B. UNE ACTUALISATION QUI DOIT PRENDRE EN COMPTE LA CRISE DE LA COVID ET L'ÉVOLUTION DU CONTEXTE GÉOSTRATÉGIQUE
1. L'exécution de la LPM n'est conforme qu'en apparence
Si les lois de finances initiales et les lois de règlement successives depuis 2019 permettent de donner acte de la conformité de l'exécution budgétaire aux engagements du président de la République , il faut toutefois relever deux facteurs majeurs d'ajustement de la répartition des crédits .
S'il faut reconnaître un progrès notable dans la sincérité de la budgétisation des OPEX et des missions intérieures dans la LPM (les prévisions ayant été relevées à 950 millions d'euros en 2019 puis 1,2 Md € à partir de 2020), il n'en reste pas moins que leur coût annuel s'étant établi à 1,4 Md € en 2019 et 2020, le surcoût net de 600 millions d'euros est resté à la charge du seul budget de la défense . L'article 4 de la LPM prévoyant une solidarité interministérielle et limitant la prise en charge du surcoût par la mission « Défense » à sa quote-part du budget général n'a donc pas été respecté .
De plus, les deux premières annuités 2019 et 2020 ont d'ores et déjà donné lieu à des ajustements annuels de la programmation militaire (A2PM) dont l'impact - substantiel et documenté par les auditions des rapporteurs pour avis - sur la suite de la LPM jusqu'en 2025 s'établit à 2,1 Mds € en faveur de programmes à effets majeurs (PEM) prioritaires dans le spatial (la détection, les services spatiaux et les stations Syracuse IV), le numérique 4 ( * ) , l'amélioration de la vie militaire dans le cadre du « Plan famille » (240 millions d'euros) et la marine (800 millions d'euros pour la provision pour les études de la propulsion nucléaire du futur porte-avions de nouvelle génération « PANG »).
Ces montants ne correspondent pas automatiquement à des dépenses supplémentaires . En revanche ces ajustements entraînent nécessairement la baisse d'autres opérations si l'on raisonne à enveloppe constante ainsi que nous le confirme le ministère des armées. Toute la difficulté, nonobstant les données jugées à juste titre confidentielles (cyber, renseignement et certains grands contrats d'exportation) réside dans l' absence de véritable transparence sur les arbitrages défavorables . Tel est en tout cas le sentiment des rapporteurs pour avis de chaque programme budgétaire, ceux-ci ayant dû procéder par déduction pour identifier les retards ou renoncements se matérialisant sur le plan budgétaire en matière d'entretien programmé des matériels (EPM), de préparation opérationnelle ou d'équipements.
2. La trajectoire de la LPM doit être fixée en valeur pour sécuriser l'horizon 2025 des forces armées
Du fait de la baisse de 8,2 % du PIB en 2020, pour cause de crise de la Covid-19, le point de référence d'un budget de la défense à 2 % du PIB en 2025 pour atteindre une valeur de 50 Mds € en loi de finances pour 2025 est en quelque sorte devenue caduc , voire « hors sujet ». En effet, quelles que soient les projections retenues (le rapport économique social et financier 2021 ou le programme de stabilité 2021), la courbe de croissance du PIB post Covid demeurera inférieure au niveau prévu par la LPM en 2025.
Or, il transparait de l'ensemble des auditions que l'ensemble de la programmation militaire est construite sur la base d'une enveloppe globale de 295 Mds € . Tous les « écoulements financiers » vers les PEM et les autres opérations d'armement (AOA) sont calculés en référence à cet objectif, le risque étant, en cas de diminution de l'enveloppe, de remettre en cause la pérennité de certains programmes ou, de manière contre-intuitive, de renchérir le maintien en condition opérationnelle (MCO) de matériels non remplacés dont il faudrait rallonger la durée de vie ou améliorer la disponibilité (anciens avisos convertis en patrouilleurs de haute mer, Mirage 2000, Bâtiments de guerre des mines, etc.).
Impact de la crise Covid-19 en 2020 sur la trajectoire du PIB à l'horizon 2025
Source : ministère des armées
Il ressort de cette analyse que si une véritable actualisation législative avait été organisée, la question centrale se serait alors posée d'identifier clairement les priorités , avec les ajustements favorables ou défavorables en découlant, et de fixer en valeur l'enveloppe globale de la LPM au niveau prévu de 295 Mds €, voire plus, le cas échéant, pour tenir compte de certains surcoûts nets tels que des anticipations de commandes ou des opérations exceptionnelles de soutien à l'export destinées à conforter l'autonomie stratégique de notre base industrielle et technologique de défense ( cf. infra commandes d'une frégate FDI supplémentaire et de 12 Rafale neufs pour combler la cession de 12 Rafale d'occasion à la Grèce).
L'impact de la crise du COVID sur le PIB a donc rendu caduque la référence au niveau de 2 % de l'effort national de défense en 2025 tel que le prévoit l'article 3 de la LPM. Compte tenu des projections présentées dans le graphique ci-dessus, qui dépasse d'ores et déjà ce niveau de référence, il serait plus approprié de retenir la cible de dépenses en valeur (295 Mds €) mentionnée dans le rapport annexé prévu par l'article 2 de la LPM . L'actualisation appelée de nos voeux aurait conduit à modifier ces deux articles de a LPM.
3. Il est légitime d'adapter les objectifs de la LPM aux nouvelles menaces identifiées dans l'actualisation stratégique 2021
La Revue stratégique de 2017 s'est concrétisée dans l'effort budgétaire significatif engagé par la LPM 2019-2025.
L'actualisation en 2021 de la revue stratégique avait naturellement pour objectif d'éclairer le contexte stratégique dans lequel devait s'inscrire l'actualisation de la LPM. L'objectif de ce travail visait à évaluer les menaces nouvelles, faire le bilan des efforts mis en oeuvre pour s'adapter et proposer de nouvelles actions pour y faire face ( cf. encadré ci-dessous).
Les principaux constats établis par l'actualisation stratégique 2021
Les menaces identifiées en 2017 restent d'actualité :
- Le terrorisme djihadiste, continue de nous menacer. Il est peut-être moins visible, mais il reste tout aussi prégnant. Nous courons aujourd'hui le risque de laisser se reconstituer des sanctuaires.
- La prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs se poursuit. Cette prolifération se déploie aussi avec l'extension et de la diversification de la menace bactériologique et chimique, avec des puissances qui utilisent de manière répétée des agents chimiques comme armes de guerre sur les théâtres d'opérations ou à fins d'empoisonnement.
- La compétition stratégique et militaire s'intensifie toujours, avec au premier rang des puissances comme la Russie et la Chine. Ces puissances exploitent l'intégralité des champs de confrontation, en particulier dans les domaines qui se prêtent aux agressions ambiguës, comme le cyber et l'espace, n'hésitant pas non plus à manipuler l'information.
Les nouvelles menaces :
- Le développement et la généralisation des « stratégies hybrides » qui cherchent à exploiter les vulnérabilités de nos sociétés ouvertes, démocratiques et tolérantes. Certaines puissances régionales comme l'Iran ou la Turquie s'enhardissent, et recourent également à des modes d'action hybrides pour affirmer leurs intérêts, au prix d'un aventurisme militaire grandissant.
- Un autre phénomène s'amplifie : la fragilisation voire la déconstruction de l'architecture de sécurité héritée de la guerre froide. Il revient désormais aux Européens d'engager avec la nouvelle administration américaine un dialogue constructif sur l'avenir de la stabilité stratégique en Europe, qui représente également un enjeu pour la Russie.
Conclusion :
D'ici 2030 et au-delà, les tensions actuelles et les ruptures possibles vont déboucher sur un monde encore plus incertain et dangereux.
La contribution renforcée de la France à la construction des instruments de puissance européens constitue une nécessité stratégique, sous peine de déclassement de notre pays et d'effacement de l'Europe dans les affaires du monde à cet horizon. L'ambition 2030 associée à la LPM doit donc être considérée comme un jalon décisif vers un modèle d'armées complet, cohérent et efficace jusque dans le haut du spectre, dans lequel forces conventionnelles et forces nucléaires s'épaulent en permanence, et qui permette, par sa résilience et sa capacité d'adaptation, de garantir notre autonomie stratégique nationale comme notre capacité d'entraînement en Europe et au-delà.
Source : Actualisation stratégique 2021 (DGRIS)
À cet égard, la commission ne remet aucunement en cause par principe les ajustements décidés par le Gouvernement lorsqu'ils ont pour objet de tenir compte des priorités nouvelles identifiées dans le cadre de l'actualisation stratégique 2021. Néanmoins, leur opportunité devait être débattue dans le cadre de la loi d'actualisation.
* 4 La ventilation plus fine des ajustements opérés n'est pas indiquée compte tenu du caractère confidentiel de certaines données relatives au renseignement et à la cyberdéfense.