TROISIÈME PARTIE :
FAIRE DE LA RECONVERSION DES
FRICHES
UNE OPPORTUNITÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT
DURABLE DES
TERRITOIRES
I. LA RECONVERSION DES FRICHES INDUSTRIELLES OU MINIÈRES : UN POTENTIEL DE DÉVELOPPEMENT DURABLE DES TERRITOIRES INSUFFISAMMENT EXPLOITÉ
A. UN MARCHÉ DE LA DÉPOLLUTION ET DE LA RECONVERSION DES SITES ET SOLS POLLUÉS DONT LE DYNAMISME DOIT ÊTRE SOUTENU
1. Une filière française de la dépollution qui s'est fortement professionnalisée
En France, la filière de la dépollution et le marché de la reconversion des friches ont émergé puis se sont professionnalisés à partir de la fin des années 1980. Pour Marc Kaszynski, président du laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), « la France dispose de cabinets de conseil/ingénierie et d'entreprises de travaux de dépollution de grande qualité, la plupart certifiés, qui ont acquis de solides savoir-faire depuis plus de 30 ans dans tous les types d'opérations. Bon nombre d'entre elles exportent leurs savoir-faire à l'international. » 263 ( * )
a) Une grande variété d'acteurs du marché de la dépollution des sols
Une grande partie de ces entreprises sont représentées par l' union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS), chambre syndicale crée en 1992 qui compte 48 membres 264 ( * ) et représente deux tiers du chiffre d'affaires du marché. Ces membres sont répartis en deux collèges au sein de l'UPDS :
- d'une part le collège « Ingénierie », qui compte 30 membres représentant environ 70 % du marché de l'ingénierie des sites et sols pollués (études, conseil et maîtrise d'oeuvre) ;
- d'autre part le collège « Travaux », qui compte 18 membres représentant environ 55 % du marché des travaux en matière de sites et sols pollués (conception et réalisation des opérations de réhabilitation des sols pollués).
Si certaines entreprises sont spécialisées dans la dépollution des sols et la réhabilitation de friches , comme les sociétés Brownfields ou encore Valgo, quelques grandes entreprises interviennent également sur ce marché, comme le montrent les exemples suivants :
- Veolia exerce une activité de dépollution des sols et nappes phréatiques depuis le début des années 1990. Son action couvre aujourd'hui l'ingénierie, la réalisation de travaux de dépollution (environ 100 personnes pour 300 chantiers par an) à travers sa filiale spécialisée GRS Valtech et les installations de traitement de déchets dangereux et non dangereux de Veolia. Ces activités représentent, en France, entre 60 et 70 millions d'euros par an ;
- Suez propose également - via sa filiale Suez Remédiation créée il y a trente ans- une offre sur le marché de la dépollution (diagnostic environnemental, sélection et dimensionnement de solutions de gestion, mise en oeuvre de techniques de dépollution des nappes et des sols). En 2019, cette activité représentait, pour la France, 246 salariés et un chiffre d'affaires de 66,7 millions d'euros ;
- Total a créé une filiale (Retia) chargée de gérer l'ensemble des opérations de remédiation de sites du groupe, depuis l'arrêt d'activité jusqu'au redéveloppement des terrains réhabilités. En France, on dénombre actuellement 75 chantiers sur des sites industriels et 100 chantiers sur des stations-service gérés par l'ensemble du groupe Total 265 ( * ) .
Certaines des entreprises intervenant sur le marché de la dépollution ont obtenu la certification volontaire « Sites et sols pollués » (SSP) , la certification règlementaire dans le domaine des sites et sols pollués n'étant pas obligatoire dans les domaines de l'ingénierie et de l'exécution des travaux de réhabilitation . Ainsi, d'après l'UPDS au 11 mai 2020, 13 sociétés 266 ( * ) sont certifiées SSP volontaires pour les domaines B 267 ( * ) et C 268 ( * ) . Les entreprises certifiées pour les travaux de réhabilitation doivent notamment maîtriser au moins huit techniques différentes 269 ( * ) . De fait, la filière de la dépollution est donc ouverte aux sociétés de terrassement non certifiées. L'UPDS considère néanmoins que celles-ci « n'ont pas les compétences spécifiques du domaine des SSP, ne respectent pas toujours les règles de sécurité [...] et de protection pour la santé de leurs salariés malgré l'exposition à des substances dangereuses et ne suivent ni la méthodologie nationale de gestion des SSP, ni la norme NF X31-620 » 270 ( * ) .
b) Un marché porteur
Au total, l'UPDS évalue le marché global de la dépollution des sites à 650 millions d'euros annuels . Après une période de croissance importante 271 ( * ) , portée par une conjoncture favorable, une étude de l'institut d'études Xerfi de mars 2019 prévoit un ralentissement de la croissance, qui s'élèverait à 2 % par an jusqu'en 2021 272 ( * ) . L'UPDS a confirmé cette tendance en indiquant à la commission d'enquête : « notre métier est en faible croissance, tout juste supérieure à l'inflation » 273 ( * ) .
Si la filière de la dépollution et de la reconversion des friches est soumise à une pression tarifaire accrue -sous l'effet du renforcement du pouvoir de négociation des collectivités, de nouveaux usages qui ne favorisent pas nécessairement la dépollution des sols -telles que les installations d'énergies renouvelables 274 ( * ) - et du recours accru à des techniques de traitement in situ 275 ( * ) - le marché reste néanmoins dynamique . D'après la société Brownfields, en effet, « le marché de la reconversion des friches ne semble pas s'essouffler . » 276 ( * ) Selon certains acteurs, ce marché serait encore plus porteur chez certains de nos voisins européens. Suez a ainsi indiqué réaliser en Belgique -dont le territoire est beaucoup plus petit- la moitié de son chiffre d'affaire français en raison du dynamisme du marché belge.
Les leviers de croissance du marché sont nombreux et bien identifiés . Il s'agit notamment de l' étalement urbain -qui concourt à renforcer l'intérêt des friches-, de la montée en puissance du dispositif du tiers demandeur , ou encore des grands projets d'aménagement portés par l'État et les collectivités territoriales, à l'image du Grand Paris Express. À cela s'ajoute un important effort d'innovation de la part des entreprises de dépollution, avec une intégration verticale des compétences permettant de proposer une offre globale, ou encore via la digitalisation.
L'impact de la crise liée à
l'épidémie de covid-19
sur le marché de la
dépollution et de la reconversion des friches
La crise sanitaire liée à la covid-19 a néanmoins sensiblement altéré ces perspectives de croissance. D'après l'UPDS, qui a mené une enquête auprès de ses adhérents en mai 2020, « les maîtres d'ouvrage ont décalé les investissements et revu les budgets environnement/SSP à la baisse de façon drastique, notamment pour les chantiers (travaux de dépollution) » et une majorité des répondants (65 %) ont observé une baisse de leur carnet de commande par rapport à l'année précédente sur la même période (jusqu'à 50 % du chiffre d'affaires commandé en moins). À ces difficultés se sont ajoutés des coûts supplémentaires en raison de la prise en compte des contraintes liées à la covid-19 et évalués à environ 5 % du chiffre d'affaires facturé. Pour l'UPDS, « les clients ont difficilement accepté, voire refusé, de prendre en compte ces surcoûts, qui viennent donc éroder la rentabilité déjà faible des entreprises du secteur des sites et sols pollués . ». En juin 2020, les adhérents de l'UPDS constataient des retards de facturation d'un à deux mois et anticipaient une baisse de leur chiffre d'affaires de 20 % environ en 2020 par rapport à 2019 .
En ce qui concerne les chantiers, 67 % des adhérents interrogés en mai 2020 ont constaté des reports de contrats et 16 % des annulations. D'après l'UPDS, « les industriels (notamment pétrochimie et automobile) sont les clients qui ont le plus limité les ordres de service, suivis des promoteurs, qui avaient de fortes incertitudes sur l'immobilier de bureaux et sur les constructions en lien avec le tourisme. Les maîtres d'ouvrages publics, incités par le gouvernement à passer des commandes, ont lancé des appels d'offres. Mais certaines décisions étaient en attente des résultats des élections. »
Source : Union des professionnels de la dépollution des sites
2. Un marché de la reconversion qui requiert une synergie entre acteurs publics et privés
a) Le rôle central des collectivités territoriales, des établissements publics fonciers et de l'Ademe dans la dépollution et la reconversion
(1) Les collectivités territoriales
Le rôle des collectivités territoriales , et en particulier des communes et des intercommunalités , dans la dépollution et la reconversion des friches s'est accru depuis les années 1980 , à la faveur de la décentralisation des compétences en matière d'urbanisme 277 ( * ) , d'une part, et sous l'effet de différents phénomènes de plus long terme (étalement urbain, désindustrialisation, nouveaux besoins fonciers...), d'autre part.
D'abord, les communes et intercommunalités sont consultées au moment de la cessation d'activité d'une ICPE ou de l'arrêt de travaux miniers :
- le maire ou le président de l'EPCI compétent en matière d'urbanisme est associé à la définition de l'usage futur du site envisagé par l'exploitant d'une ICPE soumise à autorisation ou à enregistrement, en vertu respectivement des articles R. 512-39-2 du code de l'environnement et R. 512-46-26 278 ( * ) ;
- dans le cas d'une procédure d'arrêt des travaux miniers 279 ( * ) , les conseils municipaux des communes intéressées sont consultés.
Au titre de leur pouvoir de police générale 280 ( * ) mais aussi de leurs prérogatives en matière d'urbanisme 281 ( * ) , les maires sont particulièrement concernés par la problématique des friches polluées : le maire est « en première ligne » 282 ( * ) , au point parfois d'engager la responsabilité de sa commune. Le Conseil d'État a en effet estimé, dans sa décision « Commune de Saint-Chéron » du 9 mai 2001 283 ( * ) , que le maire « qui connaissait l'état du site et avait, d'ailleurs, sollicité l'avis du préfet avant de délivrer l'autorisation de lotir demandée [...] a commis une faute en accordant cette autorisation sans au moins l'assortir de prescriptions spéciales [...] ; que cette faute est de nature à engager la responsabilité de la commune ».
Il convient en outre de souligner que le maire d'une commune ne saurait, sur le fondement de son pouvoir de police générale et en l'absence de péril imminent , s'immiscer dans l'exercice de la police spéciale des ICPE, qui relève du préfet en vertu de la loi du 19 juillet 1976. Dans sa décision de 2003 « Houillères du bassin de Lorraine » 284 ( * ) , le Conseil d'État a ainsi annulé un arrêté du maire interdisant toute création nouvelle de locaux destinée à l'habitat résidentiel -y compris la réutilisation de locaux vides aux fins d'habitat- au sein d'un périmètre autour d'un complexe chimique faisant lui-même l'objet d'un arrêté du préfet de Moselle interdisant la créaction de locaux à usage d'habitation.
Ces exemples illustrent combien le périmètre du champ de responsabilité de chacun des acteurs se révèle particulièrement difficile à définir . Les maires, en particulier, peuvent se retrouver totalement démunis face à des cas de figure complexes, en l'absence d'expertise technique sur la question. D'après la région Auvergne-Rhône-Alpes, la connaissance de la réglementation et son appropriation par les élus locaux peut en effet s'avérer délicate face aux industriels 285 ( * ) . Au total, d'après les représentants de la Métropole européenne de Lille : « le maire qui délivre l'autorisation concrétisant le projet est en bout de chaîne. Il devient en quelque sorte le garant de la compatibilité d'usage, même si le dispositif des secteurs d'information sur les sols a apporté une amélioration en exigeant une attestation établie par un bureau d'étude certifié. » 286 ( * )
Les communes, mais aussi d'autres échelons de collectivités territoriales -notamment les intercommunalités et les départements-, peuvent également être propriétaires de friches ou d'anciens sites industriels pollués . Les représentants de la Métropole européenne de Lille ont ainsi indiqué à la commission d'enquête que 40 % des friches identifiées sur le territoire de la métropole sont en propriété publique et que, parmi ces 40 %, la métropole est propriétaire de 80 % d'entre elles 287 ( * ) . Les représentants des établissements publics fonciers locaux rappellent ainsi que « les problèmes de responsabilité qui pèsent sur les élus quand ils sont confrontés à une friche sont encore plus importants quand ils en sont propriétaires » 288 ( * ) .
La pollution y est souvent découverte de manière fortuite, à l'occasion de travaux , comme dans le cas du collège Saint-Exupéry, situé à Vincennes, qui a fait l'objet d'un déplacement de la commission d'enquête.
Le cas du collège Saint-Exupéry
à Vincennes
Le bâtiment, construit en 1885 et pour la partie la plus récente en 1970 par l'État, a été transféré au département du Val-de-Marne en 1983. Le foncier appartient à la ville depuis 1968. La pollution a été découverte à l'été 2017, à l'occasion de la préparation d'un chantier de réhabilitation lourde du collège.
Les études ont révélé la présence de solvants chlorés dans l'air intérieur des bâtiments. La décision de fermeture du collège a été prise par le département qui a également financé la construction -en huit mois-, d'un nouveau collège provisoire.
Aussi, pour ce projet qui ne devait au départ n'être qu'un « simple chantier » de réhabilitation lourde, le coût global de prise en compte de l'aléa lié à la pollution, englobant les coûts du collège provisoire, de la dépollution et de la reconstruction est estimé par le conseil départemental du Val-de-Marne à plus de 61 millions d'euros (soit le prix de trois collèges neufs). Il convient toutefois de noter que cette estimation intègre le coût des travaux de rénovation qui devaient, en tout état de cause, être pris en charge par le département. Le coût provisoire de la dépollution est évalué à 20,5 millions d'euros et le surcoût lié à la présence d'une pollution peut ainsi être estimé à 36,3 millions d'euros , en tenant compte des frais d'assistance à la maîtrise d'ouvrage pour la gestion de la pollution, la réalisation d'études et de diagnostics par les bureaux d'études et la création d'un collège provisoire.
Tableau récapitulatif des coûts liés à la dépollution du collège Saint-Exupéry
Source : Département du Val-de-Marne
Nombreux sont les exemples de collectivités qui ont « hérité » de terrains qui se sont révélés pollués a posteriori .
À titre d'illustration, le département de la Charente a hérité de l'ancien terrain des usines de piles Saft-Leclanché, à la dissolution, en 2004, du syndicat mixte de développement économique de l'agglomération d'Angoulême, qui l'avait acheté en 1985. En 2012, le département a découvert la présence de pollutions au trichloréthylène, à l'aluminium et à d'autres substances polluantes. Les services de l'État n'ayant pas connaissance d'éléments démontrant que le site exploité par Saft ait été classé au titre de la réglementation ICPE, l'État considère que toute prescription vis-à-vis de l'ayant-droit 289 ( * ) serait fragile juridiquement.
Dans ce contexte, la secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire Emmanuelle Wargon, en réponse à une question orale de la sénatrice Nicole Bonnefoy, a indiqué que « au nom de l'objectif partagé que les travaux de dépollution soient réalisés au plus tôt, afin de faire cesser l'exposition à la pollution , l'État n'envisage pas de mettre en demeure l'ayant droit de Saft de procéder à la dépollution du site ». Ce dernier a finalement trouvé un accord avec le conseil départemental pour cofinancer -mais dans le cadre d'une intervention volontaire pour l'ayant droit-, l'élaboration du plan de gestion des diagnostics à réaliser et des mesures d'aménagement préconisées ainsi que les mesures de réhabilitation.
Toutefois, la commission d'enquête s'interroge sur les problèmes rencontrés par les services de l'État pour engager la responsabilité d'un ayant droit dans la mise en oeuvre de mesures de remise en état du site dont l'origine de la pollution remonterait avant l'entrée en vigueur de loi du 19 juillet 1976. Il convient, en effet, de rappeler, à cet égard, la jurisprudence découlant de la décision « Société Arkema France » 290 ( * ) du Conseil d'État du 9 novembre 1995.
Dans cette décision, le Conseil d'État a rappelé « qu'il résulte de l'ensemble des dispositions de la loi du 19 juillet 1976, reprises aux articles L. 511-1 et suivants du code de l'environnement, que l'obligation de remise en état du site est applicable aux installations de la nature de celles soumises à autorisation en application du titre 1er du livre V du code de l'environnement, alors même qu'elles auraient cessé d'être exploitées avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1976 , dès lors que ces installations demeurent susceptibles de présenter les dangers ou inconvénients énumérés à l'article L. 511-1 de ce code ; que, dans cette hypothèse, l'obligation de remise en état du site imposée par l'article 34-1 du décret du 21 septembre 1977, alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article R. 512-39-1 du code de l'environnement, pèse sur l'ancien exploitant ou, si celui-ci a disparu, sur son ayant droit ; que lorsque l'exploitant ou son ayant droit a cédé le site à un tiers, cette cession ne l'exonère de ses obligations que si le cessionnaire s'est substitué à lui en qualité d'exploitant ».
En tout état de cause, il résulte des considérations exposées ci-dessus que les collectivités sont régulièrement amenées, selon les différents cas de figure -souvent complexes- à prendre en charge, ou du moins à contribuer au financement de travaux de dépollution et à la reconversion de friches :
- soit en tant que propriétaires de sites historiquement pollués et dont l'exploitant n'est pas connu ou n'a pu être identifié ;
- soit au titre de leurs différentes compétences respectives, notamment en matière de gestion d'établissements scolaires ou de parcs de logements ;
- soit pour mener à bien leurs projets d'aménagement . Sur ce dernier point, le cabinet Seban & Associés considère que « pour que les projets puissent se réaliser dans des délais raisonnables, les personnes publiques peuvent se retrouver contraintes d'accepter de prendre en charge le coût financier des dépollutions induites 291 ( * ) » 292 ( * ) , avant d'ajouter que cette situation conduit à un « déséquilibre dans la négociation et, dès lors, une déresponsabilisation financière des exploitants avec, corrélativement, une augmentation des coûts à la charge des personnes publiques ».
Au total, les collectivités locales sont souvent amenées à « prendre le relai » sur les sites pollués, comme l'a souligné la région Auvergne-Rhône-Alpes à la commission d'enquête par l'intermédiaire de l'association Régions de France. L'impact financier d'une dépollution et d'un projet de reconversion peut être extrêmement important au regard des finances locales. Le département du Val-de-Marne a ainsi indiqué que l'aléa lié à la pollution pèse « dans la mise en oeuvre opérationnelle des projets, des calendriers et dans les bilans d'opérations déjà fragiles : plus aucune marge de manoeuvre n'est possible lorsque les coûts de dépollution représentent jusqu'à 25 % des coûts d'aménagement » 293 ( * ) .
Les régions peuvent également concourir financièrement aux travaux de reconversion des friches, notamment par l'intermédiaire du fonds européen de développement régional (Feder). Plusieurs acteurs ont néanmoins souligné la complexité des démarches administratives liées aux demandes de subventions.
(2) Les établissements publics fonciers d'État et locaux
Les collectivités locales s'appuient également sur les établissements publics fonciers de l'État (EPFE) ou locaux (EPFL) 294 ( * ) , qui disposent d'une importante compétence technique, et s'imposent désormais comme le « bras armé du recyclage foncier » 295 ( * ) . En vertu du code de l'urbanisme 296 ( * ) , les établissements publics fonciers « mettent en place des stratégies foncières afin de mobiliser du foncier et de favoriser le développement durable et la lutte contre l'étalement urbain ». Il existe aujourd'hui 10 EPFE, 24 EPFL et trois autres établissements publics fonciers (deux EPF administratifs et un office foncier), répartis comme suit :
Répartition des établissements publics fonciers en France
Source : Association des EPFL
Les EPF sont historiquement intervenus pour maîtriser les friches , lorsque la compétence en matière d'urbanisme a été décentralisée aux collectivités. Ainsi, l'EPFL de Lorraine accompagne les collectivités territoriales depuis les années 1980 et les premières reconversions des bassins sidérurgiques de Longwy et Pompey, pour « définir et mener des projets de reconversion de tènements fonciers souvent dégradés » 297 ( * ) . Le rôle des EPF est d'apporter un soutien juridique, financier, pratique, technique et administratif aux collectivités territoriales 298 ( * ) . D'après l'association des EPFL, environ dix millions d'euros sont consacrés annuellement par les EPFL à la reconversion des friches .
Concrètement, le rôle de l'EPF est d'acquérir et de requalifier des sites qui lui sont confiés par les collectivités selon un niveau fixé par convention. L'EPF, qui mobilise ses fonds propres -les EPF sont financés par la taxe spéciale d'équipement-, « prend à sa charge une partie des travaux et mobilise l'ingénierie nécessaire à leur réalisation. [...] En fin de portage, soit la collectivité rachète le foncier aux conditions qui la lient à l'EPF, soit le foncier est cédé par l'EPF au tiers désigné par la collectivité » 299 ( * ) .
Si, comme le soulignent les représentants de la Métropole européenne de Lille, les compétences des EPF -en l'occurrence de l'EPF Nord-Pas-de-Calais- se sont diversifiées pour accompagner le volet foncier des politiques locales 300 ( * ) , les EPF ne sont pas aménageurs . Ils se concentrent sur les opérations de pré-aménagement des friches .
Certains d'entre eux, notamment les EPF de Normandie et de Lorraine, ont joué un rôle précurseur dans l'acquisition d'un savoir-faire en matière de reconversion des friches industrielles et de prises en charge des sites pollués 301 ( * ) .
(3) Le rôle de l'État, via l'Ademe et le BRGM
Dans les cas où l'ancien exploitant ICPE -et les éventuels exploitants subsidiaires- s'avère défaillant et ne peut assumer ses obligations en matière de mise en sécurité et lorsque la pollution des sols ou les risques de pollution des sols présentent des risques pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques et l'environnement , l'État peut intervenir, par le biais de l'Ademe, pour mettre en sécurité le site 302 ( * ) . L'intervention de l'Ademe ne peut donc se faire qu'à titre subsidiaire , soit lorsqu'il n'existe pas ou plus de responsable connu, soit lorsqu'il existe un responsable connu mais dont la défaillance a été dûment constatée.
Le nombre de sites dits « orphelins » actuellement pris en charge par l'Ademe s'élève à 221 et le budget associé s'élève en 2020 à 17,3 millions d'euros.
L'intervention de l'ADEME vise uniquement à mettre le site en sécurité. C'est pourquoi les opérations de dépollution ne représentent qu'environ 5 % du nombre total des opérations de mise en sécurité conduites par l'Ademe . D'après l'agence, « des travaux de dépollution des milieux ne sont engagés que si ceux-ci sont nécessaires à l'atteinte de l'objectif de mise en sécurité ; à titre illustratif, on peut mentionner le traitement des milieux sols et eaux souterraines en cas par exemple de constat de dégradation de la qualité de l'air intérieur d'habitations (par remontée des gaz) avec exposition des occupants. » 303 ( * )
L'action de l'Ademe en matière de mise en sécurité peut néanmoins s'inscrire dans le cadre d'une réhabilitation plus large. L'agence a ainsi participé aux travaux de réhabilitation de l'ancienne raffinerie Petroplus de Reichstett par la société Brownfields en apportant une aide à la mise en sécurité du site d'un montant de trois millions d'euros.
À Salsigne, et en particulier sur le site de la Combe du Saut, l'intervention de l'Ademe, entre 1999 et 2006, a notamment consisté à démolir les structures encore présentes, décaper les sols les plus contaminés, transporter des déchets et des sols pollués dans une zone de confinement de dix hectares et à mettre en place un système de collecte sélective des eaux afin de diminuer les concentrations en arsenic 304 ( * ) . Au total, l'Ademe a investi 23,7 millions d'euros sur ce site.
Au-delà de la mise en sécurité des sites orphelins, l'Ademe apporte un appui technique et financier aux acteurs publics et privés dans les projets de reconversion des friches polluées , par l'intermédiaire de deux dispositifs :
- un dispositif d'aides à la décision (études et assistance à maîtrise d'ouvrage), en vigueur depuis 2007. 198 aides ont été octroyées depuis cette date, pour un montant de 4,3 millions d'euros ;
- un dispositif d'aides aux travaux de dépollution pour la reconversion des friches , créé en 2010. 114 projets de reconversion ont bénéficié de cette aide entre 2010 et 2019, pour un montant de 42,5 millions d'euros. Comme l'a indiqué José Caire, directeur « Villes et territoires durables » de l'Ademe, « des appels à projets annuels ou bisannuels nous permettent d'aider trois, quatre ou cinq sites chaque année. Nous y consacrons un budget de l'ordre de deux à trois millions d'euros par an. » 305 ( * )
S'agissant des sites miniers, en cas de défaillance du responsable , l'État est garant de la réparation des dommages causés par son activité minière 306 ( * ) . Il exerce cette mission par l'intermédiaire du BRGM, avec lequel il conclut un contrat d'objectifs et de performance.
Néanmoins, interrogé quant à la possibilité d'étendre le fonds « Barnier » aux habitations situées sur d'anciennes mines de plomb, le ministre de la transition écologique et solidaire a indiqué que les travaux de remédiation de la pollution « ne peuvent être qualifiés de réparation de dommage minier , ce dernier étant au sens de l'article L. 155-3 du code minier, un dommage susceptible de mettre en cause la sécurité des biens et des personnes. Ils ne relèvent donc pas de la responsabilité de l'État mais de celle des propriétaires des terrains concernés. » 307 ( * )
b) Un secteur privé qui mise sur le savoir-faire d'opérateurs de plus en plus intégrés
Différents acteurs privés opèrent sur le marché de la dépollution et de la reconversion des friches, au premier rang desquels les porteurs de projets d'aménagements -dont notamment les promoteurs immobiliers- qui ont pour objectif de donner un nouvel usage aux friches. Ces nouveaux usages peuvent être divers : logements, activités commerciales et de services, implantations industrielles, installations d'énergies renouvelables...
D'après M. Marc Kaszynski, « le secteur privé a toujours été présent sur le secteur de la revalorisation friches industrielles et urbaines, avec comme contrainte de pouvoir rentrer les coûts de remise en état dans le bilan économique des opérations d'aménagement ou de promotion » 308 ( * ) . Il considère ainsi que le secteur privé est appelé à jouer un triple rôle en matière de sites et sols pollués :
- généralement à l'origine du changement d'usage, il assure la maîtrise d'ouvrage et est souvent le premier investisseur ;
- il réalise des prestations intellectuelles (conseil et bureaux d'études, avocats, économistes, architectes...) ;
- il réalise également d'importants travaux de diverses natures (désamiantage, dépollution, rénovation...).
Le président du laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti) estime en outre que l'objectif de zéro artificialisation nette conduit les opérateurs à se tourner davantage vers la reconversion des friches. Cette situation conduit donc à une transformation de l'offre. D'une part, les opérateurs historiques doivent acquérir de nouvelles compétences en matière de dépollution et de gestion des friches polluées.
D'autre part, de nouveaux opérateurs , spécialisés en la matière, émergent sur le marché , à l'image des sociétés Brownfields ou Valgo, qui proposent des offres intégrées, de la dépollution à l'aménagement des sites.
Depuis sa création en 2006, la société Brownfields estime ainsi représenter, sur le marché opéré par des acteurs privés de la conversion, plus de 50 % du nombre de sites acquis -une centaine- et des investissements mobilisés -400 millions d'euros-. Les sites acquis représentent un total de 529 hectares, pour un potentiel de 800 000 m 2 de surfaces constructibles qui font l'objet d'usages divers : logements/résidences à 50 %, activités à 36 %, bureaux/hôtels à 8 % et commerces à 6 %.
Ces opérateurs disposent d' importantes capacités d'investissements . Le fonds Brownfields 3 , dédié à la reconversion des friches, est ainsi doté de 250 millions d'euros , dont les principaux investisseurs sont la banque européenne d'investissement, la caisse des dépôts et consignations et le fonds de réserve pour les retraites. Ces capacités d'investissement leur permettent de proposer une offre intégrée, de l'acquisition à la reconversion d'une friche pour un usage donné. Les représentants de la société Brownfields définissent ainsi leur offre : « nous sommes des investisseurs qui achetons un terrain pollué, en l'état, en prenant le risque de gérer la dépollution et en menant avec les collectivités locales le projet de développement jusqu'à son terme. La dépollution n'est qu'une des étapes, nous faisons aussi l'aménagement et le développement immobilier privé dans de nouveaux quartiers comme l'écoparc, ou au sein de villes, de centres commerciaux, de zones tertiaires... » 309 ( * ) . La société gère ainsi des projets sur des durées assez longues (10 ans) « pour permettre des résultats et un retour sur investissement ».
* 263 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.
* 264 Ces 48 membres représentent environ 2 300 salariés.
* 265 M. Antoine Londiche, président de la société Retia, a indiqué devant la commission d'enquête (audition du 23 juin 2020) que les interventions sur les stations-services n'entraient pas dans le périmètre d'activité de la société mais qu'elles revenaient à la branche « Marketing et services » du groupe Total.
* 266 Dont 12 du collège « Travaux » de l'UPDS.
* 267 Ingénierie des travaux de dépollution.
* 268 Exécution des travaux de dépollution.
* 269 Hors excavation et tri granulométrique.
* 270 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.
* 271 4,4 % entre 2015 et 2018.
* 272 Groupe Xerfi, Le marché de la dépollution des sols à l'horizon 2021. Quels leviers et perspectives de croissance pour les acteurs ?, 26 mars 2019 (citée in UPDS Mag , novembre 2019).
* 273 Audition du 9 juin 2020.
* 274 Ce type d'installations nécessitant des travaux de dépollution moindres que pour d'autres types d'usages (habitations ou services).
* 275 Moins onéreuses que les techniques hors site.
* 276 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.
* 277 Comme l'a souligné Mme Christine Lafeuille, directrice adjointe « Stratégie et opérations foncières » et responsable de l'unité fonctionnelle « Stratégie foncière » de la Métropole européenne de Lille : « Avant cette époque, nous essayions d'avoir une vision nationale des friches avec le rapport Lacaze. C'est ensuite devenu une affaire de collectivités. » (audition du 16 juin 2020).
* 278 À défaut d'accord, l'article prévoit que l'usage retenu est un usage comparable à celui de la dernière période d'exploitation de l'installation mise à l'arrêt.
* 279 Article L. 163-1 et suivants du code minier.
* 280 Aux termes de l'article L. 2212-2 du code générale des collectivités territoriales, la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.
* 281 Le maire est notamment compétent pour délivrer les permis de construire, d'aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable, en application de l'article L. 422-1 du code de l'urbanisme.
* 282 Christian Decocq et Michel Pacaux, rapport de la mission d'information et d'évaluation de la Métropole de Lille « Friches industrielles et pollutions historiques », avril 2010.
* 283 Conseil d'État, 6/4 SSR, 9 mai 2001, n° 209991 210626.
* 284 Conseil d'État, SSR, 29 septembre 2003, « Houillères du bassin de Lorraine », n° 218217.
* 285 Réponses de l'association Régions de France au questionnaire de la commission d'enquête.
* 286 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.
* 287 Audition du 16 juin 2020.
* 288 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.
* 289 La société Alcatel-Lucent participations (ALP).
* 290 Conseil d'État, 9 novembre 2015, n° 369236.
* 291 « Ainsi, un certain nombre d'exploitants ont intégré que l'État ou les personnes publiques locales pourront avoir besoin dans un délai contraint des terrains en cause, soit pour pouvoir réaliser les équipements dans les délais requis (perspective d'un évènement de type compétition sportive internationale par exemple) soit pour s'assurer de pouvoir ensuite les revendre à des promoteurs immobiliers ».
* 292 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.
* 293 Éléments transmis à la commission d'enquête.
* 294 Les EPFL interviennent sur le territoire des communes et des EPCI qui en sont membres.
* 295 Contribution écrite des représentants de la Métropole de Lille.
* 296 Articles L. 321-1 (pour les EPF) et L. 324-1 (pour les EPFL) du code de l'urbanisme.
* 297 Contribution écrite de l'établissement public foncier de Lorraine.
* 298 Association des EPFL.
* 299 Contribution écrite des représentants de la Métropole de Lille.
* 300 Revitalisation des centres bourgs, production de logements...
* 301 Contribution écrite de M. Marc Kaszynski, président du Lifti et membre du groupe de travail « Réhabilitation des friches » mis en place par le ministère de la transition écologique et solidaire.
* 302 Article L. 556-3 du code de l'environnement.
* 303 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.
* 304 Contributions écrites de la DGPR et de l'Ademe.
* 305 Audition du 25 février 2020.
* 306 Article L. 155-3 du code minier.
* 307 Question écrite n° 14168 de M. Patrice Verchère.
* 308 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.
* 309 Audition du 17 juin 2020.