E. VERS UN SERVICE PUBLIC DE LA PETITE ENFANCE ?
1. Une diversité de l'offre qui peut être sous-optimale du point de vue des pouvoirs publics
La diversité des modes d'accueil du jeune enfant en France est un atout qui permet de garantir une certaine liberté de choix aux familles.
Pour autant, cette diversité ne permet pas toujours un pilotage optimal.
Ainsi, une partie importante des familles se tourne vers l'accueil individuel, par des salariés du particulier employeur qui ne sont pas nécessairement formés, ou par des modes d'accueil collectif qui ne sont pas régulés, dans leur mode de fonctionnement comme dans leurs coûts, par la branche famille. Ces solutions, qui donnent à droit à une prise en charge partielle (au titre du complément de mode de garde) et à des aides fiscales, peuvent avoir un effet inflationniste, voire donner lieu à un effet anti-redistributif de la politique familiale.
En outre, l'éclatement des instruments de la politique de l'accueil du jeune enfant entre une multitude d'acteurs publics et privés ne facilite pas la maîtrise des coûts ni le pilotage qualitatif de l'offre d'accueil. Enfin, cette situation est créatrice d'inégalités sociales et territoriales.
Recommandation : faire du schéma départemental de service aux familles, désormais généralisé à l'ensemble des départements, l'instrument privilégié d'une meilleure adéquation de l'offre d'accueil aux besoins des familles et des territoires, en associant tous les acteurs de la petite enfance et de la parentalité.
2. L'absence de prise en charge globale de l'éducation
Chez certains de nos voisins, un même ministère est compétent aussi bien pour l'accueil du jeune enfant que pour l'accueil scolaire.
Dans l'édition 2019 du rapport Eurydice, la Commission européenne note que, au sein des pays étudiés, la division traditionnelle entre la phase d'accueil de la petite enfance et celle d'enseignement pré-primaire disparaît progressivement au profit d'une approche intégrée, qui « semble offrir de meilleures possibilités en matière de gestion des ressources et de résultats des enfants en ce qui concerne leur développement global ».
Il existe en France une véritable césure entre accueil du jeune enfant et entrée à l'école maternelle, désormais obligatoire à l'âge de trois ans. Elle mériterait d'être atténuée par un travail en commun entre acteurs de la petite enfance et de l'éducation, avec l'objectif de mieux articuler leurs approches et de favoriser une réelle continuité éducative.
3. La nécessaire réflexion sur un système plus intégré
La rapporteure estime donc nécessaire d'engager une réflexion sur la possibilité et les implications d'un service public de la petite enfance, et donc d'un droit pour chaque famille à trouver une solution d'accueil de son enfant. Ce droit garanti, vers lequel le rapport Cyrulnik propose d'aller et qui pourrait conduire à proposer systématiquement aux familles une solution d'accueil, dans une logique d'« aller vers », rapprocherait la France des pays européens les plus volontaristes en la matière 93 ( * ) et serait cohérent avec les objectifs de développement durable (ODD) promus par les Nations unies 94 ( * ) .
Un tel service public pourrait être assuré par la branche famille ou délégué aux collectivités territoriales, selon des règles établies au niveau national.
Il conviendrait d'en définir le format, qui ne serait pas nécessairement celui d'un accueil à temps plein entre 0 et 3 ans pour tous, mais pourrait constituer un socle garantissant un accès significatif, en termes de durée de présence et de régularité, à un mode d'accueil formel répondant à des critères de qualité - crèche, maison ou relais d'assistants maternels - pour tous les enfants de moins de 3 ans.
Il serait bien entendu nécessaire de prévoir les modalités de financement public d'un tel accueil, tout en prévoyant une participation financière des familles, modulée en fonction du revenu.
Enfin, l'existence d'un service public d'accueil du jeune enfant ne ferait pas obstacle au maintien, en parallèle, d'une offre privée, financée par les familles ou par les employeurs 95 ( * ) .
Une réflexion à mener sur le congé parental
Les conclusions de la commission Cyrulnik sur les 1 000 premiers jours de l'enfant, qui soulignent l'importance de la présence des parents au début de la vie de l'enfant, et des exemples étrangers conduisent à s'interroger sur les évolutions souhaitables du congé parental.
La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 96 ( * ) a réformé le congé parental en remplaçant le complément de libre choix d'activité (CLCA) par la prestation partagée d'éducation de l'enfant (Prepare). La durée maximale du congé parental au titre du premier enfant est ainsi restée de 6 mois mais le second parent s'est vu accorder la possibilité de prendre lui aussi 6 mois.
Pour les enfants suivants, la durée maximale du congé que peut prendre un même parent a été réduite de 36 à 24 mois, le second parent pouvant prendre un congé d'une durée maximale de 12 mois 97 ( * ) .
Cette mesure avait un double objectif. Elle visait premièrement à réduire l'éloignement des femmes du marché du travail résultant d'un congé parental trop long. Deuxièmement, elle devait inciter les pères à s'impliquer davantage dans l'éducation des jeunes enfants. La réforme, devait en outre permettre une économie substantielle pour la branche famille 98 ( * ) .
Une étude réalisée par l'OFCE en avril 2021 99 ( * ) met en évidence un bilan mitigé de cette réforme . Si l'objectif visant à encourager un retour plus rapide à l'emploi des mères est globalement atteint, un certain nombre de femmes n'ont pas repris une activité professionnelle 100 ( * ) et « la question de l'insertion professionnelle des femmes ayant de jeunes enfants et dont la situation professionnelle est incertaine reste entière ». Par ailleurs, la réforme n'a pas eu d'impact sur la répartition des rôles parentaux entre pères et mères. Le nombre de pères ayant recours au congé parental n'a en effet guère progressé , le taux de recours passant de 0,5 % à 0,8 % pour un congé à taux plein et de 0,7 % à 0,9 % pour un congé à temps partiel.
Il convient en outre de noter que le recours au congé parental demeure surtout le fait de ménages modestes. Cela s'explique largement par le niveau de la Prepare (397,20 euros à temps plein). L'interruption d'une activité professionnelle ne peut donc être assumée par les familles que si la différence entre la perte de salaire et le coût d'un mode de garde formel est relativement faible 101 ( * ) .
Un congé parental plus court mais mieux rémunéré pourrait ainsi être envisagé. La commission Cyrulnik propose par exemple un congé parental d'une durée maximale de 9 mois, partageable entre les deux parents et indemnisé à hauteur de 75 % du revenu d'activité antérieur.
Une telle solution allègerait la demande de solutions d'accueil du jeune enfant 102 ( * ) et permettrait d'engager une amélioration qualitative de cette offre.
* 93 L'enquête Eurydice 2019 souligne que 7 États membres de l'UE (Danemark, Allemagne, Estonie, Lettonie, Slovénie, Finlande et Suède), ainsi que la Norvège, garantissent une place en EAJE pour tous les jeunes enfants, généralement dès la fin des congés de naissance.
* 94 L'ODD n° 4 (« assurer l'accès de tous à une éducation de qualité ») comprend une cible 4.2 tendant à ce que, d'ici à 2030, tous les enfants aient accès à des activités de développement et de soins de la petite enfance et à une éducation pré-scolaire de qualité qui les prépare à suivre un enseignement primaire.
* 95 Ainsi, l'existence d'un système d'hôpitaux publics ne fait pas obstacle à l'existence d'établissements privés, et l'école publique coexiste avec l'enseignement privé.
* 96 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
* 97 Décret n° 2014-1708 du 30 décembre 2014 relatif à la prestation partagée d'éducation de l'enfant. Au cours des débats sur la loi du 4 août, une durée de 30 mois pour le premier parent et 6 pour le second avait été annoncée par le Gouvernement.
* 98 Si le remplacement du CLCA par la Prepare a été décidé par la loi du 4 août 2014, le décret d'application a été pris dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. L'économie attendue était de 70 millions d'euros en 2015 et de 290 millions d'euros par an à compter de 2017 pour un taux de recours des pères de 10 %, alors même que l'objectif affiché au moment du vote de la réforme était d'atteindre un taux de recours de 25 %.
* 99 OFCE Policy brief n°88, Cinq ans après la réforme du congé parental (PreParE), les objectifs sont-ils atteints ? , 6 avril 2021.
* 100 L'OFCE note que « pour les plus précaires, la réforme a entraîné un recours accru à l'allocation chômage ».
* 101 De même, ce faible niveau d'indemnisation du congé parental explique le faible recours par les pères, les familles choisissant de sacrifier le salaire le moins élevé, c'est-à-dire dans la majorité des cas, celui de la mère.
* 102 Les pays européens qui ont fait un choix proche de cette proposition (pays nordiques et Allemagne notamment) parviennent à garantir une place en mode d'accueil formel à tous les enfants dès 1 an.