II. LA NÉCESSITÉ D'UN NOUVEAU SYSTÈME MUTUALISÉ, EN RÉPONSE AUX BESOINS D'INTEROPÉRABILITÉ ET DE DIMINUTION DES COÛTS

A. DES TECHNOLOGIES EXISTANTES QUI NE PERMETTENT PAS DE RÉPONDRE AUX BESOINS DÉFINIS PAR L'ÉTUDE DE FAISABILITÉ

1. Une interconnexion structurellement incompatible avec la disparité des SGA-SGO, malgré des tentatives

Si les SIS se sont donc équipés individuellement de SGA-SGO auprès de différents prestataires, il faut en outre relever qu' un système d'information conçu par un même prestataire peut être très inégal d'un département à l'autre , en fonctions des spécificités demandées par le SIS. Il n'est alors pas rare que deux systèmes d'information mis en service par un même éditeur dans des départements voisins ne soient pas nativement interopérables.

Une tentative d'interconnexion a certes été lancée à partir de 2005 à travers la création de la marque privée « NF 399 logiciels de sécurité civile » . Cette initiative participait à un développement plus global de l'interfaçage des SGA-SGO avec différents outils, à travers la mise en place de connecteurs et de normes communes d'échanges . Elle a cependant échoué dans l'objectif de rendre ces SGA-SGO interopérables . L'étude de faisabilité cite ainsi l'exemple des systèmes d'information du SDIS de Seine-et-Marne dans l'incapacité de dialoguer avec ceux des 10 SDIS voisins qui ont pourtant tous été certifiées par la NF 399.

De plus, la marque NF 399 a renchéri le coût des dépenses de SGA-SGO , puisqu'à chaque élément d'interopérabilité identifié correspondait un connecteur que les SIS devaient acheter, en complément d'évolutions ponctuelles de leur SGA-SGO. Ces besoins d'achats complémentaires ont alors renforcé la position des éditeurs sur leur marché de niche, en leur permettant de vendre de nouveaux produits nécessaires aux SIS, et par ailleurs conformes à des règles de certification qui excluaient de fait du marché des sociétés concurrentes.

2. Un niveau technologique inégal des différents systèmes d'information, et proches de l'obsolescence pour la plupart
a) Des lacunes et des failles sur le plan opérationnel

Conçues indépendamment les unes des autres, les technologies utilisées par les SIS sont marquées par ce niveau de service très variable . Par ailleurs, l'amélioration du niveau de service n'était guère encouragée par les conditions d'un marché captif.

Pour la plupart, ces technologies n'offrent pas la possibilité :

- d'avoir une gestion rigoureuse des files d'attentes ;

- de discriminer les appels selon leur urgence et leur dépendance d'un même événement ;

- d'assurer des échanges de données entre les CTA des SIS ;

- de bénéficier d'une entraide entre SIS.

Ces quatre éléments, et particulièrement le dernier, paraissent pourtant de plus en plus nécessaires pour garantir une réponse adéquate aux demandes de secours en cas de surcharge d'appels.

Outre ces lacunes, les technologies en service présentent des risques de sécurité et n'offrent pas toujours de « redondance » . En effet, dans l'enquête menée en 2016, 62 % des SIS ont répondu avoir constaté des instabilités récurrentes ou occasionnelles de leurs SGA ou SGO et 53 % des SIS ne disposent pas de site de repli avec leur fournisseur actuel, portant la part des SIS qui ne disposent pas de redondance à plus de la moitié.

b) Un saut technologique à réaliser pour passer de « l'ère téléphonique » à « l'ère numérique »

La plupart des outils en service au sein des SIS ont été développés avant l'essor de la « technologie du Web » , et ne bénéficient donc pas des avantages de cette dernière, qui apporte une plus grande souplesse dans la programmation et les formats de données transportées. Ils tendent ainsi à devenir obsolètes alors que leur mise à niveau par rapport aux évolutions - de plus en plus fréquentes - des infrastructures et des standards devient plus complexe à réaliser.

Leur obsolescence tient également aux conditions de passage de l'ère de la téléphonie à l'ère du numérique. La technologie numérique implique en effet une gestion optimisée de la prise d'appels, qui se traduit par de nombreuses améliorations : collecte d'informations avant le décroché, écran de visualisation des appels, communication multi-flux avec le requérant (voix, photos, vidéos, objets connectés, ...), aide à la qualification des alertes, géolocalisation des appels, adaptation de la capacité de réponse (création d'un serveur vocal ou de salle de débordement, transfert d'appel, etc.).

Enfin, le développement des modes de communication numérisés emporte avec lui une meilleure adaptation de la réception des alertes, au-delà des seules alertes émises par appel téléphonique , comme l'impose désormais la réglementation européenne.

Synthèse des carences constatées parmi les SGA-SGO en service

Carence constatée en 2016

Exemples de conséquences opérationnelles pour les SIS

Marché « de niche » morcelé, encadré par la marque NF399 qui ne produit pas les effets escomptés

• Hétérogénéité des solutions et niveau technologique et fonctionnel des SGA/SGO inégal sur le territoire

• Pas de mutualisations en matière d'ingénierie ou d'infrastructures techniques

• À chaque modification (réglementaire, technique, processus d'intervention, ...), pas de mutualisation des sollicitations vers les éditeurs pour incorporer de nouvelles fonctionnalités

• Absence de partage des actions de formation, absence de partage des retours d'expérience sur le meilleur emploi de fonctionnalités et la résolution de défauts

• Pas de mutualisation des ressources humaines dédiées aux SGA/SGO

Pas de système de gestion unifiée des alertes

• Limitation des capacités de traitement, occasionnant des pertes d'appels parfois critiques

• Organisation très limitée dans l'entraide entre services d'incendie et de secours en cas de défaillance ou d'afflux massifs d'appel, et coût en ETP pour prévoir dans chaque SDIS des ressources disponibles en cas d'afflux massifs d'appels

Pas d'échanges de données opérationnelles entre SDIS

• Difficulté d'intervention dans un département limitrophe

• Retard dans l'engagement des moyens

• Impossibilité d'inclure les moyens externes dans le suivi des interventions

• Contraintes de pilotage, notamment dans les grands feux de forêts

Pas d'échanges de données avec les systèmes des forces de police de gendarmerie

• Permanence de communications téléphoniques non rémanentes et chronophages

• Perte d'information pour plus de plus de 2 200 000 interventions par an qui nécessitent un concours simultané des forces

Impossibilité d'assurer avec tous les SAMU les échanges nécessaires dans le cadre du traitement des alertes

• Peu de partage des éléments de conduite opérationnelle, comme les éléments du bilan médico-secouriste

• Permanence de communications téléphoniques qui conduisent à des retards dans le traitement de l'alerte

• Perte d'informations et saisies multiples

Pas d'échanges de données avec les organes de coordination et de pilotage de la sécurité civile

• Lors d'opérations de grande ampleur, nécessité de se connecter à un système national dédié à renseigner manuellement alors que les équipes sont surchargées

• Sous-information des centres de coordination zonaux sur l'activité opérationnelle des SDIS et réception des bilans a posteriori et en décalé lorsqu'ils concernent plusieurs départements

• Difficulté des centres de coordination à participer à la gestion de crises

Pas de politique commune de sécurité et des ressources partagées de filtrage et de contrôle disponibles pour les systèmes critiques du ministère de l'Intérieur

• Vulnérabilité aux dysfonctionnements et cybermenaces

• Surcoût sur les politiques de sécurité pour les SDIS, notamment pour acquérir des infrastructures résilientes, démultipliées et redondées, sur des sites différents

Impossibilité pour les SGA de traiter des alertes autres que l'appel téléphonique

• Impossibilité d'exploiter les flux multimédias, tant à l'occasion de la prise de l'appel que dans la conduite opérationnelle

• Perte d'informations majeures pour traiter l'appel et organiser la réponse opérationnelle

• Les éléments multimédias collectés par des outils tiers ne sont pas partagés dans les systèmes de gestion opérationnelle

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial et étude de faisabilité de décembre 2016

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