PREMIÈRE PARTIE :
LA POLLUTION DES SOLS, UN ENJEU SANITAIRE
ET ÉCOLOGIQUE MAL MESURÉ ET INSUFFISAMMENT PRIS EN COMPTE
DANS NOTRE LÉGISLATION
I. UNE VISION PARCELLAIRE ET FRAGMENTÉE DES SITES ET SOLS POLLUÉS EN FRANCE
Le premier maillon de la chaîne de la prévention et de la gestion des pollutions des sols est l' identification des sites à risques . À cet égard, la cartographie des sites et sols pollués constitue un triple impératif .
Dans un pays comme la France, caractérisé par une riche histoire industrielle et minière mais aussi par la mutation économique rapide des territoires, la collecte d'informations fiables permet d'abord la conservation de la mémoire . Notre pays compte plus de 320 000 anciens sites d'activités industrielles ou de services, et près de 3 000 anciens sites miniers. La connaissance de ces sites est un préalable nécessaire à la reconversion des terrains pour de nouveaux usages et aux projets de construction urbains.
Ensuite, les différents intervenants de la prévention et de la gestion des risques associés aux activités industrielles et minières , les opérateurs de la dépollution , ainsi que les acteurs de l'immobilier et de l'urbanisme ont besoin d'une connaissance précise des sites et de leur éventuel état de dégradation : c'est en particulier le cas des nouveaux exploitants de sites reconvertis, des aménageurs publics et privés, des élus locaux, des professionnels du secteur immobilier ou encore des vendeurs et des acquéreurs de parcelles. La qualité de l'information disponible s'impose ainsi comme un déterminant de l'efficacité de leur action en matière d'aménagement du territoire et de protection de la santé des populations et de l'environnement.
L' information du public , déjà consacrée par le droit en matière de risques technologiques et naturels, de même qu'en matière de qualité de l'air et de l'eau, est devenue désormais une demande forte des citoyens. L'impact de pollutions sur la santé et l'environnement justifie que les riverains soient informés des sites présentant des risques affectant la qualité de leurs milieux de vie. L'accès à une information complète et lisible emporte plus généralement des enjeux de confiance dans la transparence et l'efficience de l'action publique , comme l'a souligné Mme Laura Verdier, consultante en gestion des sites et sols pollués, lors de son audition par la commission d'enquête : « nous vivons actuellement une crise de confiance envers les élus et envers les scientifiques. Il y a une attente très forte de la part de toutes les parties prenantes pour que les thématiques environnementales soient clairement explicitées.
En matière de sites et sols pollués, les bases sont incomplètes, difficilement lisibles pour le grand public sans compétences techniques. Les discours sont parfois complexes. Collectivement, il faut arriver à un discours plus pédagogique et plus clair. » 8 ( * )
A. UN ÉCLATEMENT DES DONNÉES DISPONIBLES SUR LES SITES ET SOLS POLLUÉS
1. Une information dispersée entre de nombreux outils de référencement
En dépit des efforts menés par les pouvoirs publics depuis les années 1990, l'information disponible sur les sites et sols pollués du territoire français reste fragmentée et incomplète .
Créée en 1994, la base Basol 9 ( * ) a pour objet d'établir un outil unique répertoriant et localisant tous les sites et sols pollués en France. Tenue par le ministère chargé de l'environnement, elle constitue un outil de « porter à connaissance » des pollutions auprès des citoyens et des aménageurs.
Près d'une dizaine d'autres bases de données administrées par des personnes publiques - sans toujours être accessibles au grand public - contiennent par ailleurs des informations liées directement ou indirectement à la pollution des sites.
C'est notamment le cas de la base Basias 10 ( * ) , gérée depuis 1998 par le bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), qui répertorie l'ensemble des anciens sites industriels et de service de chaque département. Elle permet notamment de connaître l'histoire industrielle des terrains et, ainsi, d'identifier des risques de pollution. Le ministère de la défense dispose également de sa propre base de données, dénommée « Sisop », qui identifie les sites et sols pollués par des activités militaires, mais n'est pas rendue publique.
Un effort supplémentaire de collecte d'information a été entrepris sous l'impulsion du droit européen. La directive 2006/21/CE du 15 mars 2006 concernant la gestion des déchets de l'industrie extractive, dite « directive DDIE », a renforcé les obligations applicables aux résidus miniers 11 ( * ) .
Mandaté par la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère chargé de l'environnement, le groupement d'intérêt public (GIP) GEODERIS a, en conséquence, conduit entre 2009 et 2012 un inventaire des déchets miniers présents sur le territoire français 12 ( * ) .
L'information disponible aujourd'hui sur l'état des sites et des sols résulte en conséquence de la sédimentation des données collectées depuis plusieurs décennies, issues de différentes administrations centrales, d'opérateurs publics, mais aussi des archives des collectivités territoriales. L'éclatement des compétences en matière de sites industriels et miniers , ainsi que la diversité des histoires territoriales, explique la pluralité des sources d'information.
Les inventaires présentant un lien avec les sites et sols pollués
Source de données |
Nature des données |
Responsable
|
Date de création |
Nombre de sites concernés |
Basol |
Sites et sols pollués ou potentiellement pollués appelant une action des pouvoirs publics à titre préventif ou curatif |
Ministère de la transition écologique et solidaire, DGPR et services déconcentrés (Dreal 1 , Driee 2 ) |
Créée en 1994 |
7 324 sites, répartis en cinq catégories (vert, rouge, orange, blanc, bleu, selon leur état) |
Basias |
Inventaire historique
|
BRGM |
Créée en 1998 |
322 225 sites |
Mimausa |
Sites miniers d'uranium ayant été exploités en France |
Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) |
Créée en 2003 |
250 sites |
Inventaire des sites au titre de l'article 20 de la directive 2006/21/CE |
Gisements de déchets
|
DGPR, GEODERIS |
2006- 2012 |
2 000 dépôts regroupés en 233 secteurs, dont 28 prioritaires (classés D et E) notifiés à la Commission européenne |
SISOP |
Sites et sols pollués par des activités militaires |
Ministère de la défense, CGA 3 |
1 081 sites |
|
SIS |
Terrains où la connaissance de la pollution des sols
justifie, notamment
|
Préfet de département |
2019 |
3 361 secteurs |
1 Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement.
2 Direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie.
3 Contrôle général des armées.
Source : Commission d'enquête, données disponibles au 17 juillet 2020
L'absence d'une base unique et complète des sites et sols pollués peut aussi s'expliquer par le manque de reconnaissance en droit de l'enjeu de la protection des sols. Sans définition juridique, dans le code de l'environnement ou de l'urbanisme par exemple, de la notion de « site ou sol pollué », l'identification des terrains pollués au regard du droit ne peut être systématique. À défaut, les données de la base Basias, notamment, permettent au mieux d'établir un « faisceau d'indices » pour détecter des pollutions potentielles.
Il convient enfin de noter que chacun des outils existants répond à une finalité distincte et s'oriente vers un public particulier . La base Basias permet d'établir l'historique d'un site mais n'est pas un indicateur de pollution avérée. La base Basol, très utile aux cabinets d'études en matière de pollution des sols, s'avère peu lisible pour le grand public.
2. Les secteurs d'information sur les sols, un outil en faveur d'une information renforcée mais dont il est encore trop tôt pour tirer un bilan
En raison de sa fragmentation, l'information en matière de sites et sols pollués reste peu accessible et peu lisible pour les citoyens et les acteurs locaux .
En matière d'urbanisme, en particulier, le déficit d'information sur les pollutions des sols peut nuire à leur prise en compte dans les documents d'urbanisme locaux et dans la politique d'aménagement . Un manque de connaissance des sols peut accroître le risque sanitaire, en particulier si les règles de constructibilité permettent à des établissements sensibles , comme des écoles, de s'implanter sur des sols pollués. Du reste, le code de l'urbanisme prévoit que la responsabilité du maire peut être engagée devant le juge, lorsque des permis de construire sont octroyés sans prescriptions spéciales, qu'une pollution existante rendrait pourtant nécessaires. 13 ( * )
Pour pallier ce défaut d'information, certaines collectivités territoriales avaient, de leur propre initiative, mis en oeuvre des dispositions innovantes visant à améliorer cette articulation : la métropole de Lille, par exemple, avait introduit dès le début des années 2000 une mention spécifique sur les documents de zonage des plans locaux d'urbanisme afin d'identifier les secteurs de sols pollués.
En 2010, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « Grenelle II », a introduit à l'article L. 125-6 du code de l'environnement une obligation pour l'État de publier les informations dont il dispose sur les risques de pollution des sols afin que celles-ci puissent être prises en compte dans les documents d'urbanisme. Prolongeant cet effort, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « ALUR », a introduit un nouveau dispositif d'articulation entre les différentes bases de données et les documents d'urbanisme.
Les plans locaux d'urbanisme doivent désormais faire figurer en annexe les « secteurs d'information sur les sols » (SIS) qui identifient des zones de pollution avérées des sols, délimités par le préfet de département. Dans ces zones, des obligations supplémentaires s'appliquent : les modalités d' information des acquéreurs et propriétaires sont renforcées et des études de sols doivent être conduites avant tout projet de changement d'usage.
Les secteurs d'information sur les sols
Introduit à l'initiative du Sénat lors de l'examen parlementaire, l'article 173 de la loi ALUR prévoit la création de secteurs d'information sur les sols.
1. Élaboration ( article L. 125-6 du code de l'environnement )
Élaborés par les préfets de département « au regard des informations [dont dispose l'État] », les SIS sont soumis à l'avis des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) -compétents en matière d'urbanisme- concernés et font l'objet d'une information aux propriétaires, avant d'être instaurés par arrêté préfectoral. Une fois arrêtés, ils doivent figurer en annexe des plans locaux d'urbanisme (PLU) des communes et EPCI compétents en matière d'urbanisme, sous forme de documents graphiques à l'échelle cadastrale.
Le décret n° 2015-1353 du 26 octobre 2015 relatif aux secteurs d'information sur les sols prévus par l'article L. 125-6 du code de l'environnement et portant diverses dispositions sur la pollution des sols et les risques miniers a fixé le délai limite de délimitation des SIS au 1 er janvier 2019, ainsi qu'une exigence de révision annuelle de la liste des secteurs.
2. Obligations applicables aux terrains situés en SIS ( articles L. 125-7 et L. 556-2 du code de l'environnement )
En cas de vente ou de location d'un terrain en SIS, l'acquéreur ou le locataire doit en être informé par écrit par le vendeur ou bailleur. L'acte de vente en fait mention. En cas de découverte d'une pollution sur ce terrain, et si cette pollution rend l'usage prévu impossible, l'acquéreur ou locataire dispose de deux ans pour faire annuler la vente ou pour se faire restituer une partie du prix de vente. Il peut aussi demander la réhabilitation aux frais du vendeur.
Dans les terrains pollués identifiés dans les SIS, « la réalisation d'étude de sols et de mesures de gestion de la pollution pour préserver la sécurité, la santé ou la salubrité publiques et l'environnement » est obligatoire. Pour tout projet de construction ou d'aménagement, une étude des sols doit être réalisée par le maître d'ouvrage pour « établir les mesures de gestion de la pollution à mettre en oeuvre pour assurer la compatibilité entre l'usage futur et l'état des sols » , y compris relatives aux eaux souterraines. Une attestation démontrant la réalisation de cette étude et sa prise en compte, réalisée par un bureau certifié, doit être jointe à la demande d'autorisation d'urbanisme.
En outre, le décret du 26 octobre 2015 précité prévoit que les certificats d'urbanisme fassent mention, le cas échéant, de l'existence d'un SIS couvrant la parcelle (article R. 410-15-1 du code de l'urbanisme).
Source : Commission d'enquête
Exemple de de secteurs d'information sur les sols dans le département du Nord
Source : Géoportail
Les secteurs d'information sur les sols représentent à ce jour la traduction la plus aboutie de l'obligation d'information du public sur les risques de pollution de sols , en ce qu'ils jouent le rôle d'intégrateur des données et offrent une cartographie concrète des pollutions à l'échelle de la parcelle cadastrale.
La mise en oeuvre des secteurs d'information sur les sols reste cependant inaboutie. Il était prévu réglementairement que la liste et la localisation des SIS soient arrêtées par les préfets avant le 1 er janvier 2019 . À la date de rédaction du présent rapport, 3 361 SIS ont été délimités sur le territoire français. Dans 19 départements, la liste des SIS n'a pas encore été publiée. Bien que l'obligation pour l'État d'instaurer des SIS soit globalement respectée, leur déploiement prend du retard : la DGPR a ainsi indiqué à la commission d'enquête qu'environ « 7 000 à 8 000 terrains ayant une pollution d'origine industrielle civile ou minière devraient être répertoriés en SIS, au terme de la démarche de recensement à horizon fin 2021 » . Si ce délai prolongé est tenu, le déploiement des SIS aura donc duré plus de sept ans.
État d'avancement de la mise en oeuvre
des
secteurs d'information sur les sols
Source : Géorisques (au 17 juillet 2020)
3. Des données incomplètes et insuffisamment actualisées
Construites à partir d'inventaires hétérogènes, établies à des périodes distinctes et peu révisées : les bases de données existantes ne permettent pas, à ce stade, d'obtenir une cartographie précise et contemporaine des sites et sols pollués en France .
a) Une information parcellaire
À titre d'exemple, la base Basias, qui répertorie les sites historiques d'activité industrielle et de services, a été créée en 1998 à partir des données des archives régionales départementales, communales et intercommunales, compilant les inventaires historiques régionaux (IHR) et les inventaires historiques urbains (IHU) initiés en 1993 par les autorités ministérielles. Les différentes personnes entendues par la commission d'enquête ont relevé une forte hétérogénéité dans la qualité de l'information recueillie au niveau local , en fonction des moyens et des politiques déployés à l'époque. Dans certains cas, les anciens sites industriels identifiés dans les archives n'ont pas pu être localisés avec précision, et certaines erreurs ont été commises : près de 30 % des activités listées sur Basias n'ont pas pu être situées avec précision et sont ainsi placés par défaut au centre de la commune concernée. En outre, les sites exploités et fermés avant 1993 n'ont parfois pas été inclus dans la base, excluant de fait une partie du « passif industriel » des territoires .
En matière de pollutions liées à l'activité minière, GEODERIS a indiqué à la commission d'enquête qu'un inventaire des dépôts a « mis en évidence certaines difficultés, en particulier l'existence d' archives partielles et incomplètes sur les anciennes exploitations minières , surtout les plus anciennes [...] ainsi que des manques d'information sur la localisation de certaines sources de pollutions ».
La base Basol , qui recense les sites effectivement pollués identifiés par l'État, et qui est alimentée par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), est principalement renseignée par les données issues des inspections menées sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) lors de leur cessation d'activité ou en cas d'incident. D'importants angles morts sont donc à déplorer, les sites pollués ne relevant pas du régime des ICPE, les sites en cours d'activité ou les sites historiques étant peu étudiés.
Mme Laura Verdier a ainsi souligné, lors de son audition par la commission d'enquête, qu'« il existe un biais qui tient à ce que les inspecteurs de la Dreal ne sont sollicités que sur des sites ICPE, et, de surcroît, sur des sites en fin d'activité. Les sites en cours de fonctionnement ne sont donc pas concernés, sauf si l'administration s'en est saisie : beaucoup de sites en zones urbaines ne figurent pas sur Basol » 14 ( * ) . En outre, la localisation précise des sites fait souvent défaut, ne permettant pas une traduction à l'échelle parcellaire .
Une étude comparative du nombre de sites listés dans Basias, Basol et en secteur d'information de sols sur un même territoire géographique témoigne en outre d'une forte déperdition d'information entre l'identification d'un ancien site d'activité et la traduction en secteur d'information sur les sols. Selon les estimations de la commission d'enquête, et en moyenne, moins de 1 % des anciens sites industriels ou de services font l'objet d'un SIS 15 ( * ) .
Exemples de référencement des sites dans les bases de données et dans les SIS
Basias |
Basol |
SIS |
Ratio nombre
|
Ratio nombre de SIS/nombre de sites inscrits dans Basol 1 |
|
Rhône |
13 497 sites |
328 sites |
76 secteurs |
0,5 % |
23,1 % |
Lot |
2 537 sites |
12 sites |
5 secteurs |
0,2 % |
41,7 % |
Aude |
1 806 sites |
17 sites |
10 secteurs |
0,6 % |
58,8 % |
Nord |
12 735 sites |
532 sites |
193 secteurs |
1,5 % |
36,3 % |
Yvelines |
2 656 sites |
103 sites |
68 secteurs |
2,6 % |
66 % |
Maine-et-Loire |
2 877 sites |
70 sites |
51 secteurs |
1,8 % |
72,9 % |
Côtes d'Armor |
3 818 sites |
11 sites |
293 secteurs |
7,7 % |
2 663,6 % |
Val-de-Marne |
3 696 sites |
99 sites |
76 secteurs |
2 % |
76,8 % |
Total France |
322 225 sites |
7 324 sites |
3 361 secteurs |
1 % |
45,9 % |
1 Nota bene : Certains sites identifiés dans les SIS ne figurent pas dans Basol ou Basias (par exemple les sites agricoles), les pourcentages sont donc donnés à titre d'ordre de grandeur.
Source : Géorisques, Basol et Basias au 17 juillet 2020
La commission d'enquête a identifié plusieurs obstacles à l'établissement d'une cartographie plus précise des sites et sols pollués :
• Tout d'abord, un déficit d'information sur le passé des sites peut expliquer l'absence de suspicion de pollution. Si les sites miniers sont en général bien identifiés, les petites usines n'ont pas toujours fait l'objet d'une consignation précise à travers les siècles par les pouvoirs publics, ceux-ci n'ayant en outre pas nécessairement eu connaissance de la manipulation de substances polluantes. Dans le cas où l'information existe, elle n'est pas toujours accessible : de nombreuses archives départementales, par exemple, n'ont jamais été numérisées et sont donc peu exploitées.
• Ensuite, le manque de moyens consacré à l'étude des sols ayant accueilli des activités industrielles ou minières ne permet pas de réaliser des diagnostics systématiques de l'état des sols. Si les anciens sites industriels ou miniers sont souvent bien identifiés, le coût significatif des études scientifiques qu'il serait nécessaire de conduire à une échelle géographique fine, est souvent impossible à assumer par les collectivités. Une suspicion de pollution ne débouche, par ailleurs, pas toujours sur un diagnostic des types et des niveaux de pollution.
À titre d'exemple, même les 28 secteurs « prioritaires » de gisements de déchets extractifs identifiés dans le cadre de l'étude de GEODERIS, en lien avec les exigences de la directive 2006/21/CE, n'ont pas tous fait l'objet de diagnostics approfondis. À ce jour, plus de huit ans après la publication de la liste, seules 14 études d'interprétation de l'état des milieux, dites « IEM », ont été conduites. GEODERIS a indiqué à la commission d'enquête qu'une dizaine d'études devraient encore être menées, mais que leur réalisation était ajournée en raison de l'occupation des sites par un exploitant en activité.
• Sur certains points, c'est le droit en vigueur lui-même qui apparaît restrictif . En matière de SIS notamment, s'il est bien prévu que « l'État élabore » ces secteurs de manière obligatoire, l'article L. 125-6 du code de l'environnement précise que cette détermination se fait « au regard des informations dont il dispose » . Des carences en matière d'étude des sols, telles que relevées plus haut, peuvent donc fonder l'État à ne pas prévoir de SIS sur le périmètre de certains sites. Le décret d'application relatif aux SIS exclut également les installations ICPE en exploitation de l'obligation d'information. Surtout, la compétence exclusive du préfet de département pour la délimitation des SIS ne permet pas aux collectivités de susciter une démarche d'information.
Il est ainsi particulièrement alarmant que, lors des échanges entre la commission d'enquête et les représentants de l'État dans la vallée de l'Orbiel, ceux-ci aient indiqué qu'aucun SIS n'y a été instauré -alors même que le secteur est identifié sur Basol et sur l'inventaire des déchets miniers de GEODERIS- et ce pour la seule raison que l'État en est le propriétaire .
• Le caractère désincitatif de l'inscription d'un site sur l'une des bases de données ou en SIS a également été évoqué par certaines personnes auditionnées , qui ont noté que l'inclusion de terrains dans ces secteurs risque de réduire fortement leur attractivité pour les habitants, les industriels ou les promoteurs immobiliers. Craignant pour le développement économique et démographique des communes concernées si les terrains sont laissés à l'état de friche , en particulier hors des zones tendues dans lesquelles le foncier peut être valorisé, les autorités publiques peuvent se montrer trop prudentes pour instaurer un SIS, quand bien même les conditions le justifieraient. Dans le même ordre d'idées, le référencement sur Basol d'un site ayant déjà fait l'objet d'un traitement peut faire persister des suspicions de pollutions, en dépit des mesures déjà prises.
b) Une actualisation insuffisante
Partielles, les bases de données relatives à la pollution des sols semblent en outre faire l'objet d'une actualisation insuffisante .
La contemporanéité des informations dépend directement de la fréquence des diagnostics des sols et des inspections de sites . L'ampleur de la tâche et le nombre de sites concernés -plusieurs centaines de milliers- exigeraient la mobilisation d'un grand nombre d'acteurs et d'un financement considérable. À cet égard, les moyens des Dreal et des opérateurs de l'État ne semblent pas être à la hauteur des enjeux.
Plusieurs personnes interrogées par la commission d'enquête ont ainsi signalé de nombreuses occurrences de fiches non tenues à jour sur la base Basol, en dépit de la découverte de pollutions nouvelles ou de la conduite de travaux de traitement des pollutions. Trop souvent, l'effort est ponctuel plutôt que suivi , comme en 2009 en matière de déchets miniers sous l'impulsion des autorités européennes, ou lors de l'inventaire des établissements sensibles situés en zones polluées entrepris en 2010.
Cette mise à jour des données est pourtant centrale, car elle détermine la capacité des autorités à remplir leurs obligations en matière d'information du public , par le biais des SIS notamment. L'obligation de révision annuelle de la liste des secteurs d'information sur les sols, qui aurait dû intervenir au moins une fois depuis le mois de janvier 2019, n'a d'ailleurs pas encore fait l'objet d'un retour d'expérience. Le retard pris dans le déploiement et la réactualisation des SIS témoigne de la difficulté à compiler et à tenir à jour les données disponibles .
4. Un effort d'accessibilité à approfondir
En dépit de l'information renforcée prévue par les SIS et de la numérisation des bases Basol et Basias, l'accessibilité et la lisibilité des données doivent être encore améliorées .
La navigation parmi les données disponibles au sein des bases publiques en ligne reste compliquée. Les possibilités de recherche ne sont pas assez développées (par exemple par mots clefs, tels que le nom de l'ancien exploitant). D'autre part, le recours à la cartographie apparaît insuffisant . La loi « ALUR » avait pourtant apporté une impulsion utile en la matière, en introduisant en son article 173 et à l'article L. 125-6 du code de l'environnement une obligation de publication par l'État d'une « carte des anciens sites industriels et activités de services » (Casias) à partir des données de Basias.
En revanche, si les SIS sont, comme le prévoit la loi, déclinés à l'échelle de la parcelle cadastrale, les sites répertoriés sur Basol sont identifiés par leur adresse, mais ne sont pas reliés à une parcelle cadastrale précise , dans le cas notamment des sites classés comme « à connaissance sommaire ». La base Basias ne fait pas non plus mention de la parcelle associée. Une harmonisation de l'échelle de référencement permettrait une meilleure interopérabilité entre outils, et accélérait le déploiement des SIS.
D'autre part, l'accès du grand public et des décideurs publics à ces données, le cas échéant sous forme vulgarisée, doit être amélioré . D'abord, plusieurs bases existantes ne sont pas publiques : c'est le cas de la base Sisop, pour des raisons liées à la protection des activités de défense, mais aussi de l'inventaire réalisé par GEODERIS. Ensuite, la méconnaissance de ces outils et surtout leur présentation technique font qu'ils sont aujourd'hui principalement utilisés par les professionnels, tels que les notaires ou les bureaux d'études. Une forme vulgarisée des fiches et une cartographie plus accessible sont des pistes d'amélioration identifiées par la commission d'enquête. À titre d'exemple, GEODERIS a indiqué fréquemment rédiger des synthèses vulgarisées de leurs rapports, communiquées aux élus locaux et expliquées dans le cadre de rencontres.
La lisibilité des informations disponibles emporte des enjeux forts de confiance en l'action publique . Selon le syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines (Sniim), auditionné par la commission d'enquête, les gains d'efficacité sur d'autres pans de la gestion des sites pollués pourraient servir à développer l'activité de vulgarisation : « en travaillant sur l'efficience, nous récupérerons des moyens humains qui pourront être mis à contribution sur cette vulgarisation de l'information » 16 ( * ) .
* 8 Audition du 10 juin 2020.
* 9 Accessible en ligne à l'adresse : https://basol.developpement-durable.gouv.fr/recherche.php
* 10 Accessible en ligne à l'adresse : https://www.georisques.gouv.fr/risques/basias/donnees#/
* 11 Article 20 de la directive 2006/21/CE : « Les États membres veillent à ce qu'un inventaire des installations de gestion de déchets fermées, y compris les installations désaffectées, situées sur leur territoire et ayant des incidences graves sur l'environnement ou risquant, à court ou à moyen terme, de constituer une menace sérieuse pour la santé humaine ou l'environnement soit réalisé et mis à jour régulièrement. Cet inventaire, qui doit être mis à la disposition du public, est effectué avant le 1 er mai 2012 [...] . »
* 12 Accessible en ligne à l'adresse : http://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2017%2003%2017%20Tableau_Mise_en_ligne%20Inventaire%20DDIE%20pour%20site%20internet.pdf
* 13 Voir l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris n° 96PA01320 97PA02252 97PA02270 du 27 avril 1999, dit « Saint-Chéron », et la décision du Conseil d'État du 9 mai 2001 n° 209991 210626.
* 14 Audition du 10 juin 2020.
* 15 Estimation de la commission d'enquête sur la base du nombre de sites listés sur la base de données Basias et du nombre de sites inclus en secteurs d'informations sur les sols.
* 16 Audition du 27 mai 2020.