EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 17 novembre 2020, la commission a examiné le rapport d'information de Mmes Valérie Létard, Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann sur la situation d'Action Logement.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous examinons les conclusions du rapport de la « mission flash » que nous avons lancée le 13 octobre dernier sur l'avenir de la participation des employeurs à l'effort de construction, la PEEC, héritière du « 1 % logement », et la réforme d'Action Logement. Nous avions désigné quatre rapporteures de quatre groupes politiques différents, Mmes Valérie Létard, tout d'abord, qui en est le chef de fil, Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann.
Elles n'ont pas ménagé leur peine. Plus de vingt-cinq auditions ont été organisées dans un laps de temps très court en parallèle de la préparation du budget. Nous avons réussi à obtenir la communication du rapport de l'Inspection des finances après plusieurs demandes insistantes. C'était indispensable pour permettre de disposer d'un maximum d'éléments d'informations.
Cet engagement et cette ténacité ont payé. Le Gouvernement a renoncé à présenter dans le projet de loi de finances un amendement qui l'aurait autorisé à légiférer par ordonnance pour mettre en oeuvre la réforme de son choix, menant ensuite une fausse négociation avec les partenaires sociaux dès lors qu'il aurait eu tout pouvoir...
Fort heureusement, ce ne sera pas le cas, il y aura une vraie concertation maximisant les chances de préserver la PEEC et les ressources en faveur du logement. Mais tout danger n'est pas écarté. Le projet de loi de finances prévoit toujours un prélèvement de 1,3 milliard d'euros sur les ressources du groupe, dont 300 millions de manière récurrente, et les tenants d'une budgétisation de la PEEC et d'un démantèlement du groupe Action Logement n'ont pas désarmé.
Mme Létard, en tant que chef de file, je vous laisse la parole pour nous présenter votre travail.
Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je vous remercie, Madame la Présidente, de vos propos. Notre commission a pleinement joué son rôle en créant cette « mission flash » dans un contexte qui était devenu délétère entre Action Logement et le Gouvernement. Depuis maintenant presque deux ans, on a assisté à une campagne de déstabilisation du groupe. L'application de la loi ELAN a été bloquée comme cela nous a été explicitement dit lors de l'examen du rapport sur l'application des lois pendant le confinement, au printemps 2020. Des décisions ont été bloquées par l'État, à commencer par la nomination d'un nouveau directeur général. À l'été, par des fuites dans la presse et des mises en cause personnelles issues d'un rapport de l'Inspection des finances tenu secret, l'État a laissé entendre qu'il réfléchissait au démantèlement du groupe Action Logement et à une réduction drastique de la Participation des employeurs à l'effort de construction, la PEEC. Un prélèvement historique de 1,3 milliard d'euros sur la trésorerie d'Action Logement a été inscrit dans le PLF 2021 tandis que les partenaires sociaux ont été sommés de proposer une réforme sous la menace du dépôt d'un amendement habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Tout cela formant une véritable stratégie de pression maximale et de passage en force clairement assumée.
Dans ce contexte, il nous a fallu aller vite avec l'objectif de remettre nos conclusions avant le début de l'examen du PLF. C'est ce que nous faisons aujourd'hui, à quatre voix, rappelant l'historique du sujet et détaillant ce que l'on peut penser des reproches formulés contre Action Logement afin de formuler ensuite nos lignes rouges et propositions.
Mme Marie-Noëlle Lienemann , rapporteure . - Nous avons souhaité commencer par l'historique et voir comment les choses ont évolué car cet historique éclaire les enjeux de société que nous avons aujourd'hui. Nous pensons que ce qui a été fait à la création d'Action Logement mérite d'être consolidé car Action Logement, c'est à la fois un héritage à préserver et une réforme à achever.
Je voudrais d'abord insister sur le fait que le « 1 % logement » est né d'une initiative d'un résistant qui était en même temps le patron des Lainières de Roubaix, Albert Prouvost, qui a volontairement créé avec d'autres chefs d'entreprises de cette région un prélèvement de 1 % sur la masse salariale pour résoudre les problèmes de logement de leurs salariés. Cette idée est dans le droit fil du programme du Conseil national de la Résistance qui a demandé la création d'une couverture sociale gérée par les partenaires sociaux et fondée sur des cotisations pour donner des réponses collectives à des demandes individuelles. Lancé en 1943, il a été généralisé par la loi en 1953, quelques mois avant l'appel de l'abbé Pierre qui a mis en exergue la crise du logement dans cette période.
Nous pensons que le « 1 % logement » repose sur un triptyque toujours valable : des contributions des entreprises qui sont un salaire différé ou tout du moins une cotisation sociale, la mise en commun des moyens pour répondre aux besoins et la gestion paritaire. La gestion paritaire du « 1 % logement » a toujours été particulière car c'est le patronat qui dirige les organismes tout en associant très largement les syndicats aux décisions qui le soutiennent de manière quasi unanime.
Depuis longtemps, le ministère des finances a pour objectif d'avoir la maîtrise de la ressource et la direction de cet organisme, ce qui est d'ailleurs un aiguillon pour en améliorer la gestion mais il y a toujours eu une mobilisation forte, politique et sociale, pour préserver la gestion paritaire. À cet égard, il y a eu une réforme importante dans les années 1990 quand on a pris la moitié de la contribution logement pour l'attribuer au Fonds national d'aide au logement (FNAL) et financer les aides à la personne plutôt que les aides à la pierre. C'est une tentation toujours présente aujourd'hui. Ensuite, des prélèvements réguliers de l'État ont été opérés entre 1995 et 2002 pour un montant total de 5,1 milliards d'euros mettant en danger le « 1 % logement ». Deux décisions ont permis de mettre fin à cette crise : la création de l'Union d'économie sociale du logement (UESL), comme tête d'un réseau jusque-là très dispersé, et la signature de conventions quinquennales avec l'État, la première ayant été signée en 1998, sur l'emploi de la PEEC, et par laquelle l'État renonçait à ses prélèvements. Parallèlement, étaient créés des droits ouverts, c'est-à-dire des prestations accessibles à tous, sans passer par une entreprise cotisante comme au préalable. Surtout l'UESL acceptait de financer des politiques publiques et plus particulièrement le renouvellement urbain. À l'origine, le financement devait être à parts égales entre l'État et Action Logement. Au final, le programme national de renouvellement urbain (PNRU) a été financé à 93 % par Action Logement.
Plus récemment, des réformes ont eu lieu, notamment entre 2015 et 2018 à l'initiative des partenaires sociaux. C'est elle qui doit être achevée maintenant puisque certains points débattus à l'époque n'avaient pas été suffisamment pris en compte ou pas appliqués, notamment sa dimension territoriale et la capacité des élus à codécider. Action Logement est aujourd'hui organisé en deux pôles principaux : Action Logement Services (ALS) et Action Logement Immobilier (ALI). ALI gère l'ensemble des entreprises sociales pour l'habitat (ESH). ALS est le seul collecteur et distributeur de la PEEC notamment à travers des subventions et des prêts aux bailleurs sociaux et aux particuliers. Il y a aussi d'autres prestations comme la garantie de loyer VISALE. Les débats portent sur l'articulation de ces structures qui sont formellement indépendantes afin de ne pas privilégier les ESH dont Action Logement est actionnaire. Cette réforme a été mise en oeuvre par une ordonnance qui a été ratifiée lors de la loi ELAN. À cette occasion le Sénat a introduit deux évolutions de la gouvernance pour permettre la participation des élus locaux et pour rendre plus facile la prise de décision au sein du groupe. C'est cette réforme, qui n'a pas trois ans d'existence, qu'il nous faut aujourd'hui consolider.
Mme Viviane Artigalas , rapporteure . - C'est dans ce contexte de la réforme mise en application depuis 2017 que doivent être analysés les reproches formulés contre Action Logement et que l'on peut classer en trois catégories : ceux qui touchent à son essence et à son existence, ceux qui ont trait à la mise en oeuvre de ses engagements et, enfin, ceux qui se rapportent à la structure du groupe.
Au fondement de la campagne menée contre Action Logement, on trouve des reproches qui prennent racine dans des rapports anciens ou plus récents, notamment le rapport Attali pour la libération de la croissance française d'octobre 2010 et celui du Comité action publique 2022 de juin 2018. C'est le fondement même d'Action Logement qui est attaqué. Pour simplifier, il y a trois idées. La première est que la PEEC est en réalité un impôt de production et qu'elle doit être diminuée ou supprimée. La deuxième est que le paritarisme est inefficace et lent, moins à même que l'État ou une agence publique de mener des politiques. Il faut rationaliser : un acteur - une politique. La troisième est que la politique du logement est trop coûteuse, qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une ressource dédiée qui ne démontrerait pas sa pertinence notamment sur le lien logement-emploi.
À ces trois affirmations, dont nous contestons le bien-fondé, s'ajoutent, presque comme leurs illustrations, des reproches d'ordre plus conjoncturel qui seraient liés à la mauvaise exécution de la convention quinquennale et du plan d'investissement volontaire par Action Logement. Ils sont pour l'essentiel développés dans des rapports de la Cour des comptes, de l'Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS), et surtout dans celui de l'Inspection des finances. Ils portent sur les années 2017-2018 et sont aujourd'hui pour partie dépassés. Il me faut ici examiner rapidement cinq points : la collecte de la PEEC, la non-exécution des engagements, les entraves de l'État, la question de la trésorerie et celle de la Gouvernance.
L'IGF propose de confier la collecte de la PEEC aux URSSAF et de la budgétiser pointant un coût excessif. C'est faux. En 2017, si la collecte était 100 % papier, elle est depuis 2019 entièrement dématérialisée. Son coût est de 0,08 % des sommes collectées : 1,5 million d'euros par rapport à 1,9 milliard. Elle emploie 21 personnes. Aucune économie substantielle n'est donc à attendre, en revanche on perçoit bien le danger de l'intégration de la PEEC au budget de l'État...
Concernant les engagements qui ne seraient pas atteints, c'est là aussi largement faux. Si l'on se réfère au « jaune budgétaire », le rapport sur la PEEC du PLF 2021, qui donne les chiffres 2019, les objectifs de la convention quinquennale 2018-2022 sont tous atteints à plus de 90 %, sauf deux : le décaissement des prêts bonifiés à l'ANRU et le prêt accession aux particuliers. Concernant l'ANRU, cela s'explique par le retard du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) : si les subventions sont versées chaque année et nourrissent la trésorerie, les prêts vont avec les programmes qui n'étaient pas lancés. Concernant le prêt accession qui n'était pas assez attractif, Action Logement en a modifié les conditions et selon les dernières données disponibles, il aurait atteint 80 % de l'objectif.
Concernant le Plan d'investissement volontaire, le PIV, qui rappelons-le n'a été lancé que le 25 avril 2019, le constat n'est pas aussi accablant qu'on veut le dire. C'est vrai que concernant l'adaptation au vieillissement des logements et notamment des douches, seuls 4 % de l'objectif sont atteints à la mi-année 2020, mais il ne faut oublier ni les difficultés des derniers mois pour déployer une aide personnelle, ni que l'État s'oppose à une modification de l'âge d'ouverture des droits actuellement fixé à 70 ans, Action Logement estimant que le bon moment serait celui de la retraite. Sur d'autres sujets, ce sont bien les entraves de l'État qu'il faut pointer ayant mis son veto à la capitalisation de filiales immobilières qu'il s'agisse de l'Opérateur national de vente (ONV), de la transformation de bureaux en logements ou de la lutte contre l'habitat indigne.
Bien entendu, dans ces conditions, la trésorerie 2019, pointée comme anormalement élevée à 8,9 milliards d'euros, a été artificiellement gonflée par cette incapacité à dépenser. Le « jaune budgétaire » le reconnaît d'ailleurs. Si l'on va plus loin dans l'analyse, on se rend compte que cette trésorerie est artificiellement globalisée en un seul ensemble alors qu'elle est divisée en plusieurs fonds dans le respect des obligations réglementaires et qu'elle est déjà largement engagée. La trésorerie d'ALI n'est pas plus excessive. Au contraire, elle représente 1,1 mois de loyers, là où il serait préconisé par la fédération des ESH de disposer de 3,5 mois. Enfin, compte tenu de l'effondrement des cotisations à prévoir en 2021 et 2022, on se félicitera certainement de ces réserves pour assurer le financement de l'ANRU ou d'Action coeur de ville par exemple.
Enfin, concernant la Gouvernance, l'IGF dénonce l'existence d'un « comité des confédéraux » où seraient prises un certain nombre de décisions sans l'État. Est-ce si anormal dans un organe paritaire qu'il y ait un lieu d'échange informel entre syndicats ? Par ailleurs, on devrait plutôt s'étonner de l'absence d'application de la « loi ELAN » et notamment de réunion du comité des partenaires.
J'en viens, en dernier lieu, à la troisième série de reproches faits à Action Logement, plus structurels et qui doivent de notre point de vue focaliser l'attention dans la réforme à venir. De l'ensemble de nos auditions et des rapports d'inspection, nous en retenons quatre. Le premier est une « ligne hiérarchique » insuffisamment identifiée qui empêche la fixation d'une stratégie de long terme et ne permet pas à l'État d'avoir un interlocuteur doté de pouvoirs suffisants pour lui garantir le respect de la convention quinquennale, notamment sur le volet des frais de fonctionnement. Le deuxième est le lien avec les entreprises cotisantes et les salariés qui s'est pour partie perdu avec des structures nationales soumises par ailleurs à l'obligation de servir d'autres publics. Le troisième est le lien avec les territoires et les élus qui semble s'être dilué avec la réforme et qui gêne le déploiement des politiques et leur adaptation. Enfin, le quatrième est une interrogation sur les modalités d'intervention entre prêts et subventions. Action Logement a beaucoup développé les prêts, ce qui est pertinent dans bien des cas et permet de lisser ses ressources financières. Mais aujourd'hui que ce soit dans le logement social ou vis-à-vis des particuliers, le contexte de taux bas et la crise économique pourraient conduire à en modifier l'équilibre.
Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur . - Je vais maintenant vous présenter nos « lignes rouges ». En clair, poursuivre la réforme de groupe « oui », le démanteler, il n'en est pas question !
Nous avons trois « lignes rouges ».
Notre première exigence est de préserver la PEEC comme ressource dédiée spécifiquement et uniquement au logement. Au regard des événements depuis 2017, la baisse des aides personnelles au logement (APL), la hausse de la TVA sur le logement social, la réduction de loyer de solidarité, la RLS, tout particulièrement, nous voyons bien la volonté de porter atteinte aux moyens du logement social, de réduire les aides institutionnelles et de pousser les bailleurs vers des financements privés. Comme les partenaires sociaux, nous nous opposons fermement à la budgétisation de la PEEC qui conduirait à la perte de plus d'un milliard par an au profit du logement. Nous refusons de la même manière sa captation indirecte via des prélèvements budgétaires, projet de loi de finances après projet de loi de finances, en violation de la convention quinquennale, comme l'a d'ailleurs admis le rapport de l'IGF, qu'ils soient soutenables ou pas. Nous déposerons donc deux amendements de suppression dans le PLF pour nous opposer aux deux volets du prélèvement de 1,3 milliard d'euros prévu cette année, dont 300 millions d'euros deviendraient récurrents du fait de la non compensation par l'État de l'exonération de PEEC des plus petites entreprises. Nous alertons fortement sur la tentation de baisser le taux de 0,45 % en regardant une trésorerie artificiellement gonflée et forte d'une bonne conjoncture passée, alors que l'avenir s'annonce beaucoup plus difficile avec une hausse rapide et très préoccupante de la pauvreté. Plus encore, nous sommes convaincues de la nécessité de garantir des ressources dédiées au logement pour financer des programmes de long terme, qu'ils soient pilotés par l'État ou les partenaires sociaux.
Notre deuxième exigence est de préserver la gouvernance paritaire. Nous estimons qu'elle est en elle-même une richesse pour notre pays. Il n'est pas neutre de réunir dans le conseil d'administration d'une ESH locale des patrons et des salariés pour gérer le patrimoine commun qu'ils ont financé. De même, chacun de nous peut je crois en témoigner, le patronat est loin de se désintéresser du logement des salariés. Ce n'est pas une idée du passé ! Dans bien des zones tendues, touristiques, littorales, frontalières ou dans les métropoles, il n'y a pas de fonctionnement économique sans logement social ou intermédiaire. C'est toute la place que doit prendre Action Logement. Nous estimons également que les partenaires sociaux doivent avoir une réelle liberté d'action et de décision. Il n'est pas normal que l'État veuille s'immiscer dans tous les détails de la gestion. De même faut-il se prémunir contre une volonté de geler un partage de la PEEC entre ce qui reviendrait à l'État, la part du lion, et ce qui serait laissé aux partenaires sociaux, la portion congrue.
Notre troisième exigence est la préservation et la sécurisation du capital immobilier fort de plus de 1,1 million de logements. Il s'agit d'un patrimoine commun. Il appartient à tous les Français. Il a été construit par près de 70 ans de cotisations. Il est géré de manière dynamique. Représentant moins de 20 % des logements sociaux en France, il va assurer plus de 40 % de la production en 2020 ! Que serait la construction neuve sans Action Logement alors que nous sommes aujourd'hui à un niveau extrêmement bas en raison de la crise ? Préserver ce capital, cela veut dire à ce stade refuser tout démantèlement du groupe ou tout « essorage » des résultats, des retours de prêts ou de la trésorerie qu'il produit, sous prétexte qu'il s'agirait d'une PEEC historique captable par l'État. Nous exprimons enfin la plus grande réserve quant à l'idée de « sécuriser le financement des retraites complémentaires » grâce à ce capital, ce qui, à terme, conduirait vraisemblablement à sa vente. La création d'une fondation, qui avait été évoquée par le rapport Borloo, et qui revient aujourd'hui, est plus que jamais une option à étudier.
Mme Valérie Létard , rapporteure . - Ces « lignes rouges » ayant été posées concernant Action Logement qui est véritablement le coeur du réacteur de la politique du logement dans notre pays, nous soutenons l'idée de la poursuite de la réforme de 2015-2018 mais avec quels objectifs et quelle méthode ?
Le premier objectif est de retrouver la confiance entre l'État et les partenaires sociaux. Cela passe par un bilan actualisé et plus objectif de la mise en oeuvre des engagements d'Action Logement. Cela passe également par le respect par l'État des prérogatives des partenaires sociaux. Il doit se placer comme partenaire et non comme donneur d'ordres. Il doit également respecter sa parole et non pas mener une politique prédatrice et brutale de prélèvements sur les ressources.
La confiance retrouvée passe par une gouvernance plus fonctionnelle, ce serait le deuxième objectif. L'État ne peut pas d'un côté regretter l'incapacité à délivrer des prestations ou à réduire les coûts et de l'autre empêcher la réforme des structures ou mettre son veto dans les conseils d'administrations. Il convient de travailler à une ligne hiérarchique au sein du groupe portant une vision stratégique et garante d'efficacité vis-à-vis de l'État. Ce sera au coeur du dialogue qui va s'engager.
Enfin, le troisième objectif serait de retrouver un meilleur équilibre entre centralisation et financement de politiques publiques d'un côté, et lien emploi-logement et déclinaison sur les territoires, de l'autre côté. L'ADN d'Action Logement reste selon nous l'implication locale des entreprises, des salariés et des élus au service d'un bassin économique. C'est pour nous un axe essentiel à ne pas perdre de vue.
Concernant la méthode pour conduire cette réforme, vous le savez, nous nous sommes opposées à l'habilitation dans le projet de loi de finances. Pour nous, il ne peut être question de négocier sous la menace ni maintenant, ni plus tard !
Fort heureusement, Mme Wargon, ministre déléguée au logement, a entendu notre appel et elle s'est engagée à présenter au printemps, si ce n'est un texte de loi, du moins des articles spécifiques, « en dur », dans un projet de loi qui serait discuté en mars ou avril 2021, ce qui est très rapide.
Nous croyons que la réforme souhaitée ne peut résulter que d'une dynamique partagée et donc d'une vraie concertation menée avec les partenaires sociaux.
Une première étape sera franchie au tournant de cette année avec l'adaptation de Plan d'investissement volontaire à la crise sanitaire et économique et au plan de relance du Gouvernement. Souhaitons que cela se fasse dans un état d'esprit réellement partenarial et pour aboutir à une construction partagée et non décidée unilatéralement.
Nous demandons enfin que dès que possible les élus locaux soient consultés car il ne peut y avoir de politique du logement sans qu'ils soient une partie de la solution. Nous y veillerons spécifiquement.
Enfin, dans les cinq-six mois qui viennent, il nous faudra rester particulièrement attentifs au déroulement de la réforme et préparer son passage au Parlement. C'est pourquoi, nous vous proposons de transformer la « mission flash » en groupe de suivi de la réforme.
Pour conclure, il est important de comprendre qu'à travers Action Logement, c'est un pilier du pacte social de l'après-guerre qui est menacé. Action Logement, c'est une sorte de « fleuron » du paritarisme et du logement social. Grâce à 70 ans de cotisation, le groupe fournit plus d'un million de logements et pèse près de 90 milliards d'euros. Il y a 18 000 salariés. C'est la première foncière en Europe ! Action Logement produira plus 40 % des logements sociaux dans notre pays cette année et fournira plus de 500 000 aides aux salariés ! En ce moment renoncer à un tel outil et aux moyens correspondants serait à l'opposé du bon sens.
Bien entendu, tout n'est pas parfait et nous ne nous opposons pas à une réforme. Mais il n'est pas nécessaire de noircir le tableau. Action Logement est un groupe qui fonctionne et qui peut progresser. Il a déjà fait beaucoup d'effort depuis l'enquête de l'IGF.
Pour nous, il y a vraiment trois grands axes d'amélioration : la Gouvernance avec une ligne hiérarchique plus forte, c'était l'objet de la « loi ELAN », rappelons-le, redévelopper le lien entre l'emploi et le logement et amplifier la territorialisation des politiques menées pour coller au plus près des besoins.
Mais ces améliorations ne doivent et ne peuvent être atteintes qu'en respectant trois conditions : la préservation de la PEEC comme ressource dédiée au logement, le maintien d'une direction paritaire et la protection du patrimoine immobilier constitué en 70 ans. La tentation de garantir les retraites avec ce patrimoine est un danger.
Il est ensuite bien évident qu'aucune de ces améliorations ne peut être atteinte sans confiance et par un passage en force. Il ne peut pas y avoir de réforme sans respect de la place de chacun et sans un vrai dialogue.
Les décisions récentes du Gouvernement, grâce notamment à notre pression, nous laissent espérer qu'il y a vraiment un changement de pied, d'une part en ouvrant l'espace d'une vraie négociation, et d'autre part avec la volonté affirmée d'aboutir dans un texte de loi en bonne et due forme. Mais nous voulons rester vigilantes et nous assurer que le Sénat prenne toute la place qui lui revient.
M. Franck Montaugé . - Je partage totalement les orientations de ce rapport et son insistance sur la notion de « commun ». Je suis convaincu de l'enjeu de le préserver dans la durée et de ne pas le démanteler ainsi que la politique du logement social. C'est fondamental pour notre pays.
Vous avez abordé la question des ventes de logements sociaux qui est une forme de décapitalisation. Je voudrais connaître vos réflexions sur un sujet sur lequel j'ai une vigilance. Par ailleurs, avez-vous pu regarder l'impact de la crise économique sur les collectivités territoriales pour pouvoir investir et accompagner les grands programmes de rénovation, réhabilitation et reconversion ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann , rapporteure . - Sur la vente HLM, nous n'avons pas tous le même avis. Les ESH vendent traditionnellement plus de logements que les offices publics. Il faut distinguer deux volets. Le premier est relatif à la vie normale du patrimoine et aux objectifs de mixité en favorisant l'accession sociale à la propriété. Le second est l'idée de vendre pour compenser la baisse des aides à la pierre du Gouvernement et ainsi financer d'autres constructions. Je suis pour ma part dubitative sur ce deuxième volet. Ce n'est pas la nature du parc social que de fonctionner ainsi. Vendre un logement, c'est souvent être dans l'incapacité d'en reconstruire d'autres en nombre suffisant et dans de bons emplacements et on s'aperçoit souvent que, quelques années plus tard, ils sont loués à des prix bien plus élevés.
Mme Valérie Létard , rapporteure . - La « loi ELAN » a encouragé la vente de logements sociaux en raison de la baisse des ressources. Mais on est pas toujours sûr de pouvoir reconstruire autant de logements et il est paradoxal de devoir vendre des logements sociaux pour en créer alors qu'on en a besoin. Par ailleurs, vendre ces logements peut conduire quelques années plus tard à créer des copropriétés qui vont se dégrader. C'est pour cette raison que nous sommes attachées à garantir un financement stable dans la durée pour protéger les ressources du logement social. C'est particulièrement vrai dans le cadre de la rénovation urbaine où Action Logement finance chaque année alors que l'État n'est pas, lui, au rendez-vous.
Mme Viviane Artigalas , rapporteure . - En effet, la stabilité du financement dans la durée est la clef. C'est notamment le cas dans les programmes de renouvellement urbain dans lesquels les élus doivent s'engager dans le temps long. Ils peuvent devenir prudents s'ils sentent que les crédits publics ne seront pas au rendez-vous du fait des mises en cause contre Action Logement. Or, parallèlement, les finances de l'État ne sont pas au rendez-vous malgré les annonces du Président de la République. Dans le budget 2021, l'État réduit sa contribution à l'ANRU.
Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur . - Lors des débats de la « loi ELAN », le Gouvernement a fixé un objectif de 40 000 ventes par an alors que, dans la réalité, il n'est pas possible de vendre plus de 10 000 logements sociaux par an dans de bonnes conditions. Il faut que les locataires aient la capacité d'acheter et d'entretenir leurs domiciles. C'est également compliqué pour les bailleurs de gérer une copropriété qui se dégrade. Les ventes ne sont en réalité pas un moyen de reconstituer les fonds propres des organismes de logement social.
Mme Marie-Noëlle Lienemann , rapporteure . - Parallèlement à ces ventes que l'on a voulu faciliter, notamment en supprimant l'autorisation que devait donner les maires, se pose la question du soutien à l'accession sociale à la propriété. Je voudrais indiquer ici qu'Action Logement a été empêché de proposer l'aide qui était prévue et qui serait nécessaire pour donner une prime à l'accession et solvabiliser les acheteurs..
Mme Sophie Primas , présidente . - Je souhaiterais que vous présentiez les deux amendements que vous comptez déposer au projet de loi de finances afin que les membres de la commission puissent les cosigner, s'ils le souhaitent.
Mme Valérie Létard , rapporteure . - Le premier amendement vise à supprimer à l'article 24 les dispositions qui mettent fin à la compensation de 300 millions d'euros environ, en faveur d'Action Logement, et correspondant à l'exonération de PEEC des plus petites entreprises.
Le second amendement vise à supprimer l'article 47 qui organise le prélèvement d'un milliard d'euros sur les fonds d'Action Logement au profit du FNAL. Non seulement il ne s'agit pas d'investissement, ce qui éventuellement pourrait s'entendre, mais mettre le doigt dans le financement de l'APL, c'est très dangereux.
Je vous propose le titre suivant pour ce rapport : « Action Logement : non au démantèlement d'un pilier du logement social ».
Le rapport est adopté à l'unanimité.