Rapport d'information n° 439 (2020-2021) de M. Philippe DALLIER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 10 mars 2021
Disponible au format PDF (5,2 Moctets)
-
LES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
-
I. L'ARTICLE 55 DE LA LOI SRU A PRODUIT DES
RÉSULTATS INDÉNIABLES POUR LA PRODUCTION DE LOGEMENTS
SOCIAUX
-
A. LE DISPOSITIF DE LA LOI SRU DÉFINIT UNE
CIBLE DE LOGEMENTS SOCIAUX ET UN RYTHME DE PROGRESSION POUR Y PARVENIR
-
1. L'objectif initial unique de 20 % de logements
sociaux a été accru mais aussi différencié selon la
situation des communes
-
2. Des objectifs de construction triennaux sont
fixés afin d'atteindre la cible de 25 % ou de 20 %
-
3. Des pénalités, potentiellement
majorées, sanctionnent la non-atteinte des objectifs
-
4. Le contrat de mixité sociale ouvre la
voie à une adaptation locale des modalités d'atteinte des
objectifs de la loi SRU
-
1. L'objectif initial unique de 20 % de logements
sociaux a été accru mais aussi différencié selon la
situation des communes
-
B. LA LOI SRU A EU UN EFFET IMPORTANT SUR LE VOLUME
ET LA RÉPARTITION DES LOGEMENTS SOCIAUX...
-
C. ... MAIS CES RÉSULTATS S'ACCOMPAGNENT DE
DISPARITÉS PERSISTANTES
-
A. LE DISPOSITIF DE LA LOI SRU DÉFINIT UNE
CIBLE DE LOGEMENTS SOCIAUX ET UN RYTHME DE PROGRESSION POUR Y PARVENIR
-
II. TOUTEFOIS LA LOI SRU A DÉÇU LES
ATTENTES D'AMÉLIORATION DE LA MIXITÉ SOCIALE
-
III. LA PROLONGATION DE LA LOI DOIT TENDRE À
ENCOURAGER LES COMMUNES QUI CONSTRUISENT
-
I. L'ARTICLE 55 DE LA LOI SRU A PRODUIT DES
RÉSULTATS INDÉNIABLES POUR LA PRODUCTION DE LOGEMENTS
SOCIAUX
-
TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER
-
ANNEXE :
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES
À LA COMMISSION DES FINANCES
N° 439
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 mars 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l' enquête de la Cour des comptes , transmise en application de l' article 58-2° de la LOLF , sur l'application de l' article 55 de la loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain ,
Par M. Philippe DALLIER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, M. Christian Bilhac, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
LES
OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
L'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) est certainement l'un des articles de loi les mieux connus de notre législation.
L'objectif de taux de logements sociaux qu'il a fixé - à l'origine 20 %, aujourd'hui 25 % du nombre de résidences principales dans les communes urbaines - cristallise en effet des enjeux à la fois locaux et nationaux : institué pour assurer une répartition plus équilibrée des logements sociaux sur le territoire national, il constitue une contrainte très forte pour les communes qui n'en comprennent pas toujours le caractère uniforme. Par son impact sur la répartition sociale de la population et sur la politique de l'urbanisme, il touche à des compétences essentielles des communes, dont les ressources financières peuvent aussi être affectées significativement par les sanctions dont il est assorti.
Or, après une relative stabilité de ses modalités au cours des années récentes, il est à présent nécessaire que le législateur se penche de nouveau sur le cadre de l'article 55 de la loi SRU. Au-delà du bilan auquel invite le vingtième anniversaire de la loi, promulguée le 13 décembre 2000, l'approche de l'échéance de 2025 pour l'atteinte des objectifs contraint à une réflexion sur la prolongation du dispositif. Il apparaît clairement, en effet, que ce calendrier a été fixé de manière trop ambitieuse pour de nombreuses communes, indépendamment de leur volonté de respecter la loi.
C'est pourquoi la commission des finances du Sénat a demandé le 20 janvier 2020 à la Cour des comptes, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), de réaliser une enquête sur la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi SRU.
Le président de la cinquième chambre, M. Gérard Terrien, accompagné des magistrats qui ont conduit cette enquête, a présenté à la commission les résultats de cette enquête le 10 mars 2021, dans le cadre d'une audition « pour suite à donner ». À cette occasion, M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, et M. Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé-Pierre, ont été invités à apporter leurs commentaires sur les analyses et les recommandations de la Cour des comptes.
I. L'ARTICLE 55 DE LA LOI SRU A PRODUIT DES RÉSULTATS INDÉNIABLES POUR LA PRODUCTION DE LOGEMENTS SOCIAUX
Le dispositif communément désigné comme l'article 55 de la loi SRU correspond aux articles L. 302-5 et suivants du code de la construction et de l'habitation, modifiés par l'article 55 de la loi SRU 1 ( * ) proprement dit et par plusieurs textes ultérieurs. S'il a été progressivement adapté à certaines conditions locales, il a été surtout renforcé et constitue une contrainte de plus en plus marquée pour de nombreuses communes.
A. LE DISPOSITIF DE LA LOI SRU DÉFINIT UNE CIBLE DE LOGEMENTS SOCIAUX ET UN RYTHME DE PROGRESSION POUR Y PARVENIR
1. L'objectif initial unique de 20 % de logements sociaux a été accru mais aussi différencié selon la situation des communes
Une commune est dite « concernée » lorsqu'elle remplit les critères démographiques qui entraînent l'application des quotas de logements sociaux prévus par la loi SRU.
Les principaux critères d'application de l'article 55
Les communes concernées sont :
- d'une part des communes de plus de 3 500 habitants (ou plus de 1 500 habitants dans l'unité urbaine de Paris) appartenant à des agglomérations ou intercommunalités de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants ;
Il est assigné à ces communes un objectif de constitution d'un stock de 25 % de logements sociaux 2 ( * ) . Cet objectif est limité à 20 % par la loi « Égalité et citoyenneté » 3 ( * ) là où les besoins en logements des personnes à revenu modeste et des personnes défavorisées ne justifient pas un effort de production supplémentaire ;
- d'autre part des communes « isolées » de plus de 15 000 habitants en croissance démographique, même si elles ne se situent pas dans l'un des territoires précités. L'objectif est alors de 20 % de logements sociaux .
La loi « Égalité et citoyenneté » a également introduit des cas d'exemption , sur demande des intercommunalités, soit parce que la commune est mal desservie par les réseaux de transport en commun, soit parce que la demande de logement social y est faible, soit encore parce que plus de la moitié de son territoire urbanisé est inconstructible.
Source : commission des finances
Selon le rapport remis le 27 janvier dernier à la ministre chargée du logement 4 ( * ) par M. Thierry Repentin, président de la commission nationale SRU, que le rapporteur spécial a également rencontré, il ressort de l'inventaire 2019 que 2 091 communes étaient ainsi « concernées » . Parmi elles, 224 étaient exemptées de l'application de la loi, 767 avaient atteint le taux cible de 25 % ou de 20 % et 1 100 étaient donc déficitaires en logements sociaux et astreintes à des obligations de rattrapage (« soumises » à la loi SRU).
Communes concernées par la loi SRU
(en nombre de communes et en pourcentage
des communes
concernées)
Source : commission des finances, à partir du rapport de la commission nationale SRU
2. Des objectifs de construction triennaux sont fixés afin d'atteindre la cible de 25 % ou de 20 %
L'objectif formulé pour l'ensemble des communes en termes de stock est décliné en objectifs intermédiaires par période de trois ans , notifiés à chaque commune afin d'atteindre la cible de 25 % ou de 20 % de logements sociaux au plus tard en 2025.
Les communes qui, en raison de leur évolution démographique, entrent dans le dispositif à compter du 1 er janvier 2015 disposent de cinq périodes triennales pour atteindre l'objectif.
Cet objectif formulé en termes de flux est en outre décliné sur le plan qualitatif : 30 % au moins des logements produits doivent être financés par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) et 30 % au plus (voire 20 % lorsque la proportion de logements sociaux est inférieure à 10 % du parc) par un prêt locatif social (PLS) 5 ( * ) .
3. Des pénalités, potentiellement majorées, sanctionnent la non-atteinte des objectifs
L'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation prévoit qu'un prélèvement annuel est effectué sur les ressources des communes qui n'atteignent pas le taux cible de 20 % ou de 25 % des résidences principales. Les communes qui bénéficient de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSUCS) sont exemptées de ce prélèvement si elles ont une proportion minimale de logements sociaux 6 ( * ) .
Le prélèvement est égal au quart du potentiel fiscal par habitant , multiplié par la différence entre la cible du nombre de logements sociaux (soit 20 % ou 25 % du nombre des résidences principales) et le nombre effectif de logements sociaux existant dans la commune l'année précédente. Il est plafonné à 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune et diminué du montant des dépenses de la commune en faveur de la construction de logements sociaux (notamment subventions foncières, travaux de viabilisation, contribution aux dispositifs d'intermédiation locative, etc.). À titre d'exemple, le prélèvement brut était de 28,2 millions d'euros en 2016 pour la ville de Paris, en raison d'un taux de logement sociaux égal à 19,09 %, mais les dépenses faites par la commune en faveur du logement social lui ont permis de ne subir aucun prélèvement net 7 ( * ) .
Le prélèvement est imputé sur le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et non bâties (TFPNB), de la taxe d'habitation et de la cotisation foncière des entreprises inscrit à la section de fonctionnement du budget des communes concernées.
Lorsque la commune appartient à une intercommunalité bénéficiant de la délégation des aides à la pierre, celle-ci perçoit le produit du prélèvement, qui doit être utilisé pour financer des acquisitions foncières et immobilières en vue de la réalisation de logements locatifs sociaux. À défaut, le produit est versé à un établissement public foncier (EPF) ou, en l'absence d'EPF, au fonds national des aides à la pierre (FNAP) 8 ( * ) ou, en outre-mer, aux fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain.
Par ailleurs, une majoration de ce prélèvement , pouvant aller jusqu'à son quintuplement, peut être instituée lorsque le préfet prend un arrêté de carence à l'encontre d'une commune. La majoration est versée au fonds national des aides à la pierre (FNAP), qui doit l'utiliser pour financer des PLAI adaptés ou des actions d'intermédiation locative dans les communes carencées.
Le carencement , s'il peut être mal vécu localement, semble avoir des effets sur la production de logement social . Selon le géographe Grégoire Fauconnier, les communes carencées à l'issue de la période triennale 2011-2013 ont produit 23 131 logements sociaux entre 2014 et 2016, contre 7 348 au cours de la période précédente, soit un rythme de production multiplié par trois 9 ( * ) .
Le montant des prélèvements nets totaux , une fois déduits les dépenses des communes en faveur du logement social, était selon la Cour de 90 millions d'euros en 2018 et 88,7 millions d'euros en 2019. Sur ce total, le produit de la majoration reversée au FNAP était de 28,3 millions d'euros en 2018 et 27,8 millions d'euros en 2019 10 ( * ) . Le rapport de M. Thierry Repentin, mentionné supra , indique que le montant des prélèvements a atteint 85 millions d'euros en 2020, dont 25 millions d'euros au titre de la majoration. Il qualifie ce coût de « coût de l'inaction », dans la mesure où il s'agit de sommes versées par les communes ne respectant pas les critères de la loi SRU.
4. Le contrat de mixité sociale ouvre la voie à une adaptation locale des modalités d'atteinte des objectifs de la loi SRU
Une instruction du Gouvernement aux préfets du 30 juin 2015 11 ( * ) a tracé le cadre des contrats de mixité sociale , signés entre l'État et les communes carencées volontaires. Ces contrats n'ont pas actuellement de base légale, ce qui crée une certaine incertitude pour leur application.
Le contrat de mixité sociale doit préciser les moyens que la commune s'engage à mobiliser pour atteindre ses objectifs triennaux. Ces moyens peuvent concerner notamment les modifications des documents d'urbanisme. Il constitue également un cadre de négociation pour la mobilisation du contingent de logements sociaux réservés par la commune pour une attribution à des ménages bénéficiant du droit au logement (DALO). Il prévoit enfin des actions d'accompagnement de l'État ou d'autres partenaires.
L'instruction du 30 juin 2015 prévoit en revanche une action plus déterminée de l'État dans les cas où la commune ne souhaite pas s'engager dans une démarche de contrat de mixité sociale . Les préfets sont alors encouragés à utiliser l'ensemble des outils prévus par la loi (droit de préemption urbain, identification de secteurs sur lesquels l'État pourrait accorder des permis de construire à la place du maire, inscription d'une partie du financement des logements sociaux réalisés au budget de la commune carencée...).
La Cour des comptes montre que cet outil, initialement conçu pour les communes carencées, a également été utilisé pour d'autres communes , puisque seules 89 des 213 communes engagées dans un contrat de mixité sociale en cours en 2018 avaient fait l'objet d'un arrêté de carence au cours de la période triennale 2014-2016. Le rapport de M. Repentin, mentionné supra , recommande d'ailleurs de proposer un contrat de mixité sociale à toutes les communes rencontrant des difficultés pour atteindre leurs objectifs, qu'elles soient ou non carencées.
Par ailleurs, l'article 130 de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) 12 ( * ) a introduit le contrat intercommunal de mixité sociale , qui précise notamment les modalités de transfert à une intercommunalité des obligations des communes résultant la loi SRU. Aucune intercommunalité ne s'est toutefois saisie de cette possibilité jusqu'à présent , comme l'a indiqué devant la commission M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages.
B. LA LOI SRU A EU UN EFFET IMPORTANT SUR LE VOLUME ET LA RÉPARTITION DES LOGEMENTS SOCIAUX...
L'Institut des hautes études pour l'action dans le logement (IDHEAL) montre dans une étude parue en février 2020 13 ( * ) que, entre 1999 et 2015, les écarts entre communes au niveau national du point de vue du nombre de logements sociaux ont nettement diminué . Alors que, avant 2000, on distinguait aisément les communes qui ont un fort taux de logement social de celles qui en avaient très peu, aujourd'hui la répartition est plus uniforme sur le territoire national : dans l'ensemble, les communes auraient bien appliqué la loi.
France Stratégie fait un constat proche dans une note publiée le 23 février 2021 14 ( * ) , qui mesure les concentrations de logements sociaux au sein des agglomérations (unités urbaines) : la répartition des logements sociaux « est sensiblement moins inégale aujourd'hui qu'au début des années 1990 » et la loi SRU y a probablement contribué en accélérant la construction de logements sociaux dans les communes où ils étaient les plus rares. Le taux de logements sociaux a ainsi augmenté dans les communes « déficitaires », et ce d'autant plus que leur taux de départ était bas.
Évolution du taux de logements sociaux selon la
situation des communes
vis-à-vis des objectifs SRU en 2004 (base 100
en 1999)
(En pourcentage, base 100 en 1999)
Source : France Stratégie
Une analyse plus fine montre que l'effet est particulièrement net si on considère séparément les communes situées juste au-dessus du seuil de 1 500 habitants qui les assujettit au respect des contraintes , et celles qui ont moins de 1 500 habitants et ne sont donc pas soumises à l'article 55 de la loi SRU : à partir de l'an 2000, les premières construisent nettement plus de logements sociaux que les secondes.
Cette augmentation paraît certes encore insuffisante à la Cour des comptes, qui note que le taux de logements sociaux par rapport au total des résidences principales dans les communes déficitaires « n'a que faiblement progressé », passant entre 2002 et 2016 de 9,1 % à 13,8 % 15 ( * ) .
Il faut toutefois souligner que de nombreuses communes ont joué le jeu et ont fait des efforts importants pour accroître la production de logements sociaux . Les logements sociaux sont mieux répartis entre les communes sur le territoire national, mais aussi entre les quartiers d'une même commune. Ainsi est-il devenu courant que des logements sociaux soient intégrés dans des programmes immobiliers privés : avec le développement de l'achat de logement sociaux en vente future à l'état d'achèvement (VEFA), près de 45 % des logements sociaux sont produits par des acteurs privés, selon le rapport IDHEAL. Ce phénomène, qui constitue une évolution majeure du mode de production des logements sociaux, avait d'ailleurs permis de soutenir le secteur du logement lors de la crise de 2009-2010.
C. ... MAIS CES RÉSULTATS S'ACCOMPAGNENT DE DISPARITÉS PERSISTANTES
Comme le fait observer la Cour des comptes, au constat du bilan global s'ajoute celui des disparités entre communes.
Si les périodes triennales 2014-2016 et 2017-2019 ont vu une production de logements sociaux (188 587 pour la période 2014-2016 et 210 737 pour la période 2017-2019) supérieure aux objectifs fixés au niveau national, cette réussite repose en fait sur une partie seulement des communes . 47 % seulement des communes ont atteint l'objectif quantitatif qui leur avait été fixé pendant la période triennale 2017-2019.
Cette situation est régulièrement soulignée par la fondation Abbé-Pierre qui constate une mise en application variable selon les territoires et une utilisation partielle des outils de sanction dont disposent les préfets.
De fait, le nombre de communes carencées , par rapport à celui des communes n'ayant pas atteint leurs objectifs, est passé de 41 % pendant la période triennale 2014-2016 à 46 % pendant la dernière période 2017-2019 : la progression est réelle mais les préfets font le choix de limiter les constats de carence.
En outre, même lorsqu'une commune fait l'objet d'un arrêté de carence, il est rare que le préfet prononce le quintuplement des prélèvements ou reprenne le contrôle des autorisations d'urbanisme. La Cour des comptes relève que, à l'issue de la période triennale 2014-2016, 9 des 264 communes carencées ont fait l'objet d'un quintuplement du prélèvement, alors que 43 d'entre elles n'ont fait l'objet d'aucune majoration.
II. TOUTEFOIS LA LOI SRU A DÉÇU LES ATTENTES D'AMÉLIORATION DE LA MIXITÉ SOCIALE
Lors de la présentation et de la discussion de la loi SRU, la mixité sociale paraissait indissociable de la « solidarité » mentionnée dans l'intitulé de la loi, c'est-à-dire de la production équilibrée de logements sociaux dans toutes les communes - et pas seulement dans celles qui avaient, au moment du vote de la loi, une population peu ou moyennement favorisée. « Il n'y aura pas de mixité sociale et urbaine et d'équilibre social de l'habitat sans réalisation de logements sociaux là où il y en a peu ou pas du tout », proclamait ainsi l'exposé des motifs du projet de loi 16 ( * ) . La difficulté consiste toutefois à définir la mixité sociale.
A. LA MIXITÉ SOCIALE NE PEUT SE MESURER PAR UNE SIMPLE RÉFÉRENCE AU TAUX DE LOGEMENT SOCIAL
La manière la plus simple de mesurer l'évolution de la mixité sociale est de prendre comme référence le taux de logement social, objectif principal de la loi SRU.
La Cour des comptes note ainsi l'augmentation relativement faible du taux de logements sociaux (voir supra ) tout en constatant l'absence de consensus parmi les spécialistes sur la définition de la mixité sociale.
C'est également cette approche qui ressort de la présentation budgétaire : le programme budgétaire 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », qui porte notamment des crédits consacrés au logement social, compte ainsi parmi ses objectifs celui de « promouvoir la mixité sociale au sein des agglomérations au travers de la mixité de l'offre » 17 ( * ) . Cet objectif est mesuré par l'évolution du taux de logements sociaux dans les communes concernées.
Cette assimilation de la mixité sociale au taux de logements sociaux de la commune ne permet toutefois pas d'appréhender de manière adéquate la complexité de la notion de mixité sociale :
- d'une part, la mixité doit être appréciée non seulement au niveau d'une commune, mais aussi entre les différents quartiers d'une commune (voire au sein des quartiers eux-mêmes) et les différentes communes d'une agglomération ;
- d'autre part et surtout, le taux de logements sociaux n'est qu'un indicateur très imparfait des inégalités sociales et de niveau de vie.
C'est ce type d'approche que certains travaux récents ont tenté de mettre en oeuvre, à défaut d'indicateur budgétaire réellement consacré aux effets de la loi SRU sur la mixité sociale.
B. DANS UNE APPROCHE PLUS FINE DE LA MIXITÉ SOCIALE, LA LOI SRU N'A PRODUIT QUE DES RÉSULTATS TRÈS RÉDUITS
Or ces travaux permettent de constater les effets très réduits, pour ne pas dire inexistants, de la loi SRU sur la mixité sociale , au-delà des chiffres bruts d'accroissement du parc locatif social.
Selon le rapport IDHEAL précité, la ségrégation 18 ( * ) en fonction des revenus , mesurée par l'inégalité de répartition des 20 % de ménages les plus pauvres entre les communes au niveau national, a progressé de 9 %, alors même que la répartition des logements sociaux était plus équilibrée. Comme le conclut le rapport, « les ménages les plus pauvres sont davantage entre eux et isolés du reste de la population ».
Les auteurs de l'étude de France Stratégie, pour leur part, constatent que la ségrégation des plus modestes est restée stable entre 2012 et 2018, malgré l'amélioration de la répartition des logements sociaux. Cette étude adopte un point de vue différent de celle d'IDHEAL, puisqu'elle mesure les inégalités entre quartiers au sein des agglomérations concernées par la loi SRU, et non les inégalités entre les communes de l'ensemble du territoire national. Les auteurs concluent que « globalement, la baisse rapide de l'indice de ségrégation des logements sociaux, c'est-à-dire leur meilleure répartition, ne semble donc pas s'être traduite par une meilleure répartition des ménages les plus modestes ».
En d'autres termes, la loi SRU ne paraît pas avoir eu un effet sur les concentrations de pauvreté dans certains quartiers des grandes agglomérations.
Les explications sont complexes.
L'IDHEAL constate une divergence entre le parc privé (locataires et propriétaires-occupants) et le parc social : la concentration de pauvreté augmente dans les logements sociaux, alors que les ménages les plus modestes sont de moins en moins présents dans le parc privé. Le même rapport formule l'hypothèse que le rattrapage dans les communes « bonnes élèves » de la loi SRU s'est en fait réalisé en bonne partie par la construction de logements sociaux tels que ceux financés par des prêts locatifs sociaux (PLS), destinés aux classes moyennes et non aux ménages les plus modestes. De fait, les ménages logés dans les HLM plus anciens sont plus souvent pauvres et les nouveaux entrants sont souvent plus riches que les locataires anciens, d'autant que la mobilité au sein du parc social est faible.
France Stratégie évoque plusieurs hypothèses :
- les quartiers comprenant une forte proportion de logements sociaux pourraient s'être paupérisés ;
- des logements sociaux pour personnes modestes pourraient avoir été construits dans des quartiers qui étaient déjà peuplés de ménages modestes logés dans le parc privé, ce qui peut être le cas notamment lorsque le parc privé est réhabilité et transformé en logement social ;
- de manière plus générale, le profil des nouveaux logements sociaux correspond souvent au profil des quartiers dans lesquels ils sont implantés : des ménages relativement aisés s'installent ainsi plutôt dans des quartiers relativement aisés que dans des quartiers pauvres. Cette explication est souvent avancée par des sociologues ;
- enfin, les procédures d'attribution pourraient privilégier les ménages habitant à proximité, de sorte que la construction de logements sociaux n'aurait pas, par elle-même, d'effet sur la composition sociale du quartier . Cette explication semble assez bien correspondre aux données existantes.
Ces éléments suggèrent que la loi SRU ne peut être le seul outil pour favoriser la mixité sociale.
M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, s'est d'ailleurs opposé devant la commission à la fixation d'objectifs de mixité sociale explicites dans le cadre de la loi SRU, au motif que le dispositif avait pour objectif de mieux équilibrer la répartition des logements sociaux sur le territoire, mais qu'elle ne constituait pas un levier d'action suffisant à l'égard de la mixité sociale pour qu'on puisse l'évaluer de manière précise à cet égard. La mixité sociale dépend par exemple des politiques d'attribution de logements sociaux, de la localisation des logements sur le territoire communal, du niveau des loyers ou de la part de l'accession sociale à la propriété.
III. LA PROLONGATION DE LA LOI DOIT TENDRE À ENCOURAGER LES COMMUNES QUI CONSTRUISENT
A. LES OBJECTIFS DE LA LOI SRU NE SERONT PAS ATTEINTS EN 2025
Il est désormais acquis que, dans un grand nombre de communes, le taux cible de 25 % ou de 20 % de logements sociaux ne sera pas atteint en 2025 .
La Cour des comptes, en extrapolant les tendances actuelles, indique que le taux moyen des communes actuellement déficitaires n'atteindrait que 18,5 % en 2030.
Selon le rapport de M. Thierry Repentin et de la commission nationale SRU, seules 80 communes, soit 8 % des communes déficitaires, atteindraient le taux légal à l'horizon 2025 dans un scénario de production « moyen » (c'est-à-dire en projetant la poursuite des tendances observées entre 2011 et 2018) et 315 dans un scénario « haut ». Plus précisément, dans le scénario moyen, 19 % des communes soumises au taux de 20 % atteindraient leur objectif, mais seulement 4 % des communes soumises au taux de 25 %. Il faudrait de 11 à 30 ans pour qu'une commune soumise au taux de 25 % atteigne son objectif.
De la même manière, l'indicateur budgétaire, mentionné supra , relatif au taux de logement social dans les communes concernées par la loi SRU n'est jamais atteint, année après année, de sorte que, plus l'échéance de 2025 approche, plus la progression qu'il serait nécessaire de suivre au cours des années à venir pour atteindre l'objectif paraît irréaliste.
Taux de logements locatifs sociaux
dans les communes
soumises au taux de 25 %
(En pourcentage du nombre de résidences principales)
Source : commission des finances, à partir des rapports annuels de performance 2016 à 2020
B. L'ARTICLE 55 DE LA LOI SRU DOIT DONC ÊTRE PROLONGÉ AVEC DES MODALITÉS MIEUX ADAPTÉES AUX CONDITIONS LOCALES
1. L'échéance doit être repoussée au-delà de 2025 et son calendrier doit être aménagé
Plusieurs propositions ont été faites concernant la prolongation du mécanisme défini par l'article 55 de la loi SRU.
M. Thierry Repentin, avec la commission nationale SRU, a formulé deux propositions à la ministre chargée du logement :
- soit un objectif « glissant » : il s'agirait de fixer non pas une échéance fixe comme dans le système actuel (en l'occurrence l'année 2025), mais un rythme de rattrapage par période triennale, qui serait d'autant plus élevé que la commune est éloignée du taux cible de 20 % ou de 25 % ;
- soit une échéance fixe , comme dans le mécanisme existant, mais plus tardive et déterminée en fonction du taux actuel de logements sociaux dans les communes concernées. En pratique, les communes disposeraient donc d'une à quatre périodes triennales supplémentaires pour atteindre le taux de 20 % ou 25 % de logements sociaux.
Le rapporteur spécial s'est interrogé sur la possibilité de fixer plutôt des objectifs en termes de flux , c'est-à-dire que la contrainte pèserait sur le nombre de logements sociaux rapportés au nombre de logements créés au cours d'une période.
La Cour des comptes écarte cette proposition en considérant qu'elle ne permettrait pas d'atteindre l'objectif de mixité sociale.
Or les objectifs actuels fixés en stock présentent des défauts bien connus . Ils sont particulièrement difficiles à atteindre dans des zones très denses où le foncier disponible est rare, voire inexistant. En outre la construction de logements sociaux augmente aussi le stock sur lequel est calculé la proportion de logements sociaux, de sorte que l'effort réel est plus important que celui qui semble ressortir d'un examen sommaire des chiffres. En outre, le parc privé peut augmenter dans le même temps, les besoins en logement ne se limitant pas au logement social, ce qui rend encore plus difficile l'atteinte du taux cible.
L'objectif est donc incertain car il n'est pas possible de savoir à l'avance quelle sera l'évolution du parc privé, voire celle du parc social qui dépend de l'action des bailleurs sociaux. Or une commune comprenant de nombreux habitants aux revenus modestes est pénalisée par une augmentation de l'objectif de construction de logements sociaux si elle construit en même temps des logements diversifiés, alors même qu'elle peut contribuer ainsi à améliorer sa mixité sociale.
Alors que l'avant-projet de loi dit « 4D » (« différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification ») prévoyait simplement de repousser à 2031 l'échéance de 2025, M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, a indiqué devant la commission que la ministre chargée du logement avait l'intention d'y inclure les propositions de M. Repentin. C'est donc l'objectif « glissant » qui est proposé à la discussion parlementaire dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
2. Les modalités doivent être mieux adaptées aux conditions locales
Le rapporteur spécial considère indispensable de mieux prendre en compte les conditions locales.
La Cour des comptes souligne ainsi que les critères d'application de la loi SRU prennent insuffisamment en compte les besoins en termes d'équipements et d'aménagement induits par l'accueil des habitants. Une production volontariste n'est par ailleurs pas adaptée à la demande en zone détendue.
Elle rappelle les difficultés de type « double peine » rencontrées au niveau local : une commune perdant la ressource de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) voit en plus son objectif de construction SRU passer de 20 % à 25 % 19 ( * ) ; les sanctions réduisent encore les ressources que la commune pourrait consacrer à la construction de logements sociaux ; comme indiqué supra , la construction de logements sociaux augmente le parc existant, ce qui accroît donc l'objectif à atteindre.
L'adaptation aux conditions locales est aussi l'un des points sur lesquels insiste le rapport de la commission nationale SRU. Dans ses propositions, l'objectif triennal pourrait être réduit lorsqu'un contrat d'objectifs et de moyens , correspondant à l'actuel contrat de mixité sociale, serait conclu entre le préfet, la commune et l'intercommunalité pour une durée de 6 ans. Le taux pourrait à l'inverse être modulé à la hausse lorsque la commune a démontré sa capacité à l'atteindre. Les intercommunalités pourraient également mieux impliquées dans ces contrats.
La Cour des comptes propose elle aussi de s'appuyer sur le contrat de mixité sociale pour accorder à certaines communes une application différenciée du calendrier d'atteinte du taux de logement sociaux.
Le contrat de mixité sociale devrait ainsi être l'outil permettant de mieux prendre en compte les situations locales . Un renforcement de son rôle pourrait nécessiter un meilleur encadrement législatif.
Par ailleurs, le mécanisme d'exemptions fait aussi l'objet de propositions. Selon M. Repentin, le critère d'exemption pour faible tension du marché du logement pourrait être étendu à toutes les communes, car sa limitation actuelle aux unités urbaines de plus de 30 000 communes est difficilement compréhensible. Quant au critère de la desserte par les transports collectifs, il n'implique pas nécessairement un manque d'attractivité de la commune.
La Cour des comptes constate également les difficultés d'interprétation et d'application des critères d'exemption, notamment celui relatif à l'insuffisante desserte en transports en commun et celui relatif à l'inconstructibilité.
En termes de mixité sociale , le rapporteur spécial considère que les obligations de construction de logements sociaux devraient être adaptées à la composition sociale existante de la commune : dans certaines communes, le taux de pauvreté résulte de la population résidant dans des logements sociaux mais aussi dans le parc privé, de sorte que l'augmentation du nombre de logement sociaux peut, à partir d'un certain seuil, aller à l'encontre de l'objectif de mixité sociale.
C'est dans cet esprit que le Sénat avait adopté en juillet 2018 sur sa proposition, lors de l'examen du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN), un amendement tendant à appliquer le taux de 20 % aux communes bénéficiant de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et dans lesquelles le taux de pauvreté des ménages dépasse les 25 % dans le parc locatif 20 ( * ) . Si ce dispositif n'a pas été conservé à ce moment-là par la commission mixte paritaire, le problème qu'il visait demeure entier.
Par ailleurs la Cour des comptes suggère d'examiner la possibilité de mutualiser les objectifs de la loi SRU à l'échelle de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) . Il ne s'agirait pas de supprimer la contrainte au niveau communal, mais de moduler le calendrier d'atteinte des objectifs selon les communes, sous la condition d'une implication de la structure intercommunale et l'intégration de cette prolongation dans le contrat de mixité sociale.
Cette proposition ne fait pas l'unanimité. Devant la commission, tant le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages que le directeur des études de la fondation Abbé-Pierre ont mis en garde contre un risque d'affaiblissement de la loi SRU par une extension du périmètre sur lequel seraient appréciés les critères. C'est le cas tout particulièrement dans des régions, telles que l'Île-de-France ou Provence-Alpes-Côte d'Azur, où la tension sur le logement social est forte, et où elle ne saurait être résolue en demandant un effort plus important aux communes qui ont déjà un taux élevé de logements sociaux.
Le géographe Grégoire Fauconnier craint également que cette proposition n'accroisse encore la complexité de la mesure : « la multiplication des cas de figure induite par cette mesure risque de se traduire par une multiplication des contestations et des litiges qui pourrait in fine affaiblir le socle du dispositif et accentuer le sentiment d'injustice » 21 ( * ) . Or la Cour souligne elle-même non seulement le nombre des litiges, mais leur connaissance insuffisante par l'administration centrale qui ne dispose pas de statistiques précises les concernant.
C. LA POLITIQUE DU LOGEMENT SOCIAL DOIT S'APPUYER SUR LES ACTEURS LOCAUX
1. Les mécanismes de sanction ne doivent pas conduire à décourager les communes mettant en oeuvre une politique du logement volontariste
D'une manière générale, le rapporteur spécial appelle à ne pas décourager les maires qui construisent .
À cet égard, les prélèvements ont un effet incitatif fort, mais l'accroissement des sanctions risquerait de rater son objectif lorsque des contraintes locales constituent des raisons objectives à la difficulté d'atteindre les objectifs.
Le montant des prélèvements SRU a déjà augmenté de manière considérable, selon les données de la Cour des comptes : alors qu'ils étaient inférieurs à 30 millions d'euros par an en 2011 et 2012, ils atteignaient 51 millions d'euros au milieu des années 1990 et 90 millions d'euros en 2018 et 2019.
Or la non-atteinte des objectifs ne résulte pas toujours d'une mauvaise volonté. D'autres facteurs entrent en jeu : manque de foncier, demande pour du logement privé qui rend plus difficile l'accroissement du taux de logement sociaux...
M. Repentin attire en outre l'attention, comme le fait régulièrement le rapporteur spécial, sur les coûts induits par les efforts entrepris par les communes pour respecter ces critères : l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), qui n'est que partiellement compensée par l'État. Le rapporteur spécial partage à cet égard le souhait du président de la commission nationale SRU que cette part non compensée soit évaluée, suivie, et comparée au montant du prélèvement opéré sur les communes déficitaires.
Pour mémoire, la durée d'exonération de TFPB est de 25 ans pour la construction d'un logement social neuf, voire de 30 ans pour les constructions respectant certains critères de qualité environnementale. Le coût pour les communes et les groupements à fiscalité propre des exonérations de TFPB en faveur du logement social était estimé à 524 millions d'euros en 2019 22 ( * ) .
Au total, certaines communes pourraient même avoir intérêt à ne pas construire de logement social, trouvant moins coûteux de payer les pénalités SRU . M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, a confirmé devant la commission, lors de l'audition « pour suite à donner », que le risque d'« optimisation financière » pointé par M. Repentin existait effectivement.
Il convient toutefois de faire observer que le calcul, pour la commune, ne peut pas être uniquement financier : lorsqu'une commune est carencée, elle ne fait pas seulement l'objet de prélèvements majorés, elle perd aussi certaines prérogatives urbanistiques comme le droit de préemption, voire le droit d'accorder les permis de construire 23 ( * ) .
2. L'atteinte des objectifs dépend aussi des bailleurs sociaux
Enfin, si l'État impose un haut niveau de production de logement sociaux, il n'en crée pas les conditions .
Le rapporteur spécial s'interroge à cet égard sur l'objectif très ambitieux affiché par le Gouvernement de création de 250 000 logements sociaux en deux ans.
Si le Gouvernement espère peut-être atteindre une partie de cet objectif par un « effet rebond », avec le déblocage de dossiers non aboutis pendant l'année 2020, la capacité des bailleurs sociaux à lancer des opérations plus importantes en 2021 et en 2022 qu'au cours des années précédentes dépend de leurs capacités de financement.
Or celles-ci ont été amputées depuis 2018 avec la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), comme l'a souligné le directeur des études de la fondation Abbé-Pierre lors de l'audition « pour suite à donner ».
La Cour des comptes elle-même a récemment 24 ( * ) critiqué la complexité et le manque de lisibilité du dispositif , entraînant une charge de travail et donc des coûts de gestion supplémentaire pour les bailleurs sociaux qui doivent notamment identifier les bénéficiaires de la RLS qui ne sont pas allocataires des aides personnalisées au logement (APL), ce que la réforme dite de contemporanéisation des APL, entrée en vigueur le 1 er janvier dernier, rend encore plus difficile.
Surtout, elle rappelle que la réduction de loyer de solidarité qui, en dépit de son intitulé, est quasiment neutre pour les locataires de logements sociaux, constitue une perte nette de recette locative pour les bailleurs, estimée par la Cour à 4,5 % des rendements locatifs. La RLS affecte donc directement le modèle de financement de la construction de logement social , qui repose sur les prévisions de recettes locatives futures.
Ainsi, l'autofinancement du secteur HLM a diminué, conduisant à une réduction des investissements . Les premiers effets se traduisent par un retard d'engagement des bailleurs dans le nouveau programme de rénovation urbaine (NPNRU), mais aussi, comme s'en est inquiété le rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 25 ( * ) , par une diminution de 7 % en valeur des dépenses d'entretien et de gros entretien. Or ces économies à court terme pourraient être porteuses de besoins d'investissements beaucoup plus importants à moyen et long terme, ce qui risquerait de réduire encore la capacité des bailleurs à financer de nouveaux logements .
Le rapporteur spécial craint que l'ensemble de ces difficultés ne facilite pas l'atteinte des objectifs de la loi SRU , que ce soit en 2025 ou dans les nouveaux délais qui pourraient être fixés.
TRAVAUX
DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER
Réunie le mercredi 10 mars 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).
M. Claude Raynal , président . - Notre commission a demandé à la Cour des comptes, par une lettre du 20 janvier 2020, de lui remettre un rapport sur la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).
À l'heure où le projet de loi « 4D » - pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification - pourrait contenir des mesures prolongeant la loi SRU, la conclusion de vos travaux est du plus haut intérêt pour le Parlement, et tout particulièrement pour le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales. Tout le monde sait que de nombreuses communes n'atteindront pas leurs objectifs en 2025, donc la question est celle des conclusions que l'on en tire, en particulier au niveau législatif : prolonger la loi telle quelle, fixer de nouveaux objectifs, mieux adapter les modalités en fonction des situations locales...
La Cour des comptes est représentée par le président de la cinquième chambre, M. Gérard Terrien, accompagné des magistrats qui ont conduit cette enquête. Nous avons décidé, avec le rapporteur spécial Philippe Dallier, de convier également à cette audition « pour suite à donner », d'une part le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, M. François Adam, puisque son administration est destinataire des 9 recommandations faites par la Cour ; d'autre part la fondation Abbé Pierre, représentée par son directeur des études, M. Manuel Domergue, en qualité de « grand témoin » des politiques du logement. La Fondation s'exprime régulièrement au sujet de la loi SRU, par exemple dans son rapport annuel sur l'état du mal-logement.
M. Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes. - La Cour a été saisie de ce dossier il y a un an, et si le contexte sanitaire a compliqué notre tâche, rendant difficiles des visites sur place, nous avons réalisé une soixantaine d'entretiens avec les administrations, les bailleurs, les associations, la Caisse des dépôts et consignations, et nous nous sommes intéressés à cinq territoires en particulier : les Hauts-de-Seine, le Nord, la Charente-Maritime, les Alpes-Maritimes et le Val-de-Marne. Un travail préalable de la cinquième chambre nous a aidé.
La loi du 31 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) a considérablement évolué, avec la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, pour laquelle l'abbé Pierre était venu au Parlement, la loi du 5 mars 2007, dite loi DALO, instituant le droit au logement opposable, la loi « Duflot » du 18 janvier 2013, la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), la loi Égalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017 et la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). La loi SRU concerne près de 8 000 communes et un peu plus de 2 000 communes entrent dans le champ de l'article 55. Un millier d'entre elles n'atteignent pas le taux requis de logements sociaux et 280 sont dites « carencées » dans le triennal 2017-2019. Le montant des prélèvements nets totaux approche 100 millions d'euros chaque année. Cependant, la répartition territoriale montre une forte concentration du mécanisme sur les régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Nous avons constaté que le dispositif était désormais reconnu quant à ses objectifs et son efficacité : si la majorité de nos interlocuteurs souhaitent des adaptations, l'article 55 de la loi SRU n'est pas remis en cause dans son principe. Les services de l'État se sont beaucoup impliqués dans la mise en oeuvre de la loi. Nous constatons aussi un effet indéniable sur la production de logements sociaux : plus de la moitié des logements sociaux construits entre 2014 et 2016 l'ont été dans les communes soumises à la loi SRU. En Île-de-France, le nombre de communes disposant de logements locatifs sociaux était de 593 en l'an 2000 et de 691 en 2019. Cependant, la construction HLM n'a représenté en moyenne dans cette région que 18 % à 40 % de la construction neuve : il n'y a donc pas de rattrapage. Nous constatons également un effet beaucoup plus modéré sur la mixité sociale. En outre les résultats sont inégaux selon les communes : la moitié seulement des communes ont atteint l'objectif fixé. L'objectif pour 2025 ne sera pas atteint pour la moitié des communes, d'où les débats qui conduisent à la préparation de mesures dans la loi « 4 D ».
Dans le fonctionnement même du dispositif, nous avons constaté une recherche d'équilibre entre les principes légaux et la prise en compte des contraintes locales. Nous avons remarqué combien la production de logement a changé depuis vingt ans. Nous constatons encore, et c'est un point de différence avec le rapport de Thierry Repentin, une contradiction entre les compétences confiées aux intercommunalités en matière de logement, et la responsabilité reconnue au maire dans l'application de la loi SRU.
Cette loi a été appliquée de façon uniforme dans toutes les zones urbaines. Les spécificités locales ont été insuffisamment prises en compte, alors qu'il y a de fortes disparités, en particulier dans la pression foncière ou les contraintes limitant la constructibilité, sans parler des questions de peuplement. Les modalités de construction du logement locatif social ont fortement évolué elles aussi : la vente en état futur d'achèvement (VEFA) a pris de l'ampleur, avec des conséquences directes sur le financement, mais aussi sur la mixité des projets et les délais de réalisation.
Les modifications apportées pour plus de souplesse ont rendu l'ensemble parfois bien complexe. On le voit dans le recensement des communes soumises à la loi SRU, dans l'extension de l'inventaire des logements pris en compte. S'agissant des exemptions, l'indicateur de tension de la demande de logement social est fondé sur l'enregistrement national des demandes, lequel est erroné à 20 %, nous l'avons montré dans notre rapport public de 2020 ; de même, la notion de desserte des transports en commun vers le bassin d'emplois est relative et les contraintes de constructibilité sont difficiles à apprécier.
Nous avons aussi noté les difficultés du suivi et du bilan triennal, dès lors qu'on mêle des critères quantitatifs et qualitatifs relatifs à la nature des logements, avec des difficultés de conciliation entre eux et des arbitrages qui ne sont pas uniformes, provoquant des difficultés d'ajustement triennal. Enfin, l'établissement de la liste des communes carencées a constitué un enjeu important, dès lors qu'elle a eu un impact fort pour les communes concernées. Il faut donc que la loi précise la doctrine des exemptions et la gestion des reports d'une période triennale à la suivante.
Du côté du contrôle, nous estimons qu'il faut adapter les outils à la complexité du dispositif et à la diversité des acteurs. La bonne application de l'article 55 de la loi SRU mobilise les services de l'État. Le contentieux a progressé, il s'est complexifié et il faut mieux le suivre à l'échelon national car l'administration centrale ne dispose pas de toutes les informations, afin de mieux appréhender les adaptations éventuelles. Nous pensons qu'il faut aussi un ancrage régional, avec une expertise et un appui technique de niveau régional, alors que cette expertise et cet appui sont départementaux ou nationaux. Il faut améliorer les outils de suivi et le contrôle de la chaîne financière, le mécanisme d'intégration des données et il y a des difficultés avec le calcul des indices de tension. Il faut bien suivre l'utilisation du prélèvement qui est versé aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), en précisant mieux le champ des dépenses déductibles de ces prélèvements. Enfin, si les moyens légaux de coercition existent, comment peuvent-ils être mis en oeuvre concrètement, en particulier lorsqu'ils consistent à faire reprendre par le préfet la compétence du permis de construire, ce qui suppose des moyens techniques dont il ne dispose pas nécessairement ? Il faut être pragmatique, la solution est aussi à rechercher du côté des retours d'expérience et de la diffusion des bonnes pratiques. Il faut aussi une harmonisation nationale, en clarifiant l'articulation entre la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), les services déconcentrés et la commission nationale SRU : l'organigramme est complexe. Il faut également plus d'adaptation à l'échelon local, en promouvant, nous semble-t-il, l'échelon régional, pour un appui technique et de l'expertise.
Nous avons enfin tenté d'anticiper l'échéance de 2025, sachant qu'environ 600 communes n'atteindront pas leurs objectifs légaux, ce qui implique d'adapter les règles. Les services déconcentrés de l'État sont pragmatiques, ils recherchent les solutions adaptées, en privilégiant le qualitatif ou le quantitatif selon les cas de figure, avec des problèmes de suivi des plans locaux de l'habitat (PLH). Notre rapport montre que même si l'objectif était de 20 %, plus de 100 communes ne l'atteindraient pas. Nous pensons qu'il faut rechercher une adaptation, en affinant la connaissance, par territoire, des situations difficiles, et mieux prendre en compte l'objectif de mixité sociale. La meilleure prise en compte des spécificités locales passe aussi par la contractualisation, avec les contrats de mixité sociale, par une approche intercommunale, mais aussi par un calendrier différencié pour tenir compte de certaines difficultés.
La principale adaptation consisterait donc à mieux prendre en compte les caractéristiques des communes carencées, intercommunalité par intercommunalité, et à avoir une application plus différenciée, sans changer le cap national. L'objectif de mixité sociale devrait conduire à une réflexion au-delà de 2025, qui intègre la démographie et les évolutions potentielles de la répartition territoriale.
Nous avons retenu 9 recommandations, qui s'adressent au ministère du logement : préciser la doctrine en matière de mécanisme d'exemption et de gestion des reports ; assurer le suivi des contentieux au plan national ; développer un rôle d'expertise au plan régional, d'harmonisation et d'appui technique au profit des services déconcentrés ; améliorer les outils de recensement et de suivi des situations locales ; inscrire l'obligation de rendre compte de l'emploi des sommes issues des prélèvements SRU pour les établissements publics de coopération intercommunale et pour les établissements publics fonciers et donner à l'État la possibilité d'agir en cas d'usage non conforme des crédits ; préciser, au niveau national, les conditions d'utilisation des moyens de l'État en cas de carence en assurant une diffusion des éléments de doctrine, ainsi qu'une information sur les expériences, les initiatives positives ; établir, dans la perspective de 2025, une projection précise de l'identité des caractéristiques des communes susceptibles de ne pas remplir leurs objectifs ; intégrer, dans l'enquête annuelle de suivi, des indicateurs pour mieux apprécier l'évolution de la mixité sociale ; enfin prévoir, pour certaines communes, une application différenciée du calendrier d'atteinte du taux de logements sociaux, en valorisant les objectifs de mixité sociale.
M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - Merci pour cette enquête et ce rapport qui tombent à point nommé, avant le texte « 4 D » : c'est ce que nous espérions en vous passant commande, car nous savions que bien des communes n'atteindraient pas leur objectif légal en 2025, et que les meilleurs bâtisseurs pourraient se décourager des efforts qu'ils avaient faits.
Nous vous avons demandé de vérifier si les intentions du législateur ont été respectées, de voir comment l'État a mis en oeuvre le dispositif sur le terrain et comment les élus s'en sont saisis.
La loi, en 2000, avait deux objectifs : la construction et la mixité sociale - le premier a pris le pas sur le second, dont on ne parle plus guère. Depuis vingt ans, les règles ont changé : le législateur a renforcé les objectifs, les pénalités, les pouvoirs du préfet, mais aussi assoupli les exemptions, les possibilités de déroger, voire de gérer les objectifs à l'échelon intercommunal, les contrats de mixité sociale ont été prévus, qui ont cependant pu fixer des objectifs inférieurs à ceux de la loi, donc accepter une application à géométrie variable. Le paradoxe est que si l'on a durci et assoupli la loi pour mieux l'appliquer, les objectifs qu'elle a fixés ne seront, malgré tout, pas atteints.
Le constat d'ensemble, c'est que si l'on a construit plus de logements sociaux, pour atteindre ainsi les objectifs triennaux, la mixité sociale n'a pas été améliorée. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder de plus près, à l'échelle des territoires. Si, dans certaines communes, la mixité sociale n'a pas progressé parce qu'on a construit des logements en prêts locatifs sociaux (PLS) plutôt qu'en prêts locatifs d'accession et d'insertion (PLAI), dans d'autres communes, par exemple dans mon département, la simple construction de logements sociaux supplémentaires pose des problèmes au regard de la mixité. C'est ce qu'indique l'indice de ségrégation territoriale : il se dégrade, malgré la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi SRU. Une politique de logement qui ne joue que sur le taux de construction peut-elle assurer une meilleure mixité ? Quel bilan faites-vous d'une trop faible utilisation des contrats de mixité sociale ? Nous avons des objectifs quantitatifs, ne faudrait-il pas un deuxième indicateur, par exemple le revenu médian par habitant ?
Nous savons, ensuite, combien l'application de la loi a varié sur le territoire, ce qui conduit à ce que 280 communes soient aujourd'hui carencées. J'ai rencontré Thierry Repentin, président de la commission nationale SRU, et son rapport démontre que sur 2 091 communes visées par l'article 55 de la loi SRU, 1 100 sont déficitaires, contre 767 qui ont atteint l'objectif légal - et que plus de 500 communes sont à plus de dix points de l'objectif, c'est considérable. L'écart ne sera pas rattrapé, ou bien il faudrait construire 600 000 logements sociaux d'ici 2025 dans ces seules communes, ce qui est bien sûr impossible.
Que faire pour continuer à construire des logements dans ces communes, mais avec des objectifs réalistes et atteignables ? Plusieurs hypothèses ont été formulées, sans que l'on sache celle que retiendra le Gouvernement dans son projet de loi « 4 D ». Un simple report à 2031 suffirait-il ? Je ne le crois pas. Thierry Repentin propose soit un objectif glissant, avec un rythme de rattrapage par période triennale, soit une échéance fixe mais plus tardive et déterminée en fonction du taux de logements sociaux déjà atteint. Une proposition différente serait de travailler sur les flux plutôt que seulement sur les stocks ; la Cour des comptes a écarté cette hypothèse, considérant qu'elle ne répondrait pas à l'objectif, mais est-ce si sûr ? Il me semble que cette proposition rapprocherait de l'objectif.
Un autre élément va jouer : la suppression de la taxe d'habitation et les exonérations de taxe foncière dont bénéficient les bailleurs sociaux et qui sont en fait payées par les communes puisque l'État ne les compense quasiment plus. Thierry Repentin a fait remarquer qu'avec les règles actuelles, une commune carencée aurait avantage à construire du logement privé pour percevoir de la recette fiscale qu'elle utilisera ensuite pour payer les sanctions pour manque de construction sociale...
Sur les intercommunalités, la loi a prévu des expérimentations, mais le mécanisme est manifestement complexe ; qu'en pensez-vous ?
Enfin, on peut être surpris que l'État ne suive pas mieux les contentieux, alors qu'il y aurait certainement des leçons à en tirer.
M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. - Le rapport de la Cour des comptes a donné lieu à de nombreux échanges. Nous en partageons les conclusions et recommandations, avec quelques réserves cependant sur les recommandations 8 et 9, c'est-à-dire sur le suivi de la mixité sociale et sur le rôle à confier aux intercommunalités. Il faut renforcer les capacités de suivi et d'harmonisation des situations locales, c'est un enjeu bien identifié, même si la Cour des comptes relève la forte implication des services de l'État dans le suivi. Je rappellerai aussi l'importance que la ministre du logement accorde au dispositif SRU et à son application rigoureuse : c'est le sens de l'augmentation du taux de carencement des communes dans le triennal 2017-2019. La ministre souhaite que le projet de loi « 4 D » règle précisément le fonctionnement dans l'après 2025, sur la base des propositions de la commission Repentin.
La seule construction de logements sociaux ne suffit pas à créer de la mixité sociale ; la loi n'avait du reste pas cette perspective au départ, mais celle d'encourager une production plus élevée en volume et mieux répartie sur le territoire - et cet objectif est atteint pour une bonne part. En réalité, la mixité sociale est le résultat et relève de bien d'autres leviers que la seule construction, en particulier des politiques d'attribution, de la localisation fine dans le territoire communal, du niveau des loyers, de la part de l'accession sociale, autant d'éléments qui ne sont pas dans la loi SRU. Faut-il, dans ces conditions, un indicateur de mixité sociale pour mesurer l'efficacité de cette loi ? Je suis réservé, car on mesurerait un résultat sur lequel on manquerait de levier d'action, et si l'outil paraîtrait plus complet, il en serait moins fiable. Attention, pour l'évaluation, à ne pas fixer des objectifs pour lesquels on ne dispose pas de levier direct d'action.
Les disparités territoriales sont fortes, vous l'avez dit, et le Gouvernement prévoit d'inscrire dans le projet de loi « 4 D » un mécanisme inspiré du rapport Repentin, avec un dispositif glissant plutôt qu'un simple report. Le texte est en préparation, l'intention de la ministre est bien de régler précisément l'après-2025.
La question de la fiscalité est délicate. C'est un sujet connu qui prend une acuité plus forte avec la suppression de la taxe d'habitation. Il n'y a pas, pour le moment, de proposition pour faire évoluer ce point qui a été évoqué dans le débat au Sénat sur la production de logement. Le risque d'optimisation financière, rapporté par Thierry Repentin, existe effectivement.
Le rôle des intercommunalités est un sujet très délicat, la réponse ne saurait être définitive car les intercommunalités évoluent rapidement. La loi SRU est parvenue à des résultats très positifs en se fondant sur la responsabilité des communes, cet aspect est central dans la relation entre le préfet et les élus. La loi a autorisé, à titre expérimental, de choisir le cadre intercommunal plutôt que communal, mais avec des conditions précises, le Gouvernement étant resté prudent pour ne pas affaiblir la loi SRU ; aucune intercommunalité ne s'en est saisie à ce jour et il me semble peu probable que le projet de loi « 4 D » aille plus loin dans le sens d'une « intercommunalisation », sauf peut-être via la contractualisation dès lors que l'EPCI est responsable du PLH et qu'il peut être délégataire des aides à la pierre.
Enfin, nous sommes tout à fait d'accord avec la recommandation de renforcer le suivi national des contentieux.
M. Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé Pierre. - Merci pour votre invitation. Je constate que nous menons un vrai débat sur la loi SRU, loin des échanges de points de vue caricaturaux qui avaient lieu il y a quelques années encore. Le débat gagne en qualité avec le temps, la loi SRU apparaît de plus en plus comme une bonne loi parce qu'elle est simple, comprise par nos concitoyens, et qu'elle fixe un objectif commun ; elle est intelligente, parce qu'elle a su s'assouplir et laisser des marges de manoeuvre pour l'application ; elle mobilise l'opinion et je rappelle que l'abbé Pierre était venu en personne la défendre au Parlement. Cependant, l'article 55 ne résout pas tous les problèmes de la société française et c'est déjà un très bon résultat que d'avoir conduit à construire des logements sociaux dans des communes qui n'en avaient pas. Car l'objectif en la matière n'est pas seulement la mixité sociale, mais les conditions de logement de ceux qui vont bénéficier des logements construits, qui sont de bonne qualité et bien gérés, mieux répartis sur l'ensemble du territoire. Parmi les outils développés au gré des adaptations, les objectifs ciblés et qualitatifs, exprimés en logements PLAI et PLS, ont été très utiles face aux contournements de la loi ; ces objectifs qualitatifs ne sont intervenus cependant qu'en 2013 et leur incidence n'a donc pu être mesurée que dans le dernier triennal, après une certaine tolérance envers l'irrespect de la loi au cours de la première période triennale.
En réalité, il n'y a pas assez de nouveaux logements PLAI et l'on doit bien constater que les politiques d'attribution reposent souvent sur un accord implicite pour accueillir en priorité les ménages habitant déjà la commune et pour ne pas accueillir ceux qui sont les plus pauvres. Le sociologue Fabien Desage démontre bien que les arrangements locaux empêchent en réalité l'attribution des nouveaux logements sociaux aux ménages les plus pauvres, ce qui explique qu'en dépit des constructions neuves, l'indice de ségrégation sociale continue de se dégrader. Dans les outils de suivi et de régulation, il faudrait en réalité inclure la production de locaux privés - nous le faisons à travers la base des permis de construire Sitadel, qui établit l'usage du foncier par les communes et qui montre que dans bien des cas, si l'on peine à dégager du foncier pour des logements sociaux, on en trouve pour des locaux privés.
Il y a des cas limites, en particulier en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA). On est certes partis de loin, mais avec le laxisme du préfet, un écosystème local, une contestation explicite de la loi SRU par les élus locaux, par la majorité départementale voire régionale, l'État peine à faire appliquer la loi et se trouve un peu comme un professeur face à tellement de mauvais élèves qu'il hésite à punir toute la classe. Et comme, faute d'ingénierie et de volonté politique, l'État ne reprend pas la compétence urbanisme en cas de carence, comme la loi l'autorise à le faire, il ne va pas au bout de la sanction, y compris avec les communes qui sont carencées depuis vingt ans et qui, dans ce délai, ont vu leur taux de logements sociaux diminuer.
Nous avons, à la fondation Abbé Pierre, beaucoup travaillé avec la commission nationale SRU et nous nous associons au rapport de Thierry Repentin. Nous avons prévenu que l'échéance de 2025 ne serait pas tenue et qu'il fallait anticiper. Un dispositif pérenne avec un objectif glissant va dans le bon sens, à partir du moment où on le dote d'une « clause du dernier pas », car une commune pourrait toujours voir l'horizon reculer sans jamais l'atteindre tout en respectant les objectifs glissants ; comme le recommande la Cour des comptes, il convient en l'espèce d'avoir des objectifs différenciés, justement pour traiter de tels cas.
La définition des objectifs à l'échelle intercommunale ne nous semble pas une bonne idée, car les maires ont beaucoup de compétence en matière de logement, même si, en théorie, les intercommunalités développent les leurs. En réalité, sur la production et l'attribution, ce sont les maires qui ont la main, il est donc sain que le maire soit au centre du mécanisme SRU. Le travail remarquable fait par l'intercommunalité du Grand Poitiers, cependant, ne saurait servir d'exemple pour des communes comme Nice ou Cannes, car la situation n'y est pas du tout la même, du simple fait qu'il n'y a pas de tension sur le logement social à Poitiers, alors qu'elle est très vive sur la Côte d'Azur. Il faut donc faire attention dans les comparaisons.
Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques sur les crédits du logement . - Je partage le propos de Philippe Dallier. L'application de la loi SRU pointe rituellement les difficultés en Île-de-France et en PACA. Certes, l'arithmétique ne joue pas en notre faveur, mais il faut voir d'où nous partons, le défaut de stratégie foncière qui a perduré pendant des décennies ; aujourd'hui, je ne connais pas un maire qui refuse de faire du logement social, la situation est bien différente d'il y a quelques années, je l'ai vue changer comme maire-adjointe au logement de Nice, où je rencontrais fréquemment des collègues farouchement opposés au logement social, disposés à payer les pénalités plutôt qu'à construire, et qui me disent aujourd'hui vouloir programmer du logement social pour leurs administrés. Pour certaines communes, le rattrapage est compliqué, d'autant que l'objectif a été relevé, et il faut aussi tenir compte des contraintes géographiques, de la protection de l'environnement, de la loi littoral, des risques sismiques... Il faut bien voir, aussi, que les communes attractives gagnent nécessairement en démographie, donc en logements privés, ce qui augmente encore le nombre de logements sociaux à construire pour se conformer à l'article 55 de la loi SRU - sans compter que la construction de nouveaux logements implique la réalisation d'équipements collectifs et d'infrastructures. L'objectif de 25 % ne sera donc pas atteint dans certaines communes, c'est clair.
La commission des affaires économiques a créé un questionnaire, qui sera mis en ligne sur le site du Sénat, pour permettre aux maires de nous faire remonter leurs difficultés à appliquer la loi, afin d'en tenir compte dans le projet de loi « 4 D ». Enfin, outre le logement social, on devrait aussi s'intéresser aux logements abordables pour les salariés, car les besoins sont importants. Dans la loi ELAN, nous avions intégré les logements à bail réel solidaire (BRS) dans le quota des logements sociaux : ne pourrions-nous pas faire de même pour les logements intermédiaires ?
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - En dépit de la loi SRU, la mixité sociale n'est pas atteinte partout. Ne faudrait-il pas prendre en compte aussi le parc privé, aux côtés du parc social ? Lorsqu'un locataire achète son logement, celui-ci change de statut et n'est plus comptabilisé dans le parc social. Pourtant, son occupant reste le même et ses revenus n'ont pas changé.
De même, pour atteindre les objectifs de la loi, ne pourrait-on pas, outre la construction, encourager davantage la rénovation ou la reconstruction de bâtiments existants ? On ferait ainsi d'une pierre deux coups avec les objectifs de la transition énergétique.
M. Michel Canevet . - Je partage les conclusions de la Cour des comptes sur la nécessité de prendre en compte de manière plus spécifique la situation des communes: Certaines communes, en raison des regroupements forcés opérés par les préfets à la suite de la loi NOTRe, se sont retrouvées en infraction avec la loi SRU. Dans certains territoires où l'attachement à la propriété individuelle est très fort, il est difficile de construire brutalement un grand nombre de logements sociaux, et de trouver des locataires. On risque de déstabiliser le marché local et d'aboutir à des aberrations.
Je soutiens aussi l'objectif de mixité sociale. Nous ne sommes pas capables de produire assez de logements sociaux publics pour atteindre nos objectifs. Pourquoi ne pas associer davantage le privé ? On pourrait envisager de mobiliser en faveur du logement l'épargne des Français qui a été accumulée pendant la crise.
Enfin, la fondation Abbé Pierre estime que l'on compte 300 000 mal-logés en France, mais combien ne veulent pas changer de logement ?
M. Thierry Cozic . - L'article 55 a eu des effets positifs sur la production de logements sociaux, en dépit de disparités selon les régions. Les maires ont parfois été accusés de ne pas jouer le jeu, notamment par la ministre du logement l'année dernière, pourtant ils ont fait de gros efforts.
La décision visant à faire supporter aux bailleurs sociaux le coût de la baisse des aides personnalisées au logement a pesé sur leur capacité d'investissement. À cela s'ajoute le désengagement financier de l'État : baisse des aides à la pierre, modalités de compensation de l'exonération de taxe foncière pour les logements sociaux, baisse du budget de l'Agence nationale de la rénovation urbaine, suppression de la taxe d'habitation, etc. Cela ne risque-t-il pas de nuire à la réalisation d'objectifs nationaux toujours plus ambitieux ?
M. Claude Raynal , président . - La réponse est dans la question...
M. Didier Rambaud . - Le terme « logement social » fait peur et suscite bien des fantasmes. Nul candidat n'annonce dans son programme électoral qu'il veut réaliser plus de logements sociaux. Ils disent plutôt l'inverse et le premier réflexe d'un nouveau maire, comme à Bordeaux ou Lyon, est souvent d'arrêter les programmes de construction en cours. Il faut aussi reconnaître que la loi SRU ne s'est pas accompagnée d'une hausse de la mixité sociale.
Depuis le vote de la loi SRU, l'intercommunalité s'est développée. Il faut encourager la mise en place d'un nouveau couple entre les intercommunalités et les services déconcentrés de l'État. Je pense que les maires y sont prêts, dès lors qu'ils conservent le pouvoir d'attribution des logements.
Mme Christine Lavarde . - Le rapport met en évidence la décorrélation entre une compétence logement, qui relève des intercommunalités, et un calcul des seuils SRU et des pénalités, réalisé au niveau des communes. C'est nier les héritages et les réalités spatiales : certaines communes abritaient les usines et les ouvriers étaient logés à la périphérie, tandis que la commune centre faisait vivre le territoire par les retombées de son activité économique. On doit raisonner de manière globale à l'échelle du territoire, penser ensemble le développement économique et le logement.
Il ne suffit pas non plus de penser de manière quantitative mais aussi qualitative ; il faut prendre en considération la qualité des logements : un F5 n'est pas un studio, pourtant ils sont pris en compte de manière identique dans le calcul.
M. Sébastien Meurant . - Je m'exprime en tant que praticien du logement. Lorsque j'étais maire, j'ai souhaité faire un parcours résidentiel pour les habitants. Comme les prix du logement ont explosé en Île-de-France, les gens ne peuvent plus se loger. Les jeunes partaient, la population déclinait, et à leur suite, les services et les commerces. Le coût du logement social est lié au coût du foncier, et en région parisienne, il devient plus cher que le logement privé existant. Faut-il développer à tout prix le logement social : l'objectif ne devrait-il pas être que chacun ait un toit ? Les élus locaux sont prudents, car la population ne souhaite pas de nouvelles constructions. Pourtant les besoins augmentent : divorces, décohabitation, etc. Il faut aussi évoquer l'immigration : lorsque l'on accueille 400 000 personnes par an, qui se concentrent de surcroît dans certaines régions, il faut bien les loger ! L'essentiel est de construire. Une bonne loi doit être applicable et non remplie de bonnes intentions. Certaines communes n'ont plus d'espace constructible. Il faut aussi tenir compte des bassins de vie. Or le Val-d'Oise est en marge de tous les plans de développement de l'État. La loi SRU est inapplicable. Le bilan triennal ? Mais quel programme immobilier peut être réalisé en trois ans ? De plus, les permis de construire sont souvent contestés, de manière abusive souvent. Il faudrait aussi traiter cette question.
M. Christian Bilhac . - L'objectif de la loi, assurer la mixité sociale, n'est pas remis en cause, mais l'application de la loi soulève parfois des problèmes. Certaines communes ont choisi de ne pas respecter la loi en construisant des résidences de luxe afin de payer l'amende grâce au bénéfice dégagé. C'est inacceptable. Mais dans l'Hérault ou les Alpes-Maritimes, certaines communes n'ont simplement plus de terrains constructibles : zones inondables, restrictions des zones constructibles en raison des schémas de cohérence territoriale, etc. Inutile de faire l'autruche, certaines communes ne pourront jamais atteindre le quota de la loi SRU. Pourquoi ne pas réfléchir alors à un seuil de logements sociaux plus élevé, 35 % par exemple, dans les nouvelles constructions ?
J'attire aussi l'attention sur la situation des communes rurales : les bailleurs sociaux ne souhaitent pas construire dans ces communes, car les petits programmes coûtent trop cher à réaliser. Ne pourrait-on pas employer le produit des pénalités à financer l'ingénierie dans ces communes ?
Enfin, je rejoins aussi notre rapporteur général : est-il normal qu'un logement social acheté par son locataire sorte du quota ? Bref, je plaide pour davantage de pragmatisme.
Mme Isabelle Briquet . - Je veux aussi mettre l'accent sur la nécessité de prendre en compte l'aspect qualitatif des logements, l'état du parc existant et des loyers pratiqués. C'est important pour définir la part des logements PLAI et PLS dans les nouveaux programmes, notamment dans les zones détendues.
La suppression de la taxe d'habitation et l'exonération de taxe foncière pour le logement social font peser un grand risque sur la construction de logements sociaux.
M. Jean-Marie Mizzon . - Je partage les recommandations de la Cour des comptes. La septième vise à établir une projection précise de l'identité et des caractéristiques des communes susceptibles de ne pas remplir leurs objectifs en 2025. Est-ce pour graduer les pénalités ? Dans certaines communes, toute la surface communale disponible est déjà construite, à l'exception des zones Seveso ou inondables. On ne peut pas atteindre l'objectif de la loi, sauf à surconstruire. Ne mettons pas au pilori des communes qui ne peuvent pas atteindre les objectifs de la loi en raison de leur situation objective.
M. Jean-Michel Arnaud . - Les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet) vont probablement réduire les capacités de production dans les zones détendues et rurales, car ils limitent les zones constructibles dans ces aires. Il conviendrait de trouver une solution pour permettre la construction de logements sociaux. Dans les Hautes-Alpes, 70 % des habitants sont éligibles au logement social, mais il y a pénurie. De plus, les Hautes-Alpes sont classées en grande partie en zone C. De ce fait, on ne trouve pas, dans les zones touristiques, d'opérateur privé désireux d'ouvrir les programmes de logements neufs, destinés à des investisseurs, à du logement social pour loger les populations permanentes. Dans les zones détendues, il faudrait donc imaginer de nouveaux outils et créer de nouveaux zonages pour faciliter la création des programmes mixtes pour loger ceux qui travaillent sur place ou les plus démunis.
M. François Adam . - Vous avez bien décrit les contraintes qui s'accumulent en région PACA dans certains territoires. Vous avez aussi souligné l'inertie de la politique du logement. Si la construction de logement social a été négligée pendant longtemps, il faut du temps pour tenir les objectifs de la loi SRU.
Faut-il fixer des objectifs en matière de logements abordables ? La loi ELAN prévoit que les PLH de certaines agglomérations doivent comporter des objectifs de production de logement intermédiaire. Le ministère du logement est favorable à la production de logement intermédiaire, et la prolongation du dispositif Pinel va en ce sens. L'enjeu est d'éviter tout effet d'éviction par rapport au logement social. Je rappelle aussi que selon les critères du logement social, 70 % de la population française y est éligible.
La loi SRU a permis de construire des logements sociaux de qualité. Les bailleurs sociaux savent construire des programmes de qualité et le logement social n'est plus perçu comme du logement dégradé.
Nous manquons de recul sur l'impact du dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS) sur les bailleurs car il ne date que de 2018. Il nous semble toutefois que la situation des bailleurs reste saine et qu'ils peuvent investir. Leurs engagements pris en 2019 dans le cadre du pacte d'investissement pour le logement social signé avec l'État en témoignent. Il me semble que le référé de la Cour des comptes confirme cette appréciation.
Il est vrai qu'il y a une différence entre un deux-pièces et un cinq-pièces, mais, pour être applicables, les critères doivent rester simples et lisibles. La répartition des logements doit faire l'objet d'une discussion au niveau local entre les partenaires. Il semble toutefois difficile d'intégrer cette dimension dans le dispositif SRU, car ce serait trop complexe.
Vous avez évoqué les zones de redynamisation urbaine, qui ne sont souvent pas soumises aux obligations de la loi SRU en raison de leur population, mais il y a du logement social dans ces zones. Certains bailleurs interviennent en zone rurale et savent réaliser des programmes adaptés. Le Fonds national des aides à la pierre peut contribuer au financement.
L'équilibre entre constructions neuves et rénovation est un vrai sujet. Dans le projet de loi Climat et résilience, le Gouvernement proposera des objectifs ambitieux pour réduire l'artificialisation des sols. Mais la réalisation de logements sociaux peut aussi consister en des opérations d'acquisition-rénovation ou en des acquisitions d'immeubles sans travaux. Les bailleurs savent acheter des immeubles pour les transformer en logement social dans un cadre urbain contraignant. Cette voie devrait sans doute prendre de l'ampleur dans les territoires urbains où le foncier est rare.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Mais cela coûte plus cher !
M. François Adam . - C'est vrai.
M. Manuel Domergue . - L'idée de moduler les objectifs de la loi SRU en fonction de la taille des logements est souvent avancée, mais c'est très difficile. La loi SRU n'est pas un PLH ! Il serait absurde que la loi détermine le pourcentage de logements en fonction de leur surface, sans compter que les besoins de logements sociaux concernent surtout de petites surfaces.
Nous sommes pour la montée en puissance des intercommunalités pour les politiques de logement et d'attribution. Mais si on appliquait la loi SRU à l'échelle des intercommunalités, on la viderait de son contenu, chacune la respecterait ! Peut-être faut-il raisonner, dans les grandes métropoles, à l'échelle des arrondissements : les communes limitrophes du XVI e arrondissement de Paris se plaignent d'être sanctionnées au titre de la loi SRU, alors que ce dernier n'est pas pénalisé, car il bénéficie de la mutualisation avec les arrondissements où les logements sociaux sont plus nombreux. Si Paris respecte la loi SRU, l'indice de ségrégation est élevé entre arrondissements. Il en va de même à Marseille ou Lyon.
Notre but n'est pas de faire que du logement social : seules 1 035 communes ne respectent pas la loi et il manque simplement 600 000 logements sociaux. De même, si nous sommes attachés à prendre en compte uniquement les logements sociaux, et non d'autres formes de logements comparables, c'est pour éviter que les logements des marchands de sommeil ne soient considérés comme des logements sociaux, même si leurs locataires y seraient éligibles au vu de leurs conditions de ressources. De même, on ne peut pas assimiler les logements Pinel ou PLI (Prêt locatif intermédiaire) à des logements sociaux - les conditions ne sont pas les mêmes au regard des loyers, des ressources, de la gestion, etc. La loi SRU permet déjà d'inclure le parc privé à vocation sociale en cas de conventionnement avec l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), sous certaines conditions, ou les logements BRS, mais cela ne concerne que quelques centaines de logements.
De même, un logement social qui a été vendu à son occupant n'appartient plus au parc social, même si son occupant reste le même, car il n'est plus remis en location. Donc ne confondons pas la loi SRU avec un PLH pour ne pas complexifier. Quant à l'argument de la densité, la ville de Paris a réussi à passer de 12 % de logements sociaux en 2001 à 24 % aujourd'hui, tout en améliorant la qualité des logements, grâce, en partie, à des opérations d'acquisition-amélioration.
On ne peut que déplorer l'incohérence de l'État qui veut sanctionner davantage, mais qui, dans le même temps, coupe les vivres aux opérateurs. La Cour estime ainsi dans un référé récent que la RLS est une usine à gaz, avec des effets négatifs sur la production de logements sociaux, même si les bailleurs peuvent être en bonne santé financière. Le Gouvernement risque d'avoir beau jeu de reporter la responsabilité sur les élus locaux ou les bailleurs si les objectifs de la loi ne sont pas atteints, et réciproquement ! Il importe pourtant que tout le monde tire dans le même sens.
M. Gérard Terrien . - Vous avez évoqué l'association du secteur privé au secteur social. Notre rapport montre que la vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) est une piste et, d'ailleurs, celle-ci se développe fortement.
La question des 300 000 mal-logés, dont 40 000 sans-abri, relève d'autres politiques publiques, mais je ne pense pas qu'ils ne souhaitent pas être relogés...
L'intercommunalisation semble une piste intéressante, mais il ne faut pas vider la loi SRU de son sens. Notre recommandation n o 7 ne vise pas à stigmatiser les communes qui ne respectent pas leurs objectifs, mais à comprendre pourquoi.
La construction et la mixité sociale ne relèvent pas du même temps, ni des mêmes politiques. La mixité relève aussi des questions d'éducation, de sécurité, etc. Quant à la RLS, la Cour vient de rendre un référé sur ce sujet, mais la question est vaste et nous entraînerait trop loin aujourd'hui...
M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie.
La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Philippe Dallier.
ANNEXE :
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES
À LA
COMMISSION DES FINANCES
Consultable uniquement au format PDF
* 1 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
* 2 Le taux était de 20 % antérieurement à la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.
* 3 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, article 97.
* 4 Rapport de la commission nationale SRU sur les évolutions de la loi SRU après 2025 , 27 janvier 2021.
* 5 Parmi les prêts finançant la production de logements sociaux, le PLAI finance les logements destinés aux ménages les plus modestes et le PLS les logements destinés à des ménages plus favorisés.
* 6 Cette proportion minimale, en application de l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation, est respectivement de 20 % ou de 15 % selon que la commune est soumise au taux de 25 % ou de 20 % de logements sociaux.
* 7 Site « Transparence logement social » , ministère de la Cohésion des territoires.
* 8 Selon les réponses apportées aux questionnaires budgétaires, le FNAP, en tant que bénéficiaire de dernier rang, n'a reçu ces derniers années qu'un montant de l'ordre de 400 000 euros au titre des prélèvements SRU hors majoration, ce qui indique que la plus grande partie des prélèvements sont reversés à des établissements locaux.
* 9 Grégoire Fauconnier, Loi SRU et mixité sociale : le vivre ensemble en échec ? , Omniscience, 2020.
* 10 Le montant du prélèvement principal reversé au FNAP en tant que bénéficiaire de dernier rang est très réduit en comparaison (499 422 euros en 2020, selon le rapport annuel de performance).
* 11 Instruction du Gouvernement du 30 juin 2015 relative au renforcement de l'application des obligations pour les communes soumises à l'article L. 302-5 du CCH à l'issue du bilan de la quatrième période triennale 2011-2013, BO 2015-13 du 25 juillet 2015.
* 12 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.
* 13 Kevin Beaubrun-Diant et Tristan-Pierre Maury, IDHEAL, 20 ans après, la loi SRU a produit une « mixité de façade(s) » , 4 février 2020.
* 14 Pierre-Yves Cusset, Clément Dherbécourt et Alban George, Point de vue : la meilleure répartition des logements sociaux a-t-elle fait progresser la mixité sociale ? , France Stratégie, 23 février 2021.
* 15 La Cour reprend un calcul du géographe Grégoire Fauconnier https://politiquedulogement.com/2020/06/loi-sru-un-objectif-inaccessible/ ), qui mesure la moyenne des taux des communes concernées, indépendamment de leur population : il ne s'agit donc pas de l'évolution du taux global de logements sociaux dans la partie du territoire national concernée par l'article 55 de la loi SRU.
* 16 Projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains , texte n° 2131 déposé à l'Assemblée nationale le 7 février 2000.
* 17 Mission « Cohésion des territoires », projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2021.
* 18 Un indice de ségrégation ne mesure pas le niveau absolu des inégalités, mais leur concentration dans certaines parties du territoire. Il permet par exemple de constater si les ménages à bas revenus sont concentrés dans un nombre limité de communes ou, au contraire, répartis de manière équilibrée sur l'ensemble du territoire. Il peut effectuer la même mesure pour d'autres grandeurs, telles que le statut d'occupation (parc privé ou parc social).
* 19 Plus précisément, comme vu supra, l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation prévoit qu'une commune bénéficiant de la DSU est exemptée du prélèvement SRU si elle comprend au moins, selon son emplacement, 20 % ou 15 % de logements sociaux. En conséquence, la perte du bénéfice de la DSU expose cette commune à subir le prélèvement si son taux de logements sociaux n'est pas, selon son emplacement, de 25 % ou de 20 %.
* 20 Projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), amendement n° 659 rectifié , déposé le 16 juillet 2018 par M. Philippe Dallier et plusieurs de ses collègues.
* 21 Grégoire Fauconnier, L'application de l'article 55 de la loi SRU (rapport Cour des comptes) , 29 mars 2021.
* 22 Calcul commission des finances du Sénat, à partir du rapport au Parlement sur le coût pour les collectivités territoriales des mesures d'exonération et d'abattement d'impôts directs locaux, en application de l'article 33 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques.
* 23 Ce constat fait dire à Grégoire Fauconnier que « dans ces conditions, l'idée reçue selon laquelle les élus récalcitrants préféreraient « payer des amendes plutôt que de construire des HLM » ne tient plus » en raison du renforcement progressif du cadre d'application de la loi SRU.
* 24 Cour des comptes, Premiers constats tirés de la conception et de la mise en oeuvre du dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS) , référé, envoyé aux ministres le 22 décembre 2020 et publié le 5 mars 2021.
* 25 Philippe Dallier, Projet de loi de finances pour 2021 : Cohésion des territoires - Logement et ville , rapport spécial annexé au rapport général n° 138 (2020-2021), fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020.