Rapport d'information n° 215 (2021-2022) de M. Cédric PERRIN et Mme Hélène CONWAY-MOURET , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 24 novembre 2021
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L'ESSENTIEL
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I. TENIR LE CAP DES 50 MD€/AN POUR LA MISSION
DÉFENSE
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II. TENIR LE CAP D'UN MODÈLE D'ARMÉE
COMPLET ET ÉQUILIBRÉ
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A. ARMÉE DE TERRE : UNE MODERNISATION
DONT LE RYTHME ET LA COHÉRENCE DOIVENT ÊTRE MAINTENUS
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B. ARMÉE DE L'AIR ET DE L'ESPACE : DES
INCONNUES QUI SUBSISTENT SUR DES CAPACITÉS ESSENTIELLES POUR
L'AVENIR
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C. MARINE : UN RÉARMEMENT MARITIME AU
NIVEAU MONDIAL QUI IMPOSE DE RENFORCER L'EFFORT DE MODERNISATION
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A. ARMÉE DE TERRE : UNE MODERNISATION
DONT LE RYTHME ET LA COHÉRENCE DOIVENT ÊTRE MAINTENUS
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I. TENIR LE CAP DES 50 MD€/AN POUR LA MISSION
DÉFENSE
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
N° 215
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2021
RAPPORT D'INFORMA TION
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur l' équipement des forces ,
Par M. Cédric PERRIN et Mme Hélène CONWAY-MOURET,
Sénateur et Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .
L'ESSENTIEL
Le budget 2022 est conforme à la loi de programmation militaire (LPM), pour la quatrième année consécutive. Les crédits de l'équipement des forces comportent 14,5 Md€ de crédits de paiement, au sein d'un budget de la mission défense de 41 Md€.
Pour les trois armées, l'évolution du contexte stratégique impose désormais de considérer l'Ambition 2030 comme un « plancher » et non comme un « plafond ». L'identification de nouvelles priorités a conduit à une actualisation de la programmation à enveloppe constante, donc en procédant à des arbitrages relativement opaques, dont toutes les conséquences ne sont probablement pas encore visibles. Les marches les plus hautes de la LPM devront être franchies, à partir de l'an prochain, pour tendre vers un budget de la défense de 50 Md€ par an, indispensable à la poursuite de l'effort de modernisation entrepris.
Cet effort de modernisation porte non seulement sur de nombreux programmes à effet majeur (PEM), nécessaires pour préparer l'avenir, mais aussi sur les « autres opérations d'armement » (AOA). Pour être moins visibles, et peut-être plus facilement « sacrifiables », les AOA n'en revêtent pas moins une importance majeure pour la cohérence capacitaire d'ensemble et la réalisation de la dimension « à hauteur d'homme » de la LPM.
Malgré l'échec du contrat de sous-marins avec l'Australie, les succès français en matière d'exportation sont réels et très positifs pour la base industrielle et technologique de défense. Les conséquences de ces exports sur nos propres capacités suscitent néanmoins des interrogations : si prélever sur nos propres forces, ou nos commandes, accroît l'attractivité de nos offres, ce n'est pas sans conséquences pour nos armées, en termes capacitaires, opérationnels et de ressources humaines.
Enfin, plusieurs programmes fondamentaux pour l'avenir, menés en coopération européenne, sont grevés d'incertitudes fortes qui imposent une vigilance particulière, en particulier s'agissant de la coopération franco-allemande : les programmes de drone MALE européen et de système de combat aérien futur (SCAF) se poursuivent tant bien que mal, mais le char du futur (MGCS) est à l'arrêt et de fortes incertitudes pèsent sur l'avenir de l'hélicoptère Tigre mk3 et de l'avion de patrouille maritime MAWS.
I. TENIR LE CAP DES 50 MD€/AN POUR LA MISSION DÉFENSE
A. UN EFFORT QUI SE POURSUIT ET DEVRA ÊTRE RENFORCÉ
Le budget de la mission défense s'élève à 40,9 Md€ (hors pensions), en hausse de +1,7 Md€ (+ 4 %), conformément à la loi de programmation militaire (LPM). Au sein de ce budget, les crédits de l'équipement des forces (programme 146) s'élèvent à 17,1 Md€ d'autorisations d'engagement (-19 %) et 14,5 Md€ de crédits de paiement (+6 %). La trajectoire prévue par la LPM pour les années 2019 à 2022 (+1,7 Md€/an) est respectée. L'agrégat « équipement » (23,7 Md€) est aussi conforme à la LPM avec 23,7 Md€ en crédits de paiement, dont 14,5 Md€ pour le P 146.
La LPM conduit vers un budget défense de 50 Md€ en 2025, en reportant une partie décisive de l'effort après 2022 :
ü Son article 3 programme des crédits de paiement de la mission défense d'un montant de 197,8 Md€ sur 2019-2023 : cela suppose une augmentation de + 3 Md€ en 2023.
ü L'atteinte de « l'Ambition 2030 » de la LPM suppose un financement complémentaire de 97 Md€ en 2024-2025, soit un total de 295 Md€ sur la période 2019-2025. Cela suppose que les crédits de la mission défense augmenteront à nouveau de 3 Md€ par an pendant deux ans, pour atteindre 47 Md€ en 2024 puis 50 Md€ en 2025.
La dégradation du contexte stratégique doit conduire à considérer les objectifs de l'Ambition 2030, décrits dans la LPM, comme un plancher et non comme un plafond.
La crise économique de 2020 ayant porté artificiellement l'effort de défense à 2 % du PIB, avant réalisation de la LPM, c'est bien l'objectif de 50 Md€/an qu'il convient de poursuivre, pour mettre en oeuvre la loi et permettre à nos forces armées de continuer à remonter en puissance alors que le contexte stratégique se dégrade.
B. DES DÉPENSES IMPRÉVUES À ENVELOPPE CONSTANTE
Le gouvernement a choisi de ne pas procéder à une actualisation de la LPM par la loi, malgré les ajustements nécessaires.
ü En premier lieu, malgré les termes de la LPM, et nos demandes réitérées, le gouvernement continue à financer une partie du surcoût des opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT) par des annulations sur la mission défense et en particulier sur le programme 146.
Il est pour le moins paradoxal de financer ainsi l'engagement croissant de nos forces armées par des économies sur leur équipement.
En 2019 et 2020, les surcoûts OPEX-MISSINT couverts par des redéploiements internes à la mission défense se sont élevés respectivement à 406 M€ puis à 215 M€. En 2021, ces surcoûts seraient de l'ordre d'environ 180 M€, ce qui porterait le préjudice, pour la mission défense, à environ 800 M€ sur les trois premières années de la LPM.
Le surcoût OPEX-MISSINT 2021 intègrera les dépenses résultant de la prolongation des renforts pour l'opération Barkhane jusqu'à l'été, celles induites par la ré-articulation du dispositif, la montée en puissance de Takuba et l'engagement du groupe aéronaval pendant 50 jours (Chammal). Ce surcoût 2021 est évalué à 1,56 Md€, supérieur à celui de l'an dernier (1,44 Md€). Pour mémoire, une provision d'1,2 Md€ est inscrite en loi de finances initiale à ce titre, à laquelle il faut ajouter des remboursements d'organismes internationaux dont l'ONU. Le surcoût non provisionné pour 2021 est, par conséquent, estimé à environ 330 M€, dont 180 M€ seraient pris en charge par la mission défense, en dépit de l'article 4 de la LPM qui dispose que le financement de ces surcoûts doit être interministériel. L'an dernier, ce sont ainsi 124 M€ qui ont été annulés sur le P 146.
ü En second lieu, depuis 2019, des ajustements d'un montant de 3,1 Md€ sont constatés.
§ 2,1 Md€ ont été redéployés respectivement au profit de l'espace et du numérique (1,1 Md€), des études sur le PANG (0,8 Md€) et du plan Famille (0,2 Md€) ;
§ 1 Md€ a été redéployé pour répondre aux besoins identifiés par l'actualisation de la Revue stratégique, pour « mieux détecter et contrer » et « mieux se protéger » (0,5 Md€), pour mettre en oeuvre le plan de soutien aéronautique (0,3) et pérenniser le char Leclerc (0,2 Md€).
ü D'autres surcoûts : l'export Rafale
L'export d'appareils Rafale d'occasion, prélevés sur la dotation de l'armée de l'air et de l'espace, représente un autre ajustement budgétaire important. Les appareils neufs pourront être partiellement financés grâce à un retour sur le produit de la cession des appareils d'occasion. Le gouvernement n'a pas communiqué le montant du reste à charge. Une opération similaire est en cours de contractualisation avec la Croatie, non encore compensée par une commande d'avions neufs.
ü Des ajustements résultant de la crise sanitaire
Enfin, la crise sanitaire s'est traduite par des dépenses supplémentaires d'un montant de 1,065 Md€. Il s'agit, à hauteur de 755 M€, de mesures de rebond et de relance en faveur du P 146, dont
§ 600 M€ au titre des mesures de rebond concernant principalement les programmes Rafale (150 M€), Scorpion (125 M€), A400M (58 M€), M51 et environnement missile balistique stratégique (45 M€), rénovation à mi-vie de frégates légères furtives (33 M€) et autres programmes (189 M€) ;
§ 155 M€ de crédits de paiement, au titre de la relance, pour le plan de soutien aéronautique (MRTT).
Ces mesures sont financées par un montant équivalent de moindres dépenses du fait de décalages liés à la pandémie de covid-19.
D'après la Cour des comptes : « Le risque existe toutefois que ces commandes anticipées au regard de la LPM entraînent un effet d'éviction sur des programmes d'armement concernant d'autres secteurs et des déséquilibres entre filières industrielles de l'armement, comme entre les dotations des armées en équipement ».
ü Un financement peu transparent
Le gouvernement a beaucoup communiqué sur l'accélération de certains programmes (renseignement, cyber, spatial, protection NRBC, santé, lutte anti-drone...), sans expliquer comment ces mesures seraient financées dans le cadre de la LPM, c'est-à-dire à enveloppe constante, grâce à des économies nécessairement réalisées sur d'autres postes budgétaires.
La commission a eu le plus grand mal à obtenir, de la part du gouvernement, des données précises sur le financement de ces ajustements, qui n'est pas totalement élucidé. Il apparaît néanmoins que les ajustements ont notamment été permis :
§ par le redéploiement de crédits sous-consommés de masse salariale du ministère ;
§ par des décalages de programmes qui ne remettraient pas en cause l'Ambition 2030.
Les programmes dont le jalon 2025 est affecté par les travaux d'ajustement réalisés en 2021
Programme |
Objet |
SCORPION |
Actualisation de la cible LPM à 45 % au lieu de 50 % de la cible totale à fin 2025 |
SLAM-F |
Décalage d'un an des livraisons de l'étape 2. |
CHOF |
Décalage d'un an de la phase de réalisation (qui sera lancée en 2025) |
FTLT |
Décalage de deux ans, commande en 2024, premières livraisons en 2027 |
SDT |
Décalage de l'étape 2 de 2024 à 2025 |
PATMAR |
Décalage d'un an de la commande précédemment prévue en 2025 |
MMP |
Étalement des livraisons prévues en 2024-2025 sur 2024-2026 |
CAESAR |
Décalage d'un an de la commande et de la livraison des 32 derniers CAESAR et de la rénovation de 77 CAESAR |
ALSR |
Dépassement du jalon (3 ALSR en 2025 au lieu de 2) |
Source : Ministère des armées
Autres mesures sans impact sur le jalon 2025
Programme |
Objet |
ALSR |
Réduction de la cible patrimoniale à 6 au lieu de 8 |
SAMPT-NG |
Décalage de deux ans de la livraison des 10 premières munitions |
RMV FDA |
Décalage d'un an de 2024 à 2025 |
MIDE RMV |
Décalage d'un an de la phase de levée de risque et des suivantes, de 2022 à 2023 |
Évolution frégates |
Décalage de deux ans |
Rafale |
Aménagement du calendrier des retrofits F4 |
Syracuse IV |
Adaptation livraisons segments sol en cohérence avec décalages Scorpion |
HM-NG |
Prise en compte du plan de soutien aéronautique |
Source : Ministère des armées
ü Des décalages sur les autres opérations d'armement (AOA)
Les autres opérations d'armement (AOA) sont moins visibles car de montants plus faibles que les programmes à effets majeurs (PEM) mais leur rôle est essentiel. Ces opérations participent en effet à la dimension « à hauteur d'homme » qui est au coeur de la LPM.
Tout comme les PEM, les AOA sont nécessaires à la cohérence d'ensemble. Or elles ont été ajustées à la baisse : cette baisse, par rapport aux prévisions initiales, est de 5 % par an entre 2022 et 2025, ce qui représente une diminution de 335 M€ sur quatre ans.
II. TENIR LE CAP D'UN MODÈLE D'ARMÉE COMPLET ET ÉQUILIBRÉ
Pour les trois armées, la modernisation engagée par la LPM ne fait que débuter, et les « marches » à venir, les plus hautes, doivent nécessairement être franchies pour tenir le cap d'un modèle d'armée complet et équilibré et répondre à la dégradation du contexte stratégique.
A. ARMÉE DE TERRE : UNE MODERNISATION DONT LE RYTHME ET LA COHÉRENCE DOIVENT ÊTRE MAINTENUS
Cible Griffon 2025 (LPM) |
Cible actualisée 2025 |
Cible 2030 |
Soit 936 339 à fin 2021 |
Soit 842 Diminution de la cible de 94 unités |
Cible inchangée Soit 1030 unités à livrer en quatre ans (2026-2030) |
La LPM prévoit la livraison, d'ici à 2030, de 1 872 Griffon (936 en 2025), 300 Jaguar (150 en 2025), 978 Serval (489 en 2025), 200 chars Leclerc rénovés (122 en 2025), du SICS (système d'information du combat Scorpion) et du SPO (système de préparation opérationnelle). L'ambition opérationnelle 2030 prévoit ainsi l'équipement des 6 brigades interarmes SCORPION. L'année 2021 est marquée par la projection de 32 véhicules Griffon au Sahel. L'objectif est de disposer d'une brigade interarmes (BIA) Scorpion apte à la projection en 2023.
En 2021, la cible du programme Scorpion a été actualisée à 45 % au lieu de 50 % du total, à fin 2025, afin de satisfaire d'autres besoins : la pérennisation du char Leclerc, le lancement des développements du véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE), du successeur du véhicule blindé léger (VBL) et de l'engin du génie combat (EGC), successeur de l'engin blindé du génie (EBG) mais aussi intégration d'une capacité SYRACUSE IV sur le Griffon et le Serval, et la constitution d'une provision en vue du premier incrément du programme SCORPION (SICS V2, Griffon et Jaguar standard 2, étude sur la rénovation du VBCI notamment).
À fin 2021, ce sont environ 10 % des livraisons Scorpion qui sont réalisés , dont 339 Griffon (18% du total) et 20 Jaguar (7% du total).
Le passage d'une cible de 50 % à une cible de 45 % a un impact significatif : en conséquence, le nombre de véhicules Griffon livrés en 2025 est fixé à 842 (dont 24 Griffon MEPAC : mortier embarqué pour l'appui au contact), au lieu de 936, soit 94 unités en moins .
Cela signifie aussi que, pour atteindre l'objectif 2030, une montée en puissance importante sera nécessaire après 2025 , afin de rattraper les mesures d'économie prises, tout en maintenant l'effort sur les nouveaux programmes engagés. 1030 véhicules Griffon (dont 30 MEPAC) devront être livrés entre 2026 et 2030.
Opérations |
Avant 2019 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022-2025 |
Post-2025 |
Cible |
|
Griffon |
Commandes |
339 |
271 |
552 |
656 |
1818 |
||
Livraisons |
92 |
90 |
157 |
479 |
1000 |
1818 |
||
Griffon MEPAC |
Commandes |
54 |
54 |
|||||
Livraisons |
24 |
30 |
54 |
|||||
Serval |
Commandes |
364 |
614 |
0 |
978 |
|||
Livraisons |
440 |
538 |
978 |
|||||
Jaguar |
Commandes |
20 |
42 |
133 |
105 |
300 |
||
Livraisons |
20 |
115 |
165 |
300 |
||||
Leclerc rénovés |
Commandes |
50 |
100 |
50 |
200 |
|||
Livraisons |
90 |
110 |
200 |
La modernisation entamée passe aussi par une rénovation des parcs d'ancienne génération (800 VBL Ultima, dont 253 devaient être livrés avant fin 2021 d'après la LPM mais cette cible a été ramenée à 80 en 2021 + 120 en 2022), et des renouvellements : capacités anti-char, équipements « à hauteur d'hommes », aérocombat (Tigre HAD, NH90), drones (plus de 300 drones en service).
La modernisation de l'armée de terre doit être poursuivie dans la durée, avec plusieurs enjeux :
ü Garantir la cohérence et le rythme d'une modernisation qui ne fait que débuter , pour ne pas créer une armée de terre « à deux vitesses », en veillant à la bonne réalisation des programmes à effet majeur mais aussi des « autres opérations d'armement » (soit environ 400 M€ pour l'armée de terre : jumelles de vision nocturne, armement du combattant, nano-drones...). Le maintien des cadences est d'autant plus important que l'industrie de l'armement terrestre, qui représente 45 000 emplois, s'attend à un fort impact de la crise sanitaire sur les exportations (lesquelles fournissaient la moitié du chiffre d'affaires en 2019).
ü S'adapter pour répondre à l'évolution des menaces et de la conflictualité . Le renforcement de la capacité à comprendre, agir et frapper dans la profondeur constitue un des enjeux majeurs des années à venir. Plusieurs programmes y contribuent directement : Symétrie (ROEM Tactique), le système de drone tactique SDT, la pérennisation du lance-roquette unitaire (LRU), la lutte anti-drone et la défense sol-air d'accompagnement.
ü Profiter de la dynamique européenne existante , notamment dans le cadre du partenariat stratégique avec la Belgique (CAMO) pour structurer une possible communauté autour de Scorpion avec d'autres alliés européens et réussir les programmes conduits en coopération avec l'Allemagne, c'est-à-dire :
o Le Tigre standard 3 : la décision allemande est sans cesse repoussée, même s'il n'y a pas eu, officiellement, de renonciation. Par conséquent, le programme doit démarrer en franco-espagnol, tout en restant ouvert à une participation allemande, au moins jusqu'au mois de mai 2022. Une non-participation de l'Allemagne aurait des conséquences importantes sur l'équilibre économique du projet c'est-à-dire sur la répartition des charges industrielles et des coûts. Cela signifierait concrètement une diminution du nombre d'hélicoptères français modernisés.
o Le char du futur MGCS ( Main Ground Combat System ) n'a pas obtenu le feu vert du Bundestag. Ce programme est actuellement à l'arrêt en raison de désaccords sur l'organisation industrielle, les Allemands ayant souhaité intégrer Rheinmetall au risque de fragiliser l'équilibre franco-allemand obtenu après la constitution de KNDS.
o Le Programme d'artillerie du futur CIFS ( Common Indirect Fire System ).
B. ARMÉE DE L'AIR ET DE L'ESPACE : DES INCONNUES QUI SUBSISTENT SUR DES CAPACITÉS ESSENTIELLES POUR L'AVENIR
La dynamique de modernisation impulsée par la LPM se poursuit également pour l'armée de l'air et de l'espace, qui a bénéficié, en outre, du plan de soutien à l'aéronautique de 2020 : commandes anticipées de 3 A330, 8 hélicoptères Caracal et 1 Avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR).
Des points d'attention subsistent, au regard du rythme de réalisation de la LPM, et de besoins non couverts :
ü L'objectif de 8 systèmes (24 vecteurs) de drones MALE en 2030 ne sera pas atteint, des interrogations demeurent quant au calendrier du drone MALE européen et à sa capacité à répondre aux enjeux de 2030 pour la France. Or cette capacité est devenue indispensable en OPEX. Le conseil de défense franco-allemand de 2017 a permis de trouver un accord sur le design et la motorisation de l'Eurodrone. La commission européenne a accordé un financement de 100 M€. Mais la signature du contrat en cours de négociation est toujours attendue, notamment en raison d'incertitudes sur l'engagement financier de l'Espagne. Se pose également la question du choix du motoriste (Safran ou Avio/General Electric)
ü Un recomplètement de l'export de Rafale à la Grèce est mis en oeuvre, mais ce n'est pas encore le cas pour l'export croate , le contrat avec la Croatie étant toujours en cours de négociation.
Le contrat croate appelle la commande de 12 appareils supplémentaires pour l'armée de l'air et de l'espace.
Dans l'attente, il est probable que le point de passage des 129 Rafale (pour l'armée de l'air et de l'espace) en 2025 ne sera pas atteint , 12 unités étant manquantes (117).
Pour mémoire, 12 Rafale d'occasion sont prélevés au profit de la Grèce : 6 en 2021 puis 6 en 2022-2023. Puis, 12 autres appareils devraient être prélevés pour la Croatie : 6 en 2023 puis 6 en 2024-2025. Ces prélèvements correspondent à un escadron opérationnel complet sur les 4 de l'armée de l'air et de l'espace.
Lors de son audition du 6 octobre 2021, la ministre des armées a apporté à la commission les précisions suivantes, s'agissant du recomplètement de l'export grec : « Pour compenser cette ponction, nous avons commandé douze avions neufs qui nous seront livrés en 2025. Dans l'attente, nous avons érigé en priorité le rééquipement de quatorze appareils qui n'étaient plus en état de voler, en achetant, grâce au produit de la cession à la Grèce, les pièces nécessaires. Par ailleurs, dans le cadre du contrat Ravel, nous avons amélioré le taux de disponibilité des Rafale de 50 % depuis 2017. En jouant sur ces deux paramètres - amélioration de la disponibilité et remise en état de vol d'anciens appareils - nous parvenons à compenser la rupture capacitaire qui sera définitivement comblée par la livraison, en 2025, des nouveaux appareils. J'insiste sur le fait que ces appareils neufs permettront alors à l'armée de l'air de bénéficier d'un parc plus moderne que celui dont elle aurait disposé en l'absence de ces commandes ».
S'agissant de l'export croate, la ministre s'est engagée à un recomplètement dont les modalités demeurent floues, plusieurs options étant à l'étude (augmentation des tranches 4 ou 5...) : « Dans l'hypothèse où la commande croate viendrait à aboutir, nous étudions différents scénarii de compensation, afin de recompléter la flotte et de renforcer les capacités techniques des avions. Nous manquons de pods de désignation Talios, de radars : le produit de la cession, qui sera entièrement réaffecté au ministère des armées, permettra de moderniser nos appareils ».
En parallèle, 27 avions doivent être livrés à l'armée de l'air et de l'espace (tranche 4T2) entre 2022 et 2025. Enfin, 30 avions au standard F4 doivent être contractualisés en 2023 et livrés à l'armée de l'air et de l'espace (5T) entre 2027 et 2030.
ü Des besoins demeurent non couverts, parmi lesquels notamment :
o Répondre au vieillissement des hélicoptères Puma au-delà de la commande réalisée dans le cadre du plan de soutien aéronautique : la flotte de 20 Puma de plus de 40 ans d'âge et de 3 Super Puma est de plus en plus coûteuse en MCO avec une faible disponibilité. En outre, la production de H225 est un enjeu industriel dans le contexte d'une baisse d'activité liée à la crise sanitaire.
o Convertir les trois A330 du plan de soutien à l'aéronautique en MRTT (la décision doit être prise en 2022).
o Pérenniser la capacité sol air courte portée, intégrer des pods TALIOS sur M2000, développer le Centre de simulation Rafale pour F4.
ü A plus long terme se profile la question du standard F5 du Rafale , indissociable du renouvellement de la capacité nucléaire aéroportée (ASN4G, successeur de l'ASMPA à l'horizon 2035),
ü Pour préparer l'horizon 2040, le programme SCAF doit suivre son cours , suite au feu vert du Bundestag (juillet 2021) et à l'accord intergouvernemental signé par la France, l'Allemagne et l'Espagne en août 2021, en vue d'aboutir à un démonstrateur en 2027.
Les industriels doivent désormais finaliser le lancement d'une phase dite 1B, relative au démonstrateur. Une répartition industrielle a été présentée, à la suite des auditions organisées par la commission en mars 2021, Dassault aviation étant le maître d'oeuvre industriel du Next generation fighter (NGF). Toutes les difficultés n'ont pas été levées sur les deux points clefs que sont la répartition des charges de travail et la protection de la propriété industrielle. Par ailleurs, le blocage du projet MGCS, politiquement lié au SCAF, et les informations récentes faisant état d'un intérêt de l'Espagne pour le F35 américain, viennent accroître les doutes et incertitudes dans ce dossier déjà très sensible.
ü Enfin, l'armée de l'air et de l'espace est, comme l'armée de terre, aux prises avec la problématique de la défense Sol-Air , sur les différents segments et notamment la lutte anti-drones , tant pour la protection du territoire national que pour la protection de nos forces en opération.
C. MARINE : UN RÉARMEMENT MARITIME AU NIVEAU MONDIAL QUI IMPOSE DE RENFORCER L'EFFORT DE MODERNISATION
La marine est confrontée au retour des logiques de puissance et au développement de la conflictualité en mer, tant dans l'environnement métropolitain immédiat (Méditerranée, Atlantique) qu'outre-mer, en particulier dans la région indopacifique. Pour la marine, comme pour l'armée de terre et pour l'armée de l'air et de l'espace, la pleine réalisation de l'Ambition 2030, amorcée par la LPM, est une nécessité.
« Nous sommes en train de passer violemment de l'ordre au désordre international » a déclaré le chef d'état-major de la marine lors de son audition. Le réarmement maritime est sans précédent au niveau mondial : « La Chine est en train de se doter de son 3e porte-avions, lancé en 2017, et qui sera en service en 2024. Grâce à une industrie navale qui tourne à plein régime, la Chine met actuellement en chantier une frégate par mois et sort trois à quatre sous-marins chaque année. Mais elle n'est pas la seule : l'Inde a augmenté sa flotte de 40 %, Singapour de 30 %, la Malaisie de 45 %, l'Indonésie de 46 %, sans parler de l'Australie. Plus près de nous, la taille de la marine algérienne a augmenté de 120 %, celle de la marine égyptienne de 170 %.
Quant à la Turquie, elle est en train d'acquérir son deuxième porte-aéronefs de type porte-drones et va bientôt avoir 14 sous-marins.» (Amiral Pierre Vandier, CEMM).
La filière industrielle maritime souffre, en outre, de l'abandon du projet d'exportation de sous-marins à l'Australie, qui engendre une baisse d'activité, notamment en matière d'ingénierie, donc un risque de perte de compétences. La montée en puissance de programmes tels que PANG (porte-avions de nouvelle génération) et SNLE 3G (sous-marins nucléaires lanceurs d'engins), à fort effet d'entraînement sur la filière, doit venir atténuer ce risque.
ü La bonne réalisation du programme de frégate et d'intervention (FDI) est nécessaire au renouveau des capacités de combat naval de haute intensité.
La vente de trois frégates de défense et d'intervention (FDI) à la Grèce (+1 option) conduira à décaler des livraisons à la Marine nationale. Les frégates destinées à l'export seront en effet les n° 2, 3, 5 (et 7). L'impact de cet export doit être limité autant que possible pour ne pas déstructurer le processus de montée en puissance de cette nouvelle capacité. Lorsque la commande des FDI n° 2 et 3 était intervenue, de façon anticipée, il était question d'accélérer ce programme pour répondre à l'accroissement de la menace en mer, non de rendre notre offre plus attractive à l'exportation.
Une nouvelle doctrine de l'exportation « en cycle court » semble émerger, avec l'idée que prélever sur nos propres forces, ou sur nos commandes, nous donne un avantage à l'export sur nos concurrents, en améliorant notre crédibilité et en réduisant les délais de livraison. Il convient de mieux anticiper pour ne pas pénaliser nos propres forces.
La LPM prévoit un format à 5 FDI pour 15 frégates de premier rang en 2030. Outre que ce format doit être tenu, il mériterait en soi analyse, compte tenu de l'évolution du contexte stratégique.
ü L'actualisation de la LPM a décalé des jalons du programme SLAMF (système de lutte anti-mines futur) : or cette capacité est aujourd'hui portée par des chasseurs de mines qui atteindront bientôt 40 ans d'âge.
ü Par ailleurs, le programme d'hélicoptère interarmées léger (HIL) , version militaire du H160, revêt également une importance capitale pour la marine. Son lancement est prévu en 2021 pour de premières livraisons en 2027.
ü La situation des patrouilleurs en métropole restera critique au cours des prochaines années, la flotte de patrouilleurs de haute mer (avisos) étant vieillissante. Un lancement rapide du programme de 10 patrouilleurs océaniques est nécessaire.
ü La cohérence d'ensemble nécessite, ici aussi, le maintien des financements pour les autres opérations d'armement (AOA) afin de soutenir le renouvellement d'équipements de moindres dimensions mais également cruciaux (remorqueurs, pousseurs, vedettes...).
S'agissant des programmes en coopération :
ü Le programme d'avion de patrouille maritime franco-allemand MAWS est remis en cause par l'achat, par les Allemands de cinq avions P-8A Poseidon de Boeing qui seront encore en service en 2035. Cette décision, qui désynchronise les calendriers de renouvellement des deux pays, pourrait contraindre la France à lancer seule le programme. Il faut agir vite car l'Atlantique 2 doit impérativement être remplacé d'ici 2035, ce qui implique un lancement en réalisation au plus tard en 2026.
ü Le programme EPC ( European patrol corvette ) est susceptible de répondre au besoin de renforcement du format de la Marine nationale en Océan indien et dans le Pacifique. Ce format est aujourd'hui organisé autour des frégates de surveillance, mises en service dans les années 1990, qui sont faiblement équipées d'un point de vue militaire et donc inadaptées à l'évolution de la conflictualité dans ces zones.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 24 novembre 2021, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, et de M. Philippe Paul, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Cédric Perrin et de Mme Hélène Conway-Mouret sur les crédits de l'équipement des forces.
M. Christian Cambon, président . - Comme vous le savez, la discussion budgétaire s'est arrêtée au Sénat. Néanmoins, nous allons examiner aujourd'hui les cinq rapports budgétaires, à savoir les quatre programmes relatifs à la mission « Défense » - les programmes 146, 178, 212 et 144 -, ainsi que le programme 129, « Coordination du travail gouvernemental ». Nous n'émettrons pas d'avis sur le projet de loi de finances (PLF), mais, afin de respecter le travail de nos collègues, j'ai souhaité que l'on transforme ces rapports pour avis en communications donnant lieu à des rapports d'information, qui seront publiés.
M. Pierre Laurent . - Permettez-moi d'aborder des sujets d'actualité, avant que nous n'entamions nos travaux, Monsieur le président. Nous souhaiterions que la commission se saisisse rapidement de l'opération Sirli en Égypte pour entendre notamment les explications de la ministre sur les révélations qui viennent d'être publiées.
Les événements au Burkina Faso, avec le blocage du convoi militaire de l'opération Barkhane allant de Côte d'Ivoire au Niger, mériteraient également que nous fassions un point sur la situation au Sahel.
M. Christian Cambon, président . - J'ai demandé des explications. Nous devrons réfléchir aux suites à donner.
M. Jean-Marc Todeschini . - Concernant le Burkina Faso, il serait bon que les parlementaires soient enfin associés au sujet.
M. Christian Cambon, président. - Je ne cesse de demander que l'on associe régulièrement le Parlement, notamment la commission des affaires étrangères et de la défense, et pas seulement quand il arrive ce genre d'incidents.
Avant de laisser la parole aux rapporteurs, je signale que nous avons eu, hier, une visite très intéressante au 2 e régiment d'infanterie de marine (Rima) du Mans.
Nos travaux débutent par la communication sur le programme 146.
M. Cédric Perrin, rapporteur . - Le budget pour 2022 s'avère conforme à la loi de programmation militaire (LPM) pour la quatrième année consécutive. Avec 14,5 milliards d'euros de crédits de paiement (CP), le budget du programme 146 est en hausse de 6 %. Mais, comme vous le savez, le plus dur reste désormais à accomplir. Il faudra, l'an prochain, passer d'une hausse de 1,7 à 3 milliards d'euros pour atteindre l'objectif de 295 milliards d'euros fixé pour la période 2019-2025 ; cela suppose de tendre vers un budget défense de 50 milliards d'euros en 2025.
Cet effort est nécessaire, en termes capacitaires, afin de préserver un modèle d'armée complet et équilibré, tout en apportant des réponses à la dégradation du contexte stratégique et à l'évolution de la conflictualité. Vous trouverez, dans notre rapport, de multiples exemples de ces besoins qui imposent au minimum un strict respect de la LPM, voire, dans certains cas, une augmentation de l'ambition ; tel sera l'objet, nous l'espérons, d'une prochaine LPM.
Le Gouvernement a beaucoup communiqué, cette année, sur l'accélération de certains programmes, sans expliquer comment ces mesures seraient financées à enveloppe constante. Les conséquences de l'actualisation ne sont pas toutes visibles, mais des éclaircissements ont été apportés.
Il ressort que les ajustements ont été permis par le redéploiement de crédits sous-consommés de masse salariale, mais aussi par le décalage des jalons de certains grands programmes. C'est ainsi que la cible 2025 du programme Scorpion est passée de 50 % à 45 % du total envisagé, afin de satisfaire d'autres besoins, dont la pérennisation du char Leclerc, le lancement du véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE) et de l'engin du génie de combat (EGC).
Nous pourrions dire que cette actualisation du programme Scorpion ne porte que sur 5 %, mais, en réalité, celle-ci est significative. Concernant le Griffon, la cible passe ainsi de 936 à 842 véhicules livrés en 2025, soit une baisse de 94 unités. Pour atteindre la cible 2030, il faudra ensuite que 1 030 véhicules Griffon soient livrés sur la période 2026-2030, tout en avançant sur les programmes nouvellement lancés. Est-ce réaliste, alors que 10 % seulement du programme Scorpion sont réalisés à ce jour ?
Des ajustements ont, par ailleurs, été rendus nécessaires par nos succès à l'export. Malgré l'échec du contrat de sous-marins avec l'Australie, ces succès sont, en effet, réels. C'est une bonne nouvelle pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD), mais cela n'est pas sans conséquence pour nos armées.
Une commande de 12 Rafale neufs a été passée par le ministère des armées, cette année, pour compenser la commande grecque. Outre le surcoût financier d'environ 600 millions d'euros, sur lequel le Gouvernement ne communique pas, ces appareils n'arriveront qu'en 2025, alors que les prélèvements ont lieu entre 2021 et 2023. L'amélioration de la disponibilité du Rafale apportera une réponse partielle. L'acquisition de pièces pour la remise en état d'appareils existants est aussi évoquée. Des interrogations et des doutes demeurent à ce sujet ; et surtout, l'export croate se profile à l'horizon, ainsi que d'autres contrats peut-être, sans compensation à ce jour.
Dans ces conditions, le point de passage des 129 Rafale pour l'armée de l'air et de l'espace en 2025 ne sera pas atteint ; le chef d'état-major de l'armée de l'air a été très clair sur le sujet. Une nouvelle commande de 12 appareils est donc nécessaire.
Toujours concernant l'export, la vente de trois frégates de défense et d'intervention (FDI) à la Grèce conduit à décaler des livraisons à la Marine nationale, puisque deux frégates livrées à l'export seront intercalées entre la première et la deuxième FDI à destination de la Marine. Au moment de la commande de ces FDI 2 et 3, il était question d'une accélération pour répondre à l'accroissement de la menace en mer, qui demeure une réalité. Cela pose la question du format, probablement insuffisant, des 15 frégates de premier rang en 2030.
Une doctrine de l'exportation en cycle court se concrétise donc ; il s'agit de prélever sur nos propres forces, ou sur nos commandes, pour réduire les délais et améliorer la crédibilité ainsi que l'attractivité de notre offre. Mais il est nécessaire de trouver un meilleur équilibre, en anticipant davantage et en limitant les impacts dans le temps, afin de pénaliser le moins possible nos propres forces ; cela a peut-être des vertus pour la BITD, mais, pour les forces, les conséquences ne sont pas complètement mesurées.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure . - Le Gouvernement a refusé d'assumer les engagements de la LPM dans la durée en ne procédant pas à son actualisation par la loi ; cela n'est pas de bon augure pour la conformité de l'exécution de la LPM dans sa seconde phase, qui démarrera en 2023. Nous avons toujours su que cette phase serait critique, puisque le Gouvernement a choisi, dès le départ, de reporter une part substantielle de l'effort au-delà des échéances électorales.
Cédric Perrin a évoqué les décalages subis, du fait de l'actualisation, par certains programmes à effet majeur (PEM). Mais il ressort également de nos auditions et de l'analyse de ce budget pour 2022 que les ajustements ont porté sur les autres opérations d'armement (AOA), moins visibles et sans doute plus facilement « sacrifiables » que les grands programmes.
Ces AOA continueront à augmenter, mais dans une moindre mesure que ne le prévoyait la LPM. L'ajustement de 5 % représente un manque à gagner de 335 millions d'euros sur quatre ans ; cela est loin d'être négligeable, sachant que le total des AOA s'élève à 1,4 milliard d'euros en 2021. Or, ces AOA sont garantes de la dimension « à hauteur d'homme » de la LPM et permettent de maintenir la cohérence d'ensemble de l'effort.
Concrètement, pour l'armée de terre, cela engage des programmes tels que les jumelles de vision nocturne, l'armement du combattant ou encore les nano-drones ; il s'agit aussi de la protection des soldats. La marine compte également beaucoup sur les AOA pour assurer le renouvellement d'équipements de moindre dimension, tels que des remorqueurs ou des vedettes, nécessaires à la cohérence d'ensemble du format.
Notre rapport pointe les risques qui pèsent sur plusieurs programmes fondamentaux menés en coopération européenne - notamment franco-allemande -, avec des calendriers électoraux qui s'additionnent et multiplient les incertitudes.
Si des coopérations comme CaMo - coopération Capacité Motorisée -, avec la Belgique, semblent créer une dynamique favorable à la possible structuration d'une « communauté Scorpion » en Europe, d'autres programmes nous inquiètent davantage. Le programme de drone MALE européen se poursuit tant bien que mal, mais il est d'ores et déjà acquis que l'objectif de huit systèmes de drones MALE en 2030 ne sera pas atteint. Or, il est évident que cette capacité, déjà indispensable en opérations militaires extérieures de la France (OPEX), le sera encore davantage à l'avenir. Comment compensera-t-on ce manque ?
Concernant le système de combat aérien du futur (SCAF), un accord intergouvernemental a été signé cette année, après le feu vert donné par le parlement allemand. Des difficultés en matière de répartition industrielle et de propriété intellectuelle ont été levées suite aux auditions de la commission.
Mais tout n'est pas résolu, loin de là. Le lancement de la phase 1B du démonstrateur demeure en négociation ; je rappelle que ce démonstrateur devait, dans un premier temps, être livré pour 2025, et que l'on parle désormais d'une livraison pour 2027. Le blocage du programme de char de combat du futur (MGCS), politiquement lié au SCAF, et les informations faisant état d'un possible intérêt de l'Espagne pour le F35, sont venus augmenter les incertitudes déjà grandes dans ce dossier. Une mission s'est déplacée en Espagne ; peut-être que les collègues ayant participé à cette mission pourront s'exprimer.
Au sujet du MGCS, il n'a pas été approuvé par le Bundestag. Ce programme est actuellement à l'arrêt et nécessite toute notre vigilance, de même que le programme CIFS dédié à l'artillerie du futur, dont les échéances sont reportées.
Le Tigre standard 3 va démarrer en franco-espagnol, faute d'un engagement allemand, ce qui signifie qu'il faudra sans doute réduire le nombre d'hélicoptères français modernisés. Quant au programme d'avion de patrouille maritime franco-allemand, il est remis en cause par l'achat, côté Allemands, de cinq avions P-8A Poseidon de Boeing. Nous devons avancer rapidement, car il s'agit de remplacer l'Atlantique 2 ; ce remplacement, impératif d'ici à 2035, nécessite un lancement en réalisation au plus tard en 2026.
Le contraste est frappant entre, d'une part, une dégradation rapide du contexte stratégique ainsi qu'une évolution de la conflictualité qui imposent une modernisation accélérée, et, d'autre part, des programmes en coopération européenne dont les jalons sont sans cesse repoussés.
Si nous sommes satisfaits du respect de la trajectoire de la LPM, nous devons rester vigilants sur le renouvellement des équipements et la protection de nos soldats.
- Présidence de M. Philippe Paul, vice-président -
M. Cédric Perrin, rapporteur . - Une délégation de la commission s'est en effet rendue en Espagne Les paroles n'engagent que ceux qui les écoutent, mais nos interlocuteurs ont été rassurants. Ils nous ont notamment confirmé leur intention de s'engager sur le Tigre standard 3 ; cette intention, portée par les états-majors, est en attente de validation ministérielle.
Les Espagnols, qui auraient sollicité les Américains sur le F35, ont également été rassurants à ce sujet. Leur intérêt porterait uniquement sur des avions à décollage vertical pour sur leurs porte-avions, mais ils ne souhaiteraient pas étendre l'acquisition de F35 au reste de leur flotte aérienne. Nous verrons ce qui se passera dans le futur. Nous leur avons expliqué très clairement que l'on ne pouvait pas, d'un côté, participer au programme SCAF et, de l'autre, discuter avec les Américains pour l'acquisition de F35.
Enfin, le sujet du drone MALE est également en cours de traitement. Plus globalement, les Espagnols ne peuvent pas s'appuyer sur une LPM, gage d'une politique à long terme ; ainsi font-ils des acquisitions au coup par coup, ce qui les pénalise fortement, puisqu'ils sont obligés d'attendre le vote de chaque budget pour avancer.
Si leurs difficultés financières sont évidentes, les budgets ont été votés en fonction des grands projets sur lesquels ils souhaitent investir. Pour l'instant, c'est plutôt positif pour les projets que nous menons ensemble.
Au sujet du Tigre standard 3, je suis moins optimiste que certains après la non-décision allemande. Nous devrons mener cette opération avec les Espagnols et assumer les conséquences financières de cette situation ; sans doute aurons-nous moins d'appareils.
Mme Catherine Dumas . - On a bien compris qu'il s'agissait de tenir le cap d'une armée équilibrée, complète et, surtout, portée par un souci de modernisation.
Je souhaite revenir sur le sujet des munitions, abordé lors de notre visite au 2 e Rima. On a compris, en discutant avec les officiers et les soldats, que les munitions complexes constituaient un vrai point d'attention. Leur prix, notamment, tend à augmenter. L'an dernier dans cette commission, avait été évoquée la nécessité de constituer des stocks stratégiques de munitions et aussi de disposer de sources d'approvisionnement sûres. Qu'en est-il aujourd'hui ?
M. Philippe Paul, président . - C'est une très bonne question.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure . - C'est un vrai sujet, en effet, qui ressort à la fois de nos auditions et de nos visites de terrain. Nous avions présenté un amendement à ce sujet lors de l'examen de la LPM.
Sont concernées les munitions pour l'entraînement et aussi pour le combat ; la gamme s'étend des balles aux missiles. Nous sommes sur un fil de crête, nous disposons du strict nécessaire. Or, nous devrions disposer de stocks supplémentaires, si d'aventure le besoin s'imposait un jour.
M. Cédric Perrin, rapporteur . - J'avais interrogé Jean-Yves Le Drian, il y a quelques années, sur cette problématique ; il nous avait répondu que nous n'avions pas de problèmes de munitions, car nous avions des alliés ! Sa réponse nous avait surpris, car nous savons que les alliés d'aujourd'hui ne sont pas forcément ceux de demain ; même nos alliés américains, à certaines occasions, ont eu des priorités différentes des nôtres. On peut tout imaginer et, sur ces questions, il s'agit surtout de disposer d'une autonomie stratégique et capacitaire.
Une usine de fabrication de munitions devait voir le jour en Bretagne. Or, le seuil d'équilibre de l'entreprise nécessitait la fabrication de 60 millions de cartouches par an, alors que nos besoins s'élevaient à 20 millions.
Aujourd'hui, on tourne en rond sur le sujet, et les militaires s'en préoccupent. L'exercice Polaris 21, qui se déroulera prochainement à Toulon, a pour vocation de simuler plusieurs jours de combats intenses, avec l'idée d'estimer une consommation potentielle de munitions ; chaque navire dépourvu de munitions sera retiré de l'exercice ; très rapidement, l'on se rendra compte que notre manque de munitions nous pénalise dans l'exercice de nos missions.
L'an dernier, l'OTAN a organisé un exercice avec des bouées. La France n'a pu mettre à disposition qu'un nombre très limité de bouées.
M. Olivier Cigolotti. - Notre déplacement au Mans nous a permis d'illustrer cette problématique de l'investissement et de la préparation à la haute intensité. Les munitions, en particulier les munitions complexes, sont en nombre insuffisant.
Je rejoins donc les rapporteurs pour alerter sur ce problème.
M. Philippe Paul, président . - Sur ce point, les moyens sont insuffisants.
M. Cédric Perrin, rapporteur . - Quand il y a des économies à réaliser, on vise le programme 146 et, au sein de ce programme, le petit matériel. Nous ne pouvons ensuite que constater les conséquences de ces économies. Par ailleurs, le petit matériel a aussi un impact sur le moral des troupes.
Mme Gisèle Jourda . - Des équipements neufs sont parfois livrés sans les munitions pour les faire fonctionner... La situation est ubuesque ! Pour l'entraînement, des systèmes de substitution sont mis en place. Mais, des questions se posent. C'est comme si l'on achetait une voiture sans essence.
La commission donne acte de leur communication aux rapporteurs et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Auditions de la commission :
Mardi 12 octobre 2021
Mme Florence Parly , ministre des armées
Général Thierry Burkhard , chef d'état-major des armées
Mercredi 20 octobre 2021
Général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de terre
Général Stéphane Mille , chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace
Mercredi 27 octobre 2021
M. Joël Barre , délégué général pour l'armement
Amiral Pierre Vandier , chef d'état-major de la marine
Auditions des rapporteurs :
Mardi 26 octobre 2021
GICAT ( Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres) : M. Marc Darmon , président, M. Jean-Marc Duquesne, Délégué général, M. Thierry Puig, Délégué Défense, M. Lilian Eudier, chargé d'affaires publiques
Mercredi 27 octobre 2021
- Cluster EDEN (European Defense Economic Network) : M. Philippe Rivière , vice-président
- Dassault Aviation : M. Eric Trappier , Président-directeur général, M. Bruno Giorgianni, directeur des affaires publiques et sûreté
Mercredi 3 novembre 2021
GICAN (Groupement des Industries de Construction et Activités Navales) : M. Philippe Missoffe , délégué général, M. Jean-Marie Dumon, délégué général adjoint, Mme Apolline Chorand, déléguée affaires publiques et communication.
Contributions écrites :
• Etat-major de l'Armée de terre (EMAT)
• Etat-major de l'Armée de l'air et de l'espace (EMAAE)
• Etat-major de la marine (EMM)
• Société Airbus
• GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques)