EXAMEN EN COMMISSION
___________
Réunie le mercredi 24 mars 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport d'information de M. Bernard Jomier et Mme Florence Lassarade sur les orientations et la gouvernance de la politique de santé environnementale.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous examinons les conclusions du rapport d'information sur les orientations et la gouvernance de la politique de santé environnementale.
Mme Florence Lassarade , rapporteure . - Sept Français sur dix sont convaincus que l'environnement a un impact sur la santé. En Europe, d'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 12 % des décès et 13 % des pathologies sont liés aux expositions environnementales.
Ces chiffres, issus de différentes enquêtes, montrent à quel point les enjeux liés à la santé environnementale sont ancrés dans notre quotidien et suscitent des préoccupations croissantes, tant les facteurs de risque sont, dans certains cas, imperceptibles. La crise sanitaire sert d'accélérateur dans cette prise de conscience : elle révèle l'impact que la dégradation des écosystèmes peut avoir sur la santé humaine et met à jour nos vulnérabilités face à l'émergence des zoonoses.
Elle donne chair au concept « One Health » - « une seule santé » - qui associe santé humaine, animale et végétale et renouvelle l'approche contemporaine de la santé environnementale.
En France, un pas a été franchi par le législateur en 2016 avec l'inscription dans la loi du concept d'« exposome ». Celui-ci consiste à considérer comme un tout l'ensemble des expositions auxquelles un individu est soumis depuis sa conception et susceptibles d'influer sur sa santé : air, eau, alimentation, environnement sonore et professionnel, hygiène de vie, conditions socioéconomiques...
Toutefois, en dépit de quelques avancées, la politique de santé environnementale pâtit des mêmes carences que notre politique de santé publique : elle est l'objet d'un sous-investissement chronique dans un système de santé orienté prioritairement vers le soin. Par essence intersectorielle, elle souffre d'une gestion en silos et d'un insuffisant portage politique.
M. Bernard Jomier , rapporteur . - Institué par la loi « Santé » du 9 août 2004, le plan national santé-environnement (PNSE) souffre ainsi de son insuffisante articulation avec un maquis de 34 plans sectoriels : plan Chlordécone, stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, plan Écophyto II+, plan Radon, plan Micropolluants, plan d'action interministériel Amiante...
Or la logique de santé globale et d'exposome implique de ne pas se contenter d'actions ciblées sur un type d'exposition, mais bien de tenir compte des effets cocktail liés à l'exposition combinée à plusieurs substances, ainsi que du continuum des expositions tout au long de la vie. Elle plaide donc pour une cohérence renforcée entre les plans sectoriels et un interfaçage plus efficient avec les axes stratégiques du PNSE.
Dans ces conditions, nous préconisons de faire du PNSE un plan chapeau de l'ensemble des politiques publiques ayant un lien avec la santé environnementale, orientation qui semble avoir été retenue dans le projet de quatrième PNSE. Par ailleurs, nos propositions s'attachent à renforcer le caractère opérationnel du PNSE, notamment par une meilleure identification de ses moyens et des indicateurs de résultat plus exigeants.
Afin de mieux responsabiliser les pouvoirs publics dans la protection de la santé et du cadre de vie des populations, nous plaidons, en outre, pour la transformation de la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement en un défenseur des droits en santé environnementale doté de pouvoirs de mise en demeure à l'égard de l'administration centrale et déconcentrée.
Nos propositions visent également à réunir les conditions d'un portage politique proactif et d'une coordination interministérielle effective de la politique de santé environnementale.
Afin d'oeuvrer à une mobilisation collective et coordonnée de l'ensemble des départements ministériels en matière de santé environnementale, nous recommandons l'institution d'un délégué interministériel à la santé globale, qui serait chargé de porter au niveau interministériel la thématique « une seule santé ». Sous l'autorité du Premier ministre, il coordonnerait l'élaboration et la mise en oeuvre des grands plans nationaux de santé publique, dont le PNSE, mais aussi des plans de sécurité sanitaire. Il s'appuierait sur un comité interministériel de la santé rénové, dont les missions évolueraient pour inclure la coordination interministérielle de l'ensemble des politiques publiques susceptibles d'avoir un impact sur la santé humaine, animale et végétale.
Par ailleurs, la réflexion sur les priorités de la politique nationale de santé environnementale s'appuie sur le groupe santé environnement (GSE) afin d'assurer la concertation la plus large possible de l'ensemble des parties prenantes dans l'élaboration du PNSE. Toutefois, il s'agit encore d'une structure informelle, sans pouvoirs à l'égard de l'administration, et aux moyens insuffisants. Afin d'en faire un organe plus opérationnel de réflexion, de définition et de suivi des priorités de la politique nationale de santé environnementale, nous appelons à formaliser son existence dans la loi, en le transformant en conseil national santé environnement doté de prérogatives renforcées et de moyens propres de fonctionnement.
S'agissant des opérateurs de l'État, la tutelle de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), éclatée entre cinq ministères, mérite également d'être clarifiée dans un sens qui fasse prévaloir la protection de la santé sur d'autres intérêts. À l'heure actuelle, l'ANSéS est financée à près des deux tiers par le ministère de l'agriculture. Dès lors, nous préconisons la reconnaissance au ministère de la santé d'un rôle de chef de file dans la tutelle stratégique de l'ANSéS. Cette reconnaissance doit mécaniquement se traduire par une augmentation significative de sa contribution au budget de l'agence, afin de contrebalancer le poids du ministère de l'agriculture.
Mme Florence Lassarade , rapporteure . - Un autre axe de notre rapport porte sur l'indispensable territorialisation des politiques de santé environnementale.
La plupart des leviers d'actions en faveur d'un cadre de vie sain se situent en effet au niveau territorial, que ce soit à travers les politiques d'urbanisme, de mobilité, d'aménagement de l'espace ou encore de petite enfance. C'est également à cet échelon de proximité que ces enjeux transversaux peuvent apparaître les plus tangibles, ce qui facilite leur nécessaire appropriation par la population.
Nos auditions d'acteurs locaux - de Nouvelle-Aquitaine, Paris et Strasbourg - ou d'associations nous montrent que de nombreuses initiatives se mettent en place, souvent sur une base volontariste.
Le sujet est cependant investi de manière très hétérogène.
La mobilisation des acteurs locaux est ainsi pénalisée par une approche essentiellement descendante et encore trop cloisonnée de la politique de santé environnementale.
Les plans régionaux santé-environnement (PRSE), chargés de décliner en région le plan national, ont contribué à structurer des actions, fédérer les acteurs et engager le débat public au niveau régional sur ces thématiques.
Mais ces outils, peu intégrés aux autres politiques locales, peinent à insuffler une véritable dynamique. Les moyens consacrés à leur mise en oeuvre et à leur animation sont modestes, avec souvent moins d'un équivalent temps plein (ETP) mobilisé dans les agences régionales de santé (ARS). En outre, si certaines régions ont développé des outils de diagnostic territorial pour cibler les actions sur les préoccupations les plus saillantes pour la région, les plans régionaux ressemblent trop souvent au plan national. Les dispositifs de remontée de bonnes pratiques, de partage d'expériences ou de mutualisation sont perçus comme très insuffisants.
Pour les acteurs locaux, la superposition de plans sectoriels ou autres schémas nationaux comme régionaux constitue un ensemble complexe, lourd, contraignant et peu opérationnel : « c'est la jungle quand les plans arrivent dans les territoires », pour reprendre les propos de la vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg.
Il n'est pas étonnant, dès lors, que l'appropriation de ces enjeux dans les territoires reste aléatoire, tant les sujets sont complexes, souvent techniques, et protéiformes.
Il faut selon nous changer d'approche. Pour ancrer les actions en santé environnementale dans les différentes politiques locales, les élus locaux doivent être outillés et accompagnés, en les sensibilisant sur les leviers d'action dont ils disposent. Il est également essentiel de fédérer le réseau d'experts et de partenaires en région en leur permettant de s'autosaisir de thématiques et de mutualiser les ressources et expériences, en appui aux décideurs locaux.
Nous proposons la mise en place d'un portail d'information et centre de ressources dans chaque région et la généralisation d'observatoires régionaux en santé environnementale, pour affiner la connaissance des réalités du terrain et des enjeux prioritaires. Des actions concrètes et ciblées permettent en effet d'agir plus efficacement sur les déterminants sociaux et environnementaux qui constituent une part prédominante des inégalités de santé.
Le portage politique de ces actions appelle, en outre, une clarification du pilotage territorial.
La santé est d'abord une compétence de l'État, même si les collectivités concourent au développement sanitaire des territoires : elles sont investies de prérogatives historiques en matière de salubrité ou d'hygiène pour les communes ou leurs groupements, ou encore d'un rôle de chef de file pour l'aménagement durable du territoire s'agissant des régions. Ces compétences sont un point d'entrée, depuis longtemps, dans la politique de santé environnementale.
Mais les collectivités ne sont pas formellement investies d'une responsabilité sur ce champ. Celle-ci mériterait selon nous d'être plus clairement affirmée.
Bien évidemment, les régions, déjà co-pilotes du PRSE avec les ARS et les préfets, ont un rôle stratégique à jouer, en particulier dans le cadre du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. Toutefois, les enjeux transverses de la santé environnementale impliquent également de mobiliser les différents échelons territoriaux pour gagner en efficacité.
Les outils de contractualisation souples que sont les contrats de plan État-région ou les contrats locaux de santé sont à cet égard des leviers intéressants, car ils répondent à une logique plus horizontale que descendante. Des financements pérennes pourraient y être adossés pour accompagner les collectivités dans la conduite de projets.
Nous proposons enfin de généraliser les démarches d'évaluation d'impact sur la santé pour des projets d'aménagement locaux. Suivant le concept d'urbanisme favorable à la santé, cela permet de promouvoir une approche positive et intégrée de la santé environnementale, qui ne se réduit pas à des actions techniques de réduction des risques. En ancrant ces enjeux dans le quotidien, nous sensibiliserons plus largement élus et citoyens.
M. Bernard Jomier , rapporteur . - La troisième partie de notre rapport plaide pour un renforcement et une meilleure diffusion de la connaissance scientifique en santé environnementale.
Nous disposons sur notre territoire d'équipes de recherche de pointe et une dizaine de laboratoires se consacrent à l'étude des interactions entre santé et environnement. On peut notamment citer l'Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset) de Rennes, l' Institute for Advanced Biosciences de Grenoble ou encore les alliances thématiques de recherche, qui sont utiles pour fédérer les acteurs autour de grands projets transversaux.
De tels projets sont déployés au niveau européen dans le cadre du programme « Horizon 2020 », qui comprend un axe d'étude sur l'exposome. L'Union européenne finance ainsi neuf projets de recherche, dont deux associent des équipes de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Ces deux projets, qui portent sur la contribution de l'exposome à certaines maladies respiratoires et sur les effets de multiples expositions sur la santé pendant les vingt premières années de la vie, sont respectivement soutenus à hauteur de 11 et 12 millions d'euros par l'Union européenne.
Au niveau national, le financement de la recherche est bien plus limité et fragmenté. L'Agence nationale de la recherche (ANR) finance des projets par l'intermédiaire d'appels à projets génériques ouverts à toute discipline pour lesquels peu de travaux de recherche en santé environnementale sont finalement retenus. Avec son programme national de recherche en environnement, santé et travail, l'ANSéS est également un acteur du financement de la recherche, mais ses moyens sont limités, puisque ce programme a financé 34 projets en 2020 pour un budget de 6 millions d'euros. Il existe quelques autres sources de financement en provenance d'autres agences, dont l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de collectivités territoriales ou encore d'acteurs privés.
Au total, l'effort public de recherche est donc relativement limité et éclaté. La France consacre environ 25 millions d'euros par an à la recherche en santé environnementale, soit le quart du budget de la recherche consacré à ce domaine aux États-Unis, une fois celui-ci ramené à la population. Seuls les financements européens semblent permettre de développer des projets plus significatifs. Or, les équipes de recherche sont insuffisamment accompagnées pour s'engager dans ces appels à projets d'ampleur, qui nécessitent un important soutien administratif.
Alors que nous ne connaissons encore qu'une infime partie des interactions entre santé et environnement, il nous semble nécessaire de mieux structurer l'effort de recherche en France. Nous proposons à cette fin de créer un consortium consacré à la recherche en santé environnementale, fédérant les principaux laboratoires et instituts de recherche dans ce domaine, afin de coordonner la programmation de la recherche et d'accompagner les initiatives dans l'obtention des financements nationaux et internationaux.
Nous considérons qu'il faut également consolider les liens entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée en santé afin de renforcer la prise en compte de la santé environnementale dans les études cliniques et les parcours de soins. Nous proposons ainsi de créer un institut hospitalo-universitaire (IHU) en santé environnementale pour faire le pont entre connaissance scientifique et pratique de soins, en fédérant soignants et chercheurs.
En complément, nous considérons que le développement de centres nationaux de référence sur certaines pathologies en lien avec les expositions environnementales devrait être étudié. Ces centres, qui sont très développés pour les maladies transmissibles, assurent un rôle d'expertise scientifique et de surveillance épidémiologique fort utile.
Mme Florence Lassarade , rapporteure . - En outre, la progression de la connaissance scientifique ne peut se faire sans observer et analyser les effets de l'environnement sur la santé de la population générale. C'est pourquoi nous proposons de renforcer la qualité des données épidémiologiques. Il existe un grand nombre d'informations sur la santé de la population générale à travers le système national des données de santé, géré par la plateforme Health Data Hub , ainsi que par le déploiement d'études de cohortes et de registres de pathologies. Ces données sont néanmoins assez rarement recueillies dans le but d'évaluer les effets des expositions environnementales, ce qui limite leur capacité d'exploitation à des fins d'analyse et d'évaluation en santé-environnement. Elles sont en outre peu interopérables, que ce soit entre elles ou avec les données environnementales, relativement limitées.
Ces difficultés techniques obèrent les possibilités de mener des enquêtes épidémiologiques afin de déterminer les causes environnementales expliquant la prévalence d'une maladie ou la survenue d'un évènement de santé sur un territoire donné. Ce fut par exemple le cas pour l'enquête de Santé publique France sur le cluster de cancers pédiatriques à Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique.
Pour ces raisons, nous considérons, d'une part, que des registres de morbi-mortalité devraient être développés sur des pathologies dont le lien avec des facteurs environnementaux est fortement soupçonné par la littérature scientifique, car ils permettent d'obtenir des données robustes et exhaustives sur les pathologies qu'ils couvrent.
D'autre part, nous soutenons le projet de création d'un Green Data Hub tel qu'il est prévu dans le PNSE 4. Il s'agirait d'une plateforme de données environnementales à des fins de santé. Son utilité sera conditionnée, selon nous, à la possibilité de croiser ces données avec les données de santé et à l'alimentation de cette plateforme par des données environnementales fines et exhaustives, ce qui suppose d'accroître les moyens alloués au recueil de ces données.
M. Bernard Jomier , rapporteur . - Enfin, la montée en puissance des informations disponibles doit s'accompagner de leur large diffusion pour sensibiliser les professionnels de santé et le grand public.
S'agissant des professionnels de santé, nous considérons que les enjeux de santé-environnement devraient être plus largement diffusés dans les communautés de professionnels, par l'intermédiaire des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS, des sociétés savantes et des ordres. Les questions de santé environnementale devraient en outre s'intégrer à la formation en santé publique dispensée aux médecins. Pour développer l'expertise médicale sur ce sujet, nous pensons également qu'un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC) de médecine en toxicologie environnementale pourrait être mis en place.
Pour sensibiliser le grand public, il est nécessaire de traduire les apports de la science en recommandations de bonnes pratiques. Santé publique France a développé un site internet pour les parents, appelé « Agir pour bébé », afin de leur transmettre des recommandations concrètes pour la santé des jeunes enfants. Nous proposons qu'un portail similaire soit développé pour l'ensemble du grand public, afin de diffuser des conseils de bonnes pratiques dans la vie quotidienne.
Grâce à l'information du public et à l'éducation à la santé, nos concitoyens s'empareront davantage de ces enjeux, mis en lumière par la crise sanitaire, pour mieux maîtriser les effets de l'environnement sur leur santé. En réponse à ces préoccupations, il est essentiel que les pouvoirs publics prennent davantage en compte la santé environnementale dans l'ensemble des politiques publiques, en se fondant sur une connaissance scientifique plus robuste.
Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est un sujet important. J'ai récemment participé à des rencontres sur le cancer, qui montraient bien que le lien avec l'environnement est sous-estimé. Pour les cas de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, on ne trouve aucune explication.
Mme Michelle Meunier . - Dans les années 1980, j'ai découvert la définition que donnait l'OMS de la santé : non pas une absence de maladie ou de symptômes de maladie, mais une notion plus générale de bien-être. Aujourd'hui, parler de santé environnementale sonne comme une évidence, tant mieux ! J'ai rencontré le collectif des parents d'enfants atteints de cancer la semaine dernière. Je leur ai parlé de ce rapport, et ils sont très intéressés. Vous dites que les faits sont inexpliqués. C'est vrai qu'avec les outils d'aujourd'hui, on ne trouve rien. Quand je pose la question au directeur de l'ARS des Pays de la Loire, il me répond très formellement, me dit que les analyses ont eu lieu : circulez, il n'y a rien à voir ! Or les parents sont devenus de véritables experts, dont le niveau de connaissance est impressionnant. Ils pointent surtout du doigt l'absence d'organisation telle que vous la proposez. Il n'y a pas d'observatoire local, départemental. Les observations existantes sont lissées au niveau régional, alors qu'il y a tout de même eu 24 cas de cancers pédiatriques depuis 2015 ! Or, pour poser les bonnes questions, il faut disposer des bonnes données, au bon niveau.
Mme Laurence Cohen . - Il est bon que nous ayons ce temps de réflexion et d'analyse. Il l'est tout autant qu'on puisse disposer au niveau local, et au niveau régional, de données objectivées. Dans mon département, à une époque, une école maternelle était installée sur un ancien site Kodak.
Mme Catherine Procaccia . - J'étais adjointe au maire chargée de l'enseignement...
Mme Laurence Cohen . - Il y a eu trois cas, je crois...
Mme Catherine Procaccia . - Quatre.
Mme Laurence Cohen . - Il y a eu quatre cas de cancers des testicules chez les jeunes enfants. Nous ne disposions pas, alors, des données d'aujourd'hui. J'étais en contact avec un couple de parents, qui étaient totalement désemparés. Beaucoup de temps s'est écoulé depuis, et la prise de conscience est beaucoup plus développée, tant mieux - même si elle n'est pas toujours suivie des actes nécessaires.
Parmi les recommandations, figure la volonté d'organiser des choses au niveau local. Mais il faut aussi - et le rapport le dit - une conduite nationale. Les collectivités ne doivent pas être livrées à elles-mêmes. Cela nous renvoie aux questions de budget. Il faut allouer des moyens à la santé environnementale pour organiser une véritable lutte contre ce fléau. Ne pourrait-on pas mettre à contribution les employeurs, qui sont souvent des producteurs de pollution et de nuisances environnementales ?
Vous questionnez le rôle de l'ANSéS. Notre commission des affaires sociales a souvent eu des réflexions et des échanges sur les agences. Le constat est unanime d'un manque de transparence sur le travail accompli, et surtout d'un manque de moyens humains et matériels. On a toujours tendance à charger la barque des agences, peut-être à juste titre, sans leur donner les moyens humains et matériels correspondants.
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - Dans le cadre du rapport sur l'incendie de l'usine Lubrizol, j'ai pu constater la lourdeur administrative qui caractérisait l'appareil d'État pour informer les Français en cas d'accident industriel. Lorsqu'on parle de santé environnementale et d'enjeux de long terme, il faut aussi penser à la culture d'anticipation pour gérer ces éléments accidentels. Force est de constater qu'aujourd'hui cette culture n'existe pas, ou peu. Quelle est la place laissée à la gestion de la survenance d'accidents industriels en matière de santé environnementale ?
M. Alain Milon . - Merci aux rapporteurs d'avoir demandé ce rapport. Il est important d'essayer de circonscrire l'ensemble des pathologies pouvant être liées à l'environnement. À vrai dire, je m'attendais à un rapport plus étendu. Vous vous êtes concentrés sur l'environnement physique de nos concitoyens. J'aurais aimé qu'on parle aussi de l'environnement familial, professionnel, des réseaux... On sait que ces environnements ont un effet psychologique, et parfois même physique, qui peut être dramatique. En particulier, l'absence d'environnement familial a une forte influence sur le psychisme des personnes âgées. Et l'influence de l'environnement dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad) sur ce psychisme serait intéressante à étudier. J'en ai discuté avec la présidente Deroche et le président Larcher, et j'espère qu'on pourra lancer un travail sur la question. Les psychiatres se sont rendu compte qu'entre 18 et 25 % des maladies psychotiques durables étaient consécutives à des gestes d'inceste ou à des viols dans la jeunesse. Le diagnostic n'étant pas fait rapidement, la psychose s'installe et il faut soigner ces patients psychotiques pendant des dizaines d'années. Si le diagnostic était fait plus tôt, grâce à la connaissance de l'environnement, on pourrait éviter ce genre de drame.
Mme Florence Lassarade , rapporteure . - À Sainte-Pazanne, le recueil des informations est très insuffisant. Il se fait de façon ponctuelle, selon les équipes médicales, et par région, sous forme de registres. Voilà quarante ans qu'on nous demande, dans les hôpitaux, de coder les pathologies - souvent d'ailleurs pour des raisons comptables. Cela aboutit à un recueil de données assez considérable, dont on n'a jamais tiré de statistiques efficaces et cohérentes sur l'ensemble du territoire.
En matière de registre, il faut aller beaucoup plus loin, et ne pas laisser l'initiative qu'à certains médecins. Pour les cancers pédiatriques, les données sont relativement structurées, mais il y a beaucoup de pathologies pour lesquelles ces registres ne sont pas utilisés. Des enfants naissent sans membres dans différents endroits du territoire, sans qu'on ait fait de lien entre les cas isolés.
Sur un ancien site industriel, le problème est la prospective. Quand on ferme un site industriel et qu'on y installe des bâtiments pour des écoles, des collèges ou autre, il faut d'emblée se préoccuper de la suite. Nous avons reçu Santé publique France à propos de Lubrizol. Je n'ai pas senti une grande appétence pour mener ces investigations... Surtout, il n'y a pas de moyens alloués. Par exemple, en tant que pédiatre, je me disais qu'on pourrait suivre la qualité du lait maternel pendant quelques mois après cet événement. Cela n'a pas du tout été envisagé. Pourtant, cela ne demanderait pas forcément des moyens financiers énormes. Bref, sur les cohortes et la prospective, il faut vraiment avancer.
Je sais bien que les pensionnaires d'un foyer d'accueil médicalisé ont, pour 90 %, d'entre eux, subi des viols dans l'enfance. Mais c'est plus un sujet de société que d'environnement. Le site « Agir pour bébé » ou le rapport consacré aux 1 000 premiers jours de l'enfant ont popularisé la nécessité de se préoccuper d'environnement dès la conception.
M. Bernard Jomier , rapporteur . - Au niveau local, l'une des limites est que nous n'arrivons pas à croiser les données épidémiologiques avec les données d'exposition. Santé publique France n'est pas de mauvaise volonté, et ce n'est pas qu'une question de moyens. Ce qui sera important dans le Green Data Hub , c'est de croiser les données. À cet égard, l'observation locale est très importante. La logique actuelle est très descendante. Nous avons voulu promouvoir une logique ascendante, en insistant sur les observatoires régionaux de la santé et de la santé environnementale.
Sur Lubrizol, les représentants de l'administration semblaient très satisfaits. Nous avons essayé de leur expliquer qu'il y avait une question de culture d'État, en santé environnementale comme sur beaucoup d'autres sujets, notamment dans la crise sanitaire actuelle. La question est de savoir comment modifier cette culture d'État. J'ai été très étonné d'entendre il y a quelques jours un responsable important de la majorité présidentielle dire que, sur ce sujet, ils avaient échoué, comme les gouvernements précédents. De fait, modifier cette culture d'État dans notre pays est très compliqué. En matière de santé environnementale, une part de décentralisation nouvelle est nécessaire, bien sûr. Mais il y a aussi une question d'articulation. Si on ne fait que de la décentralisation, on reproduira les mêmes erreurs au niveau des territoires, les mêmes modes de pensée et de fonctionnement.
Vous avez évoqué la manière dont fonctionnent les agences, au-delà de la question des moyens. L'ANSéS réunit autour de la table cinq ministères différents et des industriels, des parties prenantes, des personnes et des organisations qui mettent sur le marché ou qui vendent des produits soumis à autorisation par l'agence. Est-ce problématique ? Nous disons que non. On ne peut pas faire de la santé environnementale uniquement avec le ministère de la santé.
Si l'on reconnaît que l'urbanisme est important, que l'alimentation est importante, on ne peut pas écarter d'autres acteurs, sous peine de manquer complètement l'articulation entre les différents enjeux. Il est indispensable, notamment, que le monde de l'agriculture soit partie prenante de la politique de santé environnementale. Mais il faut empêcher qu'on puisse être juge et partie.
Le champ de la santé mentale est très vaste. Si tout est dans tout, comment concevoir une gouvernance ? On peut dire qu'une personne décide de tout... Nous avons opté pour un exercice très réformiste, en cherchant comment améliorer les articulations du système actuel, la participation des parties prenantes, etc. Si nous n'avions pas restreint le champ, il nous aurait fallu dix ans !
Mme Véronique Guillotin . - J'ai contribué à l'élaboration des PRSE dans ma région et je peux témoigner qu'une prise de conscience des élus est nécessaire, sans doute plus qu'un délégué interministériel. La santé doit être le fil conducteur des politiques menées par les collectivités dans le cadre de leurs compétences respectives au niveau régional, départemental et communal.
Il faut sans doute donner plus de moyens aux observatoires afin qu'ils puissent jouer un vrai rôle.
L'environnement n'est pas que l'air et l'eau, il faut élargir la réflexion à l'urbanisme et même à l'habitat.
M. René-Paul Savary . - J'ai été un peu déçu par vos propos liminaires, je suis quelque peu rassuré par vos réponses. Attention aux usines à gaz et aux plans à rallonge ! Il faut pouvoir associer la collecte des données et leur exploitation concrète. L'IHU peut être une bonne formule, et les études observationnelles me semblent être une bonne approche.
Il faut faire du dossier médical partagé (DMP) un outil véritablement exploitable et ne pas ajouter de nouveaux documents ou « hubs » qui s'empileraient sans qu'on puisse les exploiter correctement. Je rappelle que nous ne sommes toujours pas parvenus à mettre réellement en place un carnet de vaccination électronique.
Mme Victoire Jasmin . - Il me semble important de développer la recherche clinique. Il me semble que l'institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) pourrait apporter les éléments de nature à faire avancer les choses en la matière. Les expositions que subissent les femmes enceintes doivent faire l'objet d'un suivi particulier.
Mme Florence Lassarade , rapporteur. - Il me semble qu'il y a eu une amélioration entre les PNSE 3 et 4, avec notamment un resserrement du nombre d'objectifs et d'actions. Il convient d'être exigeant quant à l'évaluation.
Il faut que les déclinaisons locales soient adaptées aux besoins des territoires. Dans ma région, je sais qu'il y a de vraies tensions entre l'ARS et le président du conseil régional sur la façon dont il faut organiser la gouvernance sur ce sujet.
Nous disposons de nombreuses données, il nous faut progresser dans leur exploitation. Un IHU nous semble présenter une évolution pertinente en ce sens.
Il est regrettable que le DMP ne se développe pas davantage, notamment dans le contexte actuel.
Il faut des évaluations prospectives, des suivis de cohorte sur longue période.
La période de grossesse est une période cruciale, elle doit permettre une sensibilisation sur les enjeux de santé environnementale mais il faut que la prise de conscience perdure au-delà.
M. Bernard Jomier , rapporteur . - Monsieur Savary, l'usine à gaz existe déjà... Nous avons auditionné tous les acteurs : ils sont tous insatisfaits. Le GSE, présidé par une parlementaire - la députée Élisabeth Toutut-Picard, que nous avons entendue -, se réunit régulièrement, avec les chercheurs et les associations, il fait des propositions mais rien n'en sort. Nous ne créons rien : nous transformons le GSE pour le rendre opérationnel, pour faire en sorte que les expertises qui y sont versées soient utiles.
Le délégué interministériel que nous proposons s'inscrit dans la continuité de celui que nous proposions dans le rapport de la commission d'enquête sur la gestion de l'épidémie de covid-19. Car nous voyons bien qu'il y a un problème de gouvernance de la santé dans notre pays, et que la solution dépasse le ministère de la santé. Que faire, dès lors ? Renforcer les pouvoirs du Premier ministre ? Aménageons simplement un échelon où se feront la coordination et le pilotage nécessaires. Et c'est tout ! Il s'appelle délégué à la santé globale car il regroupe la santé environnementale et la sécurité sanitaire. Nous avons fait attention à ne pas empiler les structures, car l'essentiel est de produire de la décision.
La question se pose aussi au niveau régional, où règne un grand flou, mais elle se pose là différemment. Nous avons auditionné par exemple des représentants de l'Eurométropole de Strasbourg, de la Ville de Paris ou encore de la région Nouvelle-Aquitaine, et constaté qu'il y avait au niveau infranational de nombreuses initiatives intéressantes. Nous pensons donc que les régions doivent avoir la compétence en santé environnementale, mais sans préjudice de ce que font les autres collectivités de proximité.
Sur le DMP, qui ne fonctionne toujours pas, bien que les pharmaciens en aient ouvert beaucoup, nous rejoignons le constat que faisaient déjà nos collègues Stéphane Artano et Pascale Gruny dans leur rapport sur la santé au travail.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Où en sont les travaux de l'Assemblée nationale sur le même sujet ?
M. Bernard Jomier , rapporteur . - L'Assemblée nationale a en effet créé une commission d'enquête dont la présidente est Élisabeth Toutut-Picard et la rapporteure Sandrine Josso. Nous avons évidemment regardé leurs travaux de près. L'intérêt de mener ces réflexions en ce moment est que le PNSE 4 est encore en cours de finalisation - il doit être publié en mai.
Je ne ferai pas de comparaison entre nos travaux et ceux de nos collègues députés. Je dirai simplement, en espérant ne pas être trop caricatural, que nous avons axé notre travail sur l'organisation de la santé environnementale, et l'Assemblée nationale le sien sur l'information et la sensibilisation du public.
Mme Catherine Deroche , présidente . - J'ai reçu la semaine dernière la fédération des registres des cancers - il s'agit dans mon département de l'association épidémiologie des cancers en Pays de la Loire (Epic-PL) : eux aussi ont de gros problèmes d'accès aux données de santé. J'ai alerté le président de l'institut national du cancer (INCa) à ce sujet. Il y aura sûrement des choses à faire pour leur faciliter l'accès à ces informations.
La commission des affaires sociales autorise la publication du rapport d'information.