TRAVAUX EN COMMISSION
Examen
en commission
(Mardi 23 novembre 2021)
Réunie le mardi 23 novembre 2021, la commission a examiné le rapport pour avis de Jean-Pierre Moga sur la mission « Recherche » du projet de loi de finances pour 2022.
Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, comme vous le savez, la première partie du projet de loi de finances ayant été rejetée, nous n'étudierons pas la seconde partie du texte en séance publique. Dans l'attente de cette décision, nous avions choisi de repousser le vote sur les avis budgétaires déjà présentés en commission. Les avis budgétaires en tant que tels n'ayant plus d'objet, car portant sur des missions du budget examinées en seconde partie, ils auront vocation, sur la forme, à être transformés en rapports d'information portant sur les missions du budget pour 2022. Ces rapports seront ainsi l'occasion d'une réflexion sur les politiques menées dans les secteurs relevant de notre champ de compétences.
Sur la méthode, je vous propose de maintenir les auditions des ministres prévues cet après-midi et demain, à savoir celles de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, et de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Ces auditions, détachées de l'aspect purement budgétaire, permettront d'établir un bilan du quinquennat dans les secteurs respectifs des ministres. Les sujets d'interrogation ne manquent pas.
Outre la mission « Recherche et enseignement supérieur », il nous restera à examiner demain matin les rapports sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». À la fin de l'examen de ces dernières missions, je vous proposerai d'autoriser la publication de l'ensemble de ces rapports d'information.
M. Jean-Pierre Moga , rapporteur pour avis sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » . - Mes chers collègues, en quelques minutes, mon rapport pour avis s'est transformé en rapport d'information. Nous examinons aujourd'hui les crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) dans le cadre du périmètre suivi par la commission des affaires économiques.
Ce périmètre représente 16 milliards d'euros de crédits de paiement pour 2022, sur les 29 milliards d'euros de la MIRES, dont le budget est globalement en hausse de 760 millions d'euros par rapport à 2021.
Si l'ambition du budget dédié à la recherche n'est pas à la hauteur de ce que notre commission avait souhaité lors de l'examen de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (LPR), il s'agit d'une hausse significative et bienvenue, attendue depuis longtemps par les opérateurs publics de recherche.
Pour cette première année de mise en oeuvre des engagements pris dans le cadre de la LPR, dont les effets sont amplifiés par les mesures prises dans le cadre du plan de relance, des programmes d'investissements d'avenir (PIA) et de France 2030, votre rapporteur établit un premier constat : je n'ai quasiment auditionné que des « personnes heureuses » ! Voilà qui est assez rare pour être souligné.
D'un point de vue budgétaire, la trajectoire définie par la LPR est globalement respectée. Cette trajectoire se traduit notamment par une hausse significative des moyens d'intervention de l'Agence nationale pour la recherche (ANR), dont le budget augmente de 131 millions d'euros pour atteindre 884 millions d'euros de crédits de paiement pour 2022, auxquels il faut ajouter 889 millions d'euros du PIA et 142 millions d'euros du plan de relance.
Les opérateurs publics de recherche qui bénéficient des mesures de la LPR partagent leur satisfaction. Ils augmentent leurs effectifs à la faveur de la hausse des plafonds d'emplois, lancent des campagnes de recrutement, mettent en place des chaires de professeurs juniors et bénéficient de la hausse des subventions accordées à leurs laboratoires de recherche.
Toutefois, ces bonnes nouvelles ne doivent pas nous faire oublier la principale fragilité de cette situation : la LPR est budgétairement non contraignante pour l'exécutif.
En effet, la trajectoire définie jusqu'en 2030 s'étend sur trois quinquennats et pourrait être remise en cause dès l'année prochaine. Notre commission avait, à cet égard, proposé une trajectoire alternative jusqu'en 2027.
Par ailleurs, les contrats d'objectifs et de performance (COP) signés entre l'État et les opérateurs de recherche ne comprennent ni dispositions ni engagements liés aux moyens alloués à ces opérateurs.
Nous devons donc rester prudents et attentifs à l'évolution de la trajectoire budgétaire, ainsi qu'à la mise en oeuvre opérationnelle des engagements pris. Sur ce point, les documents budgétaires ne renseignent pas sur les moyens précis pour mettre en oeuvre les objectifs opérationnels de la LPR, ce qui complique notre travail de contrôle en tant que parlementaires.
La dynamique favorable permise par les débuts de la mise en oeuvre de la LPR ne profite pas à l'ensemble des opérateurs et instituts de recherche, mais seulement à ceux qui relèvent du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI). Il ne s'agit donc pas d'une loi permettant de dynamiser l'ensemble de l'écosystème de recherche de notre pays. Or, notre effort de recherche national est supporté aux deux tiers par la recherche privée ; c'est pourquoi il me semble indispensable de s'engager en faveur des dépenses fiscales de recherche et développement (R&D) de nos entreprises.
Sur ce point, la suppression du doublement de l'assiette du crédit d'impôt recherche (CIR), votée l'année dernière et effective à compter de l'année prochaine, suscite encore des questions, tout comme le nouveau crédit d'impôt proposé par le Gouvernement pour compenser partiellement cette évolution. Selon les informations transmises par le ministère, cette suppression pourrait se traduire par une baisse de 160 millions d'euros pour les entreprises bénéficiaires, ainsi que par un impact significatif sur certains opérateurs de recherche dont les ressources dépendent en partie des partenariats industriels. Le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) anticipe, par exemple, une perte de 50 millions d'euros.
Afin de compenser cette évolution du CIR, imposée par une nécessaire conformité au régime européen des aides d'État, l'Assemblée nationale a voté un amendement du Gouvernement qui prévoit la création d'un nouveau crédit d'impôt, pour les dépenses de R&D supportées par une entreprise et réalisées par un organisme de recherche et de diffusion des connaissances (ORDC) avec lequel elle a une collaboration effective.
Sur le principe, c'est une bonne chose que de vouloir compenser l'évolution d'un dispositif qui contribue au rapprochement de la recherche publique et de la recherche privée. Toutefois, les paramètres du nouveau crédit d'impôt proposé ne sont pas satisfaisants : les dépenses engagées sont plafonnées à 2 millions d'euros, ce qui est insuffisant au regard des investissements requis.
Je suis également convaincu que les investissements dans la recherche pourraient être bien plus importants si les normes comptables et prudentielles relatives à la trésorerie des opérateurs de recherche étaient modifiées : des centaines de millions d'euros supplémentaires pourraient être investis dans des projets de recherche, ce qui est loin d'être négligeable.
J'avais interpellé la ministre sur ce point, l'année dernière. Un an après, je n'ai toujours pas obtenu de réponse satisfaisante. Cette année, j'ai transmis une question écrite au Gouvernement pour obtenir une réponse plus précise.
Enfin, ce qui est encore plus insatisfaisant que l'année dernière, c'est la dispersion toujours plus grande et l'émiettement toujours plus poussé des crédits dédiés à la recherche, ce qui rend le budget de moins en moins lisible. Les parlementaires ont ainsi de moins en moins de marges de manoeuvre.
Ainsi, pour les années à venir, et au-delà des crédits relevant strictement de la MIRES, il est estimé que le plan de relance abondera le budget de la recherche d'au moins 740 millions d'euros, le PIA d'au moins 1,6 milliard d'euros et France 2030 d'au moins 490 millions d'euros.
Cette situation marque une tendance accélérée au remplacement de crédits pérennes dédiés à la recherche par des crédits temporaires dans des plans industriels et économiques successifs, remettant en cause notre capacité à investir dans la durée pour garantir notre souveraineté économique. Comment concevoir que des projets structurels de recherche soient financés par des rallonges budgétaires de court terme, à l'avenir incertain ?
Prenons l'exemple de la recherche spatiale, dont le budget tend à s'émietter de plus en plus depuis deux ans. Je partage les réserves émises par notre collègue M. Jean-François Rapin, rapporteur pour la commission des finances, sur la sincérité du budget alloué à la recherche spatiale tel que présenté cette année.
En effet, si ce budget est globalement en hausse, cette hausse est artificiellement alimentée par un transfert de gestion de 150 millions d'euros dont les crédits sont issus d'un autre programme budgétaire géré par le ministère des armées.
De plus, pour la deuxième année consécutive, les 150 millions d'euros dédiés à la recherche duale sont pris en charge par le plan de relance, sans garantie pour le Centre national d'études spatiales (CNES) que ces crédits soient reconduits à l'issue de ce plan, qui prévoit également 200 millions d'euros supplémentaires pour soutenir l'innovation en matière spatiale, ainsi qu'une aide de 165 millions d'euros pour financer la fin du développement d'Ariane 6, dont nous espérons tous le lancement au second semestre 2022.
Si je comprends pourquoi cette aide spécifique, destinée à pallier des difficultés conjoncturelles, relève du plan de relance, je comprends moins pourquoi des crédits importants dédiés à l'innovation spatiale ne relèvent pas d'un programme ou d'une action budgétaire plus pérenne.
Au regard du regain d'intérêt mondial pour les activités spatiales, de la concurrence internationale de plus en plus marquée dans ce secteur, de la nécessité d'accompagner nos industries de pointe et d'investir davantage pour favoriser un écosystème innovant de start-up capables de tirer profit de l'exploitation des données spatiales, le financement de la recherche spatiale a plus que jamais besoin d'être stabilisé.
Or, ce qui est vrai pour la recherche spatiale l'est aussi pour de nombreux autres secteurs d'avenir en matière industrielle, dont l'émiettement du financement fragilise le développement économique dans la durée. C'est, par exemple, le cas des plans Batteries et Nano, dont je critique chaque année la dispersion du financement.
Malgré des avancées indéniables, nous nous dirigeons de plus en plus vers une politique de financement de la recherche et de l'innovation en accordéon, faite de coups de frein et de coups d'accélérateur. Ce n'est pas la meilleure manière de conduire une politique. Nos opérateurs ont besoin de se projeter sur le moyen et le long terme.
M. Christian Redon-Sarrazy . - Les constats sont identiques d'année en année. Les crédits du programme 190, « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables », baissent de 1,5 % et les financements du programme 191, « Recherche duale (civile et militaire) », ne sont pas pérennisés car transférés vers le plan de relance. Le secteur spatial voit ses crédits s'éroder, alors qu'il fut un fer de lance de notre innovation technologique. Voilà qui est inquiétant en matière de perspectives industrielles.
M. Franck Montaugé . - La réforme de l'enseignement secondaire a des conséquences dommageables sur certaines matières, comme les mathématiques. Le niveau des élèves français semble se dégrader, alors que nous étions en pointe dans ce domaine. Plus le temps passera, plus les conséquences seront grandes.
M. Christian Redon-Sarrazy . - Un rapport récent sur les réformes du baccalauréat montre que les mathématiques, les sciences et technologies et les sciences humaines et sociales sont les matières qui perdent des heures d'enseignement, matières qui sont au coeur de la recherche et de l'innovation.
Mme Sophie Primas , présidente. - En effet, nous dressons le même constat.
M. Jean-Pierre Moga , rapporteur pour avis. - Le problème est préoccupant. Les mathématiques devraient être sanctuarisées.
Certains programmes connaissent des baisses, mais le saupoudrage budgétaire lié au plan de relance rend leur lecture difficile. Des financements pérennes sont désormais intégrés au plan de relance lui-même. Même si les montants sont parfois supérieurs, des domaines comme le spatial exigent une vision sur le long terme. Nos chercheurs doivent travailler dans la sérénité pour être efficaces.
Mme Sophie Primas , présidente. - Je partage vos réserves sur le domaine spatial. Nous nous intéresserons à la question, de même qu'au sujet de la concurrence avec nos collègues allemands et italiens.
M. Jean-Pierre Moga , rapporteur pour avis. - C'est vraiment très inquiétant. Philippe Baptiste, le directeur général du CNES, nous disait qu'il espérait des avancées sur ce point. Le lancement d'Ariane 6 dès 2022 pourrait recréer une dynamique, mais rien n'est encore certain, car, pour le moment, les tests moteurs ne sont pas complètement concluants.
Mme Sophie Primas , présidente. - Je vous livre deux informations. Premièrement, le Sénat organisera le 17 septembre 2022 la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC), initiative acceptée par le président Larcher. Deuxièmement, notre collègue Alain Cadec mène actuellement une mission flash sur la situation des pêcheurs français à l'issue du Brexit : le rapport s'intéressera aux difficultés rencontrées par les pêcheurs dans la Manche, dans les eaux britanniques, mais également dans le golfe de Gascogne, et il devrait être adopté mi-décembre en commun avec la commission des affaires européennes.
M. Jean-Pierre Moga , rapporteur pour avis. - Malgré ce contexte budgétaire particulier, je suis convaincu que notre travail d'audition des grands responsables des instituts de recherche est très utile ; ainsi, ils ont pu nous faire part de leurs projets. À nous de transmettre leur message.
Examen
en commission
(Mercredi 24 novembre 2021)
Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, à la suite du rejet de la première partie du projet de loi de finances pour 2022, les avis budgétaires portant sur les missions de la seconde partie du PLF sont devenus sans objet et ne seront pas discutés en séance publique.
Notre commission avait décidé de réserver son vote et de surseoir à se prononcer lors de la présentation des rapports pour avis successifs. Afin de tirer les conséquences de ce choix, il nous revient désormais d'autoriser formellement la publication sous forme de rapports d'information des différents tomes correspondant aux missions budgétaires relevant de notre commission.
Il n'y a pas d'opposition ?
Je vous remercie.
La commission des affaires économiques autorise la publication de ces rapports d'information.