d'une manière globale, les montants anciennement consacrés par les parlementaires aux associations ne sont pas intégralement compensés par ce nouveau fonds. De plus, les mécanismes d'appels à projet, sur lesquels repose le FDVA, rendent plus complexe le recours à ce type de financement pour les associations.
S'agissant de la question de l'implication des collectivités territoriales dans cette politique de lutte contre les violences faites aux femmes, évoquée par Marc Laménie, les informations précises dont nous disposons figureront dans le rapport.
Enfin, concernant la question de l'architecture institutionnelle de cette politique, qui constitue un axe important de nos propositions, il est évident qu'un pilotage plus affirmé et une déclinaison efficace dans chaque département sont essentiels pour que ces politiques ne soient plus dépendantes de la volonté d'un procureur, d'un Président de tribunal de grande instance, d'un préfet ou d'un autre acteur. Le pilotage de cette politique publique doit être solidifié et conforté.
M. Éric Bocquet , rapporteur spécial . - J'aimerais évoquer quelques éléments pour compléter les propos de mon collègue Arnaud Bazin : concernant le financement issu de la réserve parlementaire, je remarque qu'il était essentiel aux associations, et que ce sujet revient chaque fois qu'on s'intéresse au fonctionnement des associations, comme cela fut le cas, lors notre travail de contrôle sur l'aide alimentaire aux plus démunis, dont la distribution reposait essentiellement sur des associations. Cette réserve, critiquée, servait pourtant à irriguer le tissu associatif, dont on connaît l'importance sur de nombreuses thématiques, et permettait de donner quelques moyens, essentiels à de nombreuses petites structures. S'agissant de la question des violences faites aux femmes, le confinement n'a pas été un révélateur mais un amplificateur. Un chiffre doit être cité, qui figure dans le rapport : il y a eu autant d'appels au 39.19 en deux mois, en avril et mai 2020, que sur toute l'année 2019.
Concernant le point évoqué, par Marc Laménie, il y a effectivement un nombre d'acteurs multiples qui réalisent un travail avec beaucoup d'engagement, mais le pilotage national tout comme les moyens financiers doivent être renforcés. J'ai, en effet, eu l'occasion de rencontrer la déléguée départementale aux droits des femmes du Nord, qui ne dispose que d'un employé à mi-temps et d'une stagiaire pour mener à bien ses missions, dans un département de 2,5 millions d'habitants.
La commission a autorisé la publication de la communication des rapporteurs spéciaux sous la forme d'un rapport d'information.